Réhabiliter l’encadrement des projets de fin d’études en formation d’ingénieurs

On est élève ingénieur en 5ème année et on vient de choisir son sujet de PFE, on est excité et prêt à entamer le projet. Après 4 ans et demi d'études académiques, plusieurs unités d'apprentissage et plusieurs sessions d'examens, il est temps de construire son projet.C’est le projet de fin d'études (PFE). Le PFE est un projet complet en situation professionnelle qui marque la fin des études dans une école d'ingénieurs. Ce projet peut être réalisé en conception, recherche et développement, prototypage ou réalisation pour le compte d'un industriel partenaire. Sa durée est habituellement comprise entre quatre et six mois. L'évaluation repose sur un rapport de stage, la fiche d’évaluation remplie par la structure d’accueil et une soutenance orale appuyée par un rapport d’une soixantaine de pages.  Le jury de la soutenance orale est composé d’un enseignant président du jury, d’un enseignant rapporteur, du tuteur enseignant, et du tuteur de la structure d’accueil.

Le PFEest un moment essentiel de la formation des élèves ingénieurs. Ilpermet aux étudiants de mener une étude en équipe selon une démarche rationnelle et dans le respect du cahier des charges et des délais fixés. Il vient consacrer leur capacité à traduire par des réalisations concrètes les concepts qu’ils ont appris durant lesannées d’études.Le but est de développer  la responsabilité et l'autonomiedes étudiants, l'esprit d'un travail collectif et bien sûr de mettre en pratique les enseignements reçus et permettre ainsi aux étudiants d'affirmer leurs savoir-faire et à considérer leurs compétences.L'encadrement est assuré le plus souvent des enseignants-chercheurs. Un suivi du projet est assuré par l'industriel partenaire dans le cadre de réunions de travail régulières chez l'industriel.

Tous les acteurs sont d'accord sur l’importance du projet de fin d’étude dans la formation d’un élève ingénieur. Bien des avantages ressortent de ce stage. En effet, le PFE permet au candidat d’acquérir une petite expérience professionnelle, qui peut le distinguer de ses collègues. « Avoir un pied dans l’étrier » est quelque chose d’assez important. A l’issu du stage, le candidat peut aussi se voir proposer la signature d’un contrat. De courte ou longue durée, ce contrat lui donnera du travail, et peut lui servir de « tremplin » pour son avenir professionnel. Le PFE est si important qu’on peut être un élève ingénieur avec un très bon cursus universitaire, mais si pour une raison ou une autre,on rate le PFE, l’insertion sur le marché professionnel peut être sérieusement compromise ! Réussir son PFE veut dire avoir un bon niveau académique, disposer d’un bon sujet d’actualité, être accueilli par un organisme de renommé avec un environnement de travail convivial et un encadrement technique de qualité, et enfin être suivi et encadré de près tout le long de la période du projet par un enseignant chercheurde l’école.

Qui parmi nous, enseignants chercheurs des écoles d’ingénieurs,n’a pas été évalué sur son PFE, et qui n’a pas encadré de tels projets et qui n’a pas joué le rôle d’examinateur ou de rapporteur de ces projets ? Il est certain que nous sommes tous passés par cette expérience et nous continuons toujours à être un élément acteur dans le processus de déroulement et d’évaluation de ces projets. Pour mener à bien un PFE, l’apport de l’enseignant chercheur peut être perçu à plusieurs niveaux:

1. Le choix du PFE est important :C’est au service des stages de l’école de faire la collecte des sujets, mais l’élève ingénieur peutaussi faire l’initiative de contacter lui-même des entreprises, dont l’activité est en rapport avec ses ambitions. L’appréciation de son encadreur pourrait s’avérer être une bonne référence pour ses emplois futurs. En outre, pour faire son stage de fin d’études, l’étudiant n’est pas tenu de réaliser son PFE en Tunisie. Privilégier un stage à l’étranger est une très bonne idée. Ainsi, il pourra non seulement mettre son savoir à exécution, mais l’étranger lui permet d’une part d’avoir de nouveaux contacts professionnels, et d’autre part d’approfondir ses connaissances en langues étrangères, ce qui lui donnera une chance supplémentaire, lors de ses prochains entretiens. Trouver un stage à l’étranger c’est très souvent grâce à l’encadreur.
2. Un projet se focalise sur la réalisation d'un système fonctionnel et professionnel. Pour atteindre cet objectif, il y a nécessitéd’une compréhension profonde du domaine étudié. Et bien qu'il ne soit pas obligatoire de devenir un expert du domaine étudié, il est souhaitable de connaître un certain niveau de détails pour mieux comprendre les enjeux, les risques et les bonnes méthodes. Pour cela, une étude théorique préalable (aide-mémoire, résumés, fiches techniques etc.) ainsi qu'une étude de l'existant sont des étapes essentielles pour la réussite du projet. Une bonne partie de ces outils est fournie par l’encadreur.
3. La spécialisation du PFE une difficulté à vaincre : L’apport de l’encadreur est d’une importance majeur pour aller au cœur du projet. C’est un travail en profondeur qui pourrait faire gagner beaucoup de temps à l’élève ingénieur. En outre, très souvent les étudiants trouvent des difficultés pour bien assimiler de nouveaux concepts à caractère industriel. Des domaines comme l’informatique, l’électronique, la mécatronique ou encore la robotique ou le génie industriel représentent des spécialités innovantes où les actualités sont quotidiennes. Existe-t-il une solution pour à la fois permettre aux élèves ingénieurs de comprendre leur importance et les assimiler dans les délais ? La réponse pourrait être une formation ciblée. Là aussi l’encadreur peut jouer un rôle important pour guider l’élève ingénieur.
4. Il est, des fois, nécessaire, de voir la ligne de la fin pour mieux se motiver. En effet, plusieurs mois de travail sur le même projet peuvent donner cette impression de noyade entre les détails, la finition de la rédaction de l'état de l'art, la conception, les débuts de la réalisation etc. Il devient nécessaire de prendre un pas de recul et de voir l'intégralité du projet. Pour ce faire, le soutien de l’encadreur est plus que primordial.
5. D’habitude le PFE se déroule entièrement au sein de l'entreprise, mais le travail technique peut nécessiter l'utilisation du matériel de laboratoire de l'école. Ceci amène l'élève ingénieur à alterner les périodes en entreprise et au sein du laboratoire. Là aussi l’encadreur doit intervenir. Des petites réunions sont organisées par l’occasion pour établir un “État d’avancement et Questions”. Il s’agit notamment de pointer : ce qui est fait, ce qui reste à faire ; les problèmes et les questions rencontrés. Dans certaines situations, l’encadreur intervient en personne pour débloquer ou résoudre un problème technique.
6. Fin de projet : La fin de projet est sanctionnée par la rédaction d'un rapport de projet et donne lieu à une soutenance orale devant un jury de spécialistes. La préparation de l’exposé oral ainsi que le plan et la correction du rapport sont sous la responsabilité de l’encadreur. Une fois, le projet est achevé,des fois certaines questions persistent sans réponse convaincante de la part de l’élève ingénieur. Elles feront sans doute, partie des questions qui seront posées le jour de la soutenance. Tout comme le candidat, l’encadreur doit se préparer à ce genre de situations.

Ces différents points détaillés illustrent d’une manière exhaustive qu’un PFE bien réussi doit être, non seulement, bien construit mais surtout bien conduit grâce un encadrement de proximité.Ainsi, encadrer des PFE c’est aussi un effort, à part entière, fourni de la part de l’enseignant encadreur. Avec un bon encadrement, en y mettant du cœur, et en menant à bien sa mission, le dynamisme du candidat, sa rigueur et son autonomiepourront être mis en avant.

La réforme de l’enseignement supérieur est à nos portes. On espère bien que de nouvelles mesures seront prises mettant en exergue l’importance du PFE dans la formation de l’ingénieur, à travers une meilleure motivation des industriels, plus d’encouragement des élèves ingénieurs à s’orienter vers des projets concrets et innovants, incitation des enseignants à aller au-delà de l’encadrement vers une adoption des projets ou encore la mise à disposition de plus de moyens et outils pour bien réussir les PFE.Malheureusement les derniers accords concernant l’indemnité des PFE ne sont pas encourageants ! Ils sont largement en deçà des attentes des universitaires. Sinon, comment comprendre que le premier projet encadré soit gratuit ? Que le deuxième projet encadré soit gratuit ? Que tout l’effort consenti par l’encadreur n’est indemnisé qu’en cas de soutenance ? Est-ce que c’est normal?

Mohamed Ali Mahjoub
Maître de conférences à l’Eniso