2025 - L'ONU a 80 ans: un ciel lourd et menaçant

"Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l'esprit gémissait en proie aux longs ennuis,
Et que de l'horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits".
Charles Baudelaire
Par Majid Chaar, haut fonctionnaire international - Quand le temps est maussade à Rome, comme en ces jours du mois d'avril, je me sens d'humeur baudelairienne. En particulier, il me vient à l'esprit ce poème de Spleen dont les mots traduisent cet état de mélancolie vague qui semble frapper le multilatéralisme et ses adeptes, l'ONU et ses Organisations internationales.
Comme Baudelaire, le système onusien n'atteint pas l'idéal, mais ne se laisse pas complètement anéantir par son mal être, sous les coups d'un monde méconnaissable, moche, sordide et "Trumpeur" sous la férule de la droite la plus extrême.
Impressions du siège à Rome
D'après les mythes romains, Romulus fonde la ville de Rome en l'an 753 av.J.C et dessine son pourtour avec une charrue.
N'est-il donc pas naturel que la ville éternelle abrite la FAO, dans son cœur historique, ainsi que deux autres organismes, le FIDA (Fonds international du Développement agricole) et le PAM (Programme Alimentaire Mondial) faisant d’elle, la Capitale mondiale de l'Alimentation et de l'agriculture.
En ces jours d’avril, les discussions vont bon train dans le palais de marbre, siège historique de l'Organisation mère et qui, paradoxalement, fût dans les années 40, l’imposant Ministère des Colonies de Mussolini- Il Duce.
On ne parle que de la mise en œuvre du cadre stratégique 2021-2031 et de la concrétisation cohérente des objectifs auxquels l’Organisation aspire et qui consistent à améliorer la production, la nutrition, l'environnement et les conditions de vie des populations vulnérables en ne laissant personne de côté... un pari qui ressemble plus à un défi majeur!
Entre espoir et angoisse
La FAO vient d'accueillir la COP 16.2, le Forum mondial de l'alimentation avec ses composantes liées aux innovations scientifiques, aux investissements agricoles, à l'agriculture familiale et au "Dialogue de haut niveau sur l'eau: autant d'initiatives qui renforcent l'action mondiale contre la faim, sauf que, le revers de la médaille est plutôt inquiétant et renvoie des nuages noirs menaçants qui s'accumulent dans le ciel.
La nouvelle tombe comme un couperet: le plan à moyen terme 2026-2029 a été récemment examiné ainsi que le budget biennal 2026-2027 réduit, conséquence d'une baisse de contributions des États membres. Du coup, le rapport annuel sur les ressources humaines a indiqué une réduction de 177 postes.
La situation n'est pas meilleure ailleurs
Les besoins explosent dans de nombreuses régions du monde. En 2024, 120 conflits armés actifs ont été recensés, le chiffre le plus élevé depuis la seconde guerre mondiale.
Le PAM, en première ligne, fait face chaque jour aux conséquences de cette destruction et doit gérer des risques croissants pour les travailleurs humanitaires, des restrictions d'accès aux populations dans le besoin, comme à Gaza, et une érosion générale des principes du droit humanitaire international.
En une année, celle de 2024, 325 travailleurs humanitaires ont été tués- l'année la plus meurtrière jamais enregistrée.
Incertitudes américaines
Force est de constater, aujourd'hui, que le financement devient de plus en plus incertain et difficile pour le secteur humanitaire, en 2025 et au-delà.
Pendant de nombreuses années, les États Unis ont été le principal donateur du PAM et de la FAO. L'incertitude américaine est donc préoccupante et des mesures anticipatives sont aussi prises par le PAM, pour son budget prévisionnel de 2025 qui a été révisé à la baisse, passant de 7,7 milliards de dollars US à 6, 4 milliards. Les déplacements de terrain du personnel sont désormais limités à l’essentiel, tandis que les ateliers et formations seront organisés virtuellement.
Il a aussi été décidé de fermer le bureau régional pour l’Afrique australe à Johannesburg, dans sa forme actuelle.
Des temps difficiles
L’administration Trump a effectivement porté des coups aux principes du multilatéralisme et à certaines structures de l’ONU, mettant en péril de nombreuses agences humanitaires et de développement. Les changements dans la politique étrangère des États Unis ont parfois réduit les financements à certaines organisations et mis en doute leur efficacité.
Cette réticence américaine à soutenir des initiatives internationales, notamment sur les questions climatiques a fragilisé la position de la FAO.
De son côté, le PAM, qui aide des millions de personnes, chaque année, en fournissant une aide alimentaire d'urgence, a également vu ses financements réduits.
Les conséquences dramatiques sur l'efficacité des opérations de secours de l'UNRWA, de l'UNICEF et d'autres organisations humanitaires sont aussi à déplorer.
Bien qu'elle ne soit pas liée directement aux objectifs du développement alimentaire, l'OMS (Organisation mondiale de la Santé) a été aussi impactée, notamment à travers la décision de Trump de retirer les États Unis de l’Organisation, ce qui a alimenté un climat d'incertitude et de fragilité de nombreuses initiatives internationales.
Conséquences possibles
Ces mesures pourraient provoquer une aggravation des crises alimentaires, sanitaires et humanitaires dans de nombreuses régions, en particulier à Gaza, ou dans des pays comme le Yémen, le Sud Soudan, la Somalie ou la Syrie où les besoins sont énormes.
Le retrait des États Unis des engagements multilatéraux pourrait aussi encourager d'autres pays à adopter des positions unilatérales et à réduire leur coopération avec l'ONU. Cela pourrait fragiliser les efforts collectifs pour atteindre les Objectifs du Développement durable (ODD), en particulier ceux liés à la réduction de la pauvreté et à la lutte contre la faim.
Enfin, la remise en question du multilatéralisme et l'érosion de la coopération internationale, peuvent exacerber les tensions géopolitiques, notamment en ce qui concerne la gestion des ressources alimentaires mondiales et l'accès à l'aide humanitaire et pourrait augmenter les conflits et les migrations forcées liées à la faim.
Comment s'en sortir?
Face à cette situation de crise, les agences onusiennes et les ONG vont diversifier leurs sources de financement en se tournant vers des partenariats avec des pays émergents, des entreprises privées, des fondations philanthropiques et d'autres acteurs non étatiques.
Entre temps, les agences onusiennes intensifient leurs efforts de plaidoyer et de diplomatie pour défendre le multilatéralisme tout en sensibilisant les gouvernements à maintenir leur soutien au développement et à repenser les modèles d'engagement et de collaboration pour inclure plus d'initiatives à base communautaire (Telefood, par exemple), tout en plaçant les populations au centre des efforts de développement.
Un impact global négatif: le cas de la Tunisie
La décision américaine d'imposer une taxe douanière de 28% à la Tunisie, pourrait exacerber quelques difficultés économiques, en augmentant l'inflation et le coût de la vie, surtout pour les classes moyennes et populaires.
La Tunisie bénéficie d'un secteur touristique et d'exportations relativement dynamiques. Toutefois, l'augmentation du coût lié aux importations pourrait indirectement affecter la compétitivité des services touristiques et des produits tunisiens à l'exportation. Il en résulte que les autorités tunisiennes doivent miser sur des solutions adaptées combinant les réformes et la diversification de l'économie tout en apportant un soutien aux investissements dans des secteurs clés, de manière à stimuler la croissance, sans nuire à la stabilité économique et sociale.
Et si Trump révisait sa politique?
Bien que la révision de la politique de Trump semble possible, elle reste incertaine.
Certes, les dynamiques internationales, les pressions internes et la nature des crises mondiales joueront un rôle crucial dans cette évolution.
En plus, si des crises humanitaires majeures surviennent dans des régions où les États Unis ont traditionnellement joué un rôle clé et, surtout si l'opinion publique américaine et internationale demandent davantage de collaboration, cela pourrait amener une révision de la politique étrangère.
2025, l'année du Serpent en Chine
Récemment, le directeur général de la FAO, le chinois Qu Donguy a fait remarquer que " l'année du Serpent, selon le calendrier lunaire chinois, commençait en janvier 2025, et que cet animal était associé à la sagesse, à l'élégance et à la transformation, ce qui serait propice à la croissance, la créativité et l'intuition ".
Osons espérer que ce contexte conviendrait aux réflexions que nous venons d’évoquer et que la planète Terre soit à même de mieux servir ses populations les plus démunis et préserver la paix, partout, dans le monde.
Seul le temps nous le dira !
Majid Chaar
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