Opinions - 16.06.2025

Le droit international à l’épreuve des guerres modernes

Le droit international à l’épreuve des guerres modernes

Par Najiba Ben Hassine - Les armes dotées de l’intelligence artificielle et des nouvelles technologies soulèvent des questions juridiques et éthiques épineuses qui remettent en cause les acquis juridiques du droit international en général et du droit humanitaire, en particulier. Ce dernier étant une discipline juridique qui émane du sentiment d’humanité et place l’homme au centre de ses préoccupations. Elle poursuit un double objectif. D’une part, la protection des personnes qui ne participent pas ou plus aux hostilités en leur épargnant les atrocités de la guerre et des conflits armés. D’autre part, elle vise à restreindre le pouvoir des parties au conflit de choisir les moyens et les méthodes de conduite des hostilités.

Deux défis majeurs se posent face à l’utilisation intensifiée voire incontrôlable des nouvelles technologies d’armement dans les conflits armés récents. Le premier défi se rattache à leur conformité aux principes du DIH. Le second défi à relever a trait à l’adaptation des mécanismes de la responsabilité pénale internationale aux infractions graves commises lors de l’emploi des nouvelles technologies d’armement. En premier lieu, en ce qui concerne le premier défi, le dispositif humanitaire international (tel qu’établi essentiellement par les quatre conventions de Genève de 1949 et leurs deux protocoles additionnels de 1977) est fondé sur des principes cardinaux visant à humaniser la guerre et à atténuer les souffrances et les maux de ceux qui en subissent les répercussions ainsi qu’à réduire les dommages occasionnés aux biens de caractère civil. Il s’agit du principe de distinction combattants/ personnes civiles qui implique que les combattants doivent être facilement identifiables et doivent se distinguer des personnes civiles. Le principe de proportionnalité qui exige que les opérations militaires et les moyens employés ne doivent pas excéder ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs militaires. Ils ne doivent pas être excessifs et disproportionnés par rapport à l’avantage militaire direct attendu. Le but de la guerre n’étant pas d’exterminer l’adversaire, mais plutôt de l’affaiblir. La guerre ne doit pas être un but en soi ; mais un moyen pour atteindre un objectif bien déterminé. D’où, le principe de la nécessité militaire. De même, le principe de la limitation des moyens et des méthodes de guerre tend à restreindre les pouvoirs des parties au conflit dans le choix des armes et des stratégies militaires ; et vise en définitive à éviter leur utilisation abusive et arbitraire. Les personnes civiles et la population civile bénéficient également d’une protection intensifiée et renforcée contre les attaques, les représailles et les peines collectives pour éviter leur transformation en boucliers humains, et ce en particulier par le biais de l’interdiction des attaques discriminées qui frappent indistinctement les objectifs militaires et civils.

Les nouvelles technologies s’appuyant sur les drones, les systèmes d’armes autonomes et robotisés, les cyberattaques, qui pour l'essentiel, font usage, à des degrés variables, de l’intelligence artificielle menacent de frapper indistinctement les combattants et les civils, en particulier dans le contexte des conflits armés non internationaux et les guerres asymétriques.  Il en est ainsi des cyberattaques qui sont susceptibles, en raison de leur caractère interconnecté, d’affecter des infrastructures et des installations informatiques civiles, conduisant à des dégâts catastrophiques et dévastatrices qui peuvent aller jusqu’au dysfonctionnement des systèmes de télécommunications, d’électricité, d’eau potable ou de transferts financiers…

Par ailleurs, les systèmes d’armes autonomes, dépourvus de tout contrôle ou supervision humaine, peuvent se doter d’une force létale attribuant à des machines le pouvoir de donner la mort à des humains, ou de frapper de manière disproportionnée ou excessive des objectifs militaires. Ils risquent, donc, de causer des dommages collatéraux excessifs. Ils sont, de surcroit, dans l’incapacité d’identifier des personnes qui devraient en principe bénéficier d’une protection en vertu du droit international humanitaire tels que les personnes mises hors de combat, les blessés, les malades et les naufragés…
Le deuxième défi posé par les nouvelles technologies d’armement a trait au système de la responsabilité pénale internationale qui s’est fixé pour objectif de réprimer les actes qui violent gravement le droit international humanitaire et le droit international des droits de l’homme ; il permet à la communauté internationale de consolider le dispositif juridique garantissant « les droits de l’humanité ». Cette responsabilité mondialisée représente, en outre, un palliatif au phénomène de l’impunité des crimes contre l’humanité, notamment à travers la mise à l’écart du système des immunités juridictionnelles des chefs et agents d’États lorsqu’il s’agit de violation du droit humanitaire commise par des individus lors de conflits armés. Elle place, ainsi, l’individu au cœur des enjeux sur la paix internationale et la sécurité mondiale.

Les nouvelles technologies d’armement risquent de plonger les combats menés lors d’un conflit armé dans l’anonymat. Il est, en effet, difficile voire impossible d’identifier les individus ou les groupes d’individus qui ont déclenché un système d’arme autonome ou une cyberattaque, et commettant par cet acte une violation grave au droit humanitaire. Ce qui risque de briser, las règles de l’imputabilité de la responsabilité pénale à un auteur bien déterminé. Ces règles étant une clé de voûte pour l’engagement de la responsabilité pénale internationale. Or, cette dernière est un support décisif de la justice international et de son système répressif. Elle part en effet du constat que les violations graves du droit humanitaire et des droits humains (crime de guerre, crime contre l’humanité, crime d’agression, crime de génocide) sont commises par des individus et non par des entités étatiques ou des groupes armés non étatiques dans l’absolu.

Ils doivent donc être tenus pour responsables et se voir infliger des sanctions aux termes des dispositions du droit international pénal. La Cour pénale internationale retrouve ainsi toute sa pertinence et son autorité pour poursuivre et condamner les auteurs de ces actes incriminés. Les nouvelles technologies d’armement menacent de déstabiliser ce système et de bouleverser les règles de rattachement des faits incriminés à leur auteur. Il est, en effet, hors de doute, que les nouvelles technologies débouchent sur une automatisation accentuée du champ de la bataille et sur une déshumanisation de la guerre. Les guerres modernes tendent progressivement vers l’éloignement du soldat de la zone des combats. Le rôle du combattant se rétrécit, et en contrepartie, le rôle des systèmes d’armes automatisés s’amplifie afin de minimisant le coût et les pertes en termes de potentiel militaire humain, tout en maximisant les atteintes aux personnes civiles et aux biens de caractère civil. Ce sont des machines et des robots qui mènent la guerre en fixant les cibles, en engageant et déployant des opérations militaires et en donnant la mort à des êtres humains, parfois en dehors de tout contrôle humain. Il est en conséquence quasi-impossible de les tenir responsable ou d’identifier clairement les opérateurs de ces armes. La perspective de l’acquisition et de l’usage de ces nouvelles technologies d’armement par des groupes armés non étatiques, dessaisis de tout engagement humanitaire international, est particulièrement préoccupante car elle peut donner lieu à des situations chaotiques et incontrôlables.

A titre d’illustration, l’emploi des drones, qui connait un développement exponentiel dans les conflits armés récents, (la guerre au Soudan, guerre entre la Russie et l’Ukraine, la guerre contre Gaza, guerre entre Iran et Israël...) permet d’exécuter des assassinats ciblés contre des présumés terroristes ou criminels en violation de droits humains fondamentaux tels que le droit à la vie, la présomption d’innocence, le droit à un procès équitable, les droits de défense. Encore faut-il ajouter que ces nouvelles technologies peuvent porter des armes prohibées internationalement telles les armes à laser aveuglants, des armes chimiques ou biologiques, des balles Dum-Dum...

En définitive, on vit dans l’époque des guerres ‘intelligentes’ menées par des armes robotisées télécommandées, des drones, des cyberattaques, dotés de l’intelligence artificielle, qui alimentent la course aux armements au lieu de la freiner. Le droit international, par son rythme normatif lent et consensuel, se trouve dépassé par les nouvelles technologies dont le rythme accéléré déborde l’œuvre normative classique. D’ailleurs, « certaines de ces technologies dont Internet, apparaissent comme rebelles par nature à la régulation juridique » ( Mr. Slim Laghmani, extrait des actes du colloque, Le droit international face aux nouvelles technologies, 2002). Ainsi, la recherche d’« un croisement délicat entre le rythme du droit et celui de l’innovation scientifique ou technologique » ( Mr. Ahmed Mahiou, extrait des actes du colloque, Le droit international face aux nouvelles technologies), s’avère une tache gigantesque pour les États, les instances internationales et les organismes humanitaires. Le bilan de la réglementation juridique internationale universelle des nouvelles technologies d’armes est toutefois mitigé voire quasi- paralysé. Il en découle qu’une volonté politique universelle soutenant une impérieuse collaboration entre les juristes, les technologues et les opérateurs militaires et suivant une approche pluridisciplinaire éthique, juridique et scientifique, étant indispensable pour parvenir à l’élaboration d’un nouveau dispositif juridique universel, efficace et apte à préserver la paix et la sécurité internationale et à protéger l’humanité.

Najiba Ben Hassine
 

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