Samir Marrakchi - Le capital-risque : une vision pionnière
Par Chekib Nouira - L'histoire de notre beau pays a été écrite par des pionniers. Si Samir Marrakchi en est certainement un. Il a cru à la création d’une institution financière spécialisée dans le capital-risque au moment où personne ou presque n’y croyait. Sa compréhension du sujet et sa conviction venaient indubitablement de son passage à la Banque de développement économique de Tunisie, la fameuse BDET. La Banque a joué un rôle significatif dans l’identification des projets, leur création et leur accompagnement - ce que les banques universelles ne font pas suffisamment - et faisait ainsi une fonction importante du capital-risque.
Cette institution, dont j’ai eu l’honneur de faire partie, a été longtemps le plus grand employeur de diplômés issus des grandes écoles et des meilleures universités de la planète (au temps béni où tous ces jeunes rentraient au pays).
C’était sous la houlette de personnalités éminentes qui croyaient en la qualité des jeunes hommes et des jeunes femmes. Je pense à M. Habib Bourguiba Junior, ou encore à MM. Moncef Belkhodja ou Mokhtar Fakhfakh, qui ont su donner confiance et encourager tous ces jeunes d’exception qui, à la fin des années 70 et durant les années 80, étaient tous à peine trentenaires.
Quand Si Samir Marrakchi m’a fait l’honneur de me demander de préfacer son ouvrage, j’ai tout de suite vu en cela la possibilité pour moi de rendre hommage à toutes les femmes et à tous les hommes de la Bdet qui ont ensuite essaimé dans l’économie tunisienne et parfois à la tête de ministères ou de banques importants.
Je pense à Faouzi Belkahia, Mohamed Brigui, Nejib Ben Debba, Ridha Joulak, Brahim Riahi, Mme Naima Ghammam, Habib Ben Saad, Hédi Dridi, Ridha Ben Mosbah, Ahmed Naija, Nafaa Enneifar, Rafik Haj Ali, Abdelmajid Hassairi et Taoufik Jarraya. Je ne saurais oublier Sahbi Mahjoub, Mustapha Ben Hatira, Sami Idriss, Noureddine Ben M’rad, j’en passe, et ils sont nombreux.
La Bdet a vite compris que ce qui manquait le plus au développement économique de la Tunisie était :
• La capacité d’identification de projets faisables et rentables,
• Les fonds propres nécessaires à la création de ces nouveaux projets, afin de leur assurer un équilibre financier viable, et
• L’émergence de jeunes nouveaux promoteurs.
Ainsi, parallèlement à une activité d’études et d’évaluation de crédits pour les projets présentés par les promoteurs, activité essentielle d’une banque, il a été décidé de créer une autre branche, tout aussi importante, celle qui devait mener l’activité de développement de la banque, c’est-à-dire l’identification de projets et leur étude.
C’est dans ce contexte et dans cette grande direction de développement que Samir Marrakchi a compris l’importance du capital-risque et qu’en fait, comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, nous avions fait du capital-risque, durant de nombreuses années, sans le nommer.
Il faut du reste noter que même l’Etat a identifié ce manque de fonds propres et a créé le Fonds de promotion et de décentralisation industrielles (Foprodi), pour répondre à ce manque, avec des résultats mitigés.
De cette expérience, Samir Marrakchi a acquis ses convictions. Il les a défendues avec sérieux, sérénité et compétence. Malgré une certaine adversité, il a mené la SPPI a une réussite reconnue. C’est en cela qu’il peut être qualifié de pionnier. Comment terminer ce propos sans insister, comme l’a fait mon ami Samir Marrakchi, sur la nécessité de renforcer les structures de capital-risque de notre pays, car ces ressources manquent toujours et, malheureusement, il n’y a plus de Bdet pour accompagner le développement de nouveaux projets.
Chekib Nouira
Ancien directeur général de la BDET,
président-directeur général de la BIAT
et président de l’Institut arabe
des chefs d’entreprise
Aux origines du capital-risque en Tunisie
La SPPI 1990 - 2009
de Samir Marrakchi,
Editions Leaders, novembre 2024,
224 pages, 35 DT
Disponible en librairie et sur
www.leadersbooks.com.tn
Bonnes feuilles
Pourquoi et comment est venue l’idée de cette publication?
En réalité, publier un livre sur la naissance du capital-risque en Tunisie à travers l’expérience pionnière de la SPPI est une idée qui m’a habité depuis mon départ à la retraite et il m’a fallu attendre la réunion de plusieurs conditions personnelles de disponibilité mais aussi le recul nécessaire pour le faire.
Nous allons essayer de détailler et d’expliquer les nombreuses difficultés rencontrées qui sont de deux natures:
• Les premières liées au statut de toute start-up qui veut prendre place et s’introduire dans un système financier dominé par les banques et qui doit lutter pour s’imposer en tant qu’institution nouvelle qui apporte un produit et une approche nouvelle enrichissante pour mieux diversifier et élargir la palette des services financiers mis à la disposition des entrepreneurs et leurs entreprises;
• Et les autres, liées à l’environnement économique et financier en 1990, année de démarrage de la société qui était peu favorable, voire hostile, au lancement de l’idée de doter le système financier d’une nouvelle activité de capital-risque.
Naissance de l’idée et création de la première société de capital-risque
En 1989 a été lancée l’idée de la création d’une société de capital-risque avec la participation de l’ensemble des banques tunisiennes motivée par un sentiment général d’hostilité du milieu entrepreneurial à l’égard des banques, accusées de ne pas jouer leur rôle dans le financement et l’accompagnement des entreprises et des entrepreneurs et plus particulièrement les petites et moyennes entreprises (PME) et les jeunes promoteurs.
Mises sous pression par l’opinion publique, les banques ont répondu favorablement à la proposition du gouverneur de la Banque centrale de Tunisie de créer une société de capital-risque avec la participation de l’ensemble des banques tunisiennes, et ce, dans le cadre de l’Association professionnelle des banques (APBT).
En effet, le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, feu Ismail Khélil, a été pendant plusieurs années notre ambassadeur à Washington et avait de ce fait une parfaite connaissance de l’environnement économique et financier des Etats-Unis d’Amérique. Il lui a été permis de constater le rôle majeur joué par le venture capital dans le financement et l’accompagnement des PME et plus particulièrement les start-up innovantes. Et il a estimé à juste titre que ce nouveau produit financier pourrait répondre aux attentes des porteurs de projets et contribuer ainsi à une accélération du rythme de création et de développement des petites et moyennes entreprises.
L’entrée en activité
Le capital-risque étant un concept nouveau en Tunisie, dans les pays arabes et en Afrique, nous avions eu, en tant que société pionnière, la responsabilité et la charge de l’expliquer et le faire connaître auprès du public, des chefs d’entreprise et des porteurs de projets, de l’administration, des médias et des banques partenaires. Nos actions de sensibilisation et d’information se sont étalées sur plusieurs mois et ont été diverses et variées dont notamment:
Nous avons conçu et distribué des dépliants établis sous forme de questions-réponses pour mieux faire connaître le capital-risque et la SPPI. Ce dépliant de départ qui tenait compte des moyens financiers limités par un capital de 5,5 millions de dinars contenait les questions et réponses suivantes:
Qu’est-ce qu’un financement en capital-risque?
C’est un apport complémentaire en fonds propres destiné à financer la création ou l’extension d’une PME. Il scelle l’association d’un promoteur ou du dirigeant d’une PME avec un partenaire actif qui apporte son concours financier par une prise de participation minoritaire au capital. Il fournit également un soutien intellectuel permanent sous forme de conseils à toutes les phases de réalisation et de développement de l’entreprise, sans se substituer pour autant à sa direction.
Par cette définition, nous avons voulu insister sur trois données de base:
• Le capital-risque s’adresse à la petite et moyenne entreprise ;
• Le capital-risque est souvent synonyme de participation minoritaire qui laisse au dirigeant le choix de rester majoritaire dans le capital de son entreprise et garder ainsi le contrôle de son entreprise ;
• Le capital-risque n’est pas uniquement un apport financier mais surtout un accompagnement actif et du conseil et de l’assistance pendant toute la période de sa présence au capital de la PME.
Un partenariat réussi avec la Banque européenne d’investissement
Nous avons choisi de consacrer tout un chapitre au partenariat qui nous a liés à la Banque européenne d’investissement, vu son importance non seulement sur le parcours de la SPPI mais aussi sur l’environnement local du capital-risque et même sur le développement d’autres expériences dans ce domaine.
Si en réalité la coopération avec la Banque européenne d’investissement s’est faite au départ difficilement, nous avons pu réussir à la porter à un niveau très satisfaisant dans l’intérêt de nos deux institutions et comme exemple réussi d’une collaboration fructueuse qui répond aux objectifs d’un partenariat concret entre la Tunisie et l’Union européenne pour promouvoir la création et le développement des petites et moyennes entreprises.
A cet effet, il serait intéressant de rappeler le pourquoi et le comment de nos contacts avec la Banque européenne d’investissement.
Le pourquoi
Nous avons annoncé dans notre politique générale l’intérêt que nous portons au marché européen. Un marché de 400 millions de consommateurs où chaque consommateur dispose d’un pouvoir d’achat dix fois plus important que celui d’un Tunisien, ce qui donnerait potentiellement un marché de l’ordre de 4 milliards de consommateurs en équivalent tunisien. Donc notre ambition dès le départ était claire, c’est de tout mettre en œuvre et agir pour profiter de ce marché et encourager nos sociétés affiliées à aller conquérir une petite partie de ce marché voisin qui pourrait devenir l’extension naturelle d’un marché national étroit.
Le choix de la Banque européenne d’investissement, bras financier de l’Union européenne, se trouve de ce fait conforme à notre vision et stratégie d’investissement.
Le comment
Nous avons appris à travers les demandes de financement reçues qu’un porteur de projet a obtenu un prêt participatif de longue durée et au taux symbolique de 2 pour cent accordé par la Banque de développement économique de Tunisie, à travers une ligne de capital-risque mise à sa disposition par la Banque européenne d’investissement.
Renseignement pris, nous avons pu confirmer l’existence de cette ligne depuis quelques années sur la base d’un contrat de prêt entre la Banque européenne d’investissement et la Banque de développement économique de Tunisie pour financer les petites et moyennes entreprises.
Biographie
Samir Marrakchi
Samir Marrakchi est ingénieur diplômé de l’Ecole Centrale de Paris (1974) et il est diplômé de l’Institut de développement économique dans l’évaluation et le management des projets (Washington, DC, 1976). Il a été le fondateur et président-directeur général de la Société de Participations et de Promotion des Investissement (SPPI, 1990 - 2009), première société tunisienne de capital-risque.
Il a commencé sa carrière au sein de la Banque de développement économique de Tunisie (Bdet) en tant que sous-directeur responsable de l’identification, l’étude et la promotion des projets industriels (1974-1981). Il a été successivement directeur général adjoint du Centre national des études industrielles (CneI, 1982 -1983), puis directeur central à la Banque de Tunisie et des Emirats d’Investissement (BTEI, 1983- 1990). Par ailleurs, il a été le fondateur et directeur général de General Leasing (GL, 1994 -2004), ainsi que sa filiale Générale immobilière du Sud (1998 - 2004) et fondateur et gérant de MSKD consulting (2010-2012).
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