Tunisie: Deglet Nour, pour un développement durable
Par Ridha Bergaoui - Les dattes représentent la partie consommable des fruits du palmier dattier. Le terme vient du grec «dactulos» qui signifie doigt, en référence à la forme de la datte. La variété Deglet Nour, qui veut dire «doigt de lumière», est considérée comme l’une des plus savoureuses et prestigieuses des dattes et la plus demandée tant au niveau national qu’à l’export.
La Tunisie est l’un des principaux pays producteurs et surtout exportateurs de dattes. Malgré la sécheresse et le manque de pluies, la production pour l’actuelle saison semble excellente. Elle est estimée, selon le ministère de l’Agriculture, des Ressources hydriques et de la Pêche (Marhp), à 390 000 tonnes (dont 328 000 tonnes de Deglet Nour) contre 340 000 la saison précédente.
Le palmier dattier (en latin Phoenix dactylifera, originaire de la région du Moyen-Orient-Egypte, est parmi les plus vieux, les plus connus et les plus cultivés des arbres domestiqués par l’homme. Doté d’une allure élancée, élégante et fière avec son tronc pouvant atteindre 20 à 30 m de hauteur et au bout son bouquet de feuilles pennées, le palmier dattier évoque une sensation de paix et de bonheur. Il est souvent associé au désert, aux oasis et aux vacances.
En réalité, le palmier n’est pas un arbre au sens botanique mais une herbe géante de la famille des monocotylédones au même titre que le blé, l’orge ou le maïs. Le tronc, appelé stipe, est constitué des pétioles des feuilles supérieures fanées et tombées. Le palmier a toujours fasciné, suscité l’admiration et occupé une place privilégiée dans les sociétés humaines, surtout les populations du désert. Chez le palmier dattier, tout est utilisable et se transforme. Ses fruits représentent un aliment agréable, riche et rassasiant. Ils peuvent être transportés, conservés facilement et consommés toute l’année. Les dattes représentaient l’aliment principal des populations nomades durant leurs longs voyages dans le Sahara. Son bois est largement utilisé pour la confection de meubles et dans la construction. Ses feuilles sont employées dans la fabrication de divers produits utiles et décoratifs. Sa sève est un breuvage, frais ou fermenté, fort prisé. Comme le miel, les dattes ont été, longtemps, avant l’apparition du sucre de canne, utilisées comme édulcorant. Enfin, les feuilles mortes sont utilisées comme combustible et les déchets et restes des dattes pour nourrir les animaux.Dans la mythologie égyptienne, la feuille de palmier ou palme symbolise la vie éternelle, probablement en raison de la longévité du palmier qui peut dépasser 100 ans. Chez les Grecs et les Romains, elle était le symbole de la victoire. Elle est décernée aux guerriers et aux sportifs victorieux. De nos jours, elle garde le même symbolisme et la palme d’or est décernée aux vainqueurs des compétitions artistiques.
Chez les musulmans, le palmier dattier jouit d’une réputation particulière. Il est considéré comme un don du ciel, un arbre béni, sacré. Il est cité de nombreuses fois dans le Coran, particulièrement dans la sourate 19 (sourate Maryem), les versets de 23 à 26 qui relatent l’accouchement de Marie au pied du palmier et la naissance du prophète Issa. On raconte même que Dieu a créé le palmier de la même argile qui servit pour créer Adam. Les dattes représentent l’aliment préféré des musulmans, surtout au mois de Ramadan, où il est conseillé de rompre le jeûne avec trois dattes. Les dattes sont également considérées comme un médicament pour donner des forces, guérir toutes sortes de maux mais également comme antidote contre le poison et pour se préserver de la sorcellerie et du mauvais œil.
Composition et bienfaits des dattes
Les dattes sont riches en sucres, essentiellement le saccharose. C’est un aliment très énergétique, très apprécié par les sportifs pour faire face aux efforts physiques et combattre la fatigue. Les dattes sont riches en protéines, vitamines (C, A et B), en minéraux (calcium, magnésium, phosphore, potassium) et oligo-éléments comme le cuivre, le zinc et le fer. Ce dernier est très important pour combattre l’anémie. Leur richesse en fibres favorise la bonne digestion et combat les constipations légères. Les dattes sont bien pourvues en antioxydants qui aident à combattre les radicaux libres et le vieillissement des cellules. Elles permettent de renforcer l’immunité et éviter les ennuis cardiovasculaires. Très agréables et délicieuses en bouche, les dattes stimulent la sécrétion des hormones comme la sérotonine, nous mettent de bonne humeur et participent à notre bonheur. En définitive, les dattes permettent de préserver la bonne santé aussi bien physique que morale.
Pour toutes ces raisons, les dattes sont fort appréciées dans le monde entier et se trouvent consommées partout, surtout en frais comme fruit. Chez nous, un mesfouf aux dattes, et si possible avec des raisins, est un excellent plat, notamment pour le shour de Ramadan. Elles sont utilisées également pour la confection de nombreuses pâtisseries et gâteaux comme les makrouds et les biscuits. Des dattes farcies aux fruits secs constituent une excellente friandise. Plusieurs produits dérivés des dattes peuvent être commercialisés comme la pâte de dattes, l’extraction de miel, de sirop et de sucre et la fabrication de vinaigre. Le noyau peut également être valorisé pour la fabrication d’un substitut au café exempt de caféine.
Deglet Nour, la reine des dattes
La Tunisie compte plus de 250 variétés de palmiers dattiers, dont les fruits diffèrent par la taille, la forme, la consistance et la couleur allant du jaune au noir. La variété «Deglet Nour » demeure la plus populaire, la plus importante et la plus prestigieuse. Parmi ses avantages, c’est qu’elle peut être commercialisée naturelle, branchée, alors que les autres variétés sont commercialisées en vrac.
Originaire d’Algérie, la datte Deglet Nour est de taille moyenne, de couleur claire, dorée qui, à maturité, laisse passer la lumière, d’où son nom. Elle est très moelleuse, charnue et à peau très fine. Elle est délicieuse et fondante en bouche. Elle est souvent qualifiée de reine des dattes. La variété Deglet Nour fut introduite en Israël et aux Etats-Unis au début du XXe siècle dans certains Etats comme le Texas et la Californie dont le climat est proche des pays d’origine. De nos jours, ces deux pays produisent et exportent des quantités importantes de Deglet Nour. Celle-ci demeure cependant de meilleure qualité en Tunisie et en Algérie.
Dans les palmeraies traditionnelles, la culture est pratiquée sur trois étages. D’abord, le palmier dattier, puis les arbres fruitiers (figuier, grenadier…), enfin du maraîchage, de la luzerne, de la corinthe (mloukhia), du gombo (gnaouia) et du henné. L’ombre fournie par les palmiers réduit l’évaporation et crée un micro-climat favorable au développement des cultures dans les étages inférieurs. Dans les oasis modernes, on pratique de la monoculture de palmier dattier - essentiellement Deglet Nour - destinée à l’exportation.
Production de dattes en Tunisie
Selon l’Observatoire national de l’agriculture (Onagri), la superficie occupée par le palmier dattier en 2013 était d’environ 41 000 ha avec près de 5,5 millions de pieds. Deglet Nour est la principale variété et constitue 66% des palmiers. Le reste représente de nombreuses variétés dites de dattes communes. Les palmiers dattiers se trouvent principalement dans les oasis, à Kébili (58%), Tozeur (21%), Gabès (16%) et Gafsa (5%). La production se situe à environ 200 000 tonnes/an (dont 70% de Deglet Nour). Le rendement moyen serait de 52 kg/palmier dattier.Lors d’une conférence de presse organisée le 14 septembre, la représentante du Marhp a avancé, pour cette année, une production de 390 000 tonnes de dattes et invité nos concitoyens à ne pas se limiter à la consommation des dattes au mois de Ramadan, mais à faire des provisions en dattes, surtout que les prix de référence sont très encourageants et la qualité présente. La région de Kébili à elle seule a produit 285 000 tonnes (soit 73% de la production totale), suivie de Tozeur (70 000 tonnes, soit 18%). Cette année, la récolte semble très prometteuse ; reste à l’écouler et en exporter dans de bonnes conditions pour garantir des revenus conséquents tant pour les agriculteurs que pour le pays. Les dattes représentent la seconde source de devises pour la Tunisie après l’huile d’olive. Au niveau mondial, les principaux producteurs de dattes sont l’Egypte, l’Arabie Saoudite, l’Iran et l’Algérie. La Tunisie est le premier pays exportateur de dattes en termes de valeur, loin devant l’Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis et Israël. Elle accapare ainsi jusqu’à 23% de la valeur du commerce mondial des dattes. Elle serait 4e en termes de quantité. La Tunisie exporte vers de nombreux pays environ la moitié de la production nationale de dattes, dont une grande partie sur le marché européen, notamment la France. Les dattes tunisiennes constituent un excellent cadeau à offrir à des amis et parents vivant à l’étranger. Une nouvelle branche commence à se développer, celle des dattes biologiques, des dattes dénoyautées et dattes farcies. La Tunisie dispose de 72 unités de tri et de traitement des dattes destinées à conditionner et à produire des fruits de qualité répondant aux normes internationales.
De sérieux concurrents
Au niveau mondial, l’Algérie, les Etats-Unis et Israël représentent des concurrents sérieux pour les dattes tunisiennes. Un grand effort est nécessaire pour que la Tunisie continue à garder sa position de leader. Il est important de poursuivre l’amélioration de la qualité face à des clients toujours plus exigeants et en présence d’une offre importante et variée. Eradication de la pyrale, traçabilité, développement des marques de qualité comme les IP (Indication de provenance), amélioration du packaging… sont autant d’actions importantes à mener. De grandes quantités, exportées surtout vers la France, sont reconditionnées et réexportées comme produit français et qu’il vaut mieux valoriser sur place.
Améliorer la production et les rendements est également important pour pouvoir rester compétitif. Ceci passe par une meilleure maîtrise des techniques de production et de lutte contre les parasites et les maladies. Formation, recherche et vulgarisation sont des leviers importants pour la productivité afin d’assurer la pérennité de ce secteur. A l’étranger, la datte majhoul (ou madjoul ou encore medjool) séduit de plus en plus de consommateurs. Ces dattes sont de grosse taille, de forme ovale, de couleur marron. Le goût est très agréable, sucré, caramélisé. Originaire du Maroc, cette variété est de nos jours produite en grande quantité surtout aux Etats-Unis et en Israël. Inconnue il y a quelques années, elle représente un sérieux concurrent pour notre Deglet Nour.
La palmeraie sérieusement menacée
Le palmier dattier se plaît à avoir «la tête dans le feu et les pieds dans l’eau». Avec le réchauffement climatique, la chaleur est là, malheureusement l’eau est de plus en plus rare, alors que le palmier dattier en est très gourmand. L’exploitation anarchique des nappes, la sécheresse et le manque de pluies et une mauvaise gestion de la ressource ont entraîné un asséchement des sources et une diminution importante des réserves dans les nappes. Le développement du tourisme saharien de luxe et l’arrosage d’immenses terrains de golf gazonnés et de jardins à partir des nappes ont contribué à réduire les ressources. Les cultures intensives de primeurs et de tomates à une échelle industrielle pratiquées dans le Sud tunisien sont en train également de pomper de l’eau des nappes profondes peu renouvelables. Ce problème de disponibilité de l’eau risque de mettre en cause la pérennité des oasis et de la culture du palmier dattier. Plusieurs spécialistes ont déjà tiré la sonnette d’alarme et annoncé une possible catastrophe si on ne prend pas les mesures nécessaires.
Malgré la sécheresse, les canicules et le manque de pluies, en l’espace de 10 ans, la production de dattes a presque doublé, en passant de 200 000 tonnes en 2013 à 390 000 tonne en 2023. Ce résultat semble a priori très réjouissant et résulte des efforts des différents intervenants pour promouvoir la culture du palmier dattier et en premier les agriculteurs. Malheureusement, il cache un grave problème, celui d’une extension importante et incontrôlée des palmeraies et des forages anarchiques, alors que les ressources en eau sont fort limitées et les nappes phréatiques épuisées. Les anciennes palmeraies étaient un modèle d’exploitation adapté et écologique. La culture du palmier dattier et la production de dattes se trouvent exposées de nos jours à de nombreux défis dont plus particulièrement le réchauffement climatique et l’épuisement des ressources en eau. Nos oasis sont menacées et nos palmeraies en danger. Par ailleurs, le réchauffement climatique risque d’entraîner la multiplication et la prolifération des parasites comme l’araignée de poussière qui cause d’importants dégâts et affecte la qualité des dattes.
Un modèle économique à revoir
Jusqu’ici, la Tunisie a opté pour le développement à outrance de la phoeniciculture à base de Deglet Nour destinée essentiellement à l’exportation afin de disposer des devises nécessaires pour le développement du pays. C’est également le cas de l’huile d’olive, des agrumes et de la culture des primeurs, sans compter le phosphate et le tourisme de masse où l’exportation passe avant tout aussi bien le consommateur tunisien que les ressources du pays. Cela a été fait malheureusement aux dépens de l’environnement, de la nature et de la santé du citoyen. Ce modèle semble, de nos jours, obsolète, caduc, et il est nécessaire d’opter pour des solutions moins agressives et plus respectueuses de la nature, surtout dans un contexte de réchauffement climatique et un monde instable en perpétuelle mutation. Ce qui s’est passé tout près de chez nous, à savoir le terrible séisme au Maroc et les inondations catastrophiques en Libye, doit nous amener à réfléchir, à changer nos approches et nos méthodes et à opter pour un développement durable et des productions plus écologiques.
Ridha Bergaoui
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