Samir Allal: Mieux comprendre les enjeux climatiques pour naviguer dans la complexité du monde

Hier on niait le changement climatique aujourd’hui on s’en sert pour attiser des peurs et fracturer les pays
On sort d’un monde injuste et brutal et on est sur le point de basculer dans un nouvel ordre mondiale inconnu et risqué. Le fascisme allié au néolibéralisme gagne du terrain et le renoncement général à l’état de droit semble autoriser tous les coups de force.
Le climat un sujet de société majeur qui tend à être dépriorisé. Il y a dix ans, l’Accord de Paris sur le climat et les Objectifs de développement durable (ODD) démontraient que, malgré les divergences et les compétitions économiques, la communauté internationale était capable de se donner un projet commun de transformation du monde, pour plus de justice et de respect du vivant.
Le progrès n’était pas certain, mais les stratégies pour la transition pouvaient se déployer dans un cadre de règles relativement plus stable, pour les plus puissants que pour les plus faibles. Défendre des sociétés et un monde régi par des règles ne veut pas dire s’interdire de les changer.
Aujourd’hui l’ordre international vacille, tout comme l’État de droit est attaqué. C’est le signe d’un changement d’époque où les rapports de force économiques et politiques sont en train de basculer, ce qui provoque des ondes de choc par anticipation.
Avec l’arrivée de Trump 2 au pouvoir, le respect, d’un ordre international fondé sur les règles, donnant des garanties minimales aux pays du Sud face aux pays du Nord et au long terme face au court terme, est en péril.
Une politique de plus en plus autoritaire et liberticide se déploie partout dans le monde avec une extrême droite désormais normalisée, bénéficiant de la montée globale de ses idées et du suprémacisme « blanc » en occident.
Dans ce monde d'extrême droitisation, de fascisation du champ politique et d’urgence climatique, tout projet de transition écologique et de décroissance qui ne place pas en son centre une ligne anticoloniale, antiimpérialiste, et antiraciste est voué à l'échec, tant le système qui détruit le vivant repose tout entier sur la sous-humanisation d'une grosse partie de l'humanité.
La démocratie environnementale et les institutions démocratiques en général, doivent être améliorées pour que nous puissions à nouveau faire société autour du projet politique d’un monde plus sain écologiquement et plus juste socialement.
Les pays les plus pauvres et de nombreux acteurs de la société civile en leur sein demandent depuis longtemps des règles internationales plus transparents, notamment en matière de financement et d’investissement. Les biens publics mondiaux – climat, santé, éducation – sont dramatiquement sous-financés et le risque d’une vague de faillite des États est possible.
Dans un contexte où la géopolitique domine à nouveau les marchés d’hydrocarbures, la réponse politique joue un rôle crucial dans la transformation des chocs. Se contenter du terme transition écologique et énergétique (TEE) pour dessiner un projet politique ne suffit plus. La gouvernance mondiale est en souffrance et l’aide au développement est en recul.
Les populations qui souffrent le plus du désastre climatique, ce sont celles qui vivent dans les pays du Sud. Cela n'empêche pourtant pas les géants des hydrocarbures de continuer à sévir, avec des projets de pipelines, de forages dont les conséquences sociales et climatiques s'annoncent de plus en plus dramatiques.
Hier on niait le changement climatique aujourd’hui on s’en sert pour attiser des peurs et fracturer les pays. Nous avons besoins de mieux comprendre les enjeux et de plus d’éthique pour naviguer dans la complexité de ce monde(*)
Le changement climatique est aujourd’hui, une réalité qui bouscule toutes nos règles du jeu et nécessite une renégociation collective de nos pactes sociaux. C’est une menace pour la sécurité et pour le développent des pays. Nous devons dans l’urgence, fermer des infrastructures et en redéployer d’autres.
Les effets en cascade de ce changement de paradigme sont violents. La transition écologique et énergétique, est rarement construite comme un objectif social partagé. Une telle transition peut aboutir à plus d’injustice et plus d’inégalité. L’objectif « zéro carbone » redistribue les cartes entre les pays, les industries et modifie les conditions sociales de manière profonde.
La résistance des lobbys des hydrocarbures est réelle, mais la détermination du front pro climat (ONG, villes, scientifiques) l’est tout autant. Il y’a un consensus sur la finalité de la transition, mais un dissensus très fort sur les moyens, les acteurs, les payeurs, le calendrier.
Régulièrement, le monde se rassemble sous l’égide de l’ONU pour se poser en vain la même question : le financement du développement et celle sur le climat. Cette année, la prochaine conférence se déroule dans un contexte troublé.
La défiance américaine vis-à-vis du processus onusien, reste le facteur déterminant pour l’avancement de la coopération internationale en matière de lutte contre le changement climatique.
Toute fragilisation de ce processus affaiblit les efforts nécessaires à une transition énergétique mondiale juste et coordonnée. On est plus forts à jouer ensemble selon les règles qu’à jouer uniquement les rapports de force.
Un nouveau narratif sur la transition est en train de se diffuser et certains l’avale facilement
Le terme de transition est récent en politique, il rassure en supposant que c’est une évolution naturelle. Mais la réalité est que seule la coercition réglementaire fait bouger les lignes. Il appelle aussi à un débat autour de l’acceptabilité de certaines technologies, comme le nucléaire…
Un nouveau narratif sur la transition est en train de se diffuser et certains l’avale facilement. Entre le recul «du consensus» sur l’écologie et la montée en puissance de forces réactionnaires ou d’extrême droite, la transition écologique et énergétique est devenue un sujet très polarisé, un totem à abattre.
La gradation inversée entre l'intérêt général et intérêts particuliers est une angoisse contemporaine forte. Certains l’analysent froidement (Machiavel), d’autres la dénoncent avec colère (Chomsky, Marx), d'autres encore cherchent à en comprendre les rouages sans l’excuser (Foucault, Arendt).
Nous avons vécu dans un monde d’abondance et de technique et on ne reviendra pas en arrière. La poussée du Sud global va d’ailleurs dans ce sens. En revanche, il faut urgemment, prendre conscience de la finitude des ressources, du coût de ce mode de vie, de ses conséquences sur le climat et réparer les injustices climatiques.
De nombreuses études montrent « un alignement entre la dimension économique et sociale de la transition et les polarisations idéologiques ». Ces études proposent de « changer le discours messianique sur l’injonction à être sustainable en rendant la sustainability plus humaine ». (Chantal Jouanno, juillet 2025). Dans ce cas, il s’agit de faire rentrer « la problématique de la sustainability dans les dimensions, de la santé, du collectif, dans ce qui fait sens pour chaque individu ».
Débattre des projets décarbonation (net Zéro) est une obligation démocratique, une obligation fondamentale face à l’immensité des choix que nous devons faire. Même si le consensus scientifique avait été admis plus tôt, cela n’aurait pas changé le fait que les infrastructures fossiles sont là, installées, avec des investissements sur le long terme.
Ce qui exacerbe la critique autour de la transition, n’est pas le débat mais l’absence de prise en compte de ses conclusions par les décideurs. Nous avons besoin d’une nouvelle vision politique capable de répondre à la spécificité de chaque territoire, de chaque pays et à chaque situation individuelle.
Lorsque les grandes transitions sont imposées par une logique de marché (invisible !), sans responsable identifié, ou lorsqu’elles résultent des conséquences mêmes des changements climatiques, elles sont acceptées. Au contraire, dès qu’elles sont imposées par des règles et des politiques, c’est plus difficile. C’est un sujet qui n’a pas trouvé encore sa légitimité politique.
La politique ne sait pas faire dans la dentelle ! C’est une vraie impasse intellectuelle. L’accélération artificielle d’un déclin est peu compatible avec les recettes de politique économique qui prédominent aujourd’hui.
On sort d’une longue période historique pendant laquelle on a défendu la démultiplication des moyens énergétiques pour garantir la sécurité et le développement des États. On a cherché à soulager les tensions géopolitiques en créant de grandes structures interétatiques d’interdépendance énergétique. (Pierre Charbonnier, Juillet 2025)
Les interconnexions gazières et électriques, comme Nord Stream, le gazoduc entre la Russie et l’Europe ou le South Caucasus Pipeline (SCP), le Trans Anatolian Naural Gas Pipeline (TANAP) et le Trans Adriatic Pipeline (TAP) étaient le symbole d’un doux commerce énergétique. Aujourd’hui, on ne peut plus parier dessus. La guerre en Ukraine et au Moyen Orient, nous a montré qu’il s’agissait d’une erreur.
On parle « de développement des d’infrastructures transfrontalières, d’interconnexions électriques, de corridors d’hydrogène et de gaz décarboné, d’un avenir énergétique plus résilient (!) et durable (!) »,…
Très peu de sobriété et jamais la liberté de circuler n'est considérée comme une mesure alternative d'adaptation au réchauffement climatique, ne serait-ce que comme une option à envisager dans le cadre d'un débat public.
La liberté de circuler comme droit fondamental garanti : une question stratégique
La liberté et la sécurité n’existent qu’à la condition d’avoir des infrastructures soutenables ! On n’est pas libre, sans eau, sans électricité. On n’est pas en sécurité quand notre système de production énergétique dépend de puissances hostiles. Il y a désormais une convergence entre les impératifs de sécurité et de soutenabilité.
La question climatique est désormais, redéfinie par un impératif exogène: la sécurité (avec la liberté). Il faut essayer de faire d’une pierre deux coups : limiter la dépendance tout en décarbonant. Et aboutir le plus vite possible à un consensus sur la technologie: de la substitution, de l’efficacité, de la sobriété, sans conflit entre ces trois dimensions, sans menace sur nos libertés.
Cela implique de sortir du débat stérile entre technosolutionnistes et décroissantistes ! qui est un mauvais débat.
Le modèle d’atterrissage (zéro carbone) est de parvenir le plus tôt possible à un consensus technologique pour enfin avoir un débat social sur la transition au Nord et sur le modèle de développement dans les pays Sud.
Pour surmonter les écueils, il est urgent d’identifier qui seront les perdants de cette transition écologique. Pour pierre Charbonnier, nous entrons dans l’ère de « l’écologie de guerre », autrement dit nous devons prendre en compte les tensions géopolitiques autour de l’énergie pour proposer « des solutions réalistes en matière d’environnement et la capacité de la démocratie à relever ces défis, aussi immenses soient-ils. »
L'extrême droite défend un projet politique clair et assumé, avec une dimension écologique de plus en plus importante, notamment autour de la terre, de la démographie, du climat, des migrations et de la question raciale. Son projet est de renforcer encore les frontières et de mettre fin à l'État de droit démocratique.
Ce projet raciste, est d'autant plus inquiétant que, face à lui, n'existe aucun projet écologique antiraciste portant sur les mêmes questions, porté et défendu dans les institutions nationales et internationales.
Il n'est pas question ici du discours humanitaire, paternaliste ou louant la richesse de la diversité, mais d'un projet politique écologique dans lequel l'antiracisme et la libre circulation seraient placés au centre d’un projet alternatif, comme sont au centre du projet d'extrême droite, le racisme et le durcissement des frontières.
Depuis le retour de Trump au pouvoir, les conservateurs et les extrêmes droites répètent en boucle que l’écologie est un danger. Désormais, les pays regardent du côté de Washington. Du coup, la transition est perçue comme un frein à la compétitivité ou comme un engagement « woke ».
C’est du populisme, du court-termisme électoral déguisé en soi-disant « bon sens » qui protégerait les classes populaires et les pauvres. En réalité, cela les expose encore plus, aux dangers du changement climatique et affaiblit la position des pays importateurs des hydrocarbures face à leur fournisseurs en gaz et en pétrole.
Dès lors que la transition apparaît comme moins désirable et clivante, les entreprises changent de cap. Elles investissent plutôt dans l’intelligence artificielle, ou dans ce qu'elles perçoivent comme l'enjeu du moment, comme si ces enjeux étaient en concurrence entre eux.
Dans un contexte d'extrême-droitisation des champs politique et médiatique, l’urgence aujourd’hui est d'organiser le camp de l'émancipation pour répondre à cette polycrise (économique, sociale, écologique, sanitaire et anthropologique) et de refuser de mettre le débat sur l’immigration sous le tapis. Les solutions préconisées sont le plus souvent porteuses d'illusions ruineuses.
Rien n’est encore joué, tout comptera : la diplomatie, la science, la finance, l’intelligence collective et les gestes silencieux de chacun d’entre nous. Pour que l’avenir ne soit pas un deuil, mais un dessein. Aujourd’hui, les bonnes feuilles de route sur la transition s’orientent vers des logiques de partenariat, de travail collectif.
Les grands projets industriels et d’infrastructures obligent à un partenariat entre les pouvoirs publics, la finance et les grandes entreprises, mais aussi entre l’État, les collectivités locales et le citoyen. L’extraction des énergies fossiles doit se transformer en extraction de ressources de transition.
Dépolitiser un sujet comme l’environnement, c’est dangereux et ne sert que les intérêts des puissants. Dans beaucoup de domaines, la transformation sera plus profonde qu’après la Seconde Guerre mondiale. Et on ne pourra pas s’appuyer sur les gains de productivité, comme à l’époque.
Si l’on veut une économie plus soutenable, il faut probablement accepter des baisses de rendement avec de plus de justice. Débattre de ces projets est une obligation démocratique, une obligation fondamentale face à l’immensité des choix que nous devons faire.
La lutte contre les idées de l’extrême-droite est un rempart face à l’ordre « carbo-industriel » et la tyrannie des marchés au profit d’une société plus juste
Accompagner les pays du Sud dans leur transition bas carbone, leur souveraineté, leur industrialisation. C’est le véritable enjeu du XXIe siècle.
La lutte pour protéger la forêt au Congo, la résilience en Palestine, la désertification et l’immigration en Afrique subsaharienne, la problématique de l’eau et la sècheresse au Maghreb, la famine et les problèmes agricoles au sud Soudan, les réfugiés climatiques sur les côtes Méditerranéennes, forment un nouveau maquis où l'on peut résister pour contrer et renouveler nos imaginaires, préciser nos horizons idéologiques et faire bouger les lignes.
Alors que, les USA, l’Europe s’enlisent dans des logiques de confrontation, en Iran, à Gaza, au Congo et ailleurs, Pékin bâtit méthodiquement des ports, des chemins de fer, des zones économiques spéciales, des accords gagnant-gagnant.
La Chine ne regarde pas le monde avec les lunettes de la charité ou de la domination, mais avec une vision stratégique de co-développement. La Chine entend mettre en œuvre des actions de partenariat avec l’Afrique, en développant notamment la coopération dans les domaines prioritaires tels que « l’industrie verte, le solaire, l’éolien, l’e-commerce et l’e-paiement, les sciences et technologies ainsi que l’intelligence artificielle et à approfondir la coopération dans les domaines de la sécurité, de la finance et de l’état de droit, en vue d’un développement (gagnant-gagnant) de coopération sino-africaine. »
Alors que l’Europe lève le pieds sur « le Green Deal », la Chine construit, à marche accélérée, des « green low-carbon industrial parks » ou « zero-carbon industrial zones », des zones économiques intégrées, à haute intensité technologique, logistique et énergétique, conçues pour devenir les cœurs industriels décarbonés du XXIe siècle. (Patrick Criqui : Garder le cap de la transition, Futuribles, Juin 2023).
Le pays qui réussit à produire à bas coût des biens bas-carbone (acier, verre, composants électriques, chimie fine, batteries) en y intégrant des standards de durabilité, peut capter non seulement les marchés d’exportation, mais aussi le leadership industriel dans la transition écologique mondiale.
Désormais, un nouveau modèle, est en train de se mettre en place avec à la manœuvre au côté Etats-Unis, des acteurs rapaces (Europe, Turquie, Russie). L’Afrique est uniquement, invitée à contrer l’influence grandissante de la Chine et surtout « offrir » ses richesses à l’Amérique, à l’Europe.
Le « projet écologique », tel qu'il est porté aujourd'hui par le gouvernement américain, par la Commission Européenne, la finance internationale, les partis politiques majoritaires et la plupart des organisations écologiques, relève à mon sens d'une aspiration non pas au changement, comme ils le prétendent, mais au maintien de l'ordre social actuel.
Ce projet a investi le champ politique et électoral par le biais des questions d'adaptation et d'adaptabilité, négociant la possibilité de se projeter très en amont quant aux moyens mobilisés face au dérèglement climatique.
Il consiste au fond à s'adapter avant les autres, car le niveau de confort de ceux qui le promeuvent est tel qu'il ne peut s'étendre à l'ensemble de la population du monde ; il n'y aura de confort des uns qu'au prix de l'exploitation et de la destruction des autres.
Ainsi, ce projet écologique majoritaire est parfaitement compatible avec le système colonial-capitaliste. Il témoigne d'une relative indifférence à l'égard du sort du reste du vivant et des humains.
En face, les États riches du Nord répètent qu'il faut armer leur pays pour affronter une déstabilisation migratoire, renforcer les droits de douanes et s'adapter. Ils s'alarment des centaines de millions de réfugiés dits climatiques annoncés d'ici 2050 par les organisations internationales.
Or cette adaptation est clairement envisagée comme un durcissement encore plus fort des frontières unilatérales entre le Nord et le Sud, entre l’Europe et l'Afrique (la Méditerranée), entre les riches et les pauvres.
Les attaques contre la décarbonation et celles contre l’immigration, visent à afficher une posture, à capitaliser sur la colère et le désarroi (voire le déni) des gens pour conquérir (ou conserver) le pouvoir.
Le système colonial-capitaliste assigne et réprime une partie de la population afin de pouvoir exploiter et polluer sans rencontrer de résistance. Cette exploitation effrénée est en train de détruire l’Afrique et polluée la Méditerranée. Un système basé sur des rapports de dominations et d'oppressions est un système inégalitaire et injuste. Il détruit la nature et les humains.
La transition est souvent abordée comme un enjeu isolé "single issue" : on assiste aujourd’hui à un retour du bâton (backslash)
La transition écologique et énergétique est souvent abordée comme un enjeu isolé "single issue", sans suffisamment prendre en compte les enjeux sociaux, économiques et d’équité. Cela conduit à un isolement de l’action écologique et à une difficulté de son intégration dans des projets plus globaux.
Rares les pays dans le monde qui ont fait de la transition un projet moteur pour dynamiser leur économie, restructurer leurs filières industrielles, revisiter leur modèle de croissance et gagner en puissance sur la scène internationale.
Sous l’influence des lobbys pro-carbone et avec la poussée de l’extrême droite, on assiste aujourd’hui plutôt, à un retour du bâton (backslash) à grande échelle et à une remise en cause de la transition écologique partout dans le monde : « mise en pose » des aides aux énergies décarbonées et à la rénovation thermique, restrictions des normes environnementales, autorisation de pesticides dangereux, suppression des zones à faible émission, etc…
On continue de faire comme s'il suffisait de mettre en mouvement des données scientifiques, du haut vers le bas, des experts vers les « incultes !», du Nord vers le Sud. On agite les synthèses du GIEC et on alerte : « Vite, il ne nous reste quelques années pour agir » ! C'est vague.
La question n'est pas celle de l'élargissement du front anti-climat ou de sa diversité, pas d'un problème de mobilisation. La question est celle des caractéristiques du projet politique derrière lequel on appelle à se rassembler.
Une transition, qui néglige les impacts redistributifs entre le Nord et le Sud, entre les riches et les pauvres, produit des résistances sociales majeures capables de compromettre l’ensemble du processus.
Dans un contexte où les marges de manœuvre budgétaires sont limitées, le risque est que l’accroissement des efforts de transition, aggrave la précarité en augmentant les coûts énergétiques pour les ménages les plus vulnérables.
L’enjeu pour les décideurs est de concevoir des mécanismes permettant d’atténuer l’impact de la transition sur les populations vulnérables, tout en maintenant le cap sur les objectifs climatiques.
Se contenter du terme transition pour dessiner un projet politique ne suffit plus. Il faut préciser, la nature de ce projet. L’attaque répétée des lobbys du carbone et des conservateurs contre la transition écologique prouve paradoxalement, la place primordiale qu’a prise l’écologie "radicale" dans la société.
Une "transition" juste constitue tout autant une assurance collective pour le développement, qu’un impératif climatique. Elle est un rempart contre l’ordre « carbo-industriel » proposé et la tyrannie des marchés.
En 50 ans de promesse de développement durable, les indicateurs écologiques n'ont fait qu'empirer, sans pour autant que soit résolue la question des inégalités ou celle de la sécurité.
Pour plus d’efficacité, l’écologie "radicale" envisage la possibilité de se libérer du système capitaliste responsable du désastre climatique qui entrave la libre circulation. La question de la lutte contre les inégalités, est solidaire de la question écologique.
Le travail intellectuel et militant consiste alors, de montrer que le système qui trie entre les vies qui comptent et celles qui ne comptent pas, entre ceux qui ont le droit de respirer et ceux qui étouffent, est le même que celui qui détruit le vivant, est un système insoutenable.
La complexité des choses, le doute, la confrontation des points de vue ont évidemment toute leur place. La confrontation consiste dans ce cas, à fabriquer du commun, à créer des ponts. Tâche plus que jamais nécessaire au vu de la menace « écofascistes » qui pèse sur nous tous.
A l’inverse, l’écologie "libérale", est « peu critique du capitalisme ». Bien qu’elle en appelle à sa régulation, contre le néolibéralisme. Elle est de faible ampleur, parce qu’elle cherche à « concilier l’inconciliable ». Fabrice Flipo : (L’écologie politique, progressiste ou conservatrice ? Juillet 2025)
Pour Gaspard Koeing : la remise en cause du Green deal et « l’écophobie insistante » des conservateurs et de l’extrême droite, montrent combien l’écologie "radicale" est devenu central dans nos vies. Pour ce philosophe : « les attaques contre la décarbonation », ne visent pas à protéger les populations, mais à « afficher une posture », à « capitaliser sur la colère et le désarroi » (voire le déni) des citoyens, pour « conquérir (ou conserver) le pouvoir. »
Pour Gaspard Koeing : « Cette agitation apeurée est le chant du cygne de l’ère industrielle. » (…) « Dans l’histoire à chaque fois que la droite conservatrice se trouve un sujet de détestation, c’est que le progrès approche. (…) Sa virulence est à la mesure de son impuissance. »
Certes, les dispositifs actuels ne sont pas parfaits, mais au moins, ils donnent un cap et offrent un langage commun aux acteurs économiques et financiers, permettant de distinguer l’économie de demain (économie de la vie) de celle qui devrait appartenir déjà au passé (économie de la mort).
Réduire les émissions de gaz à effet de serre, s’adapter aux effets du changement climatique, investir dans des infrastructures résilientes, ont un coût. Le coût de l’inaction est très élevé. Les pays vulnérables n’ont plus le choix. Le mur de classe et de race est encore trop élevé.
Les pays du Sud ont besoin de réparer une injustice climatique, de casser les murs et de fabriquer du commun. Ils ont besoins de sources de financement équitables et exemptes de dette.
La bataille pour le bien commun, pour la paix et pour la liberté de circulation, est en passe d’être perdue, dans un contexte mondial et sociétal, marqué par une défiance intense par rapport au politique et une remise en question du rôle de l’État en matière de solidarité.
Abandonner la régulation écologique, c’est organiser l’impuissance et perdre le leadership industriel dans la transition écologique mondiale
La liberté de circuler comme droit fondamental doit être conçue comme l'alternative à la question climatique et démographique, telle qu'elle est portée aujourd’hui par l'extrême droite : une alternative à la logique coloniale-capitaliste et un outil indispensable à l'urgence climatique.
Si les Africains pouvaient se déplacer librement vers l'Europe, à l'instar des Européens vers l'Afrique, les entreprises européennes ne pourraient plus sous-payer les Africains par rapport aux Européens.
Plutôt que de jouer à se faire peur à l'idée d'un déferlement sur les plages européennes de hordes de barbares venus d'Afrique - qualifiés de réfugiés climatiques, l'urgence doit plutôt être d'organiser la possibilité de toute population en danger de quitter les lieux, de s'échapper. Et d'arriver à bon port.
Du point de vue de l'Afrique, l’adaptation au changement climatique, c’est la possibilité laissée à tout le monde de se déplacer plus facilement en cas de catastrophe écologique. L’adaptation est comment anticiper cette mise à l'abri, de ne pas être tenu quelque part, de ne pas être sous contrôle.
Si l'on veut faire barrage à « l’écofascisme » et contester la fatalité coloniale-capitaliste, il faudra : montrer qu'il existe toujours une alternative solide ; Que nous sommes très nombreux - la grande majorité - à étouffer, et tout aussi nombreux à aspirer à un monde plus respirable ; « Reprendre du pouvoir, du temps et de l'espace au système colonial-capitaliste » : Fatima Ouassak, (Pour une écologie pirate : et nous serons libres, Ed Points2025)
Pour ce changement, il nous faudra certes mobiliser la science, mais aussi être capable de montrer concrètement à chaque citoyen en quoi une société humaine et écologique serait infiniment plus désirable au Nord mais aussi au Sud.
La montée actuelle de l’unilatéralisme, du protectionnisme, de la haine contre l’immigré, contre l’écologie et l’intimidation économique, sont entrain de causer de grandes difficultés au développement des pays et à l’amélioration du bien-être.
Correctement réorienté, nos connaissances et nos technologies peuvent nous permettre d’espérer une prospérité inégalée, pour notre espèce comme pour les écosystèmes.
Abandonner la régulation écologique, c’est organiser l’impuissance et perdre le leadership industriel dans la transition écologique mondiale. Ce qui se joue en ce moment, dépasse la simple compétitivité ou sécurité. C’est le risque de décrochage stratégique des pays du Sud.
La sortie du capitalisme « écocidaire » ne se fera ni de façon civilisée ni de façon barbare. Elle se gagnera grâce à une guerre de libération, une révolution dont le centre se situera certainement dans le Sud global. C'est de là que tout partira, à nouveau.
La transition verte, les théories de la décroissance, sans perspective antiraciste ni anticoloniale, permet aux gagnants de la mondialisation actuelle, de garder la main sans remettre en question les rapports de domination : le nord reste à l'initiative et au centre du changement.
Mais surtout, un tel projet est dangereux car parfaitement compatible avec celui de l'extrême droite survivaliste et suprématiste. Si l'on veut lutter réellement contre le désastre écologique et avoir une chance de gagner, il faut changer de cap...... et aller vers les Suds.
Le choix qui se présente au mouvement climat est simple. on doit faire de la question de la lutte contre le système colonial-capitaliste une question centrale. C'est elle qui va déterminer la nature du projet écologiste : plus de justice ou poursuite infinie des injustices.
Plus précisément : soit la question climat est l'occasion de lutter contre les injustices, de mettre hors d'état de nuire le système colonial-capitaliste, de refondre notre rapport au monde, un monde qui ne soit plus régulé par la domination et le profit, sans hiérarchisation des humains et des terres ; soit c'est au contraire l'occasion de renforcer les injustices entre d'un côté un monde où l'on vit bien et où l'on cultive sa liberté, et de l'autre un monde où l'on étouffe.
Ces deux mondes (co) existent déjà : « Réparer une injustice c’est bien, mais ne jamais en causer c’est mieux »
Pr Samir Allal
Université de Versailles/Paris-Saclay
Lire aussi
* Samir Allal - Crise du capitalisme et crise écologique : Changer de logiciel
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