Latifa Bellalouna: Vis ma vie dans l’oligopole de la misère entrepreneuriale
Aïd 2020: confinement général depuis de nombreuses semaines. Pas de campagne commerciale de l’Aïd pour le secteur du textile déjà sinistré de part la crise économique. Pas de chiffre d’affaire. Pas de trésorerie. Pourtant CNSS, impôts, salaires, engagements bancaires et tutti quanti. Créances repoussées, échelonnées mais créances tout de même.
Aïd 2021: confinement général au timing absurde. Chute libre sans gilet de sauvetage. Chute laconique et lapidaire. Alors que le secteur du textile suffoque déjà sous respiration artificielle, nos illuminés décident d’éteindre les machines. Confinement général à J-5 de l’Aid. Sentence sans appel durant la semaine la plus cruciale et déterminante du diagnostic vital du secteur textile. Confinement général économiquement assassin. Alors on prend les mêmes et on recommence, à quelques nuances près... Comment recommencer la descente aux enfers lorsque le secteur est déjà dans les ténèbres. On recommence le 0 chiffre, le 0 trésorerie, les créances exponentielles mais dans un contexte encore plus sordide que jamais où nos stocks sont BLINDÉS. A contrario du Aid 2020 où il n’y avait ni stock ni matière de part un contexte de confinement annoncé et établi, le scénario aujourd’hui est plus épouvantable que jamais. L’entrepreneur tunisien qui n’a que le choix que de renaître à chaque fois de ses cendres, s’est armé de courage cette année pour sauver ce qui reste de sa flotte. Malgré les risques, les obstacles, les absurdités, nous nous y sommes préparées à cette campagne pour sauver les débris, les miettes de ce qu’il en reste, pour ne pas avoir de regret et pour ne jamais trahir l’espoir aussi infinitésimal puisse-t-il être. J’en arrive à la triste et amère conclusion qu’il faut être kamikaze pour entreprendre dans un tel environnement.
Quant aux bruits honteux qui courent sur les réseaux pour l’ouverture des commerces à la sauvage ou à la douce durant ces 2 derniers jours, que nos illuminés pourraient fermer les yeux sur une telle débandade, je dis non merci. Non merci à cet ultime affront. Non merci à cette politique de l’autruche qui insulte et réduit ses commerçants à des vendeurs à la sauvette. Quid de nos charges, quid de nos loyers faramineux dans des malls sensés garantir un flux commercial. Quid de nos masses salariales et des impôts qui s’en suivent. Quid de nos engagements bancaires. Quid de nos stocks et des frais qui en découlent. Non. Pas d’ouverture à la sauvageonne. Les dès sont déjà jetés et mourir pour mourir, autant partir dignement.
Toute mon empathie envers mes amis et collègues de tant de secteurs sinistrés qui bataillent dans cet oligopole de la misère entrepreneuriale où les petites structures y laisseront toutes leurs plumes et bien plus encore.
Sur ce, je retourne dans ma bulle. Je repars vers mes licornes, mon rose et mes rêveries. Je replonge dans Instagram, la vie y est plus belle. Artificielle certes oui mais au moins belle. Et puis Aidkom mabrouk InchAllah les amis, nous respirons et c’est déjà un bien grand luxe.
#entrepreneur1jour #kamikazepourtoujours
Latifa Bellalouna
- Ecrire un commentaire
- Commenter