Quand il fait beau, on envie d'écouter le bruissement du fragile
Par Habib Ben Salha - Malheureux les malheureux, une vie réduite à une série de sentiments négatifs, de rejets systématiques, de plaintes, de contraintes serait un abîme sans issue. Il faut des moments de répit, des temps maures, des stations mystiques pour mériter les couleurs de la nature. Le malheur prélude à la prochaine saveur, annonce peut-être un petit bonheur, une pénombre éclairée. Pourquoi le ressassement de choses noires bloque-t-il tous les flux et reflux de l’existence ? Peut-on vivre, maintenant, paisiblement, malgré l'incertitude générale, l'inconnu méconnaissable ?
Au lieu de subir la noirceur des tableaux, mieux vaut se perdre dans les toiles. On ne voit pas d'autre issue que la joie immédiate. Rien n'est plus triste que le figement permanent, la panne humide où tout s'arrête, sans préavis, où tout se pétrifie, sans protocole de sortie. On désapprouve cette scénographie mortifère des mondes. De fil en aiguille, on a appris par cœur le discontinu. Les entichements absurdes engloutissent l'oxygène et personne ne lève le petit doigt pour dire : ça va... ça va aller… on n’a plus rien à raconter, sinon quelque chose de terrifiant, la même chose, depuis la fin difficile d'un été mitigé. Toute tombe. Les Chiffres. Les Idées. Les Gens. Les Feuilles. Les Bourses. Les Opinions. On ne rit plus ou rarement. C'est trop grave, trop sérieux. Allons donc, on va changer d'allure. Il n'y a pas mieux. Jetons les dés et reprenons les éléments.
Une chenille travailleuse, assidue, régulière, sage admire le cocon qu'elle vient de tisser, petit à petit, depuis un certain temps
Quand a-t-elle commencé son œuvre ? Elle a oublié. Peu importe. Pénélope a fait semblant de compter les jours et d'enfiler les nuits pour préparer le retour d'Ulysse, parti, à la recherche des îles aux ailes d'argile. Notre fileuse est fière comme tout. Le carcan de soie n'est pas un trou. C’est un monologue complet, une demeure en filigrane, une cuve merveilleuse. Il lui reste une épreuve à vivre avant de devenir un oiseau de ciel, un papillon bohème, un nuage rêveur, une illumination. Mais les nouvelles ne semblent pas bonnes. Tout est bruyant. C'est un calvaire. C’est venu d'un seul coup.
On rase les murs en habits quelconques, masqués, peureux, affligés, marchant courbés, en route vers des espaces condamnés aux services réduits ; l'informel ne ménagère pas la forme. C’est si bête, un café sans chaises, un bar sans vertige, un hôtel sans fantasmes, une classe sans maître, une mer sans nageurs, un ciel sans accents, sans virgules, sans fumée blanche, un bateau confiné, des nuits vides, des murs orphelins attendant un graffiti protecteur. Vivent-ils dans l'illusion de la survie ? Leurs scrupules les empêchent de marcher. Ils cherchent des endroits où il n'y a pas trop de monde. Effroyables, ils tournent apeurés comme dans un bal sans musique, sans ligne de conduite, sans finale, sans prélude. Pris d'une terreur incompréhensible, ils sont devenus hypersensibles et ne supportent plus les gens qui toussent ou qui éternuent ou qui courent… après quoi ? On ne sait pas.
Peu importe, j'ai envie d'ajouter un commentaire, précise la chenille, mais plus rien ne m'inspire. On n'a pas vu pire. Je partage l'anxiété des mortels, mais je préfère me replier dans ma couchette bien à l'abri. Je n'aspire pas à une métamorphose tout de suite. Là où je suis, je vis en sûreté. Je ne pourrais jamais déchirer mon propre cocon, me libérer et prendre mon envol. Où trouver la force et la volonté pour suivre mes ailes et partir ? Je suis vraiment inquiète. Je ne compte sur personne. Ma force égale ma faiblesse. La détresse mondiale est quand même ma détresse.
La chenille se console en songeant que la nature a souvent réparé les accidents des hommes. Elle, au moins, ne travaille pas pour rien. La verdure du printemps cache la misère des pollueurs, sous son manteau généreux. L'été à la chaleur rebelle est fier de sa ligne de force. La fièvre fait peur et pourtant, la chenille sait bien qu'elle reste le meilleur remède pour anéantir les virus. Rassurée par cette évidence scientifique, la chenille oublie toutes les statistiques, change d'avis et reprend son œuvre. Elle compte sur ses défenses immunitaires pour vivre ce que vivent les papillons. Elle ira de droite et de gauche, évitera l'imprudence. Légère et secrète qui l'empêchera de faire la fête ? N'importe quel mauvais vent ravit tout sans pudeur.
Que faire ? Mourir comme une chenille poltronne ou mûrir comme un papillon qui chantonne. Et tant pis pour tous les printemps et les automnes ! Et vous qu'en pensez-vous ?
Prenez soin de vous.
Habib Ben Salha
- Ecrire un commentaire
- Commenter