La ville pleure dans la nuit, ses larmes sur la joue. Elle est sans consolateur…
La solidarité n’est pas une valeur ni une vertu, c’est une obligation contre l’injustice.
La région du Proche Orient semble être depuis quelques temps la proie de toutes les convoitises. D’abord, l’amendement de la Charte de 1988 du Hamas, revirement qualifié d'"historique" mais qui est à relativiser quant à son contenu et à sa portée. Le Hamas avait redéfini le 1er mai dernier le cadre géographique de ses revendications, mais sans toutefois s’engager sur la question d’Israël de manière expresse. Si le Hamas est désormais prêt à accepter la création d’un Etat palestinien, limité aux frontières du 4 juin 1967, frontières qui suivraient les lignes tracées lors de l’accord d'armistice de la guerre israélo-arabe de 1948, reconnues par l'OLP et l'ONU, il insiste sur le fait qu'il ne reconnaît pas l'Etat d’Israël et évoque «la Palestine, du fleuve Jourdain à la mer Méditerranée ». Soit un Etat limité à la Cisjordanie, la bande de Gaza et Jérusalem-Est.
Quant à Israël, le radicalisme prévaut, alimenté du soutien de la nouvelle administration américaine.
« Dépouillez le sionisme du principe territorial et vous avez détruit son caractère et effacé ce qui le distingue des périodes précédentes ». C’est de cette façon que Jacob Klatzkin (1882-1948) définissait l’originalité de l’entreprise sioniste : La reconstruction de la nation juive en passant par son regroupement territorial, à l’intérieur d’un espace souverain. Le sionisme comme la doctrine et la ligne politique du Hamas, se présentent, comme des projets avant tout géographiques et somme toute politique. Pour reprendre une certaine formule: il s’agit pour les Palestiniens et pour les Juifs d’échanger beaucoup d’histoire contre un peu de géographie. Pourtant cette tentative de stabilisation spatiale de 1948 puis de 1967 sont restée jusqu’à nos jours très et trop précaires.
Au départ, que ce soit en 1948 ou en 1967, il existait une véritable indétermination territoriale quant à l’édification de deux Etats, l’un palestinien et l’autre Israélien dans les revendications des parties en présence. La question des frontières n’avait pas préoccupé les dirigeants sionistes et britanniques de l’époque. D’ailleurs, Theodor Herzl, fondateur du sionisme, se fixait pour objectif central de restaurer une certaine souveraineté politique juive par un ancrage territorial, tout en tenant la localisation de sa réalisation comme secondaire. Dans « L’État des Juifs », le manifeste fondateur du sionisme, publié en 1896, étaient examinés comme lieux possibles, la Palestine et l’Argentine et sur proposition britannique l’Ouganda. Ce n’est qu’en 1905, après le décès de Herzl que l’option fut définitivement mise sur la Palestine, sous prétexte d’antécédents historiques. Mais si on s’en tient à l’Histoire, la terre d’Israël (Eretz Israël) sur laquelle les sionistes entendaient reconstituer une souveraineté juive avait des limites indéterminées puisque le texte biblique attribue à la terre d’Israël trois frontières différentes. Sous David et Salomon, il représentait de vastes étendus, au VIe siècle avant notre ère, l’aire modeste de la Judée et donc la terre d’Israël était et est jusqu’à nos jours éminemment paradoxale et mal identifiée. Seul son centre était bien localisé avec Jérusalem et ses alentours, mais ses limites étaient et sont encore floues, changeantes et malléables au gré des circonstances géopolitiques. Aussi faut-il considérer que ce ne peut être un fondement que de revendiquer la restauration de la Terre Promise de Moïse. Celle-ci est davantage un lieu symbolique qu’une étendue géographique déterminée pour l’édification d’un Etat. A tout considérer, Le sionisme est un nationalisme totalement sui generis qui réclame simplement une terre pour le peuple hébreu, qui résidait jusqu’avant la seconde guerre mondiale, à 99% en diaspora. En Palestine, les Juifs ne constituaient alors qu’une minorité de 5% ce qui exigeait, pour transformer les termes de l’équation totalement défavorable, l’immigration régulière de Juifs de la diaspora et la consolidation d’une assise territoriale et humaine, en terre élue, en Palestine. La période du mandat britannique (1920-1948) fut à ce stade, déterminante sur ces deux plans. À la veille de la guerre de 1948, les Juifs constituaient ainsi une forte minorité de 600 000 personnes, soit un tiers de la population totale, concentrée pour l’essentiel dans la plaine côtière. Par ailleurs, l’organisation sioniste avait développé une stratégie d’emprise territoriale méthodique (multiplication des Kibboutz, les villages collectivistes) de façon à marquer humainement des territoires qu’elle revendiquait pour le futur État juif. Cette stratégie est peu à peu devenue une véritable expansion coloniale qui est en vigueur jusqu’à aujourd’hui. Mais, parallèlement, à cette lecture stratégique de l’espace, une autre interprétation, idéologico-religieuse, vit le jour : elle accordait une signification théologique à la récupération du coeur de l’héritage biblique, la Judée-Samarie, avec ses hauts lieux de la mémoire juive (Hébron et Jérusalem). Après la défaite arabe de 1967, un néo-sionisme mystique a vu le jour, fondé sur le développement systématique des implantations juives en Cisjordanie comme constituant une véritable obligation religieuse de possession de l’intégralité de la terre d’Israël. En effet celle-ci état présentée comme la garantie de l’arrivée des temps messianiques. La conséquence fut le développement inévitable d’une frénésie colonisatrice et évidemment l’effacement de la ligne d’armistice avec Gaza et la Cisjordanie et la fin de la lecture stratégique de l’espace de 1967.
Si l’après-1967 voyait Israël redéfinir unilatéralement ses frontières, de jure et de facto, il voyait aussi l'ONU poser le cadre de la légalité internationale en vigueur, à travers la résolution 242 du Conseil de sécurité (22 novembre 1967) qui demandait « le retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés », tout en affirmant le droit de chaque État «à vivre à l’intérieur de frontières sûres et reconnues». Ce principe demeure jusqu’aujourd’hui la pierre angulaire de tout règlement global du conflit. Sa mise en oeuvre avec les États de la région ne souffre pas de difficulté théorique : Elle
implique tout simplement le retour d’Israël sur les frontières internationalement reconnues. De la même façon qu’Israël a restitué le Sinaï à l’Égypte en 1982, elle doit en faire de même avec le Golan. Mais la Cisjordanie représente la vraie difficulté car en 1967, elle était sous la souveraineté de la Jordanie qui, en 1988, a rompu avec elle ses liens administratifs et juridiques. C’est donc en Cisjordanie et à Gaza, qu’un nouvel État, la Palestine, pourrait et devrait voir le jour, comme le souhaite la société internationale, même si ses contours effectifs sont encore à définir. Pour l’heure, cette question reste sans réponse car les responsables Palestiniens et israéliens ne sont toujours pas sortis de l’ambiguïté quant à la frontière orientale d’Israël. À l’évidence, tant que les implantations israéliennes continuent de se développer sur tout le territoire de Cisjordanie, aucune véritable frontière israélo-palestinienne ne peut voir le jour dans cette zone. En définitive, nous constatons que plus de soixante-dix ans après sa création, Israël demeure, lui aussi, un État inachevé, car l’assise territoriale de sa souveraineté n’est pas complètement déterminée. Certaines frontières comme celle avec l’Égypte et la Jordanie sont désormais permanentes, une autre est potentiellement tracée et constituant la ligne bleue, cartographiée par l’ONU après le retrait israélien du Sud-Liban et enfin deux autres restent à déterminer, dont celles avec la Syrie et la future Palestine dans un cadre de négociations internationalement acceptable.
Frontières de 1967, ce n’est pas une nouveauté. Le cheikh Yassine représentant du Hamas, parlait d’une longue trêve avec Israël et il va sans dire qu’il s’agit toujours d’une trêve sur la base des frontières de 1967. Reconnaître les frontières de 1967 fait partie de tous les accords de réconciliation que le Hamas a signé depuis 2005 avec le Fatah et qu’il a dénoncé par la suite. Ce n’est donc pas une position nouvelle ni originale sinon que le Hamas est en train d’opérer un repli stratégique pour s’acheter une nouvelle légitimité dans sa recherche de s’assurer la représentativité du peuple palestinien en vue de siéger dans un éventuel processus de paix futur. Il s’agit toujours d’une tactique pour supplanter l’OLP et le Fatah en tant que représentation de la cause palestinienne et du peuple palestinien. En effet, le Hamas a un passif vis-à-vis du monde entier de terroriste dont il n’arrive pas à se débarrasser. La déclaration du 1er mai 2017 en est une tentative de plus pour se défaire de cette étiquette qui gêne ses ambitions. Ce qui apparaît comme un revirement se situe dans le fait que, par cette déclaration le Hamas a redéfini sa ligne politique en intégrant cette position et en l’officialisant et ainsi espérer s’offrir une nouvelle virginité. Le Hamas l’a officialisé en l’affichant dans un document qui lui est propre. La chose réellement nouvelle par rapport à la charte de 1988, c’est la manière dont est décrit le combat contre l’occupation. La charte du Hamas de 1988 décrit le combat comme celui contre les Juifs. En 2017, on passe à un combat contre l’occupation sioniste. Il y est intégré tout un paragraphe qui décrit ce qu’est le sionisme, pourquoi le sionisme menace les Palestiniens mais aussi, au-delà de la Palestine, pourquoi le sionisme est une menace pour la société internationale toute entière. C’est là que réside le véritable revirement du Hamas et la grande différence entre la ligne politique de ce mouvement dans la charte de 1988. Clairement, le Hamas n’espère pas vraiment sortir du club des organisations terroristes, autrement, il aurait fait un pas supplémentaire dans sa charte, comme l’avait fait l’OLP de reconnaître l’Etat d’Israël. Là n’est pas du tout l’objet de ce nouveau document. Le Hamas s’adresse à travers lui, entre-autre, aux pays arabes qu’il espère rallier à sa cause en leur faisant un petit clin d’oeil. Peut être que le Hamas espère une plus grande souplesse dans les rapports diplomatiques qu’il pourrait entreprendre avec ces pays en montrant que son programme politique est désormais comparable à celui du Fatah et de l’OLP. Il y aurait presque l’affirmation d’une volonté d’apparaître comme une alternative dans la lutte de libération nationale, puisqu’il n’y a plus de différences symptomatiques entre les deux organisations du point de vue de leurs programmes politiques. Ainsi ce n’est pas vraiment un revirement du Hamas sinon une nouvelle tactique pour acquérir suffisamment de popularité pour revendiquer le leadership palestinien et lancer la guerre qu’il souhaite. Toutefois le Hamas a édulcoré son radicalisme de facto, puisqu’il en arrive presque à une reconnaissance implicite de l’Etat d’Israël sans le nommer, du fait de l’acceptation des frontières de 1967.
Mais voilà que le 6 décembre 2017, la donne a changé puisqu’en dépit des oppositions d’une large part du monde arabe et de l’Union Européenne, le chef de l’Etat américain a proclamé la reconnaissance, par les Etats Unis, de Jérusalem comme capitale d’Israël et a déclaré que son ambassade y serait transférée. Du point de vue du droit international, la violation est flagrante. En effet, Le Conseil de sécurité de l’ONU avait condamné l’annexion par Israël de la Cisjordanie, y compris la partie est (arabe) de Jérusalem, le 21 mai 1968 dans la résolution 252 qui disposait que: « Toutes les mesures et dispositions législatives et administratives prises par Israël (...) qui tendent à modifier le statut juridique de Jérusalem sont non valables». Le 30 juillet 1980, le Conseil de sécurité avait réaffirmé par deux fois (résolutions 476 et 478) que le vote positif du Parlement israélien d’inscrire dans les Lois fondamentales (la Constitution) de l’État d’Israël que «Jérusalem unifiée» était sa « capitale éternelle et indivisible » constituait « une violation du droit international », appelant les « États qui ont établi des missions diplomatiques à Jérusalem de retirer ces missions de la Ville sainte ». Elle constituerait aussi, selon le Conseil de sécurité ‘’une violation flagrante de la Quatrième Convention de Genève relative à la Protection des Personnes Civiles en Temps de Guerre et constitue également une obstruction grave à l’instauration d’une paix d’ensemble, juste et durable au Moyen-Orient.”. On se rend alors compte que la nouvelle position américaine remet à l’ordre du jour, la contestation de la force obligatoire du droit international, ainsi que la controverse sur la valeur juridique des résolutions des Organisations internationales et de celles en particulier du Conseil de sécurité puisque jusqu’à présent, ces résolutions n’avaient jamais été infirmées et à ce jour, aucune ambassade étrangère n’est installée à Jérusalem. Cela signifierait donc que la communauté internationale, à l’unanimité, ne reconnaitrait pas Jérusalem comme la capitale d’Israël. Par ailleurs, en août 1993 dans l’accord d’Oslo, il avait été communément admis que l’avenir statutaire de la ville de Jérusalem dépendait de la conclusion d’un accord de paix entre les deux Etats adversaires qui revendiquaient d’en faire leur capitale. Comme les Etats Unis sont parties à ces accords, ils viennent tout simplement de violer leurs engagements conventionnels ce qui pourrait constituer une autre base d’action en justice devant la CIJ, d’autant que la décision américaine représente une grave menace à la paix et à la sécurité internationale en risquant de relancer le conflit armé dans la région du proche Orient. Plusieurs faits illicites au regard du droit international ont été commis par les Etats Unis qui doivent entraîner la prise de mesures appropriées pour le rétablissement de la ‘’légalité’’ internationale.
Du point de vue des relations internationale, ce sont sept décennies de politique étrangère, américaine et mondiale, qui ont été remises en question et cela signe la destruction potentielle de tous les efforts visant à négocier une paix durable entre les antagonistes Israéliens et Palestiniens. C’est d’autant plus déplacé que cette déclaration contredit la position de la société internationale qui n'a jamais reconnu, jusqu’à présent, Jérusalem comme capitale d'Israël et qui a toujours considéré qu’il s’agissait d’une occupation militaire par un Etat colonial. De plus, la proclamation unilatérale d’Israël selon laquelle, tout Jérusalem (Ouest et Est) serait sa capitale « éternelle et indivisible » est rendue légitime et est renforcée par la caution américaine. La décision américaine est impulsive et irréfléchie, et n'a certainement pas été motivée par des calculs diplomatiques, compte tenu des répercutions qui peuvent en découler, mais par une simple promesse électorale à tenir. Il s’agirait donc purement et simplement d’une manoeuvre politique intérieure, en vue de s’attirer les bonnes grâces du lobby pro-israélien américain dans les instances de l’Etat. Toutefois cette décision sera lourde de conséquences sur la situation de toute la région et concernant les suites du conflit Israélo-arabe. C’est d’autant plus vrai que les Etats Unis n’ont pas agi à la légère, sur un coup de tête, mais en sachant très bien qu’ils pouvaient compter sur l’appui tacite de nombre de pays arabes proches de la région, comme l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l’Égypte et le Bahreïn. La Jordanie ne pouvait faire autrement que de condamner la décision américaine, compte tenu des centaines de milliers de citoyens d’origine palestinienne. La Turquie elle-même n’avait pas le choix, du fait de ses ambitions et qu’elle dirige actuellement l’OCI (Organisation de la coopération islamique), dont sont membres, l’Iran, l’Irak, la Syrie. C’est une véritable conspiration américano-saoudienne qui s’est mise en place peu à peu, dans un continuum significatif. D’abord la rumeur d’un nouveau plan de paix de la présidence des Etats Unis, évoqué lors d’un colloque à l’Institut Brookings à Washington, dans lequel il ne serait pas fait mention de l’évacuation des colonies israéliennes et qui miserait sur une paix en deux temps avec une « paix économique », d’abord. Selon ce plan, les Palestiniens se verraient alors concéder un État formé de plusieurs territoires disjoints et dont Jérusalem ne serait pas la capitale. Quant à Israël, il garderait sous sa souveraineté 50 à 60 % du territoire de la Cisjordanie. Ce plan envisagé ferait une impasse sur la question des réfugiés palestiniens qui serait totalement exclus de l’accord et considérée comme négligeable. Ainsi serait reproduits les bantoustans d’Afrique du Sud du temps de l’apartheid, ou encore les réserves des Natifs Américains (Amérindiens). Le peuple palestinien se verrait parqué sur des lopins de terres qui n’auraient de territoire que le nom et dont ils ne pourraient rien en tirer. Ensuite, en novembre 2017, il y a eu l’affaire de l’annonce de la fermeture de la représentation de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) à Washington, en raison du fait que le département d’État refusait de renouveler son autorisation. La mission palestinienne avait finalement reçu son agrément, mais dans des conditions plus restrictives. Il s’agit d’une véritable conspiration internationale, car la Présidence de l’Autorité palestinienne ferait, depuis un certain temps, l’objet de pressions et serait victime de contraintes de la part de l’Arabie Saoudite et des Etats Unis pour la forcer à avaliser la pseudo-solution américano-saoudienne. Il y aurait même eu des tentatives de corruption financière de la présidence de l’Autorité palestinienne par l’Etat saoudien. Or de tels procédés sont constitutifs de vices du consentement qui altèrent la validité du traité conclu dans ces conditions. Un traité conclu, entré en vigueur, déploie ses effets juridiques dans l’ordre juridique international. Toutefois, il ne pourra subsister dans cet ordre juridique qu’à la condition d’être valide et dans le cas contraire, il pourra être frappé de nullité. Ainsi en est-il lorsqu’un traité a été conclu par une manoeuvre dolosive. Le dol c’est la manoeuvre qui consiste pour le représentant d’un État qui négocie un traité à tromper systématiquement l’autre afin d’obtenir son consentement (article 49 convention de Vienne) ; l’État victime du dol peut invoquer le vice du consentement pour être délié du traité. D’autre part, la corruption d’un négociateur, est aussi constitutive de vices du consentement selon la Convention de Vienne du 23 mai 1969. La corruption c’est le fait d’obtenir le consentement du négociateur en lui offrant un avantage matériel ou une somme d’argent. (Article 50 de la convention de Vienne). Par ailleurs, Il a toujours été admis que le consentement du négociateur arraché par la contrainte était invalide, et donc le traité est nul. S’ajoute à cela, que la contrainte exercée directement sur le négociateur d’un traité est constitutif de crime international majeur, en vertu du droit international des traités (article 51 et 52 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités), et que tout Etat membre de la société internationale pourrait invoquer ces faits illicites pour rendre l’éventuel accord nul de nullité absolue et non avenu. C’est donc plus grave qu’une simple violation du droit international qui est commise dans le cas présent.
Si l’on essaie d’expliquer cette position inconséquente de jure, il faut considérer la propension de la doctrine du parti Républicain américain à toujours vouloir imposer à un antagoniste, un rapport de force, comme on a pu le constater sous diverses présidences, entre 1981 et 1989, 1989 et 1993, 2001 et 2009. Il s’agit d’un parti militariste binaire, qui ne connait que la « stratégie » de l’imposition brutale de la force, dans sa gestion de la vie publique comme en politique étrangère. De ce point de vue, tourner le dos au droit international est presque, pour lui, un impératif et cela va de pair avec
l’UN bashing (le dénigrement systématique de l’ONU) dont le multilatéralisme diplomatique est un insupportable obstacle à la souveraineté des États-Unis.
Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est un principe de droit international qui permet au peuple palestinien d’exprimer sa volonté de s’établir en tant qu’Etat, ou en tout cas sa volonté de choisir son statut international. Ce principe est considéré par la société internationale comme une norme impérative du Droit International général, c’est-à-dire une norme qui relève de la catégorie du Jus Cogens et qui n’admet aucune exception. Considérer le peuple palestinien comme un objet de transaction, une denrée négociable, devient une atteinte à ce principe et une fois de plus une violation du droit international. Lorsqu’un peuple fait l’objet d’un état de subordination tel que prévu aux principes 4 et 5 de la Résolution 1541(XV) du 15 décembre 1960, définissant les options pour l'autodétermination., la communauté internationale peut intervenir en sa faveur.
Les Palestiniens, quant à eux, ne sont pas exempts de critique. En effet, ils se complaisent dans un statu quo de victime et d’assistés, qui leur permet de camoufler les divergences entre Fatah et Hamas et entre factions rivales et ils ne prennent aucune initiative pour définir leur avenir. En décidant de reconnaître la ville sainte comme capitale, les USA risquent de rompre pour longtemps un relatif équilibre entre les trois monothéismes, dans leurs accents politiques et d'exacerber des tensions qui n'ont pas besoin de l'être. Jérusalem, au-delà de l’ancienne controverse sur son statut de capitale, revendiqué à la fois par Israël (« capitale éternelle ») et par les Palestiniens, est une ville trois fois sainte car le lieu le plus sacré pour les juifs, pour les musulmans, pour les chrétiens, considérée comme la cité de toutes les passions, les imaginations et les pires extravagances religieuses, la ville de toutes les utopies, de toutes les ferveurs et frustrations. La proclamation américaine va sans doute ranimer les risques d’explosion des fanatismes religieux. « La ville pleure dans la nuit, ses larmes sur la joue. Elle est sans consolateur. Tous ses compagnons l’ont trahie, sont devenus pour elle des ennemis. » (Lamentations de Jérémie). La liberté religieuse est une chose trop précieuse pour être divisée et soumise à de tels aléas.
A Jérusalem, les siècles passent et perpétuent le malentendu qui mène à l’intolérance qui mène elle-même à la haine. Chrétiens, Juifs, Musulmans, la ville parait parfois trop étroite pour les trois religions qui se la disputent. Exigeant la capitulation du gouvernement de l’autorité palestinienne considéré comme l’ennemi, le colon israélien martèle des idées et un discours parfaitement rodé dans les milieux d’extrême droite religieuse.
- DEBIE F. et FOUET S., La Paix en miettes. Israël et Palestine, Paris, PUF, 2009. • DIECKHOFF A., « Les Dilemmes territoriaux d’Israël », Cultures & Conflits, n°21-22, printemps-été 1996, pp.159-170. • DIECKHOFF A., « Les Trajectoires territoriales du sionisme », Vingtième siècle, n°21, janvier-mars 1989, pp.29-43. • DIECKHOFF A., Les Espaces d'Israël. Essai sur la stratégie territoriale israélienne, Paris, Presses de Sciences Po, 1989. • FOUCHER M., Fronts et frontières. Un tour du monde géopolitique, Paris, Fayard, 1988, chapitre 12, pp.331-361.
- HALEVI R., « Israël et l’idée de la frontière », Commentaire, hiver 2005-2006, n°112, pp.863-869. • KEMP A., « From politics of location to politics of signification : The construction of political territory in Israel’s first years », Journal of Area Studies, printemps 1998, n°12, pp.74-101.
- Sanchez Raf, « “Saudi Arabia doesn’t care about the Palestinians as long as it can make a deal with Israel against Iran”, says former Netanyahu adviser », The Telegraph, 25 novembre 2017.
- Anderson Scott et Schwartz Yishai, « How to Move the US Embassy to Jerusalem », Foreign Policy, un résumé de l’évolution de la position américaine.
Monji Ben Raies
Universitaire,
Enseignant et chercheur en droit public et sciences politiques,
Université de Tunis-El Manar, Faculté de Droit et des Sciences politiques de Tunis
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