Phosphates: Plan d’une ambition à notre portée

Et si ça se débloquait ! Imaginez des milliards de dollars à récolter, des milliers d’emplois à créer, et une ingénierie de pointe à relancer. Le plan ambitieux pour revitaliser le secteur des phosphates au cours des cinq années 2025-2030 n’attend plus que la mobilisation des financements appropriés et le déploiement de compétences additionnelles requises. L’objectif est d’atteindre 14 millions de tonnes à l’horizon 2030.
La chute brutale de la production annuelle de plus de 50% depuis 2011 (de 8 millions de tonnes, on est tombé à près de 3 millions de tonnes), pour de multiples facteurs, notamment sociaux et logistiques, a lourdement pénalisé notre économie. La Tunisie, jadis 5e producteur mondial, a dû perdre sa position privilégiée pour se retrouver au 12e rang, accusant un manque à gagner (phosphates et dérivés) estimé pour la période 2011 -2021 à 8 milliards de dollars. Nos finances publiques ne sauraient se le permettre, alors que les solutions sont à notre portée.Le contexte actuel s’annonce en effet propice à une montée en puissance. La Tunisie peut reprendre ses atouts.
Multiplier par cinq la production est réalisable, estiment des experts. Pour y parvenir, les défis à relever sont cependant exigeants en actions concrètes qui doivent être entreprises. Modernisation des infrastructures avec un plan de relance et des investissements étrangers, renforcement du dialogue social pour apaiser les tensions et stabiliser la production, amorce d’une transition écologique conforme aux nouvelles exigences et diversification des marchés extérieurs et recherche de nouveaux partenaires : la vision est claire.
Consolider les fondamentaux
La stratégie préliminaire de relance du secteur des phosphates et de renforcement du Groupe chimique tunisien (GCT), présentée par la ministre de l’Industrie, des Mines et de l’Energie, Fatma Thabet Chiboub, en Conseil ministériel tenu le 5 mars dernier sous la présidence du Chef du gouvernement, Kamel Maddouri, préconise des mesures de première importance.
Première urgence, la rénovation des équipements de production et des moyens de transport, notamment le réseau ferroviaire, indispensables à l’efficacité de l’extraction et de l’acheminement. Le programme d’investissement de la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG) porte sur 63 millions de dinars. De nouveaux grands projets, à l’instar de la laverie d’Om El Khechab, initiée avec le concours de l’entrepreneur chinois Wengfu, devrait entrer en service en 2027 avec une capacité annuelle de 2.5 millions de tonnes. Une deuxième ligne de production sur le même site est prévue pour 2030, avec une capacité de 3.1 millions de tonnes. En outre, le projet Tozeur-Nefta, portant sur des réserves potentielles estimées à 465 millions de tonnes, fait l’objet d’études de faisabilité, pour une production annuelle de 2.5 millions de tonnes pendant 45 ans.
Pour ce qui est du transport ferroviaire des phosphates, le plan de relance doit porter le volume actuel de 5.3 millions de tonnes à 8.3 millions de tonnes à l’horizon 2030. A cet effet, les investissements programmés par la Sncft portent sur 325 millions de dinars.
Les exportations doivent passer de 300 000 tonnes cette année à 1 million de tonnes en 2030.
L’axe industriel adopté comprend:
• Le lancement d'une nouvelle unité industrielle à Skhira pour la production d'ammoniac vert, avec une capacité annuelle de 60 000 tonnes,
• La mise en place de technologies pour éliminer le cadmium contenu dans l'acide phosphorique produit par le Groupe chimique tunisien (GCT),
• La construction d'installations de transformation avancée à Gabès et Mdhilla, afin de valoriser le phosphate localement et d'accroître la valeur ajoutée avant exportation,
• L’investissement dans la production d'ammoniac vert et d'acide phosphorique, contribuant à la transition énergétique et à la réduction de l'empreinte carbone du secteur.
Par ailleurs, décision a été prise quant au reclassement du phosphogypse en le retirant de la liste des déchets dangereux et requalification en tant que matériau valorisable.
Le plan de restructuration du Groupe chimique tunisien pour la période 2025-2030 est à la mesure des objectifs fixés. Il vise à:
• Améliorer la rentabilité des unités de production avec une montée en charge progressive jusqu’à 80 % de leur capacité maximale d’ici à 2028,
• Créer des unités industrielles innovantes, notamment une usine de production d’acide phosphorique et d’engrais spécialisés,
• Développer la production d’ammoniac vert pour favoriser la transition écologique et réduire la dépendance aux importations d’engrais chimiques,
• Valoriser les déchets industriels, notamment à travers l’utilisation du phosphogypse comme matière première réutilisable au lieu d’un simple déchet à éliminer.
Le facteur ressources humaines et compétences de haut niveau sera essentiel à chaque séquence de cette nouvelle ambition tunisienne. Jadis, la Compagnie des phosphates de Gafsa et le Groupe chimique tunisien regorgeaient de jeunes ingénieurs diplômés de grandes écoles qui redoublaient d’énergie et d’ingéniosité pour promouvoir le secteur. Une véritable ingénierie tunisienne a été développée et exportée jusqu’en Turquie et en Chine. Des brevets tunisiens sont unanimement reconnus. L’école tunisienne des phosphates et dérivés figure dans les annales. Il s’agit à présent de la faire renaître pour porter une nouvelle vision et œuvrer à sa réalisation. La question du financement est elle aussi fondamentale. Avec de bons projets bien ficelés et un climat social apaisé, les bailleurs de fonds ne manqueront pas d’y répondre.
La Tunisie détient un véritable trésor. Peut-elle se permettre le luxe de s’en priver ?
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