Des pastèques et des melons: Sains, nutritifs et délicieux (Album photos)
Par Ridha Bergaoui - Dans une vidéo largement partagée sur les réseaux sociaux, un monsieur mesure, à l’aide d’un petit instrument, le taux de nitrate dans des échantillons de pastèques et melons provenant de différentes régions du pays. Il trouve des valeurs qu’il juge très élevées et déclare, avec beaucoup d’assurance, que ces fruits sont impropres à la consommation et risquent de nuire à la santé des consommateurs. A la fin de la vidéo, il rapporte des cas d’intoxication, suite à la consommation de pastèques, dans les hôpitaux environnants. Il affirme qu’on trouve plusieurs batteries usagées autour des exploitations où l’on cultive des pastèques en insinuant que les agriculteurs utilisaient les acides contenus dans les batteries pour faire grossir leurs pastèques.
De nombreuses vidéos similaires existent sur la Toile provenant de divers pays (Maroc, Algérie, Turquie, Albanie…). Elles datent de quelques années et réapparaissent à chaque été pour décourager les consommateurs à manger pastèques et melons. La motivation essentielle de ces auteurs est semble-t-il, a priori et essentiellement, la recherche du buzz pour faire le plein de «followers» sur les réseaux sociaux.
Pourtant, il y a quelques jours, le directeur général de l’Instance nationale de sécurité des produits alimentaires (Inspa) avait déclaré aux médias que les services de contrôle, qui opèrent dans tous les gouvernorats de la République, n’ont relevé aucun foyer d’intoxication due à la consommation de pastèques. Il a de nouveau confirmé, sur une radio privée, qu’il n’y avait aucun foyer d’intoxication collective par la pastèque, tout en mettant en doute toutes les affirmations de l’auteur de la vidéo précédemment indiquée et la fiabilité de l’appareil utilisé. Les contrôles, fréquents et réguliers, pour la recherche de résidus de pesticides, de métaux lourds et de bactéries n’ont révélé aucune présence de ces polluants. Nos pastèques et nos melons sont sains et bons à consommer.
Ces affirmations, gratuites et infondées, d’insalubrité des pastèques et melons sont de nature à faire peur aux consommateurs et entraînent inévitablement une chute importante de la consommation de ces délicieux fruits, surtout que, chez nous, les réseaux sociaux sont très actifs et que les Tunisiens sont devenus accros et constamment branchés à ces nouvelles formes de communication devenues malheureusement source de manipulations, de rumeurs et de fausses informations.
Affirmer que nos pastèques et melons sont contaminés est très grave pour de nombreuses raisons:
• La Tunisie exporte des pastèques dans de nombreux pays, une rumeur concernant la pollution des fruits risque de porter préjudice à nos exportations.
• De telles rumeurs conduisent à une panique chez les citoyens. Pastèque et melon sont les fruits d’été les plus consommés. Rafraîchissants, nutritifs, délicieux et bon marché, ils sont à la portée de la bourse des populations moyennes et même défavorisées. Renoncer à consommer ces fruits risque de priver les consommateurs d’un apport nutritif intéressant.
• La mévente de ces fruits porterait atteinte à nos agriculteurs qui, après près de 6 mois de travail ardu et de sacrifices, surtout dans un contexte difficile de réchauffement climatique et de manque d’eau, risquent de perdre leur récolte et subir de graves préjudices financiers.
• C’est également une perte pour l’économie nationale et toute la communauté.
Charlatanisme vs démarche scientifique
Juger de la salubrité de nos aliments est une affaire grave et ce n’est certainement pas à ce monsieur, qui ne possède aucune compétence scientifique (ni dans le domaine de la chimie, ni de la nutrition, ni de la santé) et avec un simple testeur (dont on ne connaît ni la fiabilité, nila précision, ni le degré d’étalonnage) de juger de la salubrité de nos aliments. C’est tout simplement du charlatanisme et du populisme. C’est l’affaire des spécialistes, des organismes et des institutions officiels habilités qui disposent de laboratoires adéquats, bien équipés et qui font leurs analyses d‘une façon scientifique selon un protocole prédéfini, à commencer par l’échantillonnage et les traitements statistiques des données. La conclusion doit tenir compte des normes communément admises par les autorités sanitaires compétentes et nuancée pour prendre en considération les différents facteurs de variation. « L’ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit», disait Aristote.
La Tunisie ne manque ni de laboratoires d’analyses ni de compétences dans le domaine. Elle dispose, à côté de nombreux laboratoires d’analyses privés agréés et accrédités, d’organes très compétents et très sérieux dans divers ministères (Santé, Agriculture, Industrie, Intérieur, Commerce…) chargés du contrôle et du suivi de la qualité des aliments présentés au consommateur.
Les nitrates, des composés partout présents à des taux variables
Les nitrates sont des composés inorganiques, naturels présents partout dans notre environnement, l’air, le sol, l’eau et les plantes. Les nitrates sont composés d’un atome d’azote et de trois atomes d’oxygène qui peuvent se combiner avec d’autres éléments comme le sodium ou le potassium pour former du nitrate de sodium (NaNO3) ou de potassium (KNO3) et sont présents dans le cadre du cycle normal de l’azote.
L’eau (de boisson ou d’irrigation) en contient des quantités variables selon l’origine et le degré de contamination. Les nitrates et nitrites sont également additionnés dans de nombreux aliments industriels pour améliorer la conservation du produit et éviter sa dégradation et sa décomposition.
Chez les plantes, c’est un constituant naturel nécessaire au tissu végétal indispensable pour la synthèse des protéines. Les nitrates sont convertis en ammoniac, impliqué dans la formation de la chlorophylle, essentielle pour la photosynthèse, le développement de la plante et les diverses productions. Ils sont présents dans toutes les parties (racines, tiges, feuilles). Les légumes-feuilles, particulièrement les épinards et les salades, contiennent des taux très élevés de nitrates.
La plus grande partie des nitrates consommés (75 à 80 %) provient essentiellement des denrées alimentaires d’origine végétale. Plusieurs facteurs interviennent dans la concentration des plantes en nitrates comme l’espèce végétale, la variété, le degré de maturité, la nature du sol, la conduite technique et la fertilisation des cultures… Les cultures intensives, qui ont recours très souvent à la fertilisation (azote, phosphore, potassium et minéraux), conduits en serres, à l’ombre, contiennent plus de nitrates que les cultures en plein air. Ces fertilisants sont généralement apportés avec l’eau d’irrigation (généralement en goutte-à-goutte) ou fertigation. Un excès de fertilisation azotée conduit à une accumulation des nitrates dans les divers organes des plantes qui n’arrive pas à tout assimiler.
Pour la culture du melon et des pastèques, il est recommandé l’emploi du fumier en fumure de fond avant semis ou repiquage, et l’utilisation de fertilisants NPK échelonnés en fonction du stade de la culture afin de donner le temps à la plante pour assimiler ces éléments nutritifs. Certains recommandent jusqu’à 10 applications durant les 3 ou 4 mois de culture, soit presque une application/semaine, afin d’avoir de gros et beaux fruits, bien formés et riches en sucres. Par ailleurs, la pastèque a la capacité d’accumuler les nitrates. Elle est naturellement riche en nitrates en raison de sa forte concentration en citrulline, précurseur de l’arginine, qui stimule dans l’organisme la production d’oxyde nitrique. Les nitrates sont sensibles à la chaleur et sont détruits lors de la cuisson des aliments. Pastèque et melon sont consommés directement en frais. Pour toutes ces raisons, le taux de nitrates dans les pastèques et les melons est généralement assez élevé.
La toxicité des nitrates de nos jours fortement contestée
Les nitrates ne sont pas directement nocifs. Toutefois, ils sont transformés par les bactéries digestives en nitrites qui peuvent oxyder l’hémoglobine du sang, surtout chez le nourrisson, et réduire la capacité des globules rouges à transporter l’oxygène. Ils peuvent également conduire à la formation de nitrosamines cancérigènes. C’est pour ces raisons que les nitrates ont été considérés néfastes pour la santé et qu’on recommande d’éviter de consommer des aliments riches en nitrates.
L’OMS a défini une dose journalière admissible ou acceptable (DJA) de 3,7 mg de nitrates par kg de poids. Soit pour une personne de 70 kg une ingestion de 260 mg/jour. Un dépassement occasionnel de la DJA ne représenterait pas un problème de santé.
De nos jours, le danger et la toxicité des nitrates sont remis en cause et le lien avec les cancers n’a pas été toujours confirmé. Leur absorption, à faible dose, est considérée très bénéfique pour la santé et peut avoir des effets positifs sur la tension artérielle et la fonction cardiaque. Les nitrates, qui se transforment en oxyde nitrique dans l’organisme, peuvent détendre les vaisseaux sanguins et contribuer à réduire la tension artérielle. Certains chercheurs affirment que les légumes et fruits riches en nitrates ne font courir absolument aucun risque sanitaire au consommateur, bien au contraire, ils présentent d’importants bénéfices cardiovasculaires. Des auteurs néerlandais, ont montré que l’apport minimal en nitrate NO3-, à partir duquel apparaissent des effets bénéfiques cardioprotecteurs, se situe entre 300 et 350 mg /jour et montrent que l’augmentation de la consommation des légumes riches en nitrate NO3- (comme la roquette, la laitue, les épinards, le chou, le radis…) améliore la santé cardiovasculaire et augmente les performances physiques.
Par ailleurs, fruits et légumes, malgré leur apport variable de nitrates, sont riches en fibres, vitamines et minéraux et jouent un rôle protecteur de l’organisme contre les maladies (cancers, diabète, maladies cardiovasculaires, etc.). Bannir la consommation de fruits et légumes frais, sous prétexte de la présence de nitrates, revient à nuire à la santé du citoyen. En France, l’Anses recommande la consommation quotidienne de 5 portions, de 80 à 100 g chacune, de fruits et légumes/jour.
Comment bien choisir et consommer la pastèque
Une bonne pastèque doit avoir la peau brillante, lisse, sans bosses et intacte. Elle doit comporter une tache jaune du côté sur lequel la pastèque se posait sur le champ, et une queue sèche, signe que la pastèque est bien mûre. Elle ne doit pas être légère et lorsqu’elle est tapotée, une pastèque mûre émet un son retentissant et crépite légèrement lorsqu’elle est pressée.
En coupant la pastèque, une peau jaune est généralement le signe d’un taux élevé de nitrates. Eviter de consommer les pastèques qui comportent du vide à l’intérieur ou des trous. Une pastèque dont la chair est rouge vif peut contenir un taux élevé de nitrates. Tremper un morceau de chair dans de l’eau, après quelques minutes, si l’eau se colore en rouge, il y a probablement trop de nitrates. Le morceau de pastèque doit également flotter et non couler au fond du récipient.
De plus en plus, les commerçants vendent des morceaux découpés, exposés et protégés par de la cellophane. Lorsque la pastèque est coupée avec un couteau sale et exposée au soleil, les germes introduits dans le morceau peuvent se multiplier rapidement et provoquer des ennuis digestifs chez le consommateur. La préférence doit être donnée aux pastèques entières non coupées (d’un poids de 4-6 kg), achetées dans des commerces organisés et exposées dans des endroits et sur des étals propres. Eviter de demander au vendeur de couper un morceau de la pastèque, pour voir l’intérieur, avec son couteau pour éviter d’éventuelles contaminations. Si nécessaire, acheter les tranches de pastèque d’un magasin sûr, qui respecte les normes d’hygiène de stockage et de la conservation des denrées alimentaires.
Il est conseillé de ne pas consommer la pastèque comme dessert à la fin du repas, cela risque de trop charger l’estomac. Il faut de préférence la consommer entre les repas. Une personne moyenne mange généralement 2 à 3 tranches de pastèque/jour, soit 400 à 500 g. Aller jusqu’à 1 kg/j n’est pas mauvais pour la santé. Certains nutritionnistes recommandent la pastèque, en raison de sa forte teneur en eau, sa richesse en fibres et sa faible teneur énergétique, comme régime pour perdre du poids ou pour des cures de désintoxication. Des niveaux de consommation de 2 à 2,5 kg de pastèque durant 3-4 jours jusqu’à une semaine sont conseillés dans ce cas.
La santé du consommateur est un facteur important. Les autorités officielles sont appelées à assurer les conditions de bonne santé pour les citoyens. Il est nécessaire, avec la chaleur estivale, d’intensifier et de renforcer les contrôles des denrées alimentaires les plus sensibles. La surveillance est un instrument important pour améliorer la protection préventive de la santé des consommateurs.
Les responsables et les autorités compétentes doivent se manifester plus activement dans les médias et les réseaux sociaux pour démentir les rumeurs, dire la vérité et rassurer le consommateur. Livré aux réseaux sociaux et aux fake news, celui-ci se trouve inquiet et tiraillé entre son désir de manger pastèques et melons et profiter de leurs bienfaits et son souci de préserver sa santé et celle de sa famille.
L’agriculteur n’a aucun intérêt à utiliser d’une façon excessive les fertilisants azotés qui reviennent généralement très cher. Il doit réaliser des analyses fréquentes du sol et de l’eau pour éviter un apport excessif d’engrais, surtout l’azote, qui peut nuire à la production (favorise surtout le développement végétatif des plantes) et l’environnement (sol et nappes).
Rien ne prouve que nos melons et nos pastèques sont contaminés et que leur consommation peut nuire à la santé du consommateur. Un taux élevé en nitrates n’est plus, de nos jours, prohibitif. Il ne faut surtout pas se priver des bienfaits de ces fruits délicieux. Il faut toutefois prendre certaines précautions et être vigilant lors de l’achat de ces produits. Il faut également en manger avec modération en évitant de ronger la croûte blanche, là où s’accumulent les nitrates.
Ce n’est pas la première fois qu’un produit national est la cible de propagations mensongères. La parole doit privilégier toujours les spécialistes et les scientifiques, car un demi-savoir est pire que l’ignorance et « le plus grand ennemi de la connaissance n’est pas l’ignorance mais plutôt l’illusion de la connaissance » (Stephen Hawking).
Ridha Bergaoui
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