News - 23.06.2024

Administration publique: Restructurer et motiver plutôt que sanctionner

Administration publique: Restructurer et motiver plutôt que sanctionner

Par Riadh Zghal - L'administration publique en tant que principal outil du pouvoir exécutif est aussi une entité qui dispose de son mode particulier de fonctionnement. C’est une entité humaine et comme toute entité humaine, elle fonctionne selon un système de relations et des représentations de ses fonctions, du pouvoir auquel elle est soumise et dont elle tire ses prérogatives, des citoyens et autres partenaires. L’administration publique est le lieu de formation d’une culture faite d’attitudes et de valeurs qui conditionnent un mode de comportement plus ou moins conformes à la légalité et la mission de l’employé. Le mode gestion des ressources humaines en vigueur imprime cette culture. Ainsi par exemple, l’équité/l’iniquité perçues en matière de recrutement, d’avancement dans la carrière, de nomination aux postes de responsabilité, de  tolérance/intolérance de fautes… affectent le degré d’engagement au travail, l’assiduité et le turn over qui pousse particulièrement les compétences vers la sortie.

Et si la performance de l’administration est peu satisfaisante, ce n’est pas en promulguant des lois sanctionnant plus sévèrement les déviances, en limogeant, ou en mettant au frigo des employés, que l’on aboutit à l’amélioration des services. Bien au contraire, il faut considérer que la baisse de la qualité des services de l’administration publique est un signal d’alerte adressé au gestionnaire. Du coup, si le but est de remédier à cette baisse, il faudra s’interroger sur le mode de gestion en vigueur, ses méthodes héritées, ses inerties, la cohérence du système dans son ensemble avec un contexte marqué par des changements profonds et récurrents… Il faudra s’interroger sur les raisons qui sont derrière les comportements d’employés désengagés et peu performants. Cela conduira inévitablement à mettre le doigt sur des méthodes de gestion inadaptées dans la mesure où elles ne stimulent pas l’engagement envers les objectifs assignées à la fonction et à l’administration publique en général.

L’engagement envers l’organisation de la part de ses membres est variable. Comme tout employé, ceux de l’administration publique sont « calculateurs ». Leur degré d’adhésion aux objectifs et aux normes qui leur sont imposés dépend autant de la manière dont ils sont eux-mêmes traités par les dirigeants que du tissu relationnel propre à l’unité où ils exercent. Dans un ouvrage célèbre publié en 1981, Pierre Jarniou écrivait : "L’organisation est un système politique. C’est un lieu de pouvoir, de négociation et de rapports de force, qui favorisent un groupe par rapport aux autres, au sens où il peut faire prévaloir ses propres valeurs et faire de sa culture la "culture organisationnelle dominante".

Evidemment, les valeurs peuvent être favorables à une bonne performance de l’activité ou au contraire toxiques. On connaît la formule courante chez nous « je travaille à la mesure de ce qu’ils me payent » "نخدملهم على قد فلوسهم". Les effets de la domination d’une telle attitude se traduisent par un fort taux d’absentéisme, une fréquence démesurée de congés de maladie de courte ou longue durée et autres prétextes et actes de ralentissement de l’effort.

Dans ce cas, le mal est d’origine collective, il se répercute sur les individus à plus ou moins grande échelle selon le climat social général dominant dans l’unité administrative. Son traitement ne peut se limiter à l’individu car ses origines sont sociales et dépendent en partie du système de gestion en place et de la nature de l’environnement. Le comportement de l’employé est inséré dans un système fait d’institutions et de réglementations elles-mêmes enchâssées dans un contexte global. Le degré d’engagement individuel au travail en dépend.   

L’institut Gallup, qui mène depuis 50 ans des enquêtes sur l’engagement au travail, le définit comme étant l’implication et l’enthousiasme des employés dans leur travail et leur milieu de travail. Ce sont les employés engagés qui produisent les meilleurs résultats nonobstant l’activité, la nationalité, la bonne ou mauvaise conjoncture économique.

L’enquête menée par Gallup en 2022 a touché 14.705 employés à temps plein et à temps partiel à travers le monde, et a révélé une baisse du taux d’engagement de l’ordre de 2%. Seulement 15% dans le monde et 35% aux Etats-Unis appartiennent à la catégorie des «engagés»

On nous parle aujourd’hui d’un projet de loi qui sanctionne sévèrement les employés qui ne s’exécutent pas à leur tâche, mais sait-on précisément les raisons de cette mauvaise volonté ? Sait-on quelle proportion d’employés engagés/désengagés au travail et pour quelles raisons ? Sans doute diverses.

Compte tenu du fait que la tendance politique aujourd’hui propose de compter sur nos propres ressources pour assurer le bien-être social, ce sont les ressources humaines qu’il faudra gérer avec le plus d’efficacité. «Pour commander à la nature, il faut lui obéir», écrivait Francis Bacon, cela s’applique à la nature humaine. S’agissant des employés, il devient opportun de connaître leurs représentations et ce qui peut les motiver à fournir les meilleurs services au citoyen et par ricochet à la nation. S’agissant de l’administration publique, il faudra revisiter son mode de fonctionnement et s’attaquer aux séquelles toxiques d’un mode de gestion bureaucratique qui  perdure depuis les époques beylicale et coloniale marquées par l’absence d’un souci de développement inclusif et équitable du pays dans tous les domaines.

Plusieurs tentatives de réforme de l’administration publique ont été menées depuis l’indépendance du pays. Mais c’étaient des réformes qui n’avaient pas touché au paradigme fondateur de la verticalité bureaucratique. De ce fait, les nouvelles tendances de la bonne gouvernance qui ont marqué de profondes restructurations de l’administration publique dans divers pays du monde sont plutôt ignorées. C’est le souci de bonne gouvernance associée à une amélioration de l’efficacité (résultats meilleurs) et de l’efficience (coûts réduits) de l’administration publique qui a rejailli dans certains pays sur les modes de gestion des ressources humaines : motivation adaptée aux besoins dont la participation, la décentralisation assortie de dévolution de pouvoir et de ressources, l’évaluation rigoureuse, la responsabilisation assortie de redevabilité, le leadership partagé entre les équipes responsables… Apparaît alors un système de gestion des ressources humaines dans l’administration publique orienté vers la performance par opposition au fonctionnariat. Tout cela est rendu plus aisé grâce à la technologie du numérique.

Dans un ouvrage collectif qui vient de paraître(1), Mustapha Mezghani montre les multiples intérêts de l’introduction du numérique dans l’agenda des politiques publiques : accès aux multiples sources d’information, découverte rapide des différentes sources de problèmes entravant l’exécution des projets, évaluation continue de la mise en œuvre des projets autorisant les corrections en temps réel, implication des parties prenantes, y compris les citoyens, dans les choix et les décisions, communication facilitée aidant à l’ajustement des stratégies en fonction des changements de l’environnement dans ses différentes dimensions. 

Deux principaux leviers pourront accélérer l’amélioration de la performance de l’administration publique : gérer autrement les ressources humaines de la fonction publique en misant sur la motivation et l’engagement des employés, exploiter au mieux les innombrables possibilités que permet le numérique.

Riadh Zghal

(1) Mustapha Mezghani, « Repenser le développement des politiques publiques à l’ère du numérique» in L’économie tunisienne 2024. «Quel avenir pour la résilience économique ? Global Institute 4 Transitions (2024), sous la direction de Maher Gassab, édition Nirvana.
 

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