La 40e session ordinaire du conseil exécutif de l’UA des 2 et 3 février 2022 : marquant le 20e anniversaire de l’organisation panafricaine
Par Hajer Gueldich - Cette année 2022 marque le 20e anniversaire de l’Union africaine (UA), une organisation qui peine à atteindre les objectifs de l’Agenda 2063 d’une Afrique prospère, intègre et unie, à la lumière de tous les défis qui pèsent sur l’Afrique aujourd’hui.
La 40e session ordinaire du Conseil exécutif a pris fin hier, après deux jours intenses de travaux les 2 et 3 février 2022, en prélude au 35e Sommet de l’Union prévu les 5 et 6 février 2022.
L’UA fut créée en 2002 à Durban en Afrique du Sud, en application de la Déclaration de Syrte du 9 septembre 1999. Son siège est à Addis-Abeba en Ethiopie. Elle a succédé à l'Organisation de l'Unité africaine (OUA) créée le 25 mai 1963.
Le processus de création de l'Union africaine a été déclenché suite à la Déclaration de Syrte, le 9 septembre 1999. Le 12 juillet 2000, l'Acte constitutif de l'UA a été signé par les Etats membres de l'OUA à Lomé. Après l'entrée en vigueur de cet instrument juridique, l'Union africaine a tenu sa première session ordinaire à Durban, le 9 juillet 2002. Cela fait déjà 20 ans.
La 35e session ordinaire de la Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine, cette année, se tient en pésentiel à Addis abeba, les 5 et 6 février 2022, et non pas en ligne (comme ce fut le cas l’année dernière, en raison des restrictions liées à la pandémie Covid-19).
L’Afrique vit au rythme des putschs et des changements anticonstitutionnels de gouvernement depuis quelques mois, notamment les cas du Mali, la Guinée, le Burkina Faso et le Tchad.
"La paix et la sécurité sont sérieusement menacées dans beaucoup de régions du continent avec la multiplication des coups d'Etat militaires, les conflits intra-étatiques et l'expansion de groupes meurtriers dans bien des Etats africains", a annoncé Moussa Mohammed Faki, lors de l’ouverture de la 34e session ordinaire du Conseil exécutif des 2 et 3 février 2022.
De nouvelles déclarations, résolutions et décisions relatives à certains dossiers politiques, économiques et stratégiques majeurs pour l’Afrique sont attendus. Le 35e sommet de l’UA se tiendra sous le thème de l'année : "Renforcer la résilience en matière de sécurité nutritionnelle et alimentaire sur le continent africain : Accélérer le développement du capital humain, social et économique".
Mais l’organisation de ce sommet semble très modeste, en début de cette année.
La décision de l’organiser à Addis a été d’ailleurs précipitée. D’autant plus que l’Ethiopie connait, depuis quelques mois, une situation humanitaire et sécuritaire difficile, en raison du conflit armé entre les rebelles de la région du Tigré, au nord, et les autorités gouvernementales.
On observera, par ailleurs, l’absence de beaucoup de Chefs d’Etat et de gouvernement africains pour ce sommet, y compris le nôtre. Le Président tunisien, depuis son élection, n’a jamais visité un seul pays de l’Afrique subsaharienne et n’a jamais pris part aux sommets de l’UA. C’est le Ministre des affaires étrangères qui représente la délégation tunisienne, sur instructions du Président. Encore une opportunité perdue afin de luire le blason, déjà terni, de notre pays au niveau de l’arène mondiale et durant les grands rendez-vous africains.
Il est dommage de constater que la Tunisie continue d’être absente et de garder le silence, alors qu’il était grand de temps de commencer à établir une vision stratégique et une politique étrangère plus active en Afrique, afin d’améliorer notre positionnement et consolider nos liens aves les autres pays africains, aussi bien dans le cadre bilatéral que dans le cadre des groupements régionaux et sous – régionaux.
Par ailleurs, il est tout aussi triste d’observer que les médias et l’opinion publique en Tunisie ne font pas assez, comme d’accoutumé, par rapport à la couverture médiatique des travaux de l’organisation panafricaine.
Parmi les moments forts de la session du Conseil exécutif cette année:
1. Les élections
(i) Élection et nomination d’une femme Vice-présidente du Conseil de l'Université panafricaine (UPA)
Le poste revient à une égyptienne.
La candidate Ameni Abdullah Al-Sharif, d'Égypte, Région du Nord, a remporté le poste de Vice-présidente du Conseil de l’Université panafricaine. Elle a obtenu 42 voix sur 51 pays au cinquième tour de scrutin. Elle était en concurrence avec la candidate Romila MOHI de Maurice, représentant la région de l'Est et la candidate Joséphine Kankolongo Ntumba du Congo, représentant la région du Centre.
L’Egypte renforce sa présence à la tête des hautes instances et organes de l’organisation panafricaine, d’autant plus que la Conseillère juridique de l’Union africaine, Mme Namira NEGM, est une égyptienne. Aussi, la Commissaire du portefeuille Energie et infrastructure, Mme. Ameni Abu Zid, est aussi égyptienne.
(ii) Élection et nomination d’une femme membre de l’AUABC de la Région du Nord
L'élection d'une femme membre du Conseil consultatif sur la lutte contre la corruption de l'Union africaine de la région du Nord sera reportée, en raison du manque de candidats pour le poste.
Nous espérons que d’ici les nouvelles élections, des candidatures féminines tunisiennes seront présentées pour ce poste, afin de renforcer la présence des hauts cadres tunisiens dans les différents organes de l’Union africaine.
(iii) Élection et nomination de quinze (15) membres du Conseil de paix et de sécurité (CPS) et Election de la Tunisie comme Etat membre du CPS
Il ya lieu de noter que 19 pays africains se sont présentés pour 15 sièges vacants au Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine.
Les pays qui ont été élus pour un mandat de trois ans sont : le Maroc pour la région Nord, le Cameroun pour la région Centre, Djibouti pour la région Est, la Namibie pour la région Sud et le Nigeria pour la région Ouest.
Les pays qui ont été élus pour un mandat d'une durée de deux ans sont : la Tunisie pour la région Nord, le Burundi et la République démocratique du Congo pour la région Centre, la Tanzanie et l'Ouganda pour la région Est, et le Ghana, le Sénégal et la Gambie pour la région Ouest.
La Somalie, l'Érythrée, le Tchad et l'Éthiopie n'ont pas été réélus et n'ont pas conservé leur siège au Conseil.
Aussi, il faut mentionner l'exclusion du Burkina Faso des élections du Conseil de paix et de sécurité et de son candidat au poste de vice-président de l’Université panafricaine, en raison du fait qu'il était soumis aux sanctions de l'organisation et à sa suspension, suite à un coup d'État militaire anticonstitutionnel.
Par ailleurs, il est important de rappeler que le Conseil de paix et de sécurité (CPS) est l’organe décisionnel et permanent de l’UA, responsable de la prévention, de la gestion et de la résolution des conflits. Il réunit 15 Etats membres élus. Il constitue le pilier central de l’Architecture africaine de paix et de sécurité qui regroupe les principaux mécanismes de l’UA chargés de la promotion de la paix, de la sécurité et de la stabilité en Afrique. Le CPS constitue un système collectif de sécurité et d’alerte rapide, visant à permettre une réponse rapide et efficace aux situations de conflit et de crise en Afrique.
Le CPS compte 15 membres élus par le Conseil exécutif de l’UA et approuvés par la Conférence lors de sa session subséquente. Cinq membres sont élus pour un mandat de trois ans et 10 membres pour un mandat de deux ans. Les membres sont élus selon les principes de la rotation et de la représentation régionale équitable. Les groupes régionaux décident de la rotation nationale.
La répartition des sièges entre les différentes régions de l’Afrique s’effectue généralement comme suit:
1. trois sièges pour l’Afrique australe;
2. trois sièges pour l’Afrique centrale;
3. trois sièges pour l’Afrique de l’Est;
4. quatre sièges pour l’Afrique de l’Ouest;
5. deux sièges pour l’Afrique du Nord.
Le bilan de cet organe, dans sa mission de maintien de la paix et de la sécurité en Afrique, semble mitigé, il est à la fois un organe théoriquement et institutionnellement bien structuré, mais au niveau de sa pratique et de ses actions sur le terrain, il souffre d’une forte dépendance de la volonté politique des Etats qui en sont membres, un handicap qui le paralyse souvent et qui rend les objectifs, dont il s’est dotés, difficilement réalisables.
2. Examen des rapports et autres documents et instruments juridiques
Le Conseil exécutif s’est également penché sur le rapport de la 43e session ordinaire du Comité des représentants permanents, le rapport annuel de l’Union et de ses organes, les rapports des comités du Conseil exécutif et des Comités ad hoc, le rapport de la troisième réunion de coordination semestrielle, le rapport d’étape sur la pandémie de Covid-19 et ses conséquences socio-économiques sur les économies africaines, le rapport d’avancement sur l’opérationnalisation du CDC Afrique, le rapport d’étape sur l’incident survenu au Parlement panafricain (PAP) et le rapport d’avancement sur l’état de la mise en œuvre des décisions antérieures du Conseil exécutif et de la Conférence, ainsi que l’examen de projets d’instruments juridiques.
Les Ministres des Affaires étrangères africains ont aussi procédé à l’adoption du projet de l’ordre du jour du 35e Sommet de l’UA et les décisions de la 40e session du Conseil exécutif. Parmi les points qui seront alors discutés au niveau de la Conférence:
a. Projet du Règlement financier révisé de l'UA;
b. Projet des Statuts et Règlements révisés du personnel de l'Union africaine;
c. Proposition d’amendement de l’article 22(1) de la Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption;
d. Projet de Protocole à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples relatif aux droits des citoyens à la protection sociale et à la sécurité sociale;
e. Projet d’amendement du statut de la Commission de l'Union africaine sur le droit international;
f. Projet de Règlement intérieur du Comité ministériel sur la mise en œuvre de l’Agenda 2063;
g. Projet de loi-type sur la protection des biens et du patrimoine culturels;
h. Projet de cadre pour la mise en œuvre des arrêts de la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples.
Aussi les rapports suivants vont être examinés :
a. Examen du rapport d'étape sur la pandémie de Covid-19 et son impact socio-économique sur les économies africaines;
b. Examen du rapport d'étape sur la mise en œuvre opérationnelle du CDC-Afrique;
c. Examen du rapport d'étape sur l'incident survenu au parlement panafricain (PAP);
d. Examen du rapport d'étape sur les conclusions des consultations régionales des Etats membres, conformément aux réserves émises sur la décision EX.CL/DEC.1100(XXXVII) relative à l'utilisation du barème des contributions du budget ordinaire pour évaluer les contributions des Etats membres au fonds de l'UA pour la paix;
e. Lancement du thème de l'Union africaine au titre de l'année 2022 : « Bâtir une résilience en matière de sécurité nutritionnelle et alimentaire sur le continent africain: renforcer l'agriculture, accélérer le développement socioéconomique et du capital humain ».
3. La délicate question de l'accréditation d'Israël comme observateur auprès de l'Union africaine
Parmi les moments forts tant attendus pour ce sommet, la question de l'accréditation d'Israël comme observateur auprès de l'Union africaine. C’est un sujet inattendu qui s'est invité dans les débats et qui pourrait donner lieu à de vifs échanges.
La polémique a éclaté en juillet 2021, lorsque le Président de la Commission de l'Union africaine a accepté l'accréditation d'Israël, avec le statut d'observateur. Israël était accrédité auprès de l'Organisation de l'Unité africaine (OUA), puis a perdu ce statut lorsque cette dernière, créée en 1963, a été dissoute et remplacée par l'UA en 2002.
Les principaux Etats qui soutiennent Israël sont le Rwanda et le Maroc. Alors que l’Algérie et l’Afrique du sud militent pour la non acceptation d’Israël dans cette position d’Observateur.
De nombreux pays africains n'ont pas exprimé leur position et toute décision sur ce sujet nécessitera un soutien des deux-tiers des États membres.
Les États qui s'opposaient à l'accréditation d'Israël comme observateur auprès de l'Union africaine estimaient que cette accréditation violait l'esprit des principes et objectifs de l'Acte constitutif de l'Union africaine, notamment le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, le respect des principes démocratiques, des droits de l’Homme et de l’Etat de droit et de la bonne gouvernance, le respect du caractère sacro-saint de la vie humaine et la condamnation et le rejet de l’impunité, des assassinats politiques, des actes de terrorisme et des activités subversives. Ce sont là des principes trop souvent violés par Israël.
L’Union africaine est très attendu par rapport à la suite à donner à cette procédure.
En conclusion
L’Union africaine, vingt ans après sa création, peine toujours à réaliser les rêves des pères fondateurs du panafricanisme, en dépit de l’entrée en vigueur de l’Accord sur la zone économique de libre échange sur le continent africain, début de l’année 2021.
L’intégration de l’Afrique passe par des chantiers énormes sur tous les plans et dans tous les domaines. C’est un processus très difficile qui demande, au dessus tout, une réelle volonté politique de part les leaders africains dans le sens de l’unité et de la solidarité.
Néanmoins, les ingérences extérieures continuent de diviser les pays africains. Le continent le plus riche continue de nous surprendre, en étant dans le top des pays les plus corrompus, les plus pauvres, les plus conflictuels, là où la menace terroriste pèse le plus, là ou les mouvements de réfugiés, de déplacés internes et d’immigrés clandestins sont les plus importants.
Dans ces circonstances, la Tunisie peine à se positionner. Les gouvernements tunisiens d’aujourd’hui ignorent l’Africanité de la Tunisie, que ce soit délibérément ou par amnésie.
Il est important, pour la diplomatie tunisienne, de saisir au mieux ces opportunités et ces occasions périodiques de haute importance, pour chercher de meilleures circonstances de coopération, mieux se positionner dans la plaque tournante de l’Afrique, là où notre avenir sera mieux bâti et là nos jeunes trouveront meilleures opportunités d’emploi et d’épanouissement.
Par ailleurs, la crise économique en Tunisie, qui dure depuis des années, peut trouver de meilleurs issues, lors de ce genre de fora et lors de ces importantes occasions, si les représentants de la délégation tunisienne s’y préparent mieux et s’y investissent plus.
Hajer Gueldich
Professeure agrégée des Universités à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis- Université de Carthage,
Directrice du Master de recherche en droit et politiques de l’Union africaine et Responsable de la Chaire des études africaines
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