Opinions - 03.09.2021

Les batailles de Kais Saïed… Pour comprendre l’agenda du Président

Les batailles de Kais Saïed… Pour comprendre l’agenda du Président

Par Sofiane Zribi - On peut reprocher au président Kais Saïed de faire du populisme à deux sous, d’agir contre les hommes d’affaires et de se faire une sorte de Hugo Chavez ou tout autre politique que les têtes bien pensantes du capitalisme mondial ont en horreur.

Bien plus proches de nous, certains lui reprochent du faire du Kadhafi alors qu’on voit fleurir les appels à relire le Livre Vert pour se convaincre de sa démarche.

En gros, Kais Saïed est décrit par les uns comme un dangereux communiste, un anarchiste pour les autres et pour les poules mouillées toujours angoissées devant les visages barbus, un extrémiste islamiste camouflé.

Ils donnent pour preuves un café qu’il avait pris il y a des années avec un certain Ridha Belhadj porte-parole du parti Hizb Ettahrir, ses amitiés supposées avec des partisans de l’extrême gauche ou, mieux encore, le fait que son frère Naoufel, ait eu une activité intellectuelle et une responsabilité au sein d'une association légale depuis Ben Ali où s’activaient des universitaires de tous bords, autour de la question de la citoyenneté en Islam.

Loin de ces gesticulations de pacotille, alors que le président tunisien a suspendu le parlement et concentré entre ses mains, provisoirement tous les pouvoirs, il nous appartient d’analyser ce qui le motive et vers où il se dirige alors que combien même il jouit d’un soutien populaire massif.

Ce n’est pas une entreprise aisée, Kais Saïed communique très peu avec les médias. Dans la situation actuelle très tendue du pays, il partage peu ses intentions, craignant sans doute que le moindre faux pas ou un mot de travers puisse être exploité par ses adversaires.

Kais Saïed ne s’est jamais présenté comme un idéologue, ni comme un partisan d’une quelconque doctrine politique ou économique ou théologique. En ce sens, il se rapproche dans les faits, du pragmatisme bourguibien plus qu’autres choses.

Il affiche clairement, qu’il a le sens de l’état au plus haut degré et dans sa toute noblesse, un état juste, fort au service des citoyens. Un état qu’il juge actuellement en danger, estimant qu’une frange de son administration a abandonné son rôle et s’est laissée gravement corrompre.

Il ne croit pas au développement centralisé, comme il l’a mentionné à plus d’une reprise. Il souhaite laisser une plus grande place de manœuvre et de liberté au niveau local et régional, mais ça ce n’est pas sa préoccupation, majeure, et la plus urgente pour l’instant.

Kais Saïed part de l’analyse que l’économie tunisienne est étouffée par la mainmise de certaines familles et de cartels sur tous ses rouages.

Ces mêmes forces occultes ont soumis progressivement l’administration au service de leurs intérêts depuis l’indépendance.

Le parti Destourien, qui est resté parti unique de fait jusqu’à 2011 pouvait encadrer les acteurs économiques les moins pointilleux avec la loi et distribuait les avantages selon le bon vouloir du président et les services rendus du bénéficiaire.

Depuis le soulèvement de 2011, c’est une mosaïque de partis qui accède au parlement. Des coalitions plus ou moins hétéroclites et contre nature gouvernent depuis lors le pays. Le besoin en argent des mouvements politiques n’a jamais été aussi grand. Certains affairistes ont trouvé dans l’instrumentation des partis politiques un moyen pour contrôler le pouvoir et faire en sorte qu’il serve leurs intérêts. Des partis de premier plan, ont eu ainsi recours au soutien financier d’affairistes et de contrebandiers en contrepartie de prébendes, d’exclusivité sur certaines importations ou d’autorisations administratives sur-mesure si ce n’est de fermer les yeux sur certaines activités criminelles.

La démocratie Tunisienne s’est enrayée car l’argent sale est devenu le sang qui nourrit la vie politique

Kais Saïed croit fermement que ce couple malsain « argent et politique » doit cesser. Il n’est pas contre la libre entreprise ni contre la libre concurrence, répète-t-il, ni contre le fait que les gens honnêtes puissent profiter de leurs gains et de leur fortune. Ce qui le révolte c’est quand l’administration tombe sous la coupe et au service des possesseurs de l’argent. L’État devient alors la propriété des nantis et non de tous les citoyens.

C’est à ce lien vicieux qu’il s’attaque, et c’est contre ce lien que portent ses préoccupations immédiates : l’économie de rente !

Ses adversaires déclarés sont:

Tout d’abord certains partis politiques qui se sont laissé corrompre, et les dirigeants qui sont à leurs têtes,

Les responsables qui se sont succédé à des postes de ministériels clés ou autres ayant toléré un tel état de déliquescence qui met aujourd’hui la Tunisie économiquement à genoux ou pire qui se sont laissé corrompre.

Les hommes d’affaires véreux qui ont plus que profité du système

Certains magistrats qui se sont laissé corrompre pour étouffer les affaires qui ont pu être soulevées contre le système les unes à la suite des autres.

Il mène en quelques sortes une opération mains propres pour rendre à l’État tunisien sa fierté, à la justice son respect et à l’économie sa liberté et l’égalité entre les différents investisseurs et acteurs économiques. En la matière, il ne fait que remettre en marche les principes oubliés de la bonne gouvernance.

Vu sous cet angle, on comprend du moins en partie, ce qui l’a motivé le soir du 25 juillet 2021 pour ouvrir ce front à multiples visages contre les partis, le parlement, les juges corrompus et les affairistes véreux et les batailles qu’il mène tous azimuts avec pour seul soutien une popularité inébranlable réelle et forte dans toutes franges de la société.

L’économie tunisienne a été de tout temps le fruit d’une entente cordiale entre le pouvoir, l’argent et le travail. Le chef d’orchestre était le parti destourien qui englobait en son sein les responsables de l’UGTT comme ceux de l’UTICA. Cette entente cordiale a été maintenue du temps de Béji Caïd Essebsi et couronnée par un prix Nobel mais le jeu et la concurrence entre les partis politiques et leur manque de discernement quant aux sources de financement a fait tomber l’édifice sur leurs têtes.

Les risques pour Kais Saïed, en menant toutes ces batailles sur un même front et en même temps est de mettre encore plus à genoux l’économie en faisant fuir des acteurs économiques à la limite de la légalité ou en attisant une confrontation grave entre les nantis et les nécessiteux. Le risque de fracture de la Tunisie, alors que des dangers extérieurs la guettent est trop grand ce qui réduit considérablement sa marge de manœuvre et explique le gap entre ses déclarations et son action sur le terrain.

Mais l’attentisme ne peut durer éternellement. Le président doit user de méthode et d’étapes pour ne pas faire effondrer ce qui reste de l’économie. Les urgences sont simples : écarter les brebis galeuses du circuit économique, nettoyer la justice et sanctionner les partis qui ont tendus la main à l’argent sale, ceci tout en redonnant confiance aux Tunisiens comme aux étrangers dans la Tunisie qui se prépare à advenir : propre, juste, laborieuse et compétitive. C’est vrai que les termes de l’équation ne sont pas évidents, c’est vrai aussi qu’il va falloir faire preuve de mansuétude devant l’étendue du phénomène de la corruption, c’est vrai aussi qu’il faudrait savoir tourner certaines pages et commencer d’autres sur des bases saines. Mais in fine, c’est l’intérêt de la Tunisie et des Tunisiens qui prime avant tout et je pense que Kais Saïed a bien conscience de tout cela.

Sofiane Zribi

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