Mechichi et le cercle de feu
Est-il l’homme de la situation ? Lui-même, Hichem Mechichi, devrait s’interroger face à ce qu’il découvre, ce qu’il subit. La réponse serait comment pourrait-il l’être effectivement. Changer de chef de gouvernement tous les trois mois ajoute à la crise aiguë et aux risques d’une instabilité continue. Rien ne sert d’y procéder si les facteurs aggravants demeurent. Les mêmes causes produiront les mêmes effets : il faut agir à la source. Comment alors y remédier ?
Durant ses cent premiers jours à la Kasbah, Mechichi a tenté de surfer sur toutes les vagues, le temps d’asseoir son pouvoir,— ténu d’avance,— et de faire adopter le budget 2021. Pour désamorcer les revendications sociales et réduire les pressions des partis qui le soutiennent, le prix à payer est de faire des concessions. El Kamour ? Oui ! Un hôpital réservé aux magistrats ? Oui ! Des augmentations salariales additionnelles pour les magistrats ? Oui ! Placement de conseillers à la Kasbah ? Oui ! Nominations à de hautes fonctions ? Oui !
Evidemment, quelques coups de semonce, ici et là, pour exister. Sans aller plus loin. A-t-il demandé à ses ministres présents à l’ARP de se retirer lorsque le député Affès s’est violemment attaqué à la femme et à ses droits ? A-t-il publiquement dénoncé les propos outrageants proférés par le président d’un groupe parlementaire, Seif Makhlouf, contre le chef de l’État ? A-t-il honoré l’engagement du gouvernement signataire de l’amendement de la convention collective dans le secteur de la presse écrite et fait publier l’arrêté y afférent ? Les occasions manquées sont nombreuses.
Sur le plan international, c’est le manque de visibilité qui interpelle le plus les partenaires de la Tunisie. Ils veulent savoir quelle vision globale porte le pays sur les grandes orientations stratégiques. Un Etat civil, séculier, bannissant l’application de la charia, un total respect des libertés et des droits de l’homme, une économie ouverte au libre-échange, un arrimage interactif à l’Europe, une collaboration étroite avec le FMI et les autres bailleurs de fonds, un approfondissement du tracé démocratique…
De la Tunisie, ses partenaires attendent également des demandes claires et des engagements fermes. Ils reconnaissent certes le contexte très particulier que traverse le pays et les difficultés multiples, politiques, économiques et sociales qui accablent le gouvernement, mais les interlocuteurs de Mechichi cherchent à mieux comprendre pour mieux répondre aux attentes.
La rencontre du chef du gouvernement avec les ambassadeurs des 27 pays membres de l’Union européenne ainsi que l’ambassadeur de l’UE à Tunis, la première du genre depuis des années, a amorcé un dialogue attendu.
La visite de Mechichi à Paris, le 14 décembre dernier, était nécessaire et utile. Brocardée par certains qui lui reprochent un manque de préparation et un déficit de communication, elle aura eu le mérite d’établir une relation personnelle directe avec le locataire de Matignon, les dirigeants du Medef, des membres de la communauté tunisienne et les chefs des représentations économiques et postes consulaires tunisiens en France. L’entretien qu’a eu à cette même occasion Ali Kooli, à Bercy, avec son homologue Bruno Le Maire a eu le mérite d’exposer la démarche économique et financière de la Tunisie.
L’étape romaine, reportée en dernière minute, s’inscrivait sur cette même lancée, avec en plus le statut de l’Italie en tant que président en exercice du G20. Bruxelles serait la prochaine étape, indispensable.
Ce déploiement diplomatique ne saurait porter ses fruits sans un renforcement des fondamentaux et une clarification du programme. Que compte faire Mechichi ? Saura-t-il rallumer la flamme de l’espoir pour les Tunisiens et reconquérir l’intérêt de la communauté internationale en faveur du pays ?
Tout dépendra de sa détermination à réussir et de son plan pour y parvenir. Pris dans un cercle de feu qui le menace d’embrasement, la marge de manœuvre du chef du gouvernement s’avère réduite. Au milieu de tant d’alliances politiques qui se dénouent et se renouent sans fondement programmatique au service du bien public, et d’une fragmentation parlementaire handicapante, il se trouve esseulé à la barre. Privé en plus d’un soutien plein et entier des équipes qui entourent le chef de l’État.
Mechichi n’a pas beaucoup de choix. Sa ligne de conduite passe nécessairement par l’apaisement et le renforcement de ses relations avec Carthage, d’un côté, et l’ARP de l’autre. Elle doit s’appuyer sur une clarification nette de sa vision et de son programme, décliné en plan d’action et une consolidation de son gouvernement ainsi que de son staff. Aucun membre réfractaire à son autorité de chef de gouvernement ne saurait continuer dans ses fonctions. Aucun ministre ou secrétaire d’État défaillant ne mérite d’être maintenu. Aucun conseiller dilettante, inefficace, incompétent ne saurait tarder à rester à la Kasbah.
Rattrapage, recentrage et accélération sont les maîtres mots pour éviter le naufrage.
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Mechichi n'a pas d'autre choix que de veiller à consolider sa ceinture politique laquelle sans son appui entraînera irréversiblement la chute de son gouvernement.On ne peut pas satisfaire tout le monde,On joue le jeu avec la majorité si non on fait du sur place.
Très bel article, mais il aurait fallu préciser quelles pourraient être les priorités du chef du gouvernement, évaluer la prestation de certains ministres...