News - 09.08.2025

Ridha Bergaoui : La tomate, notre allié alimentaire, économique et stratégique

 Ridha Bergaoui : La tomate, notre allié alimentaire, économique et stratégique

La tomate est de nos jours un ingrédient incontournable de la cuisine moderne. Elle est omniprésente dans les assiettes du monde entier. C’est un aliment stratégique de base pour de nombreux pays comme la Tunisie. Elle est polyvalente et se consomme fraîche, cuisinée, séchée, en jus, en sauce, en concentré, en ketchup ou en purée. On en trouve de toutes les formes : ronde, allongée, cerise… et de différentes couleurs : noire, verte, jaune, etc.

Du point de vue botanique, la tomate est un fruit qui provient d’une fleur. En cuisine, elle est considérée comme légume du fait de son utilisation dans des plats salés.

Petite histoire de la tomate

La tomate (Solanum lycopersicum) est originaire des régions de l’Amérique centrale et du Sud (Pérou, Équateur, Bolivie), cultivée et cuisinée depuis des siècles par les anciennes civilisations précolombiennes, notamment les Aztèques et les Mayas.

Introduite en Europe au XVIe siècle par les explorateurs espagnols, la tomate suscita d’abord méfiance et confusion. Sa couleur rouge, sa forme pulpeuse et son appartenance à la famille des solanacées firent penser qu’elle était toxique. Elle fut longtemps boudée, cultivée uniquement comme plante ornementale. Il a fallu attendre le XVIIIe siècle pour que la tomate commence à être utilisée en cuisine, surtout en Italie, en Espagne et dans le bassin méditerranéen.  Au XIXe siècle, la tomate fut définitivement adoptée et devint même un aliment essentiel. Le développement des industries agroalimentaires et la mise en conserve sous forme de concentré vont accélérer et généraliser sa diffusion et sa consommation. 
Aujourd’hui, la tomate est le légume-fruit le plus cultivé au monde (devant l’oignon et la pastèque). C’est également l’un des aliments les plus consommés. Elle est cultivée dans presque tous les pays, avec une production annuelle mondiale dépassant 190 millions de tonnes. La Chine, l’Inde, les Etats-Unis, la Turquie et l’Egypte sont les principaux producteurs. La tomate est consommée essentiellement fraîche (environ 75% de la production). Le reste est transformé en concentré de tomate, tomates pelées, concassée, sauces, ketchup, jus, soupes… La demande mondiale est en hausse, en rapport avec l’urbanisation et la mondialisation.  Le Tunisien est parmi les gros consommateurs de tomate (environ 40-50 kg/habitant par an) après la Turquie, l’Egypte, l’Italie, l’Espagne et l’Iran.Pour terminer ce petit aperçu historique, quatre informations intéressantes:

1/ En Europe, au 16e siècle, la tomate était considérée comme toxique. En effet, les aristocrates mangeaient dans des assiettes en plomb, l’acidité de la tomate en réagissant avec le plomb, provoquait des intoxications, d’où la croyance que la tomate tue. 
2/ A l’origine, au 19e siècle aux États-Unis, le ketchup à base de tomate était vendu comme sirop médical contre les troubles digestifs. 
3/ Chaque année à Buñol (près de Valence, en Espagne), au mois d’août, on célèbre la « Tomatina », une gigantesque bataille de tomates, où des milliers de participants se lancent des tomates. La fête dure une heure et nécessite plus de 100 tonnes de tomates écrasées dans les rues.
4/ La tomate cerise, cette petite tomate au goût sucré, n’est pas une invention récente. Elle existe à l’état sauvage et c’est l’une des formes anciennes de la tomate. Elle a été sélectionnée et développée seulement à partir de 1970 pour répondre à une demande croissante, surtout de la restauration pour la préparation de salades, des plats gastronomiques ou pour des apéritifs. Depuis, elle s’est imposée partout et ne cesse de se développer.

Composition et valeur nutritionnelle de la tomate

Composée de plus de 90% d’eau, la tomate est peu calorique (environ 18 kcal pour 100 g), intéressante pour des régimes amaigrissants. Elle est facile à digérer et rafraîchissante en été.

Riche en vitamines C, A, K et B, elle stimule l’immunité, bonne pour la peau, le cœur et tout l’organisme.  Utile pour la vue, elle protège contre la dégénérescence de la macula de l’œil, liée à l’âge, et d’autres maladies oculaires.Sa richesse en antioxydants (lycopène, bêta-carotène, et composés phytochimiques comme les flavonoïdes) en fait un aliment bénéfique contre le vieillissement cellulaire, les pathologies cardio-vasculaires et certains cancers. Cuite, elle libère mieux son lycopène, stable à haute température et liposoluble, mieux assimilé en présence d’huile. Ceci rend les sauces plus intéressantes que les tomates crues.

Cependant, chez les personnes sensibles, la tomate étant acide (ph =4), elle peut parfois provoquer, consommée en grande quantité crue ou en jus, des reflux gastro-œsophagiens et des gastrites.

La tomate en Tunisie

En Tunisie, la tomate est un ingrédient indispensable de la cuisine traditionnelle. Elle sert à préparer de la sauce entrant dans pratiquement tous les plats cuisinés, durant toute l’année. Elle est utilisée fraîche, surtout en saison lorsque les prix sont relativement bas, et souvent en concentré.La culture de la tomate est l’une des plus importantes parmi les cultures maraîchères. La superficie cultivée est de 24-28 000 ha/an et une production de 1,1 à 1,4 million de tonnes, selon les conditions climatiques et la disponibilité en eau. La tomate est cultivée pratiquement dans tout le pays mais plus particulièrement dans le Centre et le Sud (Kairouan, Sidi Bouzid, Gabès, Médenine), ainsi qu'au Cap Bon, Zaghouan, Mahdia et Monastir. Elle est cultivée aussi bien en plein champ en irrigué, surtout en été, ou sous serre pour une production hivernale et printanière, principalement dans le Cap Bon et le Sahel. Chaque année, 500 à 600 000 tonnes (soit environ la moitié de la production totale) sont utilisées pour la transformation en concentré en été (de juin à septembre), dans environ une vingtaine d’unités industrielles.

La tomate est consommée localement et exportée en frais, en de quantités limitées, vers les pays du Golfe et la Libye. En concentré, la tomate est exportée vers de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, en Europe, dans les pays arabes. En 2023, la Tunisie a exporté environ 13 000 tonnes de tomates double concentré. Il faut compter de 6 à 8 kg de tomate pour produire 1 kg de double concentré de tomate. Les variétés de tomate destinées à la transformation se distinguent des variétés de consommation en frais. Pour être rentables, elles doivent être à fort rendement, riches en matière sèche et de bonne conservation.

La tomate séchée connaît une demande en pleine expansion. La tomate peut être séchée naturellement au soleil, en été ou d’une façon industrielle dans des séchoirs à air chaud. L’Italie, la France, l’Allemagne et les Etats-Unis sont nos principaux clients.
Une forte demande en tomate cerise existe. La Tunisie produit de 12 à 15 000 tonnes (soit environ 3% de la production de tomate).

ette production est localisée dans la région de Ben Arous, au Sahel, au Cap Bon sous serre ou tunnels et au Sud (Gabès et Médenine) en hors sol et eaux géothermales permettant une production hors saison (de décembre à avril). Les variétés sont des hybrides importés, l’irrigation est localisée avec un palissage vertical. Le rendement est de 10 à 15 kg/m². La tomate cerise est très appréciée pour sa saveur sucrée, cependant son prix relativement élevé limite sa consommation courante. On constate toutefois une évolution dans les habitudes alimentaires locales vers l’intégration de la tomate cerise. Elle est surtout exportée vers l’Europe, la Libye et les pays du Golfe. La tomate cerise représente un créneau à forte valeur ajoutée, adaptée aux petites exploitations bien équipées et à une stratégie de diversification.

Les difficultés et défis du secteur

La filière tomate fait face à de nombreuses difficultés tant au niveau de la production que de la transformation. La tomate, surtout de saison en plein air, est une culture très exigeante en eau. Elle est sensible aux maladies et ravageurs. Les rendements et la production sont irréguliers, en fonction des conditions climatiques et des apports d’eau d’irrigation. L’augmentation des prix des intrants et les problèmes de commercialisation, surtout en période de surproduction, représentent des défis importants. Le réchauffement climatique amplifie les difficultés tant au niveau de la disponibilité de l’eau qu’au niveau de l’apparition des maladies, la qualité des fruits et le calendrier cultural. Les températures extrêmes peuvent entraîner une mauvaise fécondation, une chute des fleurs, de petites tomates, des brûlures du fruit (coup de soleil) et une baisse de la qualité du fruit et du concentré. La raréfaction des ressources en eau et la salinisation entraînent une chute importante de la production et de la qualité. Les maladies, favorisées par la chaleur, peuvent entraîner une chute de 30 -80% de la production.

Dans un pays en stress hydrique chronique comme la Tunisie, l’eau est une ressource stratégique. La tomate étant grosse consommatrice d’eau, il est nécessaire de bien programmer les cultures pour éviter les surproductions, de contrôler les cultures surtout dans les zones qui souffrent de manque d’eau, d’utiliser des systèmes d’irrigation économes et de valoriser d’une façon intelligente la production de tomate (tomate séchée au soleil plutôt que le concentré).

Afin de garantir la durabilité de la filière, il est nécessaire:

D’utiliser irrigation localisée goutte-à-goutte et de sélectionner des variétés adaptées et résistantes
Modifier le calendrier cultural pour épargner aux plantes les pointes de chaleur
Diversifier les produits (tomates pelées, sauces, ketchup...)
Soutenir les producteurs de la tomate industrielle, surtout que les prix à la livraison aux usines sont faibles et la rentabilité est réduite.

Quoique les industries de transformation jouent un rôle socioéconomique très important dans la valorisation de la tomate de saison, malheureusement certaines usines respectent peu les normes environnementales et les problèmes de pollution des oueds et des plages en été sont souvent évoqués par les habitants. Il est important et urgent de respecter les normes environnementales et de faire évoluer ce secteur vers une production propre et durable.

Conclusion

La tomate est non seulement savoureuse et polyvalente, mais elle est également riche en éléments nutritifs, bénéfiques pour la santé. Elle incarne également la richesse de nos traditions culinaires.

La filière de la tomate est stratégique et importante tant pour la consommation en tomate fraîche que pour la transformation industrielle en concentré ou tomate séchée. Elle représente un levier important pour l’emploi et la sécurité alimentaire. Les industries de transformation jouent un rôle important dans l’économie agricole. L’exportation de la tomate représente par ailleurs une part importante des recettes de l’agroalimentaire.

Le réchauffement climatique est une menace sérieuse pour la durabilité de la filière tomate. Il affecte les ressources hydriques et les productions. Il est nécessaire de s’adapter au stress hydrique et à la salinité de l’eau par la sélection de variétés et de porte-greffes adaptés. Le développement de la production de tomate séchée, peu énergivore, est une façon de renforcer la résilience de la filière et constitue une bonne valorisation de la tomate.Par ses aspects à la fois alimentaire, économique et stratégique, la tomate est un produit vital pour notre agriculture. La Tunisie dispose d’atouts importants pour renforcer son positionnement, surtout dans les créneaux du concentré de tomate, tomate séchée et tomate cerise. La production sous label qualité (bio ou AOP ou AGP…) serait un atout supplémentaire.

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Ridha Bergaoui


 

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