Tunisie: Le ciel est noir, une pluie noire va tomber !
Par Monji Ben Raies - Depuis la fin du confinement une sorte de nostalgie voire une anxiété décuplée est ressentie. Le déconfinement était très attendu, mais parfois redouté. Alors que certains attendaient le 4 mai comme une véritable libération après sept semaines d’enfermement forcé et enchaînent depuis, les dates, les visites à leurs proches et les longues balades, d’autres craignent ce déconfinement que le pays vit depuis. Le confinement leur avait apporté bien des choses. Ils ont vécu des moments privilégiés en famille ou en couple, pu se remettre à certaines activités manuelles (couture, coloriage…), cuisiner des repas maison, faire le bilan de leur vie, accorder plus d’écoute aux membres de la famille… Bref, ils ont eu le luxe d’avoir du temps, cette denrée si rare et d’autant précieuse, dans la vie moderne. Pour certains, cela a aussi été un changement radical et bénéfique. Des joies du grand air, au test du télétravail, en passant par une remise en question des relations individuelles, certains confinés solo se sont recentrés sur eux-mêmes et cela leur a fait du bien. Ils auraient même aimé que cela dure un petit peu plus longtemps.
Ceux qui pensaient que le monde allait changer, que la société de consommation serait derrière nous, que le Covid-19 aura été le signal d’alarme d’une planète qui va mal, que tous et toutes nous repenserions nos modes de vie pour qu’ils soient plus vertueux ont déchanté en voyant le comportement général. Toutes ces personnes n’ont pas mal vécu leur quarantaine. En réalité, elles ont même apprécié cette parenthèse dans leur vie. Mais le revers de la médaille, c’est qu’elles n’avaient pas du tout envie de sortir de leur bulle. Le déconfinement leur apparaissait comme une menace, une échéance redoutable, une angoisse. Abandonner les nouvelles habitudes prises pendant le confinement, la routine qui s’était malgré tout installée et le sentiment de sécurité qu’on avait à rester chez soi, pour un retour à la vie presque normale était alors trop rapide, trop abrupt. Les files d’attente interminables devant des magasins, post-confinement, annoncées, il n’y en a pas. Au contraire, les gens font comme si rien ne s’était passé ; comme si cet épisode de leur vie était loin derrière eux. Plus de distanciation sociale, plus de masque obligatoire, plus d’interdiction de s’installer dans les cafés et restaurants. Même les administrations et les lieux publics font de même. Les évènements familiaux se déroulent comme auparavant. Mariages, circoncisions, contrats, c’est comme si l’espace de temps situé entre février 2020 et mai 2020 n’avait jamais eu lieu, n’était qu’un mauvais rêve collectif. Un cauchemar mesuré au rythme du décompte des victimes égrené quotidiennement. Du jour au lendemain on nous a dit « retour à la vie normale », « plus de nouveaux cas », « apprendre à vivre avec le virus », autant de paroles creuses qui n’ont pas résisté à la réalité sociétale, à la nature humaine et à la démission des pouvoirs publics. Ce n’est qu’entassement de masse dans les parcs, les espaces de loisir, les cafés.
Nous vivons aujourd’hui la période du ‘’advienne que pourra, le destin en décidera’’, avec une entité de plus à considérer dans notre vie, qui s’ajoute au background des épreuves qui pèsent sur l’Humanité. Après une gestion relative de la première vague de Covid-19, les autorités tunisiennes semblent dépassées par l’ampleur des défis et des pressions, notamment sur le plan économique. Les autorités ont, en effet, rouvert les frontières du pays, dans une tentative désespérée de sauver ce qui reste de la saison touristique sans grand succès en raison de décisions incertaines et hésitantes, assortie d’une communication hasardeuse et non-convaincante. La communication de l’information est manipulée, les mêmes images sont rediffusées encore et encore, de jour en jour. La reprise de l’épidémie est minimisée de manière dangereuse. Mais avons-nous les moyens de rouvrir nos portes au monde, tout en préservant et en privilégiant la santé des citoyens et continuer à contrôler la maladie ? Il est légitime d’en douter fortement. Ce qui laisse à penser que les décisions prises pour affronter la suite de l’épidémie ne sont ni étudiées ni réfléchies, mais improvisées, dictées par la lassitude et les contraintes séculières. De toute évidence, la Tunisie ne peut matériellement tester d’un point de vue virologique toutes les personnes arrivant de l’étranger et suspectées de porter le virus. D’autant que les règles sanitaires sont constamment transgressées quand elles ne sont pas refusées délibérément par récalcitrance ; de nombreux voyageurs tunisiens présentent des attestations de tests falsifiées en toute impunité, sans suivi de leurs mouvements et déplacements dans le pays. Plusieurs personnes qui s’étaient présentées avec des tests négatifs, se sont avérés, par la suite, infectées par le virus ; de nombreux arrivants ont été exemptés de la présentation de bilans virologiques, auxquels s’ajoutent les tests virologiques douteux, le laxisme montré par les autorités de sécurité face à l’entêtement des tunisiens résidant à l’étranger refusant toutes formes de confinement… S’ajoute à cela, la nonchalance coupable des citoyens qui ont vite fait d’oublier les craintes et vieux démons, les bonnes résolutions prises, ainsi que les bons gestes assimilés et qu’ils se sont promis d’adopter pour toujours confortés par l’inaction complice des autorités. Ils ne sont plus prêts à les croire, à force d’avoir crié au loup, après tous les excès commis au plan de la communication, à la persistance du risque réel de reprise de l’épidémie.
La Tunisie est en passe de perdre tous ses acquis face à la maladie, si l’on en juge par le nombre de cas, de plus en plus nombreux, de malades détectés, parmi les tunisiens et Sub-Sahariens venus de l’étranger par voies légales ou clandestine. Aussi la situation est-elle appelée à se compliquer davantage, quand il sera question d’accueillir les milliers de touristes dont les autorités espèrent l’arrivée. L’Etat n’a plus les moyens d’une deuxième période de confinement général, comme cela est en train de se faire dans de nombreux pays du monde, parmi lesquels, ceux auxquels la Tunisie a ouvert, sans retenue, ses frontières.
Dans un autre registre, nous vivons des temps de turbulences politiques, les querelles politiques ont repris le dessus et dominent le devant de la scène. La criminalité financière a envahi l’espace public et est en passe de devenir un comportement ordinaire. Les personnalités considérées intègres se révèlent corrompues, vénales et assoiffées d’argent, pour l’obtention duquel toutes les occasions sont bonnes, même sur fond de crise sanitaire et de dénuement social. Des citoyens se sont trouvés dans le dénuement le plus total, à qui on a encore demandé de nouveaux sacrifices, la misère gronde, alors que des responsables au sommet de l’échelle faisaient leurs petites affaires avec l’argent des contribuables et les deniers publics pour s’enrichir davantage. On parle de conflit d’intérêt, d’abus de position dominante, d’abus de confiance et même de délit d’initié, mais ce ne sont que des mots et une situation scandaleuse perdure, celle d’un haut responsable, primat de l’Etat, sur lequel pèse toutes ces accusations et qui reste toujours en fonction et décide toujours au nom et pour le compte de l’Etat. La concomitance entre politique et activités entrepreneuriales, si elle peut paraître juridiquement légale, est immorale et incongrue sur le plan éthique et déontologique car l’amalgame est soupçonneux et la confusion des genres est suspicieuse. Pris de court et acculés dans leurs derniers retranchements, les farouches défenseurs de l’exemplarité et chantres de l’intégrité sont dans une impasse infranchissable face à cette confusion entre politique et argent. Son audace a été culminante quand il a osé déclarer qu’il pourrait réduire les salaires des fonctionnaires, d’autorité. Il a oublié de parler de son propre salaire qui lui, est intouchable ; ou des dividendes qu’il reçoit des différentes sociétés dont il est actionnaire ou le propriétaire. Face à tous ces griefs, le discours d’austérité, les appels à la patience et les discours pompeux d’exemplarité morale et politique de l’actuel gouvernement sont devenus inaudibles. Comment convaincre les tunisiens de sa droiture, si tant est qu’elle existât, alors que le sommet de l’Etat est miné ? Comment convaincre tous les chômeurs que les caisses de l’Etat sont vides, alors qu’un des plus hauts responsables s’est octroyé un contrat mirobolant de 45 Millions de Dinars ? Comment justifier les retenues obligatoires de solidarité pour les retraités alors que l’Etat est le payeur de ces contrats ? Une commission théâtrale d’enquête (la Commission du règlement intérieur, de l’immunité, des lois parlementaires et des lois électorales) a été convoquée pour connaître de l’enquête sur ledit conflit d’intérêt qui pèse sur le chef du gouvernement ; celle-ci a d’ailleurs commencé son travail par une violation de l’article 64 du règlement intérieur de l’ARP, relatif à sa composition et à sa représentativité. Encore une mascarade de plus pour décréter l’indécrétable et que ce qui a été reproché n’avait pas de fondements ou au contraire était inconvenant, en fonction des circonstances. Le haut responsable en question s’en sortira blanc comme neige et plus riche, avec l’argent extorqué aux citoyens ou cloué au pilori. Au-delà de ces faits, des soupçons de corruption ont entaché l’équipe gouvernementale en exercice. Où est l’Etat de droit ? Où est l’égalité et la dignité ? Où est le respect et la redevabilité envers les citoyens ? La Tunisie se transforme peu à peu en république bananière, en une Colombie d’Afrique du Nord. La dignité n’a plus de sens, puisqu’elle est dans la dénomination même de partis politiques douteux et sans l’ombre d’un doute, mafieux, dont les ramifications avec certains groupes armés extrémistes basés en Libye et ailleurs, sont de notoriété publique. Le peuple tombe des nues, après la bévue électorale commise aux législatives, et se sent trahi.
Il a du mal à avaler le fait d’avoir dû faire des sacrifices drastiques durant le confinement, alors que le chef du gouvernement était en train de conclure un contrat de 45 millions de dinars. La criminalité s’est institutionnalisée et a envahi même les enceintes démocratiques. Des bandits ont obtenu des sièges au parlement. Des règlements de compte s’y déroulent en toute impunité, des menaces de mort, des mensonges éhontés diffusés par les media, un président de l’instance délibérante qui se mêle de domaines qui ne le concerne pas comme celui de la politique étrangère de l’Etat, fief de la Présidence de la République. Une atmosphère de complot contre l’Etat et ses institutions, commanditée par des forces occultes intérieures et ourdies par des puissances pas toujours étrangères qui voient d’un mauvais oeil la persistance de la transition démocratique tunisienne et qui voudraient avec force moyens la voir capoter. Une atmosphère sociale dont le seuil de tolérance est dépassé dans de nombreuses régions du sud. Un processus de décision arrêté, le temps suspendu. Le dernier épisode, la démission par le Président de la République du Chef du gouvernement est le sceau officiel de la faillite du système politique mis en place en 2014 par l’ANC dans la Constitution qu’elle a élaborée, le Système parlementaire, devenu par la force des évènements un ‘’Système Parlementariste’’. « Le ciel est noir, le ciel est noir, c’est une pluie noire qui va tomber ! » dit la chanson célèbre de Bob Dylan.
Le 27 juin 2020, nous avons réouvert les frontières de notre pays sur l’étranger. Là aussi c’est le « advienne que pourra » qui domine. La population est livrée en pâture au virus et ceux qui devront survivre, vivront, et ceux dont le destin est de mourir, mourront. Là aussi démission sanitaire. Sauvons la saison touristique est le mot d’ordre, même au mépris des conditions sanitaires ; sauvons l’année académique, même aux dépens de diplômes qui ne vaudront rien de plus que le papier sur lequel ils sont inscrits. Nous ne savons pratiquement rien sur le comportement saisonnier du virus Covid-19 qui circule toujours, suivant son propre circuit touristique. Nous avons enregistré beaucoup de nouveaux cas dont le nombre est en augmentation continue depuis le début du mois de juillet. Notre environnement sociétal et politique est en déliquescence et tous y contribuent, comme si plus rien n’était important… Les acquis de l’Etat, la laïcité, le processus démocratique et le modèle sociétal tunisien sont de plus en plus menacés. La fratrie musulmane au parlement (la coalition Al Karama, mais également le mouvement Ennahdha) multiplie leurs attaques contre les organisations nationales dans leurs tentatives de contrôler les rouages de l’Etat et d’instaurer la tyrannie dans le pays. Le gouvernement fait comme si de rien n’était et garde un silence suspect sur le phénomène de violence politique qui a contaminé nos institutions. Certains partis politiques d’obédience intégriste voudraient avoir une mainmise sur les médias afin d’annihiler la liberté de la communication audiovisuelle et la liberté d’expression et de la presse, et en font leur cheval de bataille pour manipuler l’opinion publique et servir des intérêts politiques obscures. Neuf mois après l’avènement de la nouvelle législature, un procès s’est ouvert, pour atteinte à l’article 6 de la Constitution tunisienne de 2014, édictant que "l’État protège la religion" et "le sacré", en vertu de l’article 52 du décret de loi relatif à la liberté de la presse ; une affaire qui avait une valeur de test, (non réussi par le système), pour évaluer l’effectivité et la portée de la liberté d'expression en Tunisie.
La confiance, ce maître mot, n’est plus, qu’elle soit envers l’Etat, envers les institutions décadentes de l’Etat, envers le discours politique, envers les hommes et les femmes. Pour autant, le chef de l'État a promis de se réinventer après la crise sanitaire ; il doit être conscient que les choses vont devoir bouger. Il aura à faire de vrais choix pour conduire le nouveau chemin et à mettre en oeuvre de nouveaux objectifs d'indépendance, de reconstruction, de réconciliation et de nouvelles méthodes avec une nouvelle équipe. De grands chantiers attendent un vrai gouvernement avec de vrais gouvernants, car ils n’accordent que peu de priorités, la relance de l'économie, la poursuite de la refondation de notre protection sociale et de l'environnement, le rétablissement d'un ordre républicain juste, la défense de la souveraineté intérieure et extérieure, la refondation des valeurs démocratiques justes et égalitaires. Il nous faut de nouveaux talents, des personnalités venues du territoire national, au fait de nos réalités et de nos spécificités et qui soient réellement compétentes et dotées de la compréhension de nos besoins. Le choix des hommes et des femmes est important, difficile et ingrat, mais les ambitions pour le pays sont plus grandes que nous, les institutions et leur calendrier s'imposent à nous. La Tunisie n'est pas sortie d'affaire. Nous ne sommes pas sortis de la crise sanitaire, contrairement aux apparences qui nous sont imposées par la masse, mais de sa phase la plus aiguë seulement. Nous devrions normalement être dans une phase de vigilance, mais il n’en est rien car la tendance est à l’imprudence. Un re-confinement général est exclus. Quant à une ré-accélération de la circulation du virus, nous ne savons pas, nous ne savons pas tout de cet ennemi, mais nous devrions normalement nous préparer à tout.
On ne peut avoir un pays subissant violemment la variation de l'environnement sans conséquences sur la gestion de l'Etat, et ces conséquences sont quantitatives (budget de fonctionnement des services) et qualitatives (compétences des gestionnaires affectés aux missions). La crise a d’ailleurs mis en évidence le besoin de gestion globale en liaison avec le local, et des carences en gestion courante et en prévision et gestion des risques permettant le contrôle et le pilotage efficient du pays. En matière de gestion, il n'y a plus que les autodidactes incultes qui n’ont au plus qu’une idée par jour, alors que les problèmes sont méconnus et irrésolus depuis longtemps. Il n'y a pas de palimpseste lorsque la gestion précédente est défaillante et qu'il faut innover. On déplorera sans la moindre réserve le défaut de cette capacité à se projeter dans l'avenir et penser le futur de la Tunisie qu’ont pu avoir les grands hommes de son histoire. Nous n’avons décidément pas de chances d'être dirigé par des hommes sans talents et frappés de cécité, des non-visionnaires qui ne cherchent pas à restaurer la grandeur de la Tunisie et à protéger son peuple. Engoncés dans des costumes, des fonctions et des palais trop grands pour eux, tout à leurs laborieux soucis de se servir eux-mêmes, les voici tous, ainsi que le disait, sans amabilité, Voltaire à propos de Beaumarchais, "il pèse des oeufs de mouche dans des balances en toile d'araignée". Certes la rentrée sociale sera difficile, mais souhaitons qu’elle soit paisible. Il y a des raisons de s'inquiéter, puisque l’orage gronde ; le remaniement gouvernemental qui se profile à l’horizon, va générer un nouveau gouvernement où le talent, la compétence et l'engagement sans faille au service du pays permettent toutes les conjectures et tous les doutes quand ce n’est pas de la désillusion. Notre pays a besoin d'esprits ouverts et de mains fermes. Il faudra raisonnablement au moins trois ou quatre ans pour rattraper les pertes et le manque à gagner liés au confinement. Des prévisions maussades qu’aucune épargne, aucune fiscalité et aucun emprunt ne pourront réchauffer. Quoiqu’il arrive, certains secteurs se retrouveront, malgré tout et plus que d’autres, enlisés dans une crise plus profonde encore. Une donnée clef, restaurer la confiance, doit être le grand enjeu d’un plan de relance.
Sur un autre chapitre, une année scolaire inédite, tourmentée et fragmentée s’achève. 2020, est forcément une année qui sera gravée dans le marbre de l’histoire, comme celle de toutes les exceptions. Pour nos élèves, le maintien des concours et examens nationaux est une prouesse, si l’on en juge par les péripéties qu’ils ont vécues. Des cours à distance, des profs en visioconférence, quelques soucis parfois à suivre la classe... Des moments de solitude aussi, entre les murs de leur chambre à se demander ce qui leur arrivait… Une impression de n’avoir pas fini l’année, de n’être pas rentrés en classe entièrement, de n’avoir pas vu leurs professeurs… Difficultés de garder le contact avec les élèves et leur famille et de les mettre en confiance. Un rituel sauvegardé, donc, à l’issue d’une année académique 2019- 2020particulière, dont les responsables de l’Education nationale ont dû inventer les modalités en quelques semaines. Dans la tourmente de la crise sanitaire, les chefs d'établissement se sont adaptés à une réalité biologique qu'ils ne maîtrisaient pas, au fur et à mesure des annonces officielles. A l'heure du dénouement de cette année, la bienveillance requise dans ces circonstances, pourrait-elle annoncer des diplômes au rabais, alors que les taux de réussite pourraient s'envoler ? Mais plus que la valeur du Certificat reçu, ce qui en jeu, c'est l'arrivée de ces jeunes dans les classes supérieures. Les universités verront cette vague humaine déferler et mettre à mal les capacités d’accueil. Quant aux plus jeunes, Ils auront eu six mois de vacances, dont deux de confinement, sans cadre scolaire avec emploi du temps. Aussi vont-ils demander plus d'attention, plus d'accompagnement. Les enseignants savent que pendant un trimestre ils vont devoir s'adapter à la nouvelle donne, afin de garantir l'équité nécessaire. Le confinement a été un terreau fertile relativement à la manière dont a évolué l’emploi du temps des enfants. Moins de travail scolaire, davantage de temps passé devant les écrans et l’importance de l’interaction entre professeurs et élèves. Le temps consacré au travail scolaire et à l’apprentissage a fortement diminué et les supports ont évolué en fonction des dispositifs pédagogiques proposés par les enseignants et les établissements. Avec le confinement, le temps passé sur les écrans a doublé en moyenne, tous âges confondus.
Mais certainement, l’élément le plus alarmant est la menace obscurantiste de groupes subversifs qui minent nos institutions de l’intérieur et qui n’ont pas cessé leurs manoeuvres de taraudage, même durant la période de break. La question à poser concerne la scandaleuse légitimité empruntée de certains groupes politique, dont les doctrines et crédos se fondent sur la violence, la haine, la terreur et la régression sociétale ; ces groupes aux relents terroristes sont notoirement liés à la fratrie musulmane de certains pays du Golfe (Qatar) qui à force d’argent essaient de détruire ce que nous avons essayé de construire. La ‘’coalition de l’indignité’’ fait tout ce qu’il faut pour parasiter notre avancement, avec force gesticulations clownesques mais préoccupantes du fait du silence suspect de nos institutions et de la société civile. Cette faction politicienne ne se distingue pas par sa compétence, ni par sa pertinence ; elle maîtrise simplement l’art des joutes verbales et a un sens douteux de l’éthique, qui finissent par lasser ; mais elle représente un danger au niveau institutionnel, se situant entre l’indécent et le burlesque, baignée de mauvaise foi politique. Ses sbires montent des combats imaginaires à propos d’une motion demandant des excuses à la France. Ils voudraient confisquer à certaines minorités, leur droit d’exister ou souhaitent imposer des lois visant à « moraliser » la société. Albert Camus disait : « Toute forme de mépris, si elle intervient en politique, prépare ou instaure le fascisme ». Ce que le consistoire intégriste, dominé par Ennahdha, présente comme une démarche révolutionnaire et inédite, n’est en réalité que la résurgence d’anciennes pratiques faciles, rencontrées à plusieurs reprises, sous d’autres cieux, dans l’Histoire. Le faible niveau de compétence et de connaissance de l’histoire de l’ensemble de la société politique tunisienne, hormis quelques exceptions, a permis que ce genre de pratiques politiques continue d’exister et perdure. Fondamentalement, ce mouvement suggère la volonté de ses dirigeants de saper les institutions sécularisées et laïques de l’Etat et sur leurs ruines, les remplacer par d'autres où religiosité, chariâa et pouvoir islamiste vont de pair. Pour preuve la diffusion des conceptions les plus restrictives de l'Islam en Tunisie par le biais des mosquées, écoles coraniques ou organisations caritatives déguisées, introduisant des associations étrangères utilisant l'aide aux Tunisiens comme motif religieux pour atteindre des objectifs politiques principalement subversifs et même terroristes.
La grande absente, celle qui se fait tant désirer depuis 2014, c’est la Cour Constitutionnelle. Le Parlement tunisien, le 6 juillet 2020, a décidé d’être encore plus décevant en tous points, même pour la présentation de candidatures à cette haute instance. Pour Ennahdha et ses alliés, la Cour constitutionnelle est une autre issue pour une infiltration islamiste dans le corps de notre démocratie, pour nous imposer des lectures fantasques parfois surfaites de la Constitution de 2014. Des partis du bloc parlementaire (dont l’un des membres les plus bruyants avait dit que Rached Ghannouchi était « l’aîné de la famille ») se disant progressistes tentent de placer des fondamentalistes aux idées rétrogrades à la Cour constitutionnelle. En Tunisie, la mise en place de la haute juridiction obéit à des allégeances politiciennes et dogmatiques en violation de la Constitution de 2014. Les élus du peuple n’ont pas la noblesse et la grandeur d’esprit nécessaire pour mettre leurs querelles de côté et privilégier l’intérêt général et l’Etat de droit. Aussi, le dossier de la cour constitutionnelle est-il, encore une fois, remis aux calendes grecques, en attendant des jours meilleurs. Mais comme qui dirait, une république bananisée a-t-elle besoin d'une Cour Constitutionnelle, disposant déjà de la Cour des miracles au Bardo ?
Les choses se dégraderont de plus en plus durant les mois et les années qui suivront ; la peur que nous devrions ressentir et qui a trait à l’avenir du pays est que rien ne change. Jusqu’au jour où, sans que l’on s’en rende compte, un nouveau choc sera au bout et que tout bascule et la population ne pourra plus rien faire, à ce moment-là pour se protéger, se battre et s’opposer. Sans l’information permettant d’ouvrir un débat, on interdit au public le droit de remettre en cause les décisions des gouvernements et de demander des comptes. La plus grande liberté est le fait de ne plus avoir à craindre ce qui arrivera demain. L'une des choses qui se sont perdues dans toutes les politiques problématiques du gouvernement est le fait que c'est l'un des plus beaux pays du monde, un pays où les gens sont amicaux, et capables de voir par-delà l’horizon des évènements.
Monji Ben Raies
Universitaire, Juriste,
Enseignant et chercheur en droit public et sciences politiques,
Université de Tunis El Manar,
Faculté de Droit et des Sciences politiques de Tunis.
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