Ridha Bergaoui: Et si la survie de l’homme est liée à celle de l’abeille
L’abeille est un insecte très intéressant et très utile. Elle produit un miel très apprécié par les consommateurs et est utilisé à plusieurs fins. L’abeille intervient également dans la pollinisation des plantes. C’est grâce à la pollinisation que les plantes peuvent se multiplier et produire des légumes et fruits. Toutefois on assiste de plus en plus à une diminution des effectifs des abeilles dans le monde. Certains prédisent même la disparition quasi complète de l’abeille d’ici quelques années. Cette disparition risque de menacer la disponibilité des aliments et l’existence de l’homme sur terre.
Dans le souci de protéger les abeilles et les pollinisateurs en général, l’assemblée générale des Nations Unies a déclaré en 2018, la journée du 20 mai de chaque année journée des abeilles. Le thème cette année est « engageons nous pour les abeilles ». Il s’agit de souligner le rôle de l’apiculture à l’appui des communautés rurales et l’amélioration de la sécurité alimentaire et de la nutrition des populations. L’importance des connaissances traditionnelles et la contribution des abeilles dans la réalisation des Objectifs du Développement Durable (ODDs) à l’horizon 2030 seront particulièrement mises en relief. Ces ODDs vont de l’élimination de la pauvreté et de la faim dans le monde aux réponses face aux changements climatiques et l’exploitation des ressources naturelles.
Aperçu sur l’apiculture Tunisienne
En Tunisie on distingue l’apiculture traditionnelle conduite dans des ruchers traditionnels, en forme de canon, confectionnés avec les matériaux disponibles sur place (alfa, branches diverses, troncs de palmier, écorce de chêne liège…). Cette apiculture est en voix de disparition et c’est l’apiculture dite « moderne » conduite dans des ruches en bois appelées ruches « Langstroth » (du nom de son inventeur) qui se développe. On distingue de gros apiculteurs (plus de 50 ruches). Il s’agit généralement d’apiculteurs professionnels bien informés et qui pratiquent l’apiculture à plein temps. Généralement ces apiculteurs font la transhumance et déplacent leurs ruches selon les disponibilités florales afin d’assurer une alimentation correcte des abeilles et une production satisfaisante de miel. Le rendement des ruches se situe entre 10 et 15 kg de miel/ruche/an (en Europe un rendement de 40 kg/ruche/an est très facile à atteindre). Il ya également les petits apiculteurs qui disposent de 10 à 50 ruches. Le rucher leur permet un complément de revenu. Ils sont généralement sédentaires et doivent pratiquer le nourrissement des ruches au sirop de sucre surtout en hiver et lorsque les disponibilités mellifères sont faibles.
La production du miel dépend des conditions climatiques et des disponibilités mellifères. En Tunisie, la production nationale se situe autour de 3 000 tonnes/an. L’exportation est très limitée, l’importation est également faible et se situe entre 250 et 300 T/an. L’existence sur le marché de miel frauduleux et du miel artificiel probablement de contrebande est toutefois importante et fréquente. La consommation moyenne du miel est de 200 à 250 g/habitant/an. Elle se situe autour de 700 g/habitant/an en Europe. L’abeille joue un rôle principal dans la pollinisation des cultures (grandes culture, légumes…) et des arbres fruitiers. En Europe, les agriculteurs payent les apiculteurs pour venir installer leurs ruches dans leurs champs et vergers. En Tunisie c’est plutôt l’inverse et l’agriculteur-arboriculteur exige de l’apiculteur de le payer en retour de l’installation de ses ruchers. L’apiculteur doit également assurer le gardiennage de ses ruches.
Malgré la place importante qu’occupe l’abeille, le secteur de l’apiculture en Tunisie est resté marginalisé et a reçu très peu d’attentions à part quelques actions limitées menées par l’Office de l’Elevage ou l’Office de Développement du Nord-Ouest ainsi que quelques ONG.
Particularités du miel
Les produits de l’abeille sont nombreux : miel, cire, pollen, gelée royale…. Le plus connu et le plus consommé est le miel. Celui-ci est un produit assez complexe élaboré par les abeilles à partir du nectar des fleurs qu’elles butinent. La production d’un kilogramme de miel nécessite environ 50 000 vols d’abeilles.
Le miel est utilisé en cuisine, comme produit de beauté et comme produit de santé. On distingue plusieurs types de miel selon les plantes que l’abeille a butiné (miel d’oranger, thym, romarin, eucalyptus…). Le miel renferme des glucides (surtout glucose et fructose), des protides, des minéraux et oligo-éléments, des vitamines, des enzymes, des antioxydants… La consommation du miel est conseillée pour tous allant du nouveau né aux personnes âgés, les personnes bien portantes, les sportifs et les personnes souffrantes et même les diabétiques.
A coté de sa haute valeur alimentaire le miel est doté de particularités antimicrobiennes, anti-inflammatoires et anti-tumorales largement prouvées et reconnues par scientifiques et le personnel de santé. C’est un cicatrisant des brulures très efficace.
Fraudes et commerce du miel
Le miel fait l’objet souvent de la fraude et de l’imitation et on trouve très souvent du faux miel sur le marché aussi bien officiel qu’informel. Le consommateur est d’autant plus désorienté qu’il est difficile de reconnaitre un vrai miel d’un faut. La fraude la plus simple consiste à ajouter de l’eau ou du sirop de sucre au vrai miel. On peut également procéder à l’extraction de certains composés du miel ou on peut avoir affaire à du faux miel ou du miel artificiel de synthèse. Un vrai miel se vend généralement beaucoup plus cher qu’un faux ou du miel adultéré. Une étude menée en 2018 par le Ministère du Commerce dans la région de Ben Arous a montré que 80% du miel contrôlé et commercialisé dans les grandes surfaces et les magasins est d’origine frauduleuse.
Le consommateur doit s’assurer de l’authenticité et de la qualité du miel qu’il achète. Le mieux c’est de l’acheter dans un magasin sûr ou directement de chez le producteur. L’emballage doit comporter toutes les indications relatives à la nature du produit, la composition, les dates de fabrication et d’expiration… Chaque pays a des normes de qualité du miel, en Tunisie l’INNORPI a élaboré des normes pour le miel (norme CT 56). Ne peut prétendre à l’appellation miel naturel que le produit qui répond aux normes établies. On s’oriente de plus en plus vers du miel de qualité, soit du miel certifié biologique soit du miel qui répond à des signes de qualité.
Les abeilles menacées de disparition
Plusieurs raisons s’associent pour expliquer la mortalité excessive des abeilles, observée dans le monde ces dernières années, et le risque de leur disparition. Il y a en premier l’utilisation excessive et généralisée des pesticides et autres produits chimiques en agriculture. Il y a également les maladies spécifiques aux abeilles et qui se développent rapidement suite aux échanges internationaux de levains et d’abeilles. Parasites, bactéries, microchampignons et prédateurs provoquent des dommages importants et sont également responsables de la fonte de nombreux ruchers. Une autre cause probable est le développement des terres cultivées et l’appauvrissement de la faune mellifère qui représente le garde-manger des abeilles le long l’année.
Les dérèglements climatiques et la sécheresse entrainent une réduction de la flore et des ressources mellifères, de la mortalité et une diminution des effectifs des abeilles. Les champs électromagnétiques, générés par le développement des réseaux des télécommunications et Internet, représentent également une menace importante pour la survie des abeilles.
Peut-on se passer des abeilles?
Pour La production du miel et la pollinisation des arbres et des cultures, les industriels de l’agroalimentaire et des spécialistes du « High Tech » ont trouvé des alternatives.
• Du miel artificiel
Des nos jours grâce aux progrès réalisés par les industries agro-alimentaires, il est possible de trouver sur le marché des produits dénommés « miel artificiel », tout à fait réglementaires et autorisés à la vente par les pouvoirs publics. Ces miels ressemblent à tout point de vue aux miels naturels aussi bien sur la composition chimique que les qualités physiques et organoleptiques. Ils ont l’avantage d’être sains et exempts de pesticides ou antibiotiques qu’on peut retrouver dans les miels naturels suite soit au traitement des ruchers contre certaines maladies des abeilles soit suite au traitement des cultures et les résidus qu’on peut retrouver sur les plantes et les fleurs que viennent butiner les abeilles. Ces miels aussi reviennent beaucoup moins chers et peuvent être produits en grandes quantités pour répondre aux besoins des consommateurs et industriels.
Cependant ce miel artificiel ne peut pas complètement remplacer le miel naturel. Il ne contient pas les microcomposants (tels les enzymes) qui sont sécrétées par les abeilles durant l’élaboration du miel. De ce fait il ne possède pas par exemple les vertus thérapeutiques ou cosmétiques attribuées au miel naturel.
• Des drones et robots pollinisateurs des arbres et des plantes
Aux Etats Unis, des firmes commencent à développer, ces dernières années, des drones et des robots pollinisateurs. Utilisés sur des arbres fruitiers (amandiers, cerisier, pommiers…), ces engins semblent donner de bons résultats. Ces machines télécommandées et infatigables ont l’avantage de pouvoir travailler, contrairement aux abeilles, toute la journée et durant le mauvais temps. Ils sont également très précis et sont capables d’utiliser la quantité optimale de pollen nécessaire pour féconder les parcelles d’arbres fruitiers. Les Japonais ont également réussi à utiliser les drones pour collecter du pollen sur les fleurs mâles du lys et le déposer sur les fleurs femelles.
Ces technologies ne peuvent pas remplacer les abeilles qui jouent d’autres rôles non moins importants. Elles peuvent représenter un complément pour remédier à une chute de la production du miel ou à une absence des insectes pollinisateurs. En effet l’abeille intervient activement dans l’équilibre des écosystèmes et sur le plan socio-économique des populations rurales.
Importance des abeilles dans l’équilibre des écosystèmes et la biodiversité
Les abeilles butinent non seulement les plantes cultivées mais surtout les plantes sauvages, qui présentent une variété importante de pollens et de nectars. Les abeilles et les larves des abeilles se nourrissent des plantes mellifères sauvages qui leur assurent une meilleure nutrition que celle du cas des monocultures. En butinant les plantes sauvages, les abeilles assurent leur multiplication, le maintien de la biodiversité et le développement des écosystèmes qui tournent autour des plantes sauvages (insectes, rongeurs, animaux…). La disparition des abeilles entrainerait la disparition de la plupart des plantes sauvages, la destruction des écosystèmes et la désertification.
L’abeille comme outil du développement rural et lutte contre la pauvreté
L’apiculture est une activité facile à pratiquer, elle est à faible impact environnemental. Elle exige peu d’investissements et peut procurer un complément de revenu intéressant pour les populations rurales démunies des régions marginalisées et forestières.
Les petits apiculteurs sont généralement soutenus par les offices de développement et les ONG pour leur rôle social important surtout que c’est la femme qui s’occupe du rucher. Ces organismes proposent l’initiation et la formation des personnes intéressées, des aides pour l’acquisition du matériel ainsi que des conseils pour la commercialisation des produits. Ces ruchers permettent à ces familles un complément de revenu qui les aide à subvenir à leurs besoins alimentaires en premier. La disponibilité des divers produits du rucher entraine la consommation familiale du miel et autres ce qui contribue à une meilleure couverture des besoins alimentaires, surtout des petits et des jeunes, évitant ainsi sous alimentation et carences.
Pour une stratégie de développement de l’apiculture
La Tunisie dispose de conditions favorables au développement de l’apiculture. Une très vieille tradition dans l’élevage de l’abeille, la consommation et les diverses utilisations du miel. Elle possède une flore mellifère abondante et variée (eucalyptus aux bords des routes et reboisements avec des arbres forestiers divers, parcours et espaces étendus de thym, romarins, myrte et autres plantes aromatiques, des champs d’agrumes et d’arbres fruitiers variés, cultures maraichères toute l’année…). Ces ressources permettent une alimentation continue des abeilles afin de produire un miel de très haute qualité. La demande intérieure en miel de qualité est importante. Des possibilités d’exportation existent également. La plupart des pays européens manquent de miel et importent du miel de mauvaise qualité de la Chine, de l’Argentine ou du Mexique. Les pays européens représentent des marchés intéressants et facilement accessibles pour le miel tunisien de qualité et le miel certifié biologique.
Malgré la place importante de l’abeille et du miel en Tunisie, l’apiculture est restée une activité marginale. Ce secteur n’a pas eu l’attention qu’il mérite. Vu le rôle important que joue l’abeille aussi bien sur le plan environnemental que socio-économique à travers les produits qu’elle élabore et la dynamique qu’elle entraine, l’abeille doit faire l’objet d’une véritable stratégie de protection et de développement. Il s’agit de mettre en place une véritable filière apicole bien structurée, forte et pérenne.
Revenir à nos traditions, encourager la consommation du miel, réinclure le miel naturel dans nos pratiques quotidiennes pour cuisiner, préparer des gâteaux, pour des soins de beauté et surtout pour se soigner, est à encourager et à développer. Pourquoi ne pas développer une industrie cosmétique et pharmaceutique avec des gammes de produits tunisiens à base du miel et des produits de la ruche ? Ce ci permettrait de créer de l’emploi et de réduire notre dépendance des firmes étrangères de produits pharmaceutiques allopathiques.
Protéger le consommateur contre les fraudes et les arnaques et sécuriser son approvisionnement en miel en rétablissement sa confiance en ce produit noble. Le miel est un produit naturel et sain qui bénéficie d’un excellent préjugé auprès du citoyen et qui fait partie de notre culture arabo musulmane.
Défendre l’abeille et la protéger en réglementant et en contrôlant l’usage des pesticides et interdisant les produits nocifs pour les abeilles comme les néonicotinoïdes (l’imidaclopide, le clothianidine et le thiamétoxane) déjà interdits en Europe depuis 2018..
Continuer à soutenir les petits apiculteurs, les aider et les organiser au niveau de la formation, l’approvisionnement en matériel et l’écoulement des produits du rucher. Il est possible de créer dans ces groupement des ateliers pour la fabrication des ruches et autres petit matériel apicole, ainsi qu’un atelier pour l’extraction et le conditionnement et l’emballage du miel. On peut également instaurer des labels de qualité pour la commercialisation d’un miel traditionnel de qualité garanti, qui est très apprécié par le consommateur et prêt à le payer à des prix assez élevés. Ce ci permet de créer à peu de frais dans ces régions isolées de l’emploi pour des jeunes.
Développer les recherches sur l’apiculture, sur la génétique et la sélection de l’abeille locale, la lutte contre les diverses maladies, l’impact du changement climatique, l’évolution du rucher et les causes de mortalité des abeilles… pour appuyer le développement du secteur.
Conclusion
Présente sur la terre depuis plus de 30 millions d’années et domestiquée avant la préhistoire, l’abeille a toujours fasciné l’homme par son acharnement au travail aussi bien en hiver qu’en été, son organisation sociale parfaite et la discipline qui règne dans le rucher. C’est un modèle dans le travail d’équipe et un exemple du travail harmonieux et efficace. L’Islam a réservé une place importante à l’abeille. Elle a été citée dans le Coran (sourate 16 Ennahl) et le prophète utilisait souvent le miel pour soigner.
L’abeille est considérée comme la sentinelle et sa présence est un indicateur de la qualité de l’environnement. Sa disparition serait un vrai désastre et aurait des conséquences graves sur l’homme et son environnement. Certes les technologies permettent de résoudre certains problèmes. Dans le cas présent il est possible de produire du miel artificiel et de polliniser des arbres fruitiers et même des grandes cultures (tournesol, colza…) et des fleurs. Ces nouvelles pratiques doivent être envisagées comme complément à l’activité des abeilles Elles ne peuvent remplacer complètement les abeilles qui permettent la multiplication de la faune sauvage et le maintien des écosystémes ainsi que la création d’emplois et des sources de revenu dans les régions défavorisées et marginalisées .
Afin de limiter les pertes d’abeilles, de nombreuses applications ont été développées ces derniers temps pour pouvoir suivre différents paramètres (nombre d’abeilles dans la ruche, poids des abeilles, température à l’intérieur du rucher…). Des ruches connectées par Internet et suivies sur Smartphone sont actuellement disponibles et permettent de mieux gérer son rucher. Les apiculteurs espèrent être ainsi plus prés de leurs ruchers pour protéger leurs abeilles et lutter contre les pertes et l’effondrement des ruchers. La survie de l’homme est finalement liée à la survie de l’abeille.
Pour terminer, un proverbe qui illustre bien l’importance de l’abeille et attribué à Eintein : « Si les abeilles venaient à disparaître, l'humanité n'aurait plus que quatre années devant elle ».
Ridha Bergaoui
- Ecrire un commentaire
- Commenter
Si Ridha, vous touchez , à juste titre un sujet de premier ordre.J'ai eu à financer 6 projets de production de miel dans les gouvernorats forestiers du Nord-Ouest..Hommes et Femmes ont oeuvré et réussi leurs projets...Mais, et c'est là que j'aurais aimé que vous poussiez un Grand Cri d'Alarme, ce pays dont les routes étaient doublement bordées d'Eucalyptus ,n'a plus que des moignons d'Eucalyptus le long des routes.Un Drame écologique touche les Abeilles et prochainement les humains le subiront.Criez haut et fort pour que l'on protège ces Eucalyptus, qu'une secte de Trappistes a eu la bonne idée de ramener d'abord d'Australie en Algérie dès 1830, pour assécher les marécages de la Mtidja..Une oeuvre colossale est en train d'être détruite..La location d'emplacements sous Eucalyptus est aujourd'hui source de spéculation.. "Oeuvre de tant d'années, en un jour effacée"..