Adel Guitouni: L’entreprise doit développer sa résilience pour mieux rebondir, après le Covid-19
La crise économique causée par COVID-19 n’est ni structurelle, ni conjoncturelle, à moins que collectivement nous la transformions en un problème économique structurel par nos mauvaises décisions.
En ces temps de ralentissement, la meilleure stratégie pour la majorité des entreprises est de développer leur résilience par la rétention et l’autonomisation du capital humain.
De nombreuses entreprises sont à la phase de confinement, licenciant leurs travailleurs, réduisant leurs dépenses et diminuant leur capacité. Les mesures prises à ce stade peuvent toutefois entraver la reprise qui, sans aucun doute, suivra.
La Banque Centrale de Tunisie et le secteur bancaire tunisien doivent minimiser les coûts financiers afin d’éviter une récession économique prolongée. Dans certains pays comme le Royaume Unis et le Canada, les banques centrales impriment de l’argent pour le prêter directement aux gouvernement pour soutenir par exemple les subventions à l’emploi.
Les entreprises devraient saisir cette crise pour la transformer en opportunité et, plus important encore, éviter d’en faire un problème économique structurel.
Le 30 mars 2020, Air Canada a annoncé la mise à pied de 16 500 employés, puis neuf jours plus tard a réembauché 16 000 d’entre eux. Pour la plupart des entreprises, retenir les employés est la meilleure décision à prendre dans les circonstances actuelles, surtout quand elles ont accès à des programmes gouvernementaux de subventions salariales et des capitaux à faibles couts. Garder la main-d’œuvre intacte et maintenir un revenu disponible acceptables aux particuliers sont les moyens les plus efficaces pour éviter de transformer une crise sanitaire en récession économique à long terme.
La pandémie du COVID-19 est sans précédent et ne doit pas être comparée, par exemple, à la crise financière de 2008/2009 pour une raison simple. La crise actuelle n’est pas un problème économique structurel ni un ralentissement conjoncturel. La pandémie est une perturbation de notre mode de vie qui touche le monde entier et provoque un ralentissement de l’économie; ce qui prouve que les systèmes économiques sont imbriqués dans nos systèmes sociaux. En tant que tel, il faut s’attendre à ce que la plupart des secteurs économiques se remettront progressivement dès que la menace à la santé des personnes commence à se dissiper, à moins que collectivement (entreprises, gouvernements et consommateurs) ne transformions cette crise en un problème économique structurel par nos mauvaises décisions. Les conséquences de la crise du COVID-19 sont graves et conduiront à des déséquilibres structurels si le chômage de masse prend racine et si la demande est ralentie pour une durée prolongée. Cela signifie que la reprise doit être rapide pour éviter de créer sa propre spirale infernale.
D’un point de vue de la gestion des affaires, la meilleure stratégie pour éviter un déclin à long terme est de renforcer la résilience de l’entreprise pour rebondir de manière ordonnée. La résilience est la capacité d’un système donné à revenir à son état normal après une interruption, et mesurée en terme de temps de récupération. La crise du COVID-19 peut être structurée selon cinq (5) phases: choc, fluctuation (dans la plupart des cas, la dégradation) des performances, cantonnement, redressement et stabilisation.
De nombreuses entreprises sont à la phase de confinement, licenciant leurs travailleurs, réduisant leurs dépenses et diminuant leur capacité. Les mesures prises à ce stade peuvent toutefois entraver la reprise qui, sans aucun doute, suivra. Comme les travailleurs sont licenciés, les compétences sont perdues et la productivité en souffrira. La concentration sur l’intérêt personnel de l’organisation au détriment de la contribution à la société nuira aux relations à long terme avec les employés, les clients, les fournisseurs et les régulateurs. Peut-être plus qu’à tout autre moment, il est important que les entreprises adoptent une vision à long terme et évitent les réactions traditionnelles et le court terme. Les entreprises devraient profiter de cette période de ralentissement de leurs activités pour renforcer leur résilience.
Les entreprises créent de la valeur en transformant des biens et des services intermédiaires provenant de fournisseurs en des produits ou des services finaux pour satisfaire une demande du marché. Cette transformation est réalisée grâce à l’exécution d’activités économiques par différents acteurs (agents) économiques. Ce processus de création de valeur repose sur quatre moteurs, à savoir le capital financier, les connaissances, la technologie et surtout le capital humain. Comme la plupart des banques centrales réduisent leurs taux d’intérêt, les gouvernements injectent plus d’argent dans l’économie et la plupart des investisseurs comprennent les implications de la pandémie du COVID-19, le capital financier n’est pas le principal problème. À ce propos, la Banque Centrale de Tunisie et le secteur bancaire tunisien doivent réduire les coûts financiers afin d’éviter une récession économique prolongée. Dans certains pays comme le Royaume Unis et le Canada, les banques centrales impriment de l’argent pour le prêter directement aux gouvernement. De même, de nombreux sources de connaissances et titulaires de brevets ont temporairement opté pour un accès ouvert, mettant ainsi à la disposition du public un volume sans précédent d’informations et de données. Malgré les perturbations de la chaîne d’approvisionnement, plusieurs technologies sont encore facilement accessibles aux entreprises.
Ainsi, les employés sont l’atout essentiel de toute entreprise pour renforcer sa résilience et préparer une reprise rapide et robuste de ses activités économiques, d’autant plus que la valorisation des activités économiques passe par l’économie du savoir. Le gouvernement tunisien se doit d’investir dans les programmes de subventions salariales pour aider les entreprises à maintenir et à renforcer leur capital humain en ces temps difficiles. C’est la seule et bonne politique pour maximiser les chances de rebondir à temps et aussi vite que le déclin. La plupart des entreprises en bonne santé doivent même considérer la dette pour retenir leur talent. Ces entreprises vont non seulement développer leur capital social mais aussi utiliser la phase de ralentissement pour améliorer leurs processus de création de valeur.
J’ai entendu plusieurs dirigeants et gestionnaires affirmer qu’ils devaient licencier des personnes pour arrêter l’hémorragie financière et protéger leurs flux de trésorerie. Cette stratégie peut être justifiée dans certains cas, mais actuellement c’est la mauvaise attitude dans la majorité des cas. Le licenciement et le maintien d’activités minimales augmenteront sans aucun doute les coûts de relance et de stabilisation des activités de l’entreprise. L’avantage concurrentiel sera certainement perdu et l’entreprise aura généralement du mal à retrouver son niveau d’activité d’avant crise.
J’ai également entendu des gens dire que ce n’est pas une bonne décision d’affaires de continuer à payer des employés pour rester chez eux. Là encore, c’est la mauvaise attitude. Le temps d’arrêt est la ressource la plus précieuse à exploiter immédiatement.
Premièrement, comme la plupart d’entre nous, cette crise aide les sociétés à se réconcilier avec l’humanité, leurs communautés et l’environnement. C’est une occasion pour que les entreprises renforcent leur engagement social en encourageant leurs employés, lorsque c’est possible, à soutenir leurs communautés et la lutte contre le COVID-19.
Deuxièmement, les entreprises devraient ouvrir des chantiers de télétravail pour:
- La mise à niveau fonctionnelle afin d’augmenter la gamme des fonctions exécutées ou changer la combinaison des opérations effectuées vers des tâches de plus grande valeur ajoutée,
- La mise à niveau des processus afin de gagner en efficacité en réorganisant le système de production ou en introduisant de nouvelles technologies,
- La mise à niveau des produits ou services afin de faire évoluer l’entreprise vers des gammes plus compétitives,
- La modernisation de la chaîne d’approvisionnement afin de renforcer les relations avec les fournisseurs et les clients, et améliorer l’intégration, la résilience et la robustesse de la chaîne de valeur,
- La mise à niveau inter-chaîne afin d’utiliser les capacités acquises dans une chaîne de valeur pour être capitalisées dans une autre chaîne plus avancée technologiquement.
Au fur et à mesure que nous apprenons à travailler à distance à partir de nos foyers et vu la facilité d’accès aux plateformes de collaboration en ligne, les entreprises devraient encourager leurs employés (dirigeants et travailleurs) à contribuer aux initiatives de mise à niveau des processus de création et de rétention de la valeur. À elle seule, cette stratégie compensera tous les coût financiers liés au maintien d’une main-d’œuvre pendant ces quelques mois de crise.
Enfin, la mise en œuvre d’une telle stratégie devrait être exécutée selon des approches descendantes et ascendantes. Le leadership initie une approche descendante pour travailler, par exemple, sur des revues stratégiques, le renforcement des relations avec les fournisseurs, l’intégration des clients dans les processus de la chaîne de valeur, l’investissement dans les technologies, l’autonomisation des employés et la recherche de nouveaux marchés et de nouvelles alliances. Les employés devraient être encouragés à lancer des initiatives ascendantes telles que l’innovation par la co-création et le «crowdsourcing», l’amélioration fonctionnelle des processus, l’apprentissage, le renforcement des capacités, la maintenance des outils de production, la recherche et la collecte de données et d’informations.
Les employés sont eux-mêmes des consommateurs et en les aidant à conserver leur pouvoir d’achat, toute l’économie maintiendra son potentiel de relance. Parfois, il faut une crise pour trouver son avantage. Les entreprises devraient saisir cette crise pour la transformer en opportunité et, plus important encore, éviter d’en faire un problème économique structurel. Comme l’a dit l’ancien chef de cabinet de la Maison Blanche et maire de Chicago, Rahm Emanuel, «ne laissez jamais une bonne crise se perdre».
Adel Guitouni
Professeur, sciences de la gestion, systèmes d’aide à la décision et gestion internationale, Gustavson School of Business, University of Victoria
Président associé, Forum de Victoria
Membre du Conseil des Directeurs, Canadian Arab Institute
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