L’impact économique du Covid-19 sur la Tunisie et un programme de sauvetage de l’économie
Par Hakim Ben Hammouda & Mohamed Hédi Bchir
1 - Introduction
Gabriel Garcia Marquez, prix Nobel de littérature en 1982, en plus d’être probablement l’un des plus grands romanciers du 20ième siècle est aussi l’un des plus grands intellectuels au monde et particulièrement en Amérique Latine. Il a traversé le vingtième siècle et a vécu ses grandes mutations avec ses révolutions et ses défaites, ses victoires comme ses débâcles. Il a rencontré les plus grands dirigeants et a entretenu d’importantes conversations avec eux. Ces rencontres et ces débats avec le dirigeant guérillero et l’ancien Président cubain, Fidel Castro, sur la démocratie dans les périodes révolutionnaires sont restées dans l’histoire et particulièrement les oppositions, certes amicales, que Garcia Marquez a manifesté devant le tournant autoritaire du régime cubain.
Mais, Gracia Marquez restera surtout comme l’un des plus grands romanciers du 20ième siècle. L’obtention du prix Nobel de littérature est une consécration de ce talent hors pair. Marquez a écrit un grand nombre de romans dont les plus connus sont «Cent ans de solitude» et «L’amour aux temps du choléra».
Ce dernier roman me rappelle les peurs et les angoisses que nous connaissons aujourd’hui avec la propagation du virus Covid-19 et les dangers qui guettent notre monde.
Ce roman raconte l’histoire d’un amour éternel entre Florentino Ariza, pauvre télégraphe, et la belle Fermina Daza dans l’un des villages reculés de la mer des Caraïbes. Mais, cet amour sans limites sera trahi le jour où Fermina décide de se marier avec un riche médecin. Mais, cette séparation n’éteindra pas la flamme de cet amour et Florentino et Fermina vont se retrouver de nouveau lorsqu’ils auront soixante-dix ans. Et, pour vivre cet amour absolu, Florentino va inviter son amoureuse à une promenade sur un bateau et de faire courir la rumeur de la propagation du choléra sur le bateau ce qui a amené les autres passagers à le quitter en catastrophe et lui a permis de vivre avec Fermina dans un état de confinement continu.
«L’amour aux temps du choléra» nous a rappelé la peur et la psychose collective que nous vivons aujourd’hui suite au Covid-19. Et, probablement l’une des plus importantes conclusions de ce roman porte sur la fragilité de l’humain devant les grandes pandémies qui opèrent de grandes transformations sur les rapports sociaux et nos modes de vie mais aussi sur les rapports de solidarité dans les sociétés contemporaines. Certes, les dangers ambiants et la vitesse de propagation de ce virus, font de la lutte immédiate pour sa maîtrise les principales priorités des pouvoirs publics. Mais, cette crise pose d’importantes questions civilisationnelles qui concernent nos modes de vie avec cette globalisation accélérée et ses conséquences sur la sécurité humaine et l’avenir des sociétés. C’est pourquoi nous devons traiter de manière urgente cette crise afin de construire un nouveau pacte de civilisation.
Dans cette étude nous allons nous intéresser aux conséquences économiques de ce virus et de cette pandémie. Il faut remarquer qu’en dépit de la gravité de la situation et les conséquences du Covid-19 sur notre économie, nous ne disposons d’aucune étude sérieuse de la part des institutions officielles sur ses conséquences sur notre économie. Au contraire, si le discours officiel a fait de manière timide référence aux pertes d’un demi-point de croissance, plusieurs déclarations officielles mettent l’accent sur les aspects positifs de cette crise dans la mesure où elle est à l’origine d’une baisse importante des cours du pétrole sur les marchés mondiaux.
Le traitement officiel de cette crise s’est limité aux aspects sanitaires et de prévention et n’a pas encore réussi à proposer une approche globale et coordonnée intégrant les dimensions sanitaires, politiques, sociales et économiques.
Cette étude constitue une contribution à l’étude scientifique de l’impact économique du Covid-19 sur l’économie tunisienne. Nous chercherons également à proposer les grandes lignes d’un programme de sauvetage de notre économie et de nos entreprises face aux conséquences socio-économiques de cette pandémie.
Cette étude comprendra quatre points essentiels. Le premier point va traiter les conséquences économiques et les canaux de transmission de ces effets dans la sphère économique. Le second point sera consacré à nos estimations des effets économiques de cette pandémie sur l’économie mondiale. Le troisième point s’intéressera aux effets économiques du Covid-19 sur notre pays. Enfin, nous essayerons dans le quatrième et dernier point de suggérer les grandes lignes d’un programme de sauvetage face à la pandémie.
2 - Les effets économiques du virus Covid-19
Parallèlement aux dangers sanitaires avec la progression exponentielle du nombre de malades et des décès qui ont poussé l’Organisation mondiale de la santé à considérer Covid-19 comme une pandémie globale, cette pandémie va avoir des conséquences économiques majeures. Comme en 2008 où la crise des subprimes aux Etats-Unis s’est transformée en une crise financière globale avant de devenir une grande récession, la crise de Covid-19 est en train de se propager dans les différentes aspects de la vie économique et sociale et d’une crise sanitaire elle est en train de se transformer en une grave crise économique globale. Certains observateurs n’ont pas hésité à indiquer que le nombre de disparition d’entreprises sera supérieur à celui des personnes.
Les conséquences économiques ont commencé à se manifester suite à la propagation rapide du virus et l’incapacité des institutions sanitaires internationales et nationales de le maîtriser et d’y faire face. Ces conséquences économiques sont apparues à différents niveaux et sur beaucoup de marchés mondiaux. Particulièrement les marchés financiers ont été touchés le jeudi 12 mars 2020 de manière frontale avec un crash sans précédent ce qui a amené certains observateurs à parler d’un jeudi noir comme c’était le cas lors des crises financières de 1929 et de 2008.
Ainsi, la bourse de Paris a connu une chute sans précédent et l’indice CAC 40 a baissé de 12,28% soit la plus importante chute depuis sa création. La chute des marchés financiers ne s’est pas limitée à Paris mais s’est propagée dans la plupart des marchés européens comme la bourse de Londres dont la chute a été de 9,81% ainsi que celle de Francfort avec une baisse de 12,24%. La bourse de Milan a enregistré la plus importante chute avec une baisse de 16,92 du fait de l’ampleur de la crise que traverse l’Italie.
Les conséquences économiques de cette crise se sont aussi propagées à d’autres marchés comme ceux des matières premières et de tous les secteurs économiques.
Dans l’étude des canaux de transmission de cette crise sanitaire dans la sphère économique, nous mettons l’accent sur trois voies majeures. La première concerne les mesures d’urgence et de confinement qui seront à l’origine d’un important absentéisme et d’une chute de la productivité, des difficultés du déplacement à l’étranger et des voyages, la fermeture des endroits publics et de quelques activités non essentielles. Certes, ces décisions sont essentielles pour empêcher la propagation du virus, mais elles auront des conséquences économiques majeures.
La seconde voie concerne de transmission de cette crise sanitaire dans le domaine économique avec les perturbations qui vont toucher l’offre et ses conséquences négatives sur le fonctionnement des marchés. Plusieurs entreprises vont connaître une baisse importante de leur production qui pourrait se poursuivre jusqu’à leur arrêt. Il faut également souligner que l’approvisionnement des matières premières sera également perturbée ce qui va avoir des effets sur la production. Il faut aussi souligner que la globalisation a été à l’origine d’un important développement des chaînes de valeur et de production mondiale. Or, cette crise va perturber ces grandes chaînes et sera à l’origine d’importantes pertes de valeurs globales.
La troisième voie de transmission de la crise sanitaire au secteur réel concerne le recul de la demande de la part des ménages et des entreprises. L’incertitude globale et la crise de la confiance, les peurs et la psychose seront à l’origine d’une forte contraction de la consommation des ménages et des entreprises dans un grand nombre de secteurs particulièrement le secteur touristique, le transport maritime et aérien et le secteur de l’évènementiel.
Ce recul majeur des activités économiques au cours de cette pandémie sanitaire globale va avoir des conséquences majeures sur nos entreprises et notre tissu économique mais également sur la croissance et l’emploi. La crise va devenir une crise économique globale. Et, si nous avons accordé la priorité aux aspects sanitaires de cette crise pour sauver les vies humaines et maîtriser la propagation du virus, nous devons nous occuper de ces conséquences économiques à travers la formulation d’un important programme de sauvetage global et cohérent.
3 - Les effets du Covid-19 sur l’économie mondiale
Dans l’étude de l’impact du Covid-19, nous avons utilisé deux modèles d’équilibre économique général: l’un global, le modèle Mirage(1), et le second national, le modèle Diva(2), que nous avons développé il y a quelques années.
Pour étudier l’impact du Covid-19 sur l’économie mondiale, nous avons envisagé trois scénarios: un scénario bas, un médian et un haut. Dans les trois scénarios en question, nous avons envisagé différentes hypothèses dans les quatre grands centres de gravité avérés pour l’instant de la pandémie à savoir: la Chine, la Corée du Sud, l’Union européenne et l’Iran. Les résultats de ces différents scénarios sont résumés dans le tableau n°1.
Tableau n°1: Les effets du Covid-19 sur l’économie globale
Bas | Médian | Haut | |
Global | -0.09 | -0.61 | -0.92 |
Chine | -0.25 | -2.36 | -2.48 |
Japon | -0.01 | -0.04 | -0.09 |
Corée | -0.20 | -0.80 | -1.99 |
Reste de l’Asie | -0.02 | -0.08 | -0.16 |
Inde | -0.02 | -0.05 | -0.17 |
Etats Unis | -0.03 | -0.15 | -0.35 |
Europe (27) | -0.18 | -0.72 | -1.79 |
Royaume Uni | -0.02 | -0.11 | -0.22 |
Iran | -0.14 | -0.59 | -1.44 |
Les premiers résultats de nos simulations montrent que les centres de gravité de la pandémie seront les plus touchés dans le domaine économique. La Chine sera le pays qui connaître la chute la plus importante de son activité économique avec une baisse qui va varier entre -0,25% pour le scénario bas et -2,48 pour le scénario haut. L’Europe également va connaître une importante baisse de son activité économique au cours de l’année en cours et qui pourrait varier de -0,18% jusqu’à -1,79%. La Corée du Sud va également connaître la même tendance avec une chute de sa croissance qui pourrait varier entre -0,20% et -1,99%. Pour l’Iran la baisse de l’activité pourrait se situer entre -0,14 et -1,44 au cours de l’année en cours.
Les centres de gravité de la pandémie seront les plus touchés au niveau économique. Mais, l’impact économique sera moins marqué dans les pays qui n’ont pas connu jusqu’à nos jours une forte progression de la pandémie.
Mais, la détérioration de la situation économique dans les quatre centres de gravité de la pandémie va avoir des conséquences majeures sur l’économie globale. Ainsi, la croissance globale va diminuer de -0,09% pour le scénario bas jusqu’à -0,92% pour le scénario le plus élevé au cours de l’année 2020.
Ce recul de la croissance globale s’explique par la plus grande intégration de la Chine dans la globalisation. En effet, selon les dernières statistiques de l’OCDE, la Chine a connu une forte progression de sa part dans le PIB mondial au cours des dernières années et qui est passée de 6% en 2002 à près de 17% en 2019. De la même manière, la Chine a connu une progression rapide de sa part dans le commerce mondial qui est passée de 4% à 11% du total du commerce mondial au cours de la même période. On a également observé la même tendance en ce qui concerne la participation de la Chine aux Investissements directs étrangers qui est passée de 2% à plus de 7% au cours de la même période. Il faut aussi mentionner la part importante prise par la Chine sur les marchés mondiaux de matières premières et particulièrement ceux du pétrole où la demande chinoise est passée de 5% en 2002 à 14% en 2019.
Ces éléments montrent une plus grande intégration de la Chine dans l’économie mondiale et dans le mouvement de globalisation. Cette intégration explique largement les effets négatifs de la crise chinoise sur la croissance globale. Les estimations indiquent que la crise chinoise coutera un demi-point de croissance à l’économie mondiale.
Nos simulations soulignent que cette pandémie est en train de passer d’une grave crise sanitaire globale à une crise économique d’une grande ampleur qui aura des conséquences sans précédent sur l’économie mondiale et particulièrement sur les pays en développement.
Cette crise va également avoir un impact important sur notre économie et dont on commence à voir les signes avant-coureurs.
4 - Les effets du Covid-19 sur l’économie tunisienne
Dans cette étude nous avons effectué différentes simulations pour mesurer l’impact économique de cette crise sanitaire sur notre pays autour de quatre grands scénarios.
Le premier scénario nous l’avons appelé le scénario d’une maitrise rapide du virus. C’est le scénario le moins dangereux et qui suppose la capacité des politiques publiques à maîtriser la propagation de ce virus afin que ses effets économiques restent faibles.
Le second scénario nous l’avons nommé le scénario de la propagation limitée du virus et qui suppose que les effets des politiques publiques dans la maîtrise de la propagation ont été limités.
Le troisième scénario nous l’avons intitulé le scénario de la propagation élargie du virus et qui suppose l’incapacité des politiques publiques à arrêter la propagation du virus et à limiter ses effets économiques. Ce scénario suppose la propagation du virus dans le temps.
Le quatrième scénario nous l’avons appelé le scénario de la perte de contrôle. C’est le scénario le plus dangereux et qui s’explique par l’échec des politiques publiques à lui faire face. Au niveau économique, ce scénario suppose l’extension des effets économiques dans l’espace et le mal se propage à d’autres secteurs économiques.
Dans les différents scénarios, nous avons étudié les effets économiques du virus Covid-19 sur trois secteurs importants à savoir le tourisme, le transport aérien et maritime. Nous avons appliqué pour chacun des secteurs un choc de productivité dans les trois scénarios de 20, 30 et 50%.
Dans le quatrième scénario, celui de l’aggravation de la crise et son extension à d’autres secteurs économiques, nous avons rajouté un choc de productivité de 10% sur deux autres secteurs industriels: le secteur textile et celui des industries mécaniques et électriques.
Dans cette étude, nous n’avons pas ignoré les effets de cette crise sur les marchés énergétiques et ses conséquences positives sur l’économie tunisienne avec la baisse des prix du pétrole. Dans nos simulations, nous avons introduits une baisse des prix de 20, 30 et 50%.
Le tableau n°2 donne les résultats de nos simulations
Les premiers résultats de nos simulations indiquent une forte contraction de l’activité économique suite à cette crise sanitaire qui peut atteindre jusqu’à -1,86% pour le scenario le plus élevé. Cette crise va avoir des conséquences importantes et occasionner des pertes sans précédents de PIB qui peuvent varier de 1,65% jusqu’à plus de cinq points de PIB par rapport aux dernières projections de croissance du FMI. Cette perte pourrait atteindre en dinars courants dans le scénario le plus élevé jusqu’à 6,6 milliards de dinars.
Parallèlement à la croissance, cette crise sanitaire va également avoir des effets négatifs sur le chômage qui va connaître une croissance qui pourrait varier entre 1,53 et 4,15%.
Notre pays va subir également une baisse importante de la consommation locale qui pourrait varier dans nos simulations entre -1,56% et -5,23%.
Le commerce extérieur sera l’un des secteurs les plus touchés de notre économie. Ainsi, la crise globale et les difficultés de nos partenaires économiques traditionnels, particulièrement les pays de l’Union européenne, seront à l’origine d’une chute sans précédent de nos exportations qui pourrait varier de -1,9% à 10,34%. Par ailleurs, la grande récession de l’économie sera à l’origine de nos importations qui pourrait atteindre -9,2%.
Cette crise va également toucher les grands équilibres financiers de l’Etat. Ainsi, les recettes des impôts sur les sociétés vont connaître une chute qui pourrait varier, selon nos simulations, de -3,3% à -11,73% avec les difficultés financières que vont connaître toutes nos entreprises économiques dans la plupart de nos secteurs économiques. En même temps, les impôts sur les revenus vont également connaître une importante baisse qui pourrait varier entre -0,58% et -4,22%.
Cette dérive des grands équilibres financiers de l’Etat sera à l’origine d’importants besoins de financements de l’économie nationale qui vont varier selon nos simulations de 6,2% à 29,1%. Ce besoin de financement étranger pourrait entraîner un accroissement de l’endettement externe qui devrait se situer à 0,78% et pourrait atteindre jusqu’à 3,64% au cas de la réalisation du scénario les plus dangereux.
Ces résultats nous amènent à formuler une série de conclusions importantes.
La première concerne la transformation de la crise sanitaire en une crise économique majeure dans notre pays. Cette crise va accroître les difficultés de la transition économique de notre pays avec la baisse de la croissance et la panne de l’investissement et notre incapacité à construire un nouveau modèle de développement pour remplacer celui en crise et hérité du milieu des années 1970. La crise sanitaire et le virus Covd-19 vont renforcer nos difficultés économiques et renforcer la crise que nous traversons depuis quelques années.
La deuxième série de conclusion concerne la nature de la crise économique qui est en train de s’annoncer et qui sera ouverte par la crise sanitaire. A partir des résultats de nos simulations, la Tunisie pourrait s’installer dans ce que nous appelons une déflation qui est marquée par un important recul de la croissance, une montée vertigineuse du chômage et une augmentation de l’inflation, même si elle reste mesurée dans nos différents scénarios. Or, les crises de déflation sont les plus complexes à traiter et les expériences historiques notamment la grande crise de 1929 ont montré la difficulté de définir les politiques économiques pertinentes pour ces crises.
La troisième remarque concerne les réponses officielles pour arrêter la propagation de la crise sanitaire et qui se sont concentrées pour l’instant sur les aspects sanitaires. Les résultats de nos simulations montrent que si cette démarche était nécessaire lors des premiers jours, il est important aujourd’hui d’inscrire l’action publique dans une démarche globale afin de prendre en considération la pluralité des effets de cette crise.
Nous chercherons dans cette étude à formuler les grandes lignes d’un programme de sauvetage de notre économie.
5 - Les grandes lignes d’un programme de sauvetage
Après l’étude des conséquences économiques de cette crise sur notre pays, nous nous proposons dans cette partie de dessiner les grandes lignes d’un programme de sauvetage pour réduire les conséquences négatives à tous les niveaux de la pandémie du Covid-19. A ce propos, nous pensons que la réponse à une crise exige de l’audace, de la détermination dans les politiques publiques à mettre en place.
Dans cette partie, nous mettrons l’accent sur trois dimensions importantes: les principes, les mesures et le contenu du programme et de ses possibles résultats.
Les principes
Ce programme obéit à une série de principes fondamentaux dont l’objectif est de mieux coordonner les politiques publiques et l’ensemble des intervenants dans sa conception et son exécution.
Le premier principe concerne la responsabilité de l’Etat dans la protection de ces citoyens dans les périodes de grandes crises sanitaires, sécuritaires, politiques ou économiques. Il est nécessaire de rappeler ce principe lors de la crise actuelle et la primauté de l’action publique dans la protection de la santé de ces citoyens. Ce principe doit transgresser tous les engagements, y compris vis-à-vis des institutions internationales, car la protection des citoyens est un principe sacré pour tous les Etats.
Le second principe concerne la nécessité et l’impératif d’apporter une réponse globale et complémentaire. Cette crise sanitaire a montré dans le monde, comme chez nous, sa complexité et le fait que ses effets ne se limitent pas aux aspects sanitaires mais se prolongent aux aspects économiques et sociaux pour devenir une question de sécurité nationale. Pour l’ensemble de ces raisons, le programme national de sauvetage doit être global en comprenant toutes les dimensions sanitaires, économiques et sociales.
Le troisième principe concerne la dimension économique et la nécessité pour le gouvernement et la Banque centrale d’œuvrer en tandem et de multiplier les efforts pour réduire le poids de la récession à venir. Ceci exige du courage pour sortir des politiques économiques conventionnelles en œuvre jusqu’à aujourd’hui et de mettre en place de nouveaux choix audacieux et capables de relancer la croissance économique et de lui donner un nouveau souffle.
Le quatrième principe concerne l’importance du secteur de la santé et la nécessité de l’appuyer et de le renforcer. Cette crise sanitaire a démontré, s’il en fallait, dans notre pays comme dans le monde, l’état de destruction qui a touché ce secteur suite aux ravages des politiques néo-libérales et les appels à une réduction du rôle de l’Etat dans le fonctionnement de nos économies avec l’imposition de la logique du marché et du gain immédiat aux secteurs sociaux. Cette crise a démontré que le secteur de la santé, comme tous les autres secteurs, sont des secteurs stratégiques qui exigent une intervention importante de l’Etat afin d’assurer la santé pour tous les citoyens ainsi que la sécurité sociale.
Le cinquième principe concerne la dimension sociale de l’Etat. Ce programme de sauvetage de l’économie repose sur le principe de la solidarité et la responsabilité de l’Etat de soutenir les couches sociales les plus faibles et les plus défavorisées qui seront touchées de manière frontale par la crise économique et l’explosion du chômage. L’Etat devrait opérer des transferts sociaux d’une grande ampleur en faveur des familles les plus nécessiteuses pour les soutenir et réduire l’impact négatif de la crise.
Le sixième principe concerne les effets négatifs de cette crise sur nos entreprises et la nécessité de mettre en place les politiques et les mesures pour les sauver. Tous les paysau monde ont mis en place des programmes et des initiatives majeures et audacieuses pour venir à leurs entreprises en détresse. Nous devons sortir des initiatives ponctuelles de certains départements pour faire de l’appui à nos entreprises en difficulté une cause nationale.
Le septième principe est lié au fait que ce programme de sauvetage de court terme pour arrêter la propagation du virus mais prendre des mesures de moyen et long terme particulièrement celles en rapport avec la mise à niveau structurelle du secteur de la santé.
Le huitième principe concerne la nécessité de tirer profit de toutes les mesures prises par les grandes institutions financières internationales pour venir en aide aux pays en développement dans leur lutte contre le virus Covid-19.
Après la présentation de ces principes, nous passons à la présentation du contenu du programme et des mesures concrètes dont nous suggérons la mise en œuvre.
Le programme et les mesures
1 - Les mesures immédiates
Ces mesures se situent à quatre niveaux.
- Les premières sont des mesures d’urgence qui concernent le secteur de la santé et la mise à sa disposition de 300 millions dinars pour faire face à cette crise.
- Le second niveau concerne l’aspect social et la nécessité de venir en aide aux couches sociales les plus démunies qui seront touchés par cette crise. Nous suggérons des transferts sociaux de l’ordre de 200 millions de dinars.
- Le troisième niveau concerne les entreprises en détresse et touchées par cette crise. Selon nos estimations, le trop perçu de TVA et d’impôt au profit de l’Etat se situe aujourd’hui autour de 6 milliards de dinars. Nous proposons le transfert de ce trop perçu en faveur des entreprises dans les secteurs les plus touchés à la hauteur de 2 milliards de dinars sous forme de crédit d’impôt pour les trois prochaines années.
- Nous suggérons enfin la réduction des charges patronales dans les secteurs les plus touchés par la crise de 50% au cours de cette année.
2 - Les politiques économiques
Parallèment aux mesures de court terme, les politiques économiques, et particulièrement les politiques monétaires et les politiques budgétaires, ont un rôle majeur à jouer dans ce programme de sauvetage de l’économie.
- Au niveau des politiques budgétaires, nous suggérons un programme de relance équivalent de 2 milliards de dinars particulièrement dans les grands travaux,
- Au niveau des politiques monétaires, nous suggérons la réduction des taux directeurs de 200 points de bases,
- Nous suggérons également que la Banque centrale et le gouvernement viennent en appui aux entreprises en difficulté dans leurs négociations avec les banques,
- Nous suggérons également la mise en circulation de la part de la Banque centrale de 500 millions de dinars en faveur du financement des entreprises.
3 - Les mesures de long terme
Nous suggérons de mettre l’accent sur le secteur de la santé et lui assurer des investissements publics de l’ordre de 1 milliard de dinars par an afin de le restructurer et de le mettre à niveau pour affronter les nouveaux défis épidémiologiques.
Les résultats de ce programme
Nous avons cherché à simuler ce programme avec le scénario médian de la crise. Les résultats de cette médiation sont résumés dans le tableau n°3.
Tableau n°3: Les résultats économiques du programme de sauvetage
Les résultats de ce programme de sauvetage montrent que son impact sur la croissance sera important. En effet, dès cette année le taux de croissance pourrait atteindre un taux de 3,46% et ce rythme sera encore plus marqué au cours des deux prochaines années.
Le retour de la croissance va avoir des effets positifs sur le chômage avec une baisse de -1,56% en 2021et qui se poursuivra au cours de l’année 2020 avec un rythme plus élevé de -2,78%.
Ce programme sera également à l’origine du retour de la consommation interne à partir de 2021 avec une croissance de 1,52% et de 2,54% en 2022. Ce retour de la consommation interne sera à l’origine d’une hausse de l’inflation mais qui restera relativement mesurée.
Mais, le plus important développement suite à l’application de ce programme concerne le retour de l’investissement qui va connaître un développement rapide et entrainera dans sa dynamique les exportations et les importations.
Notre pays va également connaitre une augmentation rapide des revenus de l’Etat suite à la progression des impôts sur les entreprises et sur les revenus. Mais, cette augmentation ne sera pas suffisante pour faire face aux besoins de financement ce qui entrainera une augmentation de l’endettement mais qui commencera à s’estomper dès la seconde année de l’application du programme.
Les résultats de cette étude montrent qu’un programme ambitieux, volontairequi rompt avec les politiques conventionnelles est capable de faire face à la crise provoquée par la pandémie du Covid-19. Mais, ce programme exige beaucoup d’audace pour le définir, du courage pour le défendre, particulièrement devant les institutions internationales, et de la compétence pour l’exécuter et le mettre en œuvre.
En définitive, nous voulons nous arrêter sur trois messages importants.
Le premier message est que le virus Covid-19 est probablement l’une des plus graves pandémies que l’humanité a eu à confronter au cours des dernières décennies. Les conséquences de ce virus ne se limitent pas sur les aspects sanitaires mais se répercutent sur tous les aspects de la vie économique et sociale. Dans cette étude nous avons pu mettre en perspective la gravité des conséquences économiques de cette pandémie dans notre pays.
Le second message concerne les programmes de lutte contre la propagation du virus. Dans cette étude, nous avons insisté sur le fait que les réponses sanitaires aussi urgentes et immédiates soient-elles ne peuvent concentrer toute l’action publique pour faire face à cette crise. Il est nécessaire alors de formuler des programmes globaux qui cherchent, comme dans les autres pays du monde, à répondre à la gravité de cette crise et à sa complexité.
Le troisième message concerne la capacité des politiques publiques et des Etats à faire face à cette crise sanitaire et à ce virus. Notre étude a démontré la capacité de faire face au Covid-19 à travers des politiques publiques audacieuses et courageuses. Ces politiques pourront ainsi redonner espoir face à la peur et à la psychose qui nous envahissent aujourd’hui.
Contrairement à Florentino et à son amoureuse qui resteront éternellement sur le bateau dans le roman mythique «L’Amour aux temps du Choléra» de Gracia Marquez, les politiques publiques, l’engagement citoyen et la coopération multilatérale nous permettront de faire face à cette pandémie et au bateau de l’humain d’amarrer sur le quai de l’espoir et du rêve.
Hakim Ben Hammouda & Mohamed Hédi Bchir
(1) MIRAGE, a Computable General Equilibrium Model for Trade Policy Analysis, Mohamed Hedi bchirdecreux, Y. Guérin, J-L. And Jean, S. CEPII Working Paper N° 2002-17, December 2002,
(2) DIVA, A CGE Model for the study of African Diversification, Mohamed Hedi BCHIR, Hakim Ben Hammouda and Mohamed Abdelbasset Chemengui, ATPC workingpaper N 63 February (2007).
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Indéniablement, cet article mérite d'être largement relayé. Mais pour sortir de la crise les auteurs signalent à juste titre que"l’engagement citoyen et la coopération multilatérale nous permettront de faire face à cette pandémie". Or ce souhait sera difficile à obtenir satisfaction dans le contexte international actuel marqué par des gouvernements nationalo-populiste qui fustigent le multilatéralisme et préconisent le repli sur soi.