Safia Mestiri-Chebbi: La grande historienne Annie Rey Goldzeiguer, Tunisienne de cœur, vient de nous quitter
Annie Goldzeiguer est née à Tunis le 12 Décembre 1925. Ses parents, le Docteur David Goldzeiguer, d’origine russe et sa femme Germaine Rénier, institutrice se sont rencontrés à Bar-sur-Aube pendant la première guerre mondiale; ils se marient à la fin de la guerre et viendront s’installer en Tunisie. Annie, leur unique enfant,sera inscrite à l’école de la rue de Russie où elle se liera d’amitié avec Zohra Chenik, fille du Premier ministre M’hamed Chenik dès les petites classes jusqu’à l’année de leur bac.Très bonne élève, Annie sera toujours parmi les premières de sa classe. Elle dira très souvent que c’étaient ses plus belles années.
Le Docteur David Goldzeiguer, en plus de ses activités médicales, était l’un des chefs de la Chambre Maçonnique d’Afrique du Nord. Annie se souvenait de l’importance des relations de son père mais était loin de s’imaginer de la fatalité qui l’attendait.
En effet l’année 1943, marquera une rupture totale dans sa vie et lui fera subir un bouleversement dans son quotidien: son père sera arrêté et déporté. Elle ne le reverra plus jamais!
Malgré ce cataclysme, Annie décrochera son bac avec brio.
Toute sa vie Annie sera marquée par cette séparation brutale, cette frustration d’un père que nul n’a pu remplacer.
Restée seule et ayant pour unique famille sa maman qui ne la quittera plus, Annie ira à Alger pour poursuivre des études en Histoire, sa vie changera, et du confort et de l’insouciance del’enfance elle passe à une vie dure et pénible, de lutte quotidienne. Elle y rencontrera également son mari, Roger Rey, jeune étudiant qui sera, plus tard, officier de l’armée française mais comme elle, anticolonialiste.
Elle sera marquée par les injustices que subissent les Algériens, et le jour du bombardement de Sétif le 8 Mai 1945, par l’aviation française, Annie y a vu le drame de la colonisation et non de la libération. Avec son mari, Roger, ils seront toujours du côté des peuples qui luttent pour leur indépendance et choisiront le camp de la Révolution algérienne.
En 1947, Annie Rey Goldzeiguer réussira avec brio le concours de l’agrégation, à la Sorbonne et sera la plus jeune agrégée de France. Elle fera également la connaissance de son mentor et père spirituel, Charles-André Julien.
Jusqu’en 1952, elle mettra sa carrière en suspens car elle suivra son mari, nommé à Madagascar.
De retour à Paris, elle sera professeure des écoles à Paris, mais n’oublie pas ses amis algériens. Avec son mari, Roger Rey, ils feront partie du réseau Curiel et seront des « porteurs de valises »pour venir en aide à la révolution algérienne, affrontant les risques et les dangers encourus .
Mais elle n’oublie pas son métier qui sera toute sa vie. En 1947, elle sera la plus jeune agrégée de France.
Sous l’influence de Charles André Julien, elle s’inscrit en thèse (thèse d’Etat) en 1962 et consacrera son travail sur «Le Royaume Arabe. La politique algérienne de Napoléon III»; elle l’a soutiendra à la Sorbonne en 1974.
C’est à cette date qu’elle revient en Tunisie, qu’elle avait quitté en 1943!
Charles André Julien et son équipe dont Annie Rey Goldzeiguer, avec le soutien du Président Bourguiba et de son ministre, Mohamed Sayah élaborent un programme pour le rapatriement des archives tunisiennes, le P.N.R (Programme national pour la recherche) qui fera l’ossature de l’Institut de l’histoire du mouvement national, actuel Institut de l’histoire contemporaine.
Parallèlement Annie Rey Goldzeiguer enseignera à l’Ecole normale supérieure de Tunis, durant trois ans et aura comme étudiants entre autres les deux grands historiens, Noureddine Dougui et Mohamed Lazhar Gharbi.
A la fin de son contrat, de retour en France, elle sera nommée à la faculté des Lettres et des Sciences humaines de Reims jusqu’à sa retraite et son éméritat. Elle dirigera plusieurs thèses et travaux. Elle participera à l’ouvrage «La France coloniale» dans lequel elle rédige la partie «La France coloniale de 1830 à 1870».
En 2002, elle publiera son dernier ouvrage, «Aux origines de la guerre d’Algérie, 1940-1945»
Ses étudiants venaient essentiellement des pays africains et maghrébins. En plus de son encadrement académique rigoureux, très réputé, elle leur apportait cette douceur et cette chaleur maternelles qui leur manquait dans ce pays étranger et froid et cette générosité débordante qui ne la quitte jamais, sa maison leur était grande ouverte pour notamment ses couscous du samedi.
Bien entendu, elle fera constamment le va et vient avec la Tunisie où elle s’est installée dans la maison de son enfance, si chère à elle, sise à Mégrine, qui accueillera ses nombreux amis.
Son dernier geste envers son pays de cœur, la Tunisie: le don de sa magnifique bibliothèque de 3.500 ouvrages.
R. I. P Annie Rey Goldzeiguer, vous avez marqué vos nombreux étudiants qui ne vous oublieront jamais!
Safia Mestiri-Chebbi
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