News - 03.06.2014

Menzel Temime: Au secours! au secours! la soif nous tue!!

Le Journal Télévisé de 20 heures de la 1ère Chaîne Nationale a diffusé vendredi 30 mai 2014 un reportage choquant et émouvant à la fois. Choquant parce que le village de Garsoline, dans la délégation de Menzel Temime (Gouvernorat de Nabeul) n’a pas d’eau depuis trois ans, aux dires de ses habitants. Emouvant - voire poignant - par les souffrances que la population endure de ce fait.

Particulièrement remarquée est cette pasionaria qui a crié «Au secours» devant la caméra, à plusieurs reprises, avec une conviction et une sincérité touchantes et qui ne peuvent laisser indifférent. Cette dame était approuvée par les villageois - hommes et femmes - qui l’entouraient et qui, sur un ton dramatique, affirmaient carrément que la soif les tuait. Une autre personne a montré un seau d’eau tiré d’un puits ou d’un point d’alimentation visible sur l’écran : le liquide était nettement impropre à la consommation étant donné sa couleur et la présence de débris fort peu appétissants.

Plusieurs autres citoyens ont parlé de maladies provoquées par cette eau et affirmé que le manque d’eau a contraint à l’exode plusieurs natifs de Garsoline. Un enseignant a confirmé que ni l’école ni le dispensaire ne disposent d’eau.

Il faut féliciter la Télévision Nationale pour sa fréquente couverture de la question de l’eau dans la Tunisie profonde et de ses «zones d’ombre»…mettant fin au mythe forgé par Ben Ali d’une Tunisie où coulent à flot le lait et le miel! Pour ne rien dire de l’eau, bien entendu ! Ainsi, à titre d’exemples non exhaustifs, la télévision a évoqué le 2 janvier 2014, le cas de la délégation de Haïdra où  les gens restent des mois sans que le camion-citerne public se souvienne de leur existence.

Faut-il rappeler qu’il y avait des thermes - donc assez  d’eau disponible- à Haïdra à l’époque romaine et qu’en ce temps-là, peut être que l’eau de l’ouèd Haïdra était potable? Le 22 mai 2014, la télévision a annoncé l’apparition de cas de gale dans une école sans eau du gouvernorat de Kairouan. Le 28 avril 2014, un reportage dans le village sans eau potable d’Oum Bechta (Jendouba) parlait d’enfants dialysés du fait de la pollution de l’eau.

Le 24 du même mois, elle informait du sort du village d’El Khazazia (Gouvernorat de Kairouan) sans eau potable depuis un an et demi, du fait de la défaillance d’une entreprise chargée de l’adduction d’eau, et du supplice de la population contrainte de parcourir 4 km pour s’approvisionner en eau. Le 21 janvier de cette année, la télévision nous a conté les ennuis des habitants de Torkhania (délégation de Menzel Bouzalfa dans le Cap Bon) privés d’eau depuis 1974. Le 2 juin 2014 à 20h la télévision nationale récidivait en nous amenant à Sidi Harrath (Gouvernorat de Kasserine), un autre pauvre village sans eau potable. Les 6 janvier et 10 avril 2014, elle évoquait des manifestations pour l’eau potable à Oulèd Mansour et à El Amaria (délégation de Majel Ben Abbès, gouvernorat de Kasserine) ainsi qu’à Douz.

Comment ne pas s’indigner devant ces souffrances, ces maladies évitables, ces écoles, ces dispensaires sans eau? Comment admettre cette inégalité « hydrique » que vivent tant de Tunisiens ? Faut-il rappeler que l’éducation, la libération de la femme, la réduction de la pauvreté, la réduction de la mortalité infantile et maternelle et des maladies infectieuses sont tributaires de l’accès à l’eau ? Jusqu’à quand la Tunisie postrévolutionnaire peut-elle fermer les yeux devant cette injustice ? Révolution de la Dignité ? Oui, mais la dignité et  l’estime de soi sont impossibles sans eau!

L’eau, tributaire de la volonté politique

Rappelons tout d’abord que la Constitution promulguée le 27 janvier dernier stipule (article 44) : «Le droit à l’eau est garanti.»
Il est peut-être enfin temps que les ministères concernés trouvent le moyen de  résoudre cette question qui crucifie les populations car nulle amélioration, nul développement social ne sauraient voir le jour en absence d’eau potable.   C’est un truisme!

En 1931, le Dr Mahmoud El Materi écrivait: «Point d’eau, point d’hygiène, quoi qu’on fasse… La difficulté qu’on a à se procurer le précieux liquide est une des principales causes de la diffusion de nombreuses maladies qui minent la population tunisienne. L’eau existe, mais il faut de toute urgence que l’Etat entreprenne les travaux nécessaires pour la mettre à la disposition de tous les habitants, indistinctement.» (Mahmoud El Materi, «Itinéraire d’un militant», Cérès, Tunis, 1992, p. 226).  Même si le pays a bien évidemment changé, le Dr Materi continue à avoir raison : l’eau reste tributaire de la volonté politique, des priorités du pouvoir et de la construction sociale autour d’elle.

L’ordre public et la fourniture d’eau aux populations

La mauvaise gestion de l’eau a coûté cher à de nombreux pays en développement : en Algérie, la question de l’eau a donné lieu à des troubles sociaux importants. Dans la revue des ingénieurs des Mines (France), en juin 2000, on rappelait que le Front Islamique du Salut (FIS) a été créé en octobre 1988, suite aux émeutes provoquées par le manque d’eau à Alger (Cf notre ouvrage «Les batailles de l’eau.

Pour un bien commun de l’Humanité», Editions de l’Atelier, Paris, 2003). En Haute Egypte, les paysans assoiffés ou en manque d’eau d’irrigation coupent les routes. François Pradal, réalisateur de films documentaires sur les villes du Canal de Suez écrit dans le Monde Diplomatique (Janvier 2010, p.20) : «La question de l’eau résume tous les maux dont souffrent les populations de Suez.» car Gamal, le fils de Moubarak, expulse les gens afin d’implanter des industries et des hôtels luxueux qui évacuent leurs eaux usées sur les quartiers périphériques.

Au Maroc, des marches contre la soif ont eu lieu à Ouarzazate et une répression féroce s’est abattue sur le village de Beni Smim, près de Fès, car des industriels voulaient s’en approprier la source pour en embouteiller l’eau. Peut-être juge-t-on, en haut lieu, chez nous, que ces zônes visitées par la télévision - pour la plupart rurales - peuvent attendre puisqu’il y a tant à faire!

Il faut rappeler que l’Assemblée Générale des Nations Unies a voté, le 28 juillet 2010, une résolution qui fait de «l’eau salubre et propre» et de l’assainissement «un droit fondamental, essentiel au plein exercice du droit à la vie et de tous les droits de l’homme.» Il faut espérer que nos juristes, nos associations de la société civile se saisissent de l’article 44 de la Constitution ainsi que de cette résolution pour amener les autorités à doter enfin ces concitoyens d’adductions d’eau potable.

En Tunisie, pour assurer la fourniture d’eau aux zones rurales, il faut revoir le fonctionnement des milliers de GIC (Groupement d’Intérêt Collectif) d’eau potable, d’irrigation ou mixtes. Il faut surtout les assainir et rendre leur fonctionnement  transparent. Dans ce but, il faut véritablement associer les citoyens-utilisateurs et la société civile à leur fonctionnement,  sous le contrôle vigilant de l’Etat car l’eau est un bien commun de tous les Tunisiens.

Les colloques, séminaires, rapports (émanant même d’organismes internationaux ou d’ambassades)… sur l’eau et sa «gouvernance» se sont beaucoup multipliés depuis la Révolution. Il s’agit de savoir si ces manifestations apportent une quelconque solution concrète aux  populations assoiffées de la Tunisie profonde et si on leur accorde un intérêt suffisant dans les ministères concernés.

Il faudrait savoir enfin si elles peuvent contribuer à secourir les habitants du village de Garsoline et sa touchante et emblématique passionaria.  Garsoline l’assoiffée (délégation de Menzel Temime) n’est pourtant qu’à quelques dizaines de kilomètres de la capitale… là où se produisent la plupart de ces évènements!

Mohamed Larbi Bouguerra

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1 Commentaire
Les Commentaires
citoyenne indépendante - 03-06-2014 19:04

Je suis juste curieuse de savoir à quand remonte tout cela? Est ce Avant ou après la révolution? Honteux de voir ça! !

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