Opinions - 12.12.2011

Notre principal défi, aujourd'hui, l'effritement du contrat social*

La Révolution du 14 janvier a concrétisé l’union des tunisiens autour des valeurs de la Liberté et de la Dignité et contre le despotisme, la corruption et l’exclusion sociale.

Elle a renforcé en eux, le sentiment d'appartenance nationale et le sens de la Solidarité.
Cette révolution pacifique, populaire vient de réussir sa première épreuve : l’élection transparente et libre d’une assemblée constituante représentative d’une Tunisie plurielle, attachée aux valeurs de la Démocratie, du Progrès et de la Justice sociale.

Cependant, à l’heure où les représentants du Peuple se penchent sur l’organisation et la mise en place des institutions provisoires de l’Etat en attendant l’élaboration d’une nouvelle constitution, et alors qu’il y a des raisons objectives de se réjouir de la réussite de cette première phase de la transition, l’inquiétude et l’angoisse dominent les esprits ! Les raisons en sont nombreuses :détérioration de la situation économique, chômage en hausse notamment parmi les jeunes, revendications sociales de toutes sortes, grèves et sit-in, crise économique en Europe, incidents à la frontière tuniso-libyenne…

Certes, nous sommes habitués aux grèves et aux manifestations que certains considèrent comme un signe de vitalité du Corps social. Les grèves constituent un moyen légalement reconnu de protestation et de revendication.
Cependant beaucoup de celles-ci sont spontanées et ne sont pas précédées de préavis.Leurs motifs ne sont pas toujours professionnels, notamment dans le Secteur public où elles constituent souvent une mise en cause des choix de la Direction et de l’Autorité de tutelle.

 Les manifestations aboutissent souvent à l’occupation des lieux, à des actes de destruction de biens et même à des violences contre les personnes.

Ce sont là des comportements surprenants, inusités, et bien que mûs par des revendications souvent légitimes, ils sont inexcusables ! D’abord parce qu’ils portent préjudice aux intérêts d’autrui et à ceux de la Collectivité nationale, en second lieu parce qu’ils recourent à l’action collective, aux « solidarités » de groupes ou de clans, au détriment de la solidarité nationale, et enfin parce qu’ils privilégient l’usage de la violence destructrice au dialogue et à l’application de la loi.

De tels comportements constituent des signes révélateurs d’une perte de confiance dans les institutions de l’Etat et un affaiblissement du sens de la solidarité nationale au profit des intérêts individuels et de groupes. Ce sont autant de manifestations de l’effritement  du lien social, qui unit les citoyens entre eux, qui constitue le fondement du « vivre ensemble », et qui donne à l’Etat  sa légitimité en tant que garant de l’ordre public et de la  cohésion sociale.

C’est cet effritement du Contrat Social qui constitue aujourd’hui notre principal défi.
Pourquoi sommes nous arrivés à cette situation ? comment y remédier ? comment restaurer la confiance et renforcer le lien social ?

Telles sont les questions qui nous interpellent et auxquelles je vais essayer d’esquisser quelques  réponses en guise d’introduction à votre panel.

D’abord comment expliquer ces comportements ?

Les explications sont à chercher dans le processus révolutionnaire lui-même né d’un malaise social profond, d’un sentiment d’exaspération chez plusieurs catégories de citoyens victimes du chômage, des inégalités économiques et de l’exclusion sociale, et devenus impatients après de longues années d’attente, de privation et de frustration.

Ce malaise social prend ses sources dans l’essoufflement du modèle de Développement qui a atteint  ses limites, et dans l’échec de l’Etat dans son rôle régulateur de Développement et garant de la cohésion sociale.
Par ailleurs, la Révolution a balayé le régime despotique qui régnait durant les vingt trois dernières années, le dépouillant de sa légitimité, entrainant l’effondrement des institutions qui le soutiennent, le discrédit des symboles du Pouvoir et une perte de prestige et de crédibilité de l’Etat.

Enfin, la Révolution a révélé un niveau élevé de conscience politique et sociale chez le citoyen tunisien, qui revendique la plénitude de ses droits de citoyen et la jouissance des libertés fondamentales dans un état de Droit.

Ainsi, la Révolution a mis à nu des abus du Pouvoir, l’instrumentalisation de l’Etat au service du régime politique et de ses acolytes, les défaillances de la stratégie de développement mise en œuvre !

Elle a fait exploser en même temps les rancœurs, les revendications et les aspirations d’une population consciente de ses droits et impatiente de les faire valoir et de les exercer : libertés individuelles et collectives, participation aux décisions qui concernent leur présent et leur avenir, répartition équitable des fruits de la croissance, accès à l’emploi et à des conditions décentes de vie et de travail.

La légitimité et l’acuité de ces revendications sont incontestables, mais c’est leur satisfaction qui pose problème, compte tenu du contexte historique que nous vivons.

Certes un gouvernement de transition sera constitué prochainement et il lui appartient d’élaborer un programme d’action comportant des solutions appropriées aux problèmes qui se posent, en fonction de leur acuité et de leur urgence et en fonction des moyens disponibles.

Dans quelle mesure un tel programme d’action élaboré par le gouvernement de transition permettra-t-il d’apaiser les tensions, de restaurer la confiance dans les institutions de l’Etat et renforcera-t-il le lien social ?
A mon avis, la densité, l’ampleur et l’acuité des revendications sont telles aujourd’hui, que seul un large consensus résultant d’un débat national entre les différents acteurs politiques économiques et sociaux pourrait aboutir à la réalisation de cet objectif.

Un tel débat permettra d’identifier et d’analyser les problèmes, d’évaluer les moyens nécessaires pour les résoudre, d’établir un ordre de priorité et d’élaborer une feuille de route comportant les solutions aux problèmes urgents et l’amorce des réformes d’ordre économique et social à engager à moyen terme en vue de mettre fin aux errements du passé et de répondre aux aspirations de la population.

Rappelons à ce propos que la genèse de la Révolution Tunisienne est d’abord sociale. Les populations se sont révoltées contre l’exclusion et ont réclamé l’emploi, pour tous, la justice sociale et un développement régional équilibré.

Sans doute, l’Assemblée Constituante ne manquera pas d’inscrire la satisfaction des besoins économiques sociaux et culturels des citoyens parmi les droits humains fondamentaux que la Société reconnait aux citoyens et que la 2ème République s’engage à réaliser.

En outre, la feuille de route, qui sera issue du débat national que nous préconisons et qui fera l’objet d’un large consensus national, sera nécessairement le résultat de négociations entre les partenaires politiques, économiques et sociaux et des concessions que les uns et les autres auront consenties à cette occasion.
Quoi qu’il en soit, seul un consensus national sur les priorités immédiates et des objectifs clairs à moyen terme, permettront de rétablir la confiance dans l’avenir, de restaurer la paix sociale et d’assurer une transition démocratique réussie.

* discours prononcé le 9 décembre 2011 à la 26e session des journées de l'entreprise.

Mohamed Ennaceur

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1 Commentaire
Les Commentaires
Taieb ourari - 12-12-2011 17:03

Et si cette plaidoirie a été prononcée au cours de l'ère où ces dérives se sont érigées en système!On aurait pu tempèrer la colère latente des tunisiens.Mais il parait que nous étions trahis par le courage!

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