Opinions - 06.05.2011

IPEST : Le malentendu récurrent

Depuis plusieurs années, l’IPEST attire autant l’attention du public par les revendications de ses étudiants que par les résultats – généralement brillants – qu’ils obtiennent aux concours d’entrée aux grandes écoles d’ingénieurs françaises.

Il faut d’abord préciser que la création de l’IPEST en 1991 n’avait pas pour objectif principal d’exporter nos meilleurs jeunes scientifiques vers les écoles d’ingénieurs françaises. Bien au contraire. Nous avions conclu, avec la commission pour la réforme mise en place par le regretté Mohamed Charfi, que la séquence « formation à l’étranger » ouverte après l’indépendance avait pour l’essentiel épuisé ses possibilités historiques. Les retours en Tunisie s’étaient faits rares, et l’écart entre les standards français et celui de l’ENIT, fortement mise à mal par vingt années de troubles à l’université, n’avait cessé de se creuser. Pour que nos meilleurs jeunes  puissent rester ou revenir au pays afin de servir son développement, il était impératif de créer à domicile des formations de qualité équivalente à celles qu’ils partaient rechercher en France. Et pour les convaincre, ainsi que leurs familles, de la qualité de l’offre de l’IPEST, ce dernier se devait d’affronter avec succès les concours d’accès aux écoles françaises les plus prestigieuses : Polytechnique, Mines-Ponts-Télécom, Ecoles Centrales, SupEléc, SupOptique, Ecoles Normales Supérieures.

Comment donc, seulement celles-là s’étonnèrent certains ? N’est-ce pas risqué ? Et les écoles du CCP, seraient-elles donc si  mauvaises ? A la première question, l’histoire a répondu que s’il y avait risque et défi à se limiter aux écoles les plus prestigieuses, l’IPEST a su les relever haut la main dès la première session des concours que ses élèves ont passée en 1994, puis il a su transformer définitivement l’essai en 1995 par deux intégrations à l’X et plusieurs autres dans les écoles de rang A. Quant à la seconde question, il suffit  de rappeler que l’objectif n’était pas de former tous nos ingénieurs en France, mais de mettre à niveau notre système de formation d’ingénieurs, en nous appuyant sur le « standard » français d’excellence pour « tirer » le nôtre vers le haut et pour le valider. Sans doute aurions-nous eu la capacité d’envoyer tous nos élèves en France si nous l’avions souhaité, car ils en avaient le niveau. Mais est-ce ainsi que l’on construit une université, une économie, et in fine un pays ?

Alors, pourquoi ce malentendu récurrent, ce serpent de mer qu’est la revendication d’accès – avec le bénéfice d’une bourse – aux écoles du CCP ? Parce qu’à partir de 1997, la liste des écoles françaises auxquelles les élèves de l’IPEST ont eu accès tout en bénéficiant d’une bourse n’a cessé de s’élargir. Sans que l’on en comprenne les raisons profondes, car l’époque ne brillait pas par sa transparence.  Est-ce la peur d’éventuels mauvais résultats aux concours des écoles de rang A?  Ou bien un déficit de confiance dans la qualité de la formation dispensée par les écoles tunisiennes, alors même que l’Ecole Polytechnique de Tunisie avait précisément été créée pour réduire l’écart avec le modèle français, et que certaines écoles comme Sup’Com, l’ENIT ou l’ENSI, avaient relevé le défi et commençaient à apparaître aux yeux des élèves de l’IPEST comme des alternatives endogènes crédibles ? C’est à l’histoire de répondre, dès lors que le premier responsable de ce glissement n’est plus de ce monde. Quoiqu’il en soit, les élèves de l’IPEST se sont progressivement détournés du concours national, et le système qui avait été conçu pour les retenir en Tunisie s’est mis à faire exactement le contraire. L’IPEST s’est transformé en une sorte de prépa délocalisée, fonctionnant au profit exclusif  des écoles d’ingénieurs – et des entreprises – françaises, avec les ressources du contribuable tunisien.

Il fallait bien mettre un terme un jour à l’anomalie que constituait cette « coopération à l’envers ». Mais chacun sait qu’il est plus facile d’ouvrir une porte que de la refermer. C’est à cette quadrature du cercle que se sont attaqués–sans grand succès – plusieurs ministres de l’enseignement supérieur, et à laquelle l’actuel titulaire du poste fait face aujourd’hui à son tour.

Comment s’en sortir ? Certainement pas en retombant dans les errements du passé. Les élèves de prépa ont certes des ambitions aussi légitimes qu’honorables, et celle d’intégrer une école de leur choix – y compris une école du CCP  - en est une, Mais les bourses d’études à l’étranger ne sont pas que des récompenses attribuées aux bons élèves, elles constituent aussi et surtout des instruments au service d’une politique nationale de formation. Les pouvoirs publics sont donc parfaitement fondés à fixer la liste – nécessairement limitée – des écoles étrangères auxquelles l’intégration ouvre le droit. Avec le souci premier de ne pas déclasser leurs propres écoles, mais bien plutôt de les installer dans une saine compétition avec les écoles et les standards européens, une compétition qui les fasse progresser sur le chemin du partage de ces standards.

Pour sortir de ce cercle vicieux, il est indispensable de découpler radicalement les deux sujets. Le droit de passer les concours, tous les concours, est un droit inaliénable des jeunes citoyens que sont nos étudiants. Le gouvernement n’a pas le droit d’y interférer en délivrant des dossiers aux uns et pas aux autres, en autorisant celui-ci et en interdisant celui-là,. Ces méthodes là sont d’un autre âge, l’âge d’avant la révolution. Elles ont fait leur temps.

En revanche, l’attribution des bourses, la prise en charge des droits d’inscription aux concours, celle de la participation aux épreuves orales, l’organisation des épreuves écrites dans des établissements publics, tout cela relève de la responsabilité des pouvoirs publics. Ceux-ci sont comptables de l’usage – au service d’une politique affichée et en fonction de critères précis – des ressources de la nation, ces ressources que chaque citoyen contribue à constituer en payant ses impôts. Demain, la politique éducative au service de laquelle ces fonds publics pourront être employés sera déterminée par les votes des citoyens. Mais dès aujourd’hui, ce serait l’honneur du gouvernement provisoire que de s’employer à ne pas laisser au gouvernement qui sortira des urnes le cadeau empoisonné d’un dossier d’autant plus explosif qu’il aura été traité sans courage.

Mohamed Jaoua
Professeur des Universités,
Directeur-fondateur de l’IPEST et de l’Ecole Polytechnique de Tunisie (1991-1995)

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14 Commentaires
Les Commentaires
el manchou - 06-05-2011 15:57

la solution serait d'enseigner exclusivement en arabe à l'IPEST comme ça les étudiants ne pourront pas passer les concours étrangers et l'arabe est notre langue officielle : d'une pierre 2 coups.

Yazid Ex Ipestien - 06-05-2011 18:43

Ok, tout à fait d'accord. Mais le problème est le genre de méthodes qu'utilisent les gens du ministère pour "remettre l'ordre" dans l'attribution des bourses: Dans ma promo, on était entrés à l'IPEST dans le cadre d'un contrat sous-entendu, et même verbalement promu par le directeur à l'époque: CCP pour tout le monde, bourses pour toutes les écoles. Et c'était sur cette base que nous avons accepté d'intégrer l'Ipest. Ce qu'ils ont fait était de limiter les dossiers, écoles et bourses en 2ème année avec une mesure rétroactive, ce qui est complètement injuste et inacceptable: les gens avaient déjà passé un an et-demi à étudier pour un seul objectif (et parmi eux étaient ceux qui avaient visé dans leur travail des écoles particulières du CCP), ils n'avaient plus la possibilité de retour en arrière (ou bien ça leur coûtera 2 ans d'études, ceci pour dire que le ministère ne présentait pas des solutions pour la réintégration), et finalement ils se voyaient à quelques mois du concours dans une situation où les contraintes de travail ont complètement changé (bourses de l'oral limitées, écoles limitées, dossiers limités..), donc vous imaginez leur situation.. Que le contribuable Tunisien veuille de son argent et de ses cerveaux, c'est absolument son droit. Mais qu'il les réclame avec des mesures irresponsables, improvisées et mal conçues qui touchent toute une promo de lauréats du bac, c'est totalement inacceptable. Inutile aussi de rappeler que les bourse ne sont pas "des récompenses attribuées aux bons élèves", mais plutôt des prêts remboursables sans aucun caractère de don généreux et philantropique.

Ancienne de l'IPEST - 07-05-2011 09:46

@El manchou : l'idée n'est pas de se fermer au monde extérieur! Il s'agit de motiver l'élite à rentrer au pays après des études et éventuellement une expérience professionnelle à l'étranger. @M. Jaoua : étant moi-même une ancienne de l'IPEST, je peux affirmer qu'à cette époque nos professeurs nous disaient qu'intégrer l'ENIT par exemple était un échec!! Alors en disant cela aux étudiants comment voulez-vous qu'ils n'aient pas envie de partir??? En plus la formation à l'IPEST prépare beaucoup plus aux concours français qu'au concours national....à méditer... Par ailleurs, malheureusement rien ne motive les étudiants partis à l'étranger de retourner un jour en Tunisie. Le gouvernement a de gros progrès à faire de ce côté.

Houssem Kasbaoui - 07-05-2011 16:09

Je voudrais commencer par remercier M. Mohamed Jaoua pour cet article et pour avoir fondé l'IPEST (et l'EPT bien sûr). Je partage sans objection le point de vue de M. Jaoua sur le CCP mais je voudrais rappeler deux éléments qui manquent à son analyse. Le premier concerne la qualité de l'enseignement, le deuxième concerne l'administration/gestion de l'établissement. Comme vous pouvez le voir sur le site de l'IPEST l'effectif des professeurs Français a diminué progressivement de puis 1995. Le niveau de l'enseignement aussi. Les professeurs Français ont été remplacés par des agrégés Tunisiens, qui n'ont souvent pas fait de prépa et encore moins l'IPEST ! Chose très déterminante puisqu'ils ne connaissent pas "l'esprit" de la prépa, la quantité de travail que cela demande, et l'engagement des enseignant que cela nécessite. La qualité de l'enseignement s'est dégradé à un point insupportable. Il ne s'agit pas d'attaques gratuites que je lance aux agrégés de l'IPEST (dont certains sont très compétents et au quels je suis très redevable et sans qui je n'aurai pas intégré l'Ecole Centrale Paris), mais la plupart se sont distingués particulièrement par leur insuffisance pédagogique (scientifique très souvent aussi) et leur fainéantise (retards et absences à gogo, devoirs rendu après 2 mois voire jamais). Sans parler des colleurs dont le recrutement s'apparente plus à un tirage au sort aléatoire. Figurez vous que mon professeur de math en MPSI (avant qu'on fasse grève), a passé plus d'une heure et demi pour montrer qu'une suite d'entiers naturels décroissante et qui tend vers zéro est nulle à partir d'un certain rang! Inadmissible. Ce que la plupart des gens ignore aussi, c'est que chaque année(du moins depuis 2008) il y a des grèves pour protester contre un ou plusieurs enseignants (et qui ont conduit à l'expulsion du professeur dont j'ai parlé plus haut, pour, tenez vous bien, absentéisme exagéré !) . C'est un fait, il y a une fracture totale avec la demande intellectuelle des étudiants de l'IPEST et ce que la majorité des professeurs (je ne généralise pas pour autant) peuvent apporter. Je voudrais aussi signaler la défection de quelques rares bon professeurs/agrégés à l'IPEST pour des raisons financières toutes bêtes. Un professeur que j'admire beaucoup m'a dit à la fin de la première année qu'il voulait quitter parce qu'il faisait 30h l'ipest (pour un rythme sérieux avec des élèves sérieux) alors qu'il pourrait faire 18h à l'IPEIT (avec un rythme moins dur) et pour le même salaire! Sa demande de mutation avait été refusée pour sa plus grande peine et le plus grand bonheur des quelque happy few qui l'ont eu après. Le deuxième point que je voudrais évoquer, c'est l'attitude "m'en-foutiste" de l'administration. Non les derniers directeurs de l'IPEST n'ont jamais essayé de résoudre le problème du CCP avec les élèves. Ils se sont contenté de prendre pour argent comptant les directives du ministère et de faire taire les étudiants qu'ils fassent grève ou pas (déjà que 1 jour d'arrêt de cours en prépa est quasi irrattrapable). Il n'est pas étonnant alors que les élèves (qui ont souffert de la qualité d'enseignement médiocre ou qui ont été dégoutés par l'administration) se rabattent sur le CCP, comme seul issue pour garantir une bonne formation (Tout le monde ne veut pas faire IT à SUPCOM, et l'EPT reste également très sélective pour les IPESTiens). Je crois sincèrement que ce problème ne pourra être résolu qu'au tour d'une table ronde avec des représentants du ministère, de l'administration de l'IPEST et des étudiants. Tant que l'administration/ministère fera sourde oreille aucun compromis ne sera atteint et une relation conflictuelle n'est profitable à aucun (même si c'est les étudiants qui payent le plus cher).

AVIS - 07-05-2011 16:15

Je pense qu'il faut limiter l'attribution des bourses aux admis de quelques grandes écoles de classe A. Les écoles du CCP et même certaines écoles de classe A ne sont pas forcément meilleures que nos écoles d'ingénieurs. Le fait d'avoir des professeurs français à l'IPEST n'est pas inintéressant surtout s'ils avaient enseigné dans des prépas françaises de très bon niveau. Pour motiver nos taupins à rester en Tunisie il faut améliorer davantage le niveau d’enseignement de nos prépas et écoles d’ingénieurs en recrutant de bons enseignants affectés judicieusement dans leurs vraies spécialités via un concours objectif et transparent.

Mohamed Jaoua - 07-05-2011 20:45

@Houssem La question du niveau des enseignants est essentielle. C'est vrai que ne l'ai pas traitée. Si le niveau a baissé, c'est pour deux raisons : 1-Le statut des agrégés n'a pas été pérennisé, et leur situation sociale s'est considérablement dégradée. Les meilleurs ont fait des thèses et sont partis dans l'enseigenment supérieur. Et les autres sont restés ... ; 2-L'enseignement en prépa est un métier qui s'apprend. Lorsque nous avons créé l'IPEST, les agrégés qui y étaient recrutés faisaient un stage d'un an (moitié en France) avant de prendre en charge une classe. Ce stage a été supprimé, pour des raisons financières sans doute. "Et voilà pouquoi votre fille est muette !" (Molière, le médecin malgré lui). Tant que nous formions nos agrégés selon les standards internationaux, ils étaient bons, et même excellents. Puis, on a commencé à déraper. Les premiers dérapages pour l'agreg iont consisté à baisser la barre d'admissibilité (qui était la même qu'en France) pour "fabriquer" davantage d'agrégés. C'était en 1997 je crois. On en a eu davantage effectivement , mais de moins bonne qualité. @Ancienne de l'IPEST. Apparemment pas très ancienne néanmoins, car il n'était pas dit à l'IPEST (jusqu'en 1995) qu'intégrer l'ENIT était un échec. Avec nos élèves, nous visions soit les écoles de rang A, soit l'une des 4 écoles tunisiennes que sont EPT, SUP'COM, ENIT et ENSI. Notre objectif était de hisser celles-ci au niveau des meilleures écoles françaises par la saine compétition. Et nous avions commencé à marquer des points. Quant à dire que l'IPEST préparerait mieux aux concours français qu'au tunisien, les chiffres des concours vous contredisent : en 1994 et 1995, plus des 2/3 des élèves ayant intégré l'EPT venaient de l'IPEST. En 1994, plus de 40% des effectifs ENIT venaient de l'IPEST. Les quatre majors de cette promotion étaient Ipestiens. Certains d'entre eux sont aujourd'hui profs à l'ENIT : Faten Zghal, Hanen Bouchriha, et j'en oublie ! En fait, qui peut le plus peut le moins. En préparant les élèves de manière rigoureuse, il leur était possible de réussir aussi bien les concours français que tunisiens. Il fallait juste garder le cap, ne pas laisser filer, et c'était aux dirigeants d'être visionnaires, pas aux élèves. Eddouam yon9ob errkham ! Lorsqu'un ministre accepte que les élèves de l'IPEST ne passent pas le concours national, ou qu'on leur dise l'accès aux meilleures écoles d'ingénieurs tunisiennes est un échec et une déchéance, où va-t-on ? Eh bien, nous en étions arrivés là, et il serait temps que nous en revenions. Car la révolution des jeunes est aussi celle du recouvrement de la dignité. Et la dignité, c'est ne pas se déprécier aux yeux de soi-même, c'est de retrouver confiance dans nos moyens et nos institutions, c'est de nous donner les moyens de redresser leur qualité et leur respectabilité.

Abdelhakim Cherif - 08-05-2011 21:49

Merci Monsieur Jaoua pour l'exposé très clair d'un sujet qui est en effet assez récurrent. Je tiens à ajouter quelques observations à votre analyse, en tant qu'ancien étudiant de l'IPEST. Tout d'abord, pour citer mon enseignant de mathématiques au Lycée (Pierre Mandès-France), qui est aggrégé de l'ULM, et qui a eu l'occasion de faire des examens oraux à l'PEST: "la richesse de cet instut n'est pas la pédagogie qui est d'un autre âge, c'est l'incroyable capacité de travail des élèves et la richesse de la bibliothèque. Ce sont des auto-didactes". En d'autres termes, au fur et à mesure que les professeurs Français s'en allaient ils étaient remplacés, par des sommités du monde scientifique Tunisien, reconnus et diplômés, mais qui n'ont aucune formation ni compétence en termes de pédagogie. Nous, élèves, comptions sur la chance de pouvoir tomber sur quelqu'un qui possède des compétences innées sur le plan de la communication. Un indicateur limpide du fait que j'expose: Les résultats de l'institut. Comment justifier que les résultats de l'IPEST sont à peine comparables à la dixième ou à la quinzième prépa en France en termes de classement? Sachant que les effectifs sont TOUS des 18 au bac, des monstres de travail et d'intelligence? Ils deviennent après deux ans ce que l'institut en fait, et je suis désolé, mais le résultat n'est pas si brillant. D'autre part, en ce qui concerne les "fuites", et l'absence de retour en Tunisie des diplômés, il faut remettre les choses dans leur contexte: Comment espérer qu'un étudiant revienne s'il sait qu'il n'a aucun avenir à se faire? Après avoir fait des études qui orientent vers la recherche, et les technologies de pointe, encore faut-il avoir des opportunités. Avec un taux de chômage en Tunisie qui frise les 50% chez les jeunes diplômés, et avec la dénigration en Tunisie du métier d'ingénieur, qui à BAC +5 peut difficilement espérer accéder à une vie de cadre vu la moyenne des salaires. D'autre part, ce sont des jeunes qui ont quand même vécu deux ans assez rudes, puis trois ans en cycle ingénieur. Interrogeons nous: Quelles sont leurs motivations? La vocation scientifique, l'envie de réussir socialement, les rêves dorés? Le contexte économique Tunisien ne permet pas de réaliser un seul de ces objectifs, statistiquement parlant, ne nous perdons pas en contre-exemples isolés. Et c'est faux d'avancer que justement ces gens-là sont là pour créer les opportunités et changer la donne. D'abord, très souvent, les compétences acquises en France n'ont aucun débouché en Tunise. D'autre part, un ingénieur est une ressource, un outil, pas un moteur économique. L'état, ou autre détenteur d'une bourse bien garnie, devra créer des opportunités, élaborer des projet, et dans un premier temps mettre à contribution les compétences d'une jeunesse diplômée, nombreuse, qui dans 99% des cas où elle travaille se trouve dans une situation de sous-exploitation de son savoir-faire. C'est à mon avis un faux débat, ou une mauvaise stratégie, d'orienter les réflexions sur l'acquisition d'encore plus de compétences quand on a déjà tant de gens à Tunis qui savent tant de choses et qui se tournent les pouces.

Mohamed Mabrouk - 09-05-2011 07:48

Deux problèmes sont posés: celui de la qualité de l'enseignement dans les universités Tunisiennes et le problème particulier de la qualité de la formation d'ingénieur. Etant moi-meme ingenieur de formation et enseignant dans une ecole d'ingenieurs Tunisienne, je peux affirmer que pour le premier probleme, le systeme actuel de promotion de l'enseignant ne tient pas assez compte de l'effort pedagogique de l'enseignant. Il ne suffit pas de peser les kilos de documents presentés pour passer un grade. J'ose evoquer l'eternel probleme du salaire qui impose de faire autre chose en parallele et l'eternelle reponse de l'administration: on n'a pas les moyens...Certainement, la politique de la quantité au detriment de la qualité y est pour quelque chose. J'ai enseigné successivement dans deux ecoles d'ingenieurs publiques où en 3 ans le nombre d'admis a plus que doublé sans que les moyens aient significativement augmenté. En ce qui concerne la formation d'ingénieurs particulièrement, qui commande en fait le niveau des prépas nationales, on manque cruellement de labos serieux. On ne peut pas pretendre former un ingenieur en se limitant à enseigner la theorie. La mise en oeuvre de la theorie est essentielle sinon la theorie devient un simple jeu arbitraire et insensé pour selectionner les futurs diplomés, ce qui fait baisser le niveau. Imaginez une formation de medeçins sans contact avec l'hopital! Il faut aussi que chaque labo soit engagé dans un projet technico-economique national, j'ajoute public car le privé est trop rudimentaire et il est appelé à le rester..., sinon, ça restera aussi de la theorie deconnectée donc de niveau bas. C'est certainement la grande difference avec les ecoles Françaises, qui sont elles-meme depassees sur ce plan par les ecoles anglo-saxonnes. Il est donc temps de penser l'autre bout qui manque: des grands projets technico-economiques d'envergure nationale, en esperant qu'on arrivera à faire autre chose que des institutions desertes dont la seule realisation est de creer des postes fictifs et de gaspiller l'argent public. La révolution pourra-t-elle changer cette fatalité?

Med Chawki Abid - 09-05-2011 08:15

Mes félicitations pour Professeur Mohamed Jaoua. La Tunisie attend beaucoup de lui pour le développement de son enseignement supérieur privé, qui pourrait être la cible préférée des pays voisins et africains. L'expérience modeste en la matière prouve le potentiel de l'exportation de ces services sur les pays africains. En outres, son projet co-promu avec Dr Bellakhdhar semble prendre forme, et devrait confirmer les prévisions au terme des résultats des concours d'entrée aux grandes écoles d'ingénieurs, françaises et tunisiennes. Bonne continuation.

Walid Mathlouthi - 09-05-2011 22:20

Je suis peut être déconnecté de la réalité d’aujourd’hui à l’IPEST...Néanmoins, étant un ex-ipestien, j’ai quelques remarques concernant mon passage par cette chère institution. Je trouve que l’IPEST est une réplique d’un vieux système français qui ne tient plus la route...On nous faisait miroiter le rêve d’accéder aux GRANDES écoles françaises! C’était le but ultime pour marquer des points en faveur de l’IPEST naissante à l’époque...Malheureusement, ces grandes écoles françaises ne figuraient déjà même plus dans la liste des grandes universités (en terme d’impact sur la société, d’impacts sur la recherche scientifique, etc.). J’aurais aimé, lors de mon passage a l’IPEST, entendre un petit plus parler de MIT, Stanford, Cambridge, Oxford, université de Hong Kong, universités italiennes, allemandes etc... On se fait laver le cerveau par une culture/éducation à la française qui peine a retrouver un statut à l’international!!! Pourquoi ne réserve t on pas le meilleur à notre élite? La rigidité de la formation à l’époque posait un sérieux problème. La rigidité de l'enseignement nous faisait perdre des étudiants parmi les plus brillants du pays. Quel beau gâchis. Juste pour l’exemple, je me rappelle d’un camarade de classe, Mehdi Chaouch qui a été expulsé par Mr Jaoua (directeur à l’époque) et qui avait fini, suite à cet épisode, majeur de sa promotion à l’ISG pendant trois ans… C’est à la pédagogie de s’adapter au talent et non au talent de se restreindre au système de compétition et d’évaluation révolu…j’ose espérer que ce ne soit plus le cas aujourd’hui. Le problème de nos ipestiens qui veulent intégrer des écoles françaises à tout prix n’a rien à voir avec la qualité de notre enseignement...Notre modèle valorise intrinsèquement l’enseignement à la française et n’est qu’une copie aveugle du système francophone. Nos ipestiens sont ‘’brainwashed’’ dès leur premiers pas par une idée de succès qui se mesure par la notoriété de l’école française qu’ils intégreront. Comme vous le dites si bien Mr Jaoua, la notoriété de l’IPEST a été bâtie lors de sa création en affrontant avec succès les concours d’accès aux écoles françaises les plus prestigieuses. Comment reproche t on par la suite à ses étudiants de vouloir le saint Graal puisque la réussite est par définition/conception l’intégration d une école française. L’alternative : Il faudra repenser cela…De part mon expérience à Silicon Valley, il faudra accompagner les talents, les encourager et les soutenir au lieu de les contraindre à se conformer à un système ou la réussite est prédéfinie par des critères bien fixés auparavant. Bill Gates, Steve Jobs, pour n’en citer que les plus connus, n’auraient jamais réussi au sein d’un tel modèle; et des compagnies telles que Microsoft et Apple n’auraient jamais pu voir le jour. Jobs a été encouragé dans son petit garage du patelin Cupertino en Californie; Il a pu avoir accès au soutien/investissement/bourses nécessaires pour son travail d’ingénieur…Les fondateurs de Google ont été encouragés même s’ils n’avaient pas réussi à remporter leurs diplôme de doctorat à Stanford… N’est il pas un peu pour cela que nos jeunes se sont soulevés?!

Mohamed Jaoua - 11-05-2011 18:34

@Walid Mathlouthi. Tout ce que vous dîtes est vrai : le système français n'est pas le seul référentiel, et sans doute pas non plus le meilleur. D'ailleurs, que vet dire le meilleur ? Le meilleur, c'est celui qui vous permet d'aller au bout de vos possbilités, pas celui qui est mieux classé ...Puisque vous faîtes semble-t-il allusion au classement de Shangaï , je voudrais pointer une double erreur : sur la chronologie - car Shanghaî n'existait pas en 1990, et sur les objectifs. Le classement de Shanghaï est très tributaire de la taille des institutions, qui fait la visibilité de la recherche. Les grandes écoles françaises n'apparaissent pas dans les publis car même l'X, qui comptait en 1990 plus de 500 chercheurs pour des promos de 300 élèves, soit 600 au total (2 ans à l'époque), n'est pas visible pour ce classement puisque trop petite, et que ses labos de recherche sont CNRS, INRIA, etc. C'est le mode d'organisation de la recherche française qui veut ça : il n'y a pas de CNRS aux USA, il y a la NSF, qui ne fait que financer, mais n'a pas de labos. Et Shanghai ne sait mesurer que ce qui est dans son référentiel, c'ad celui des universités organisées à l'américaine. Et c'est pourquoi, maintenat que Shanghaï est devenu incontournable, les écoles parisennes de rang se sont regroupées dans ParisTech pour y être plus visbles. Ceci étant dit, pour construire notre pôle d'excellence tunisien, aurions-nous pu le caler sur le MIT alors que toute notre université est comme vous le dîtes justement bâtie à la française ? Sans parler de la géographie : Tunis - Silicon Valley, combien d'heures de vol ? Construire un pôle d'excellence, ce n'est pas choisir le meilleur du monde - et vous semblez croire que c'est le système US, ce qui peut se discuter - mais le meilleur des possibles compte tenu de notre histoire et de notre géographie. Pour éclairer votre opinion, le Lycée pilote de l'Ariana qui avait été créé pour envoyer de très bons jeunes scientifiques étudier aux USA, a été fermé l'année même où l'IPEST était créé. Et pourquoi donc ? Parce que les USA ont mis fin au programme d'accueil massif des jeunes bacheliers tunisiens dans leurs universités : plus de bourses ! Les jeunes bacheliers anglophones ont dû être envoyés dans des universités anglophones aux frais du gouvernement tunisien, des universités turques notamment. Puisque vous parlez de gâchis, n'avez vous pas vu celui-là ? ? L'un d'entre eux, Mohamed Letaïef, est venu à l'IPEST en 1992. Il a intégré l'X en 1995. Je ne pense pas qu'il en soit malheureux. Ces paramètres sont à prendre en considération lorsqu'on met en place une politique. La meilleure politique, c'est celle qui tire le meilleur parti des possibles pour faire progresser le système. Deux choses pour finir : en quoi le fait qu'un étudiant qui ne réussit pas à l'IPEST réussisse bien ailleurs est-il à mettre au débit de l'IPEST ? N'est-ce pas plutôt le contraire ? Et secondement, ne sentez vous pas une contradiction dans le fait de récuser les modèles français, avec leurs limites, en leur opposant d'autres modèles, avec d'autres limites que vous ne voyez sans doute pas ? Quant à accompagner les talents, je suppose que beaucoup de vos anciens camarades vous répondront mieux que moi sur ce sujet. Mais je suis heureux et fier que vous soyiez vous-même un exemple de la réussite de l'IPEST - au regard de vos propres normes - puisque le St-Graal californien a reconnu à leur juste valeur vos talents. Je vous souhaite encore plus de succès sur votre chemin. Bien à vous.

ridhaabbes - 12-05-2011 00:51

malgré tout le respect qu'on doit à monsieur joua en tant que fondateur de l'ipest,lui-meme ainsi qu'une majorité de comments/son article ,essaient de nous faire croire qu'ily a du bon dans les écoles d'ingénieurs en tunisie, détrompez-vous messieurs: les écoles d'ingenieurs en tunisie, comme le reste de l'université ne cessent de voir leur niveau baisser de façon constante irreversible : c'est un véritable nivellement par le bas qui fait mal au coeur,mais il est de bon ton de ne pas dire ces vérités qui font mal et d'applaudirle regne de la mediocrité absolue, pour ma part , j'ose esperer encore un sursaut de la part de gens aussi brillants que monsieur joua pour remettre les pendules à l'heure, et rmettre en place un système d'excellence qui "produire" les compétences valables dont notre pays a tellement besoin pour se reconstruire pour le retour en tunisie à la sortie des grandes écoles ou apres une première experience professionnelle, la solution est simple et le futur gouvernement pourra obtenir un retour massif des enfants de la tunisie en créeant un corps spécial "grandes écoles" dont les niveaux de rémunération seraient alignés sur les standards internationaux ,les enfants de la tunisie ne manquent pas de patriotisme, pour peu qu'on leur donne la possibilité de servir leur pays: l'exemple de ministres atugéens de l'actuel gouvernement : qui ont sacrifié des carrières internationales et des situations confortables :mais que voulez-vous il est aujourd'hui de mode de taper sur les atugéens de préference ex-ipestiens!!!!

EX-Ipestien - 17-05-2011 10:58

Je trouve que mettre en concurrence les écoles d'ingénieurs françaises avec nos écoles tunisiennes est une idée très censée, mais qui ne peut malheureusement pas fonctionner dans le contexte tunisien actuel. En effet, tant que les ingénieurs travaillant en Tunisie auront des salaires moins élevés que leurs compagnons des écoles de commerce/gestion (Et pourtant, sans vouloir dénigrer ces institutions qui mériteraient d'être plus sélectives, il y'a souvent 3-4 points de moyenne au bac entre un étudiant en commerce et un élève-ingénieur), tant qu'il n'y aura pas d'évolution de carrière possible pour nos ingénieurs ni de valorisation du métier de chercheur, tout élève ayant le potentiel de briller, même en étant patriote, pensera qu'il vaut pour lui de s'expatrier en France, là où son talent pourra s'épanouir. Et peut être pensera t il aussi que son aide à la Tunisie sera plus efficace à l'étranger qu'au sein de son pays. Du coup la solution est très simple.. Au lieu de donner 4000dt au commercial de l'entreprise, on lui en donne 2500, et on en file 1500 à l'ingénieur payé 1000dt. On commence à intégrer les chefs de projets compétents dans les cadres dirigeants au lieu du fils à papa qui a fait je ne sais quelle formation privée, et vous verrez combien d'ex-ipestiens et d'ex-boursiers se précipiteront pour troquer leurs 4Keuros mensuels de première embauche contre des salaires de 2k5 dinars (Financièrement, on y perd peut être au change, mais si ce n'est pas scandaleusement bas et si l'on est bien considéré dans l'entreprise, vous pouvez être sûr que le patriotisme va jouer..). Et vous verrez, une fois que la situation sera stabilisée et que les ingénieurs issus des bonnes écoles tunisiennes auront du mérite dans les entreprises, que personne ne rêvera plus de CCP. Après bien sûr, valoriser la recherche et mieux payer les enseignants-chercheurs pour que ce parcours intéresse les plus brillants et nous amène une meilleure éducation, ça coute de l'argent à l'état. Et de l'argent vous me direz qu'il n'y en a pas. En fait non. Le plus important n'est pas les moyens financiers, mais la façon dont on les distribue. SI tout les médecins, dentistes, petits chefs d'entreprise et autres du privé se mettaient à payer leurs impôts au lieu de travailler au noir et d'engranger des sommes faramineuses, il y aurait bien assez pour rémunérer convenablement les bons enseignants. Et ceux qui paieraient leurs taxes y trouveraient leur compte avec une meilleure éducation pour leur enfants (au lieu d'aller leur payer des cours particuliers.. ) Après même si structurellement, la solution est simple à mettre en oeuvre, elle ne l'est certainement pas politiquement et socialement. Ce qui fait que sans un gouvernement fort, audacieux et éduqué, l'espoir des jeunes générations réside dans les initiatives du privé.

Abdelhakim Cherif - 19-05-2011 19:30

@ridha abbes: Toute critique dans le cadre d'un débat doit être constructive, sinon elle n'a pas sa place. On ne s'adresse pas de cette façon à un leader de l'enseignement Universitaire de cette façon, un peu de respect, c'est de rigueur. Deuxièmement, il n'y a pas de jugement absolu, toute appréciation doit tenir compte du contexte. Pour ce qui est du niveau des écoles d'ingénieur tunisiennes, il faut le comparer au comparable et l'évaluer par rapport à ses objectifs. Si on forme des gens c'est dans un but, pas pour le plaisir de leur fournir un diplôme. La Tunisie, Monsieur, est un pays jeune, essentiellement consommateur de technologies. Commencez par vous renseigner sur les débouchés, et l'industrie dans le pays. Les débouchés pour un ingénieur Tunisien, en Tunisie, sont: - Les infrastructures existantes, essentiellement gouvernementales, de type STEG, Tunisie Telecom, Groupe Chimique, etc. - Le secteur industriel à proprement parler, essentiellement composé d'entreprises de sous-traitance - La recherche (....) - Un secteur privé encore trop jeune Il n'y a pas de R&D à proprement parler, pas de pôle technologique avec une influence internationale. L'enseignement supérieur doit s'adapter à cette réalité, tout en regardant vers l'avenir. Et c'est ce qu'il fait. Pour ma part, je suis le premier à déplorer le fait de ne pouvoir concilier ma vocation professionnelle et le plaisir de vivre en Tunisie, j'ai fait un choix, que je reverrais si l'occasion s'y prête. Certaines personnes en font d'autres, ou tentent d'oeuvrer pour concilier les deux, j'estime cela impossible à mon humble niveau. Quant à déprécier ainsi plus de trente ans d'efforts grâce à des personnes comme Mr. Jaoua pour parvenir à un tel niveau de formation en Tunisie, c'est tout simplement ridicule, et pas du niveau d'un bac+5. La mécanique enseignée à l'énit est peut-être un peu désuette comparée aux cours de mécanique quantique, de matériaux, etc. que l'on peut suivre à l'X ou en Allemagne, mais elle s'adapte à un contexte économique qui est ce qui est, et voit au-delà.

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