L’apprentissage innovant dans l’enseignement universitaire : le comment ?

Par Anissa Louzir-Ben Hassine - Ces dernières années, on a observé un intérêt académique croissant pour ce que l’on appelle l’éducation 4.0. En effet, le terme «éducation 4.0» découle des exigences de la quatrième révolution industrielle, ou industrie 4.0, liée à la nécessité d’une formation différenciée dont les méthodologies actives sont profondément les plus explorées (De Oliveira & al., 2023).
Définies par Silva et al. (2021) comme des pratiques éducatives permettant aux étudiants de faire le lien entre la réflexion, le questionnement et la recherche de connaissances sur la base de leur application dans des contextes authentiques, les méthodologies actives visent à centraliser le rôle de l’étudiant dans le processus éducatif et à construire les connaissances de manière collaborative. Sans être exhaustives, parmi ces méthodes nous citons: l’apprentissage par le pratique, le Design Thinking, l’apprentissage mixte, la classe inversée, et l’apprentissage par la simulation. Dès lors, l’utilisation des technologies numériques et la personnalisation de l’apprentissage sont associées au contexte (Barrera Castro & al., 2024). L’enseignant joue plutôt le rôle d’un mentor et d’un coach, et l’étudiant devient, conséquemment, de plus en plus actif et indépendant.
Le passage de l’enseignant formaliste vers l’enseignant pragmatique : innovation de la gestion de classe
La gestion de la classe se traduit très différemment selon le contexte et les enseignants. En effet, Grimault-Leprince (2011) distingue l’existence de deux types d’enseignants opposés: les «enseignants formalistes » et les « enseignants pragmatiques».
Le syntagme «enseignants formalistes» a pour objet de rendre compte d’un fort attachement aux normes et règles constitutives de la société scolaire. Pour ces enseignants, les relations professeur-apprenant doivent être strictement hiérarchiques. Cette conception statutaire de l’autorité professorale les amène à percevoir toute négociation de l’ordre en classe comme un dysfonctionnement. Les «enseignants formalistes» se distinguent également par l’image négative qu’ils ont des étudiants, empreinte de la nostalgie de temps où la civilité aurait été mieux inculquée par les familles (Grimault-Leprince, 2011).
Les enseignants apparentés au second type idéal, les «pragmatiques», se distinguent des formalistes par une conception de l’autorité admettant le principe d’une part de négociation avec les enseignants et donc une application plus souple des règles. En effet, les «enseignants pragmatiques» n’envisagent pas l’autorité professorale comme un préétabli et insistent sur la nécessité de la construire en prenant en compte le fonctionnement de la classe ainsi que l’intérêt pédagogique et éducatif pour les apprenants. Ces enseignants ont aussi intégré la contrainte de négociation en classe et en tirent parti dans une perspective d’efficacité pédagogique. Pour reprendre les termes de Barrère (2002), l’autorité «experte» de ces enseignants s’oppose à l’autorité «statutaire» des «enseignants formalistes». (Grimault-Leprince, 2011).
Dès lors, la réticence des enseignants à renouveler leurs pratiques disciplinaires est importante, car elle est à la fois liée à l’efficacité pédagogique et à la crédibilité professionnelle. Cette dernière repose autant sur des critères académiques que sur la capacité à gérer les désordres ordinaires de la classe, c’est-à-dire à répondre aux défauts de travail des élèves, à leurs insolences et aux risques de chahut. La discipline en classe représente ainsi un enjeu majeur pour les enseignants (Grimault-Leprince, 2011).
L’apprentissage par la pratique
Almeida et Simoes (2019) ont mentionné que l’éducation 4.0 porte sur le concept d’apprentissage par la pratique, dans lequel les étudiants sont encouragés à apprendre et à découvrir différentes choses de manière unique, en se basant sur l’expérimentation. Selon Jauffrit (2022), les outils pédagogiques doivent être multiples. En associant des cours très brefs, des travaux de groupes, des travaux individuels, des sessions plénières, du coaching de petits groupes et du suivi individuel. Les enseignants doivent transférer des connaissances, mais surtout des méthodes d’analyse. Pour cela, les étudiants devront être «mis à l’atelier» en multipliant les exercices pratiques (jeux de rôles, méthode des cas, simulation de gestion) et réels (visites d’entreprises, travaux sur des entreprises réelles, études et recherche). De la même façon, les lieux d’enseignement doivent être multipliés; aller dans les organisations, dans les institutions, dans les lieux d’expositions, les musées, les concerts, ou en pleine nature.
Design Thinking
L’observation des pratiques aux niveaux international et national montre une tendance croissante à la création de plateformes d’innovation afin de favoriser la création de savoirs et d’expériences au sein d’espaces d’expérimentation collective en mobilisant le Design Thinking (Lameta & Luisi, 2023). Selon Chanal, Le Gall & Irrmann, (2022: 13): «Vous êtes enseignant ou responsable pédagogique dans l’enseignement supérieur et vous vous demandez si le «Design Thinking» a encore le vent en poupe? Vous êtes lassé d’organiser des «sprints design» ou des «hackathons» car, vous avez du mal à donner un sens pédagogique à ces activités? Ou bien vous sentez que le design aurait peut-être quelque chose à amener à vos étudiants et à votre pratique pédagogique, mais vous ne savez pas exactement pourquoi ni comment? Alors, vous êtes certainement au bon endroit. En effet, depuis environ une dizaine d’années, le design se diffuse dans l’enseignement supérieur et pourtant, il est encore largement méconnu ou mal compris».
Cette méthode implique une logique de co-création où la «cross-fertilisation» est recherchée pour favoriser l’intelligence collective en un temps limité (Leger-Jarniou et al., 2016). Lameta et Luisi (2023) prouvent que la mobilisation du Design Thinking permet de promouvoir l’innovation dans l’enseignement supérieur. Les objectifs sont, d’une part, la formation de nouveaux leaders en innovation, d’autre part, la création de nouveaux produits ou services qui pourront faire l’objet de spin off, de création de start-up, ou de développement au sein des entreprises partenaires. Cette approche implique de développer une empathie auprès des parties prenantes du dispositif, notamment ses utilisateurs finals. Le processus de design implique une phase d’observation dans une posture d’empathie, qui consiste à développer une compréhension du contexte des usagers et des difficultés qu’ils peuvent éprouver. La conception de dispositifs pour répondre à ces difficultés ou transformer leurs comportements passe par cette compréhension précise des moteurs de ces comportements, externes comme internes (Klein & Paris, 2020).
Un autre ingrédient majeur de l’innovation dans l’approche Design Thinking est l’équipe projet qui se traduit par des équipes multidisciplinaires qui mixtes différents profils d’étudiants (ingénieurs, designers, architectes, sciences humaines, arts, écoles de commerce et de management). Cette interaction entre des membres d’une équipe aux multiples compétences permet d’intégrer les contraintes techniques et industrielles formulées par les différents acteurs pour créer et innover (Lameta & Luisi, 2023).
L’apprentissage mixte
Selon Zahra Fakir et Majdouline (2022), avec le développement des technologies de l’information, le processus éducatif s’est déplacé en ligne, ce qui a conduit à l’apparition de notions telles que «l’apprentissage mixte» et «l’apprentissage électronique adaptatif». En effet, l'apprentissage mixte, ou "blended learning", est une approche pédagogique novatrice qui fusionne harmonieusement l'enseignement en présentiel avec des activités d'apprentissage en ligne. Il ne s'agit pas d'une simple addition de technologie, mais d'une refonte stratégique de la manière d'enseigner et d'apprendre. Considéré comme une innovation majeure dans l'enseignement universitaire, l’apprentissage mixte offre plusieurs avantages pour l’étudiant et pour l’enseignant. Cette approche hybride enrichit l'enseignement, le rendant plus dynamique, adaptable et aligné sur les besoins des apprenants et les défis de l'ère numérique. En combinant le meilleur des deux mondes, l'apprentissage mixte se positionne comme une voie prometteuse pour transformer l'enseignement supérieur et améliorer l'efficacité pédagogique globale.
Cependant, il est important de noter que l'efficacité de l'apprentissage mixte dépend de sa conception pédagogique rigoureuse et de l'accompagnement des enseignants et des étudiants dans cette transition. Une mise en œuvre mal pensée pourrait ne pas apporter les bénéfices escomptés.
La classe inversée
Selon Nizet, Galiano et Meyer (2022), en contexte universitaire, la classe inversée a été initiée en 1990 par Eric Mazur, professeur de physique à la Harvard University, aux États-Unis. En effet, le terme classe inversée est une traduction des expressions flipped classroom, d’inverted classroom ou encore de inverted setting, abondamment utilisées dans les écrits anglo-saxons; il est également traduit par les expressions francophones d’apprentissage inversé ou de pédagogie inversée (Nizet, Galiano et Meyer, 2022). Cette méthode, axée sur un repositionnement des exposés magistraux dans les dispositifs de formation, privilégie l’autoapprentissage hors de la classe, suivi de séances de co-construction de connaissances pilotées par des équipes de pairs placés en situation d’interdépendance cognitive (hétérogénéité contrôlée des groupes).
L’apprentissage par la simulation
La stimulation est l'action de provoquer une réaction ou une activité chez quelque chose ou quelqu'un. En effet, l'apprentissage par la stimulation est une approche pédagogique qui immerge l'étudiant dans un environnement ou une situation artificielle, mais réaliste, afin de favoriser l'apprentissage par l'expérience et l'engagement actif. En effet, dans l'enseignement universitaire, l'apprentissage par la stimulation représente une innovation pédagogique significative pour plusieurs raisons.
Premièrement, il dépasse les méthodes d'enseignement passives comme les cours magistraux en offrant une expérience d'apprentissage plus engageante et interactive.
Deuxièmement, il permet de visualiser et de manipuler des concepts complexes qui seraient difficiles à appréhender par des méthodes traditionnelles. Par exemple, des simulations en physique peuvent aider à comprendre les lois du mouvement, ou des jeux de rôle en sciences politiques peuvent illustrer les dynamiques de pouvoir.
Troisièmement, il offre un environnement d'apprentissage sûr pour expérimenter et faire des erreurs sans les conséquences du monde réel, ce qui est particulièrement précieux dans des domaines comme la médecine ou l'ingénierie. Enfin, l'apprentissage par la stimulation favorise le développement de compétences essentielles telles que la résolution de problèmes, la pensée critique, la collaboration et la prise de décision dans des contextes authentiques, préparant ainsi mieux les étudiants aux défis de leur future carrière. L'intégration de la réalité virtuelle, de la réalité augmentée et des serious games sont des exemples concrets de la manière dont l'apprentissage par la stimulation transforme l'enseignement supérieur. A titre d’exemple, la recherche de Serghini & Solhi (2025) sur le rôle des salles des marchés universitaires en tant qu’outils pédagogiques dans l’enseignement de la finance, illustre que les salles des marchés facilitent l’application par les étudiants de leurs connaissances théoriques et leur compréhension des dynamiques des marchés, renforçant ainsi leurs capacités décisionnelles. Toutefois, il est essentiel de souligner que, bien que bénéfiques, ces simulations doivent compléter et non remplacer les méthodes d’enseignement traditionnelles.
Conclusion
Les innovations pédagogiques dans l’enseignement universitaire font l’objet d’un intérêt croissant, tant dans la littérature scientifique que chez les acteurs et actrices des politiques d’enseignement. De natures très diverses, elles sont au cœur des stratégies d’adaptation des universités aux problématiques sociétales émergentes, tout en étant considérées comme une source importante de motivation à apprendre et à enseigner (Degavre & Collin, 2021). Dans cet article, nous avons présenté quelques pratiques innovantes dans l’enseignement supérieur. Par ailleurs, les universités, à l’ère de cette nouvelle révolution de l’éducation 4.0, sont appelés à adopter une culture d’apprentissage numérique dans l’expérience éducative.
Par ailleurs, l’Université tunisienne, à l’instar de celles du monde entier, est en mesure d’appliquer ces pratiques innovantes d’enseignement, en prenant en compte les attentes des étudiants et les exigences du milieu professionnel. Les universités tunisiennes, à l’ère de cette nouvelle révolution de l’éducation 4.0, doivent donc jouer leur rôle important pour fournir des cultures d’apprentissage numériques, durables et dynamiques pour tous les étudiants.
Cependant, les pratiques éducatives innovantes ne remplacent en aucun cas l’enseignement traditionnel. L’intégration des nouvelles technologies enrichit l’enseignement supérieur, mais rien ne remplace la valeur fondamentale de l’interaction humaine. C’est un complément jamais un substitut!
Anissa Louzir-Ben Hassine
Directrice de Département de Gestion et maître-assistante à l'Institut Supérieur d'Informatique et de Gestion de Kairouan (Université de Kairouan, Tunisie)
Laboratoire de recherche LISEFE (FSEGT, Université de Tunis El Manar, Tunisie)
Références bibliographiques
Almeida, F., & Simoes, J. (2019). The role of serious games, gamification and industry 4.0 tools in the education 4.0 paradigm. Contemporary Educational Technology, 10(2), 120-136.
Barrera Castro, G.P., Chiappe, A., Becerra Rodríguez, D.F., & Sepulveda, F.G. (2024). Harnessing AI for Education 4.0 : Drivers of Personalized Learning. Electronic Journal of e-Learning.
Chanal, V., Le Gall, A., Irrmann, O. (2022), Introduction. Dans : V. Chanal, A. Le Gall et O. Irrmann (Dir), Former par le design : Principes, méthodes et outils pour préparer les étudiants aux enjeux du XXIe siècle (pp. 13-26). Caen : EMS Editions.
De Oliveira, L. C., Guerino, G. C., De Oliveira, L. C., & Pimentel, A. R. (2023). Information and communication technologies in education 4.0 paradigm: a systematic mapping study. Informatics in Education, 22(1), 71-98.
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Jauffrit, M. (2022), Passerons-nous aussi à côté de la génération z ? Le pentagone de formation et le système entrepreneurial. Projectics / Proyéctica / Projectique, 33, 21- 41. https://doi.org/10.3917/proj.033.0021
Klein, A., Paris, T. (2021), Implémenter un dispositif d’innovation participative comme un outil de gestion dans une démarche de conception innovante. Innovations, 66, 47-77. https://doi.org/10.3917/inno.pr2.0093
Lameta, N., Luisi, G. (2023), La mobilisation du design thinking pour favoriser l’innovation dans l’enseignement supérieur : étude de dispositifs « plateformes d’innovation ». Marché et organisations, 46, 45-68. https://doi.org/10.3917/maorg.046.0045
Léger-Jarniou, C., Certhoux, G., Degeorge, J. M., Lameta, N., & Le Goff, H. (2016). Chapitre 4. Partir d’une idée. OpenBook, 72-93.
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Silva, D. E., Lopes, T., Sobrinho, M. C., & Valentim, N. M. C. (2021). Investigating initiatives to promote the advancement of education 4.0 : A systematic mapping study. In Csedu (1). 458–466. doi: 10.5220/0010439704580466
Zahra Fakir, F. et Majdouline, I. (2022). L’apprentissage mixte à l’ère de l’innovation pédagogique dans les universités marocaines : aperçu sur l’université internationale d’Agadir (Universiapolis) Projectics / Proyéctica / Projectique, 33(3), 43-63. https://doi.org/10.3917/proj.033.0043.
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