Ridha Bergaoui: Pour un commerce moderne des fruits et légumes frais

Les fruits et légumes jouent un rôle essentiel dans notre alimentation. En plus de leurs goûts et textures variés, ils apportent des éléments nutritifs (énergie, protéines, sucres, lipides, minéraux et vitamines), des fibres et des antioxydants nécessaires à notre bonne santé. L'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) préconise une consommation minimale de 400 grammes de fruits et légumes par jour. En France, il est recommandé de consommer au moins 5 portions de fruits et légumes par jour pour maintenir une bonne santé.
Les fruits et légumes frais sont des produits périssables qui restent vivants après la récolte. Ils continuent de respirer et d’évoluer à des rythmes variables selon les conditions environnementales. Ces produits sont susceptibles de se détériorer, d’être infectés par des parasites et d’être contaminés par divers agents microbiens. Le froid est généralement la méthode la plus utilisée pour conserver les fruits et légumes frais (FLF) sans altérer leur qualité de manière significative.
Organisation de la distribution des fruits et légumes
En Tunisie, le commerce des FLF est régi par la loi n° 94-86 du 23 juillet 1994, relative aux circuits de distribution des produits agricoles et de la pêche. Cette loi distingue d'une part les marchés de production, installés sur les lieux de production, qui permettent aux producteurs d’approvisionner les marchés de gros. D'autre part, elle désigne les marchés de distribution au détail, qu’il s’agisse des marchés municipaux, des marchés hebdomadaires ou des points de vente officiels fixes ou mobiles. Le fonctionnement des entrepôts de stockage frigorifique sont également réglementés afin de prévenir toute tentative de spéculation. Le texte prévoit des sanctions en cas d’infraction. Toute vente de FLF en dehors des circuits de gros et de détail est considérée comme illégale et interdite.
La Société tunisienne des marchés de gros (Sotumag) de Bir Kassaa, gère le plus important marché de gros des FLF et produits de la mer en Tunisie. C’est une société anonyme placée sous la tutelle du Ministère du commerce et du développement des exportations (Mcde) et crée en 1980. Bir Kassaa alimente les gouvernorats du grand Tunis (Tunis, Ben Arous, Ariana et Manouba) en FLF et produits de la mer. Le grand Tunis abrite près de 25% de la population, soit près de 3 millions d’habitants. Le marché de Bir Kassaa reçoit chaque jour en moyenne 1 100 tonnes de FLF.A côté de BirKassaa, neuf autres marchés de gros sont répartis dans les régions (Sfax, Sidi-Bouzid, Sousse, Siliana…), ces marchés sont considérés des marchés d’intérêt national (MIN). Par ailleurs, 74 marchés de gros d’intérêt régional (MIR) existent également dans les différentes régions du pays. Les marchés de gros souffrent de plusieurs défaillances aussi bien au niveau des infrastructures qu’au niveau du fonctionnement. Un programme de mise à niveau et de modernisation est en cours.
Un secteur informel dominat
En raison du relâchement des contrôles et des contestations généralisées, le commerce informel a explosé après la révolution. Les marchés de gros des fruits et légumes ont connu une baisse significative de leur activité, au profit d’un commerce informel de plus en plus florissant. De nombreux agriculteurs, pour diverses raisons, préfèrent vendre leurs récoltes directement aux intermédiaires (khaddhara خضارة) sur place. Cette production est souvent écoulée dans les circuits informels. On estime qu’un tiers seulement des FLF circulant dans le pays passent par les circuits réguliers, le reste transite par le marché parallèle. Il convient de rappeler que c’est l’immolation par le feu de Mohamed Bouazizi, un jeune vendeur ambulant de FLF, qui a déclenché les soulèvements ayant conduit à la chute du régime de Ben Ali.
Les vendeurs ambulants ont pris l’habitude de s’installer partout, en toute impunité, sous les yeux des autorités locales et nationales. Brouettes, camionnettes, étals rudimentaires sont utilisés pour vendre des fruits et légumes dans des conditions précaires, sur les trottoirs, au bord des routes, devant les grandes surfaces… Ces pratiques engendrent de nombreuses nuisances (sonores, environnementales, esthétiques…) et sont souvent menées dans une totale ignorance de la réglementation. Les produits sont exposés en plein soleil, en contact avec des poussières et autres polluants. Les balances électroniques utilisées par ces vendeurs sont souvent mal entretenues et donnent un poids approximatif. Ces commerçants vous emballent les marchandises dans des sacs plastiques multicolores et jettent les déchets par terre ou dans les poubelles sans aucun souci de l’environnement. Motivé par des prix souvent légèrement inférieurs à ceux des magasins, et par la possibilité de toucher et choisir les produits, le consommateur a tendance à s’approvisionner chez ces vendeurs ambulants, tout en ignorant l’origine et la qualité sanitaire des produits.
Dans les marchés municipaux, certains commerçants vous vendent des fruits et légumes soi-disant frais, mais en ouvrant le sachet chez soi, le consommateur découvre souvent des produits altérés, déformés et immangeables. D’autres marchands laissent les clients choisir leurs produits, mais les facturent beaucoup plus cher qu'ailleurs. Les déchets et les produits non commercialisés se retrouvent en fin de journée dans les poubelles.
Les grandes surfaces, quant à elles, ne répondent pas toujours aux attentes des consommateurs en matière de FLF. Avec des prix élevés et une qualité souvent décevante, elles n’offrent aucun avantage notable. Il faut noter que la part de la grande distribution dans le commerce de détail en Tunisie reste faible (seulement 15 à 20 %), tandis que le commerce traditionnel domine largement. En France, les grandes surfaces représentent près de 70 % des ventes de fruits et légumes frais, tandis que les marchés traditionnels ne pèsent que 10 %.
Le commerce moderne des fruits et légumes frais
Dans la plupart des pays, le commerce des fruits et légumes frais est régi par des législations et normes strictes. À titre d'exemple, l'Algérie vient dernièrement d’adopter une réglementation stricte sur la commercialisation des FLF (journal officiel du 26 mars 2025).
Ces réglementations déterminent les personnes (physiques ou morales) autorisées à vendre des FLF, tant en gros qu’au détail, ainsi que les lieux de vente officiels et les aménagements nécessaires. Elles spécifient aussi les exigences en matière d’emballage, d’étiquetage et de transparence, afin d’informer les consommateurs sur la nature, l’origine et la qualité des produits.
Les normes précisent que les fruits et légumes doivent être intacts, sains, propres et exempts de tout signe de dégradation, pourriture ou altération grave. Ils doivent être débarrassés de toute infestation ou attaque de ravageurs, et être exempts d’humidité extérieure anormale et de mauvaises odeurs ou saveurs. Les produits doivent être bien développés (ni insuffisamment mûrs ni trop mûrs) et capables de supporter le transport et les manipulations sans dégradation.
L’homogénéité des produits (origine, variété, calibre) doit également être respectée. Le conditionnement et l’emballage doivent être propres et protéger adéquatement les produits. Des consignes strictes concernent aussi l’étiquetage (utilisation de colles et encres non toxiques), le marquage (identification du produit, origine, etc.), ainsi que les conditions d’hygiène lors du conditionnement, de la manutention et du transport.
La préservation de l’environnement est un autre aspect important. Par exemple, l’utilisation de plastiques pour l’emballage des FLF est interdite. Certains produits sont classés en fonction de leur calibre et de leur qualité (extra, catégorie 1, catégorie 2). La traçabilité et l’origine exacte des produits sont de plus en plus exigées. Des contrôles fréquents sont effectués pour garantir le respect de ces normes et éviter les pratiques commerciales déloyales. Les contrôles concernent également la transparence des informations sur les prix, la facturation et les documents d’accompagnement.
L’importance de la préparation post-récolte des FLF
La préparation post-récolte des FLF, en éliminant les parties non consommables (feuilles, tiges…), présente plusieurs avantages. Ces déchets peuvent être recyclés en engrais vert, utilisés pour le compostage ou pour l’alimentation animale, réduisant ainsi les coûts de transport et de logistique. Ces déchets sont souvent jetés dans les poubelles des ménages et encombrent les décharges publiques. Etant facilement fermentescibles, ils peuvent devenir une source importante de nuisances.
Le tri et le calibrage des FLF apportent également de nombreux bénéfices. Les produits défectueux peuvent être orientés vers la transformation, tandis que ceux impropres à la consommation peuvent être éliminés ou recyclés. Le tri permet aussi de proposer des produits à différents prix, offrant ainsi aux consommateurs la possibilité d’acheter en fonction de leurs moyens. Il est crucial de lutter contre le fardage (substitution de produits de qualité inférieure à des produits de qualité supérieure) afin de garantir la transparence et l’équité des transactions. Ce tri et calibrage peut se faire au niveau de l’exploitation ou dans des centres spécialisés, qu’ils soient publics, privés ou coopératifs.
La préparation des FLF, le tri et le calibrage peuvent entrainer une diminution des pertes en post-récolte et une réduction des prix au niveau du consommateur.
Nécessité d’agir
Le secteur des FLF en Tunisie est d’une importance capitale, tant d’un point de vue socio-économique qu’alimentaire. Les fruits et légumes font partie intégrante du quotidien des citoyens et représentent une préoccupation permanente. Il est essentiel de moderniser les circuits de commercialisation et la présentation des produits. L’objectif est de mettre à la disposition du consommateur des produits frais, disponibles toute l’année, de qualité nutritionnelle et sanitaire, à des prix raisonnables.
Le commerce informel a explosé après la révolution. La qualité des FLF commercialisés par ce secteur reste douteuse, au mieux non contrôlée. Ce secteur génère des nuisances et constitue une concurrence déloyale pour les points de vente réglementaires, qui sont régulièrement contrôlés et qui s’acquittent de leurs taxes et impôts. Etat et collectivités ne tirent aucun profit de ce commerce parallèle. La solution ne réside pas uniquement dans la répression. Ce commerce informel représente une source de revenu pour des milliers de personnes. Il est crucial de l’intégrer dans les circuits de commercialisation légaux et de régulariser la situation de ces jeunes commerçants. En créant de nouveaux marchés municipaux et en intégrant ces vendeurs ambulants, le consommateur sera mieux servi et les communautés locales et l'État pourront bénéficier de ressources financières intéressantes.
Il est indispensable de revoir et de compléter la loi sur les circuits de distribution des produits agricoles et de la pêche pour intégrer tous les aspects de qualité, de tri et de calibrage et conditionnement. Il est nécessaire également d’actualiser les sanctions et amendes devenues obsolètes plus de 30 ans après l’apparition de ce texte. Il faut également l’adapter aux nouvelles contraintes, telles que la préservation de l’environnement, le commerce de proximité, les nouvelles technologies, les grandes surfaces, la vente à distance, etc. Il est également urgent d’accélérer la rénovation des marchés de gros et de leur fournir les espaces, les équipements et les infrastructures nécessaires, tout en favorisant la numérisation et la transformation digitale de leur gestion pour améliorer leur efficacité.
Dans un contexte d’inflation galopante, de détérioration du pouvoir d’achat des consommateurs et de l’augmentation continu des frais de production, la modernisation et l’assainissement des circuits de commercialisation, avec la lutte contre la spéculation et des intermédiaires inutiles, représente un levier important pour contrecarrer la hausse vertigineuse des prix. Le renforcement du contrôle des prix, des considérations générales du commerce et de l’hygiène demeure nécessaire pour veiller au bon déroulement des opérations et la protection du consommateur. Un grand effort reste à faire également au niveau de la production, l’amélioration des rendements et l’organisation professionnelle des producteurs.
La qualité doit être le maitre-mot dans la modernisation de la commercialisation des FLF non seulement la qualité des produits, mais également la qualité des services, de l’environnement, des infrastructures… Cette modernisation profitera à tous : producteurs, commerçants, consommateurs, collectivités, Etat etc. La qualité coute certainement cher toutefois la non qualité revient encore beaucoup plus cher.
Ridha Bergaoui
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