Retour de l’empire du milieu métamorphosé: La montée en puissance de la Chine

Par Mongi Lahbib, ancien ambassadeur - Puissance économique, membre permanent du conseil de sécurité de l'ONU, détentrice de l'arme nucléaire, la Chine œuvre à parachever sa réunification -avec la réintégration de Taiwan- et à accélérer son rattrapage technologique et militaire.
I- Du "siècle de la honte" au renouveau
1 - "Le siècle de la honte"
S'identifiant comme le centre du monde, la Chine contribua au tiers du PIB mondial en 1820 avant de connaitre un siècle d'occupation et d'humiliation suite aux guerres d'opium.
La révolte des boxers (1900) contre l'occupation étrangère fut réprimée par une large coalition dont la Grande Bretagne, la France, les Etats-Unis, la Russie et le Japon.
Cette révolte fut suivie par une longue période d’instabilité, de mouvements de libération et d’une guerre civile qui déboucha sur la proclamation de la République Populaire de Chine – RPC- par Mao Tse Tong en Octobre 1949.
2- Fondation de la RPC
Le pays était alors pauvre divisé et affamé. Depuis, le taux d'analphabétisme est retombé de 85 à 5 % alors que l'espérance de vie remontait de 34 à 79 ans.
De même, près de 800 millions de chinois furent sortis de la pauvreté.
Mao a su tirer profit de la guerre froide entre les Etats-Unis et l’URSS pour doter la Chine de l'arme nucléaire et la faire admettre à l'ONU. Le grand bond en avant se soldera par une effroyable famine. La révolution culturelle retardera le décollage économique du pays, l'élite intellectuelle et scientifique ayant été renvoyée aux champs -une décennie durant- pour s'approprier la pratique révolutionnaire.
En dépit de ces erreurs, le bilan de Mao est jugé «globalement positif» par les chinois, ce qui assure encore aujourd'hui la centralité et la continuité du Parti communiste.
3- Libéralisation et ouverture de l'économie chinoise
Succédant à Mao en 1978, Deng Xiao Ping avait initié la libéralisation et l'ouverture de l'économie tout en conservant la place du secteur public, la prééminence des réformes économiques et tout en préservant l’identité, la culture et la vision du monde des chinois(1).
Il engagea des négociations avec la Grande Bretagne et le Portugal qui aboutirent à la rétrocession de Hong Kong et Macao sur la base de "un pays deux systèmes "et parallèlement à de longues négociations qui avaient débouché à l'adhésion de la Chine à l'OMC en 2001.
En prévision de cette adhésion, le Premier Ministre chinois avait entrepris une série de réformes structurelles ayant conduit au démantèlement des entreprises publiques déficitaires et au dégraissage de l'Administration. Ceci avait conduit au licenciement de millions de fonctionnaires, d'employés et d'ouvriers encouragés alors à créer des associations privées.
Ayant tiré profit de la mondialisation et du traitement différencié en faveur des pays en développement, la Chine a réussi à faire face aux mesures d'endiguement prises à son encontre par les Etats-Unis. Elle a aussi profité de la division de l'Union européenne à son égard.
II- La Chine face aux mesures américaines et européennes d'endiguement
1- Tentatives américaines de "contaminent" politique
L'appui du Président américain Clinton en faveur de l'adhésion de la Chine à l'OMC visait à contenir Beijing de l'intérieur du «système», avec l'espoir que cela conduise à terme à la libéralisation politique de ce pays.
Le Président Obama avait, par la suite, tenté en vain de constituer un G2 avec la Chine, avant de décider du «pivot asiatique» au détriment de l'Europe et du Moyen Orient. La Chine exploita le retrait ultérieur du Président Trump du traité de libre-échange transpacifique pour initier un partenariat régional économique global regroupant 15 pays de la région Asie-Océanie.
Le dernier lâchage des Etats-Unis de ses alliés de l'OTAN profitera à Beijing et aura des répercussions en Asie du fait que cela affectera la fiabilité et la crédibilité des engagements américains dans la région. Par ailleurs le retrait des Etats-Unis notamment de l'OMS et les restrictions de l'activité de l'USAID profiteront à la Chine particulièrement en Afrique.
Par un retournement de l'Histoire, Beijing est ainsi devenue progressivement, le porte-parole et le défenseur du libéralisme commercial et du multilatéralisme économique mondial à Davos.
2- Sur le plan économique et technologique
Les mesures protectionnistes prises par les Administrations Trump et Biden n'ont pas eu l'effet escompté du fait de l'interdépendance des économies des deux pays. Ainsi le déficit commercial des EU avec la Chine a augmenté de 78 milliards $ entre 2018 et 2024.
Il en est de même des restrictions de transfert de technologie des semi-conducteurs nouvelle génération. La prouesse de DeepSeek est à cet égard révélatrice de l'ingéniosité de la "reverse technology" chinoise et de la capacité à transformer les défis en opportunités à travers le développement de la recherche et développement du secteur. L'intention de Trump de remettre en question le "chips act" d'aides fédérales aux entreprises américaines des semi-conducteurs serait de nature à renforcer la position de la Chine en la matière.
Huawei, une société communautaire privée, a pu devenir leader en matière de fabrication de smartphones et de réseaux de télécommunication à travers le monde, grâce à la 5G. Constituée notamment de lauréats des universités et centres de formation du secteur elle a réalisé un chiffre d'affaires cumulé de 123 milliards de $, consacrant près de la moitié de ce montant aux dépenses en recherche et développement.
3- Les relations Chine -Union Européenne
La Chine avait participé au système européen Galiléo de géolocalisation par satellites avant de se retirer et créer son propre GPS plus précis et programmé pour couvrir prochainement... la lune.
La Chine participe également au projet ITER qui constitue la plus vaste expérience de fusion nucléaire au monde.
L'Union Européenne a aussi conclu un accord de coopération scientifique et technologique avec la Chine, en plus de la création d'un fonds de co-investissement notamment pour des projets de haute technologie.
Selon une étude publiée récemment par l'Institut français des relations internationales, 1602 projets américains et 149 européens avaient été réalisés avec la Chine au cours de la période 2003-2023 dans des secteurs sensibles (intelligence artificielle, semi-conducteurs, informatique quantique, biotechnologie...).
Par ailleurs Siemens et Huawei sont membres de l'alliance G5 et G6, composantes de la 4e révolution industrielle en cours. L'Allemagne a également participé, avec la Chine notamment, à des projets de TGV et photovoltaïques solaires.
Les relations de partenariat entretenues par l’Allemagne, la Grèce et d'autres pays européens avec la Chine ont contribué à limiter les mesures protectionnistes à l'encontre de ce pays qui a réalisé un excédent commercial de 304 milliards euros en 2024 au détriment de l'UE. 80% des saisies aux frontières pour contrefaçon sont d'origine chinoise alors que le nombre de dépôts de brevets d'invention chinois ne cesse d'augmenter, notamment auprès de l'organisation mondiale de la propriété intellectuelle.
III- Perspectives d’avenir: enjeux et défis
1- Le duel technologique, économique et militaire Chine-EU
L'issue du duel technologique sera déterminante pour l'accession à la suprématie économique et militaire. Selon l'Australian stratégic policy institute, la Chine arrive en tète dans 37 technologies stratégiques sur 44. Il en est ainsi notamment des TIC et l'intelligence artificielle où le rythme d'évolution est devenu exponentiel(2).
Beijing dispose à cet égard de plusieurs atouts, dont le potentiel de recherche et développement, la maitrise de la "reverse technology "ainsi que la disponibilité de 60 à 80% des terres rares mondiales et leur traitement à 90% en Chine, qui produit 1/3 des voitures électriques dans le monde.
La voiture électrique chinoise BYD a déjà surclassé Tesla en termes de rapport qualité- prix et volume de ventes. D'autres voitures ont été mises sur le marché ou sont au stade d’expérimentation: conduite autonome, voitures volantes ou amphibie...
Outre les progrès réalisés dans les domaines aéronautiques et de transport ferroviaire, la Chine a développé l'industrie de constructions maritimes et navales, parallèlement à l'extension de la gestion portuaire à travers le monde (100 ports dans 67 pays, contrôle de 10% des activités maritimes en Europe...).
Troisième puissance militaire après les EU et la Russie, la Chine est devenue la première puissance maritime (3 porte-avions, sous-marins nucléaires.). Les Etats-Unis avec 11 porte-avions conservent leur suprématie en termes d'expérience éprouvée d'avance technologique, d'interopérabilité, de rapidité, de rayon d'intervention et de nombre de bases militaires disséminées à travers le monde.
La Chine a développé parallèlement ses moyens de défense aérienne (avions furtifs) et balistiques (missiles inter-continentaux), en plus de capacités nucléaires et de réplique (cyber guerre, rayons lasers puissants pouvant neutraliser des satellites d'observation..).
Dans le domaine spatial, la Chine a programmé l'envoi d'un taikonaute sur la lune à l'horizon 2030.
La puissance maritime et navale chinoise, renforcée par l'installation d'une base militaire à Djibouti, est destinée notamment à sécuriser l'approvisionnement et les échanges du pays à travers la nouvelle route de la soie. Initiée par le Président Xi Jing Ping, ce projet, quasi planétaire, regroupe plus de 150 pays.
La Chine vise parallèlement à diversifier les moyens et modes de paiement monétaires : accords de clearing, transactions monétaires directes, paiement en yuan. Bien que cette monnaie ne représente que 2 à 3% des réserves mondiales de change (contre 60% en dollars), la reconversion de bons de trésor américains en or s'accentue, y compris parmi les alliés les plus proches des EU. Cette dédollarisation s'explique notamment par la judiciarisation et l'extraterritorialité des mesures prises à l'encontre de tierces parties traitant avec des pays soumis à sanctions (Iran, Russie...).
Le désengagement de Washington de l'OTAN et son retrait d'accords internationaux, en plus du licenciement et du gel de programmes scientifiques américains, donnent ainsi «du temps au temps» à la Chine, en attendant les prochaines élections mi-mandat du Congrès américain programmées en 2026.
2- Enjeux existentiels et de puissance pour la Chine
Appelant à réaliser «le rêve chinois», le Président Xi Jiping s'est départi du profil bas adopté depuis des décennies par Beijing.
Les "loups guerriers" scientifiques, diplomates, cinéastes et intellectuels sont appelés à donner de la voix pour redonner à la Chine la place qui lui sied dans le concert des nations.
Le "cœur du cœur" demeure Taiwan, dont la réintégration de manière pacifique, ou en usant de la force si nécessaire, constitue la priorité absolue pour Beijing.
L'enjeu n'est pas seulement nationaliste mais planétaire, du fait que 20% du trafic maritime mondial transite par le détroit de Taiwan et que celle-ci assure la production de plus de 60% des semi-conducteurs évolués. Un embargo prolongé ou un conflit militaire aurait de graves répercussions sur l'économie mondiale, dépassant celles de la crise du Coronavirus et de la guerre en Ukraine.
Le deuxième enjeu -plus controversé- concerne la mer méridionale de Chine, par laquelle transite le tiers des échanges mondiaux. Invoquant l'antériorité historique de la présence chinoise, Beijing étend progressivement son emprise sur cette zone, notamment par l'installation d’îles semi artificielles. Ceci entraîne régulièrement des tensions avec les pays riverains dont la Malaisie, le Vietnam et les Philippines. Manille ayant obtenu une décision en sa faveur par la cour permanente d'arbitrage de La Haye.
Encerclée par une série de bases américaines dans la région, Beijing cherche à prendre le large, alors que les Etats-Unis, le Japon, l'Australie et l'Inde intensifient leur concertation pour contrecarrer l'action de la Chine dans la zone indo-pacifique.
3- Défis présents et futurs
- Défi alimentaire: abritant près de 18% de la population mondiale, la Chine ne dispose que de 8% des terres cultivables dans le monde. Plusieurs expériences sont en cours pour la culture dans des régions arides et semi arides (oliviers) et sols salins. Ceci en plus de l'achat d'exploitations agricoles, notamment en Afrique sub-saharienne, où près de 75% des terres cultivables ne sont pas exploitées.
- Défi énergétique: en dépit du développement des énergies renouvelables (80% des panneaux solaires et 50% des éoliennes dans le monde, énergie marémotrice.), la Chine est encore tributaire des énergies fossiles, ce qui la conduit à diversifier ses sources d’approvisionnement en hydrocarbures et à mener des forages à 15 km de profondeur.
- Défi socio-économique: la crise du Covid, l’éclatement de la bulle immobilière, la contraction de la demande intérieure et de l'investissement ont conduit à la décélération de la croissance (5% prévus pour 2025).Ceci en plus de la fragilité du système bancaire due notamment au manque de transparence et la corruption ou encore l'aggravation du chômage parmi les jeunes.
- Défi démographique: longtemps première au monde, par le nombre de sa population, la Chine vient d’être dépassée par l'Inde suite à la baisse du taux de natalité. Selon les projections démographiques, le pays enregistrerait un déficit de 220 millions d'actifs à l'horizon 2050 par comparaison à la situation actuelle.
- Défis géopolitiques: à l'heure de l’imprévisibilité, comment sauvegarder les relations internationales face au recul du respect du droit, concernant notamment l'intangibilité des frontières?
Quelle est la ligne de partage entre leadership, suprématie, et hégémonie?
Comment préserver l'environnement et sauvegarder la paix et la sécurité mondiales à l'heure des "identités meurtrières " et du fait accompli ?
Quelle serait la viabilité du projet de la nouvelle route de la soie dans un monde mouvementé marqué par les risques de guerres hybrides et asymétriques et la montée du terrorisme et de l’immigration environnementale?
Ceci en plus du retrait ou report de projets dus au surendettement.
Ces questions interpellent à un moment d'incertitude face à la paralysie de l'ONU et au dérèglement politique et éthique.
La Chine réaffirme les principes de "coexistence pacifique"(3), d'un monde "multipolaire, égal et ordonné". Disposant du plus grand réseau diplomatique au monde, de centres culturels Confucius, de centaines de comptoirs commerciaux et d'une diaspora de 50 millions d'immigrés Beijing consolide son soft power.
Dotée d'une vision cinquantenaire des 4 modernisations (agriculture industrie, armée et technologie), la Chine a l'avantage de la continuité et du temps long dans l'espace Asie-Pacifique, qui constitue le centre de gravité de l'économie mondiale.
La puissance n'est plus seulement hard power et soft power mais aussi vision, positionnement et projection, à une époque marquée par l’incertitude, l'accélération du rythme de l'Histoire et la multiplication des risques sécuritaires, technologiques et environnementaux...
Mongi Lahbib
Ancien ambassadeur
1) L'Empire immobile ou le choc des mondes (Alain Peyrefitte).
2) Merci d'être en retard ou comment survivre dans le monde de demain (Thomas Friedman).
3) Principes de la coexistence pacifique: non agression mutuelle/égalité et bénéfices mutuels/respect de la souveraineté et de l'intégralité territoriale/coexistence pacifique
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