L’ONU et la question palestinienne: Sommes-nous face à un tournant ?
Par Riadh Ben Sliman - Kishore Mahbubani, ancien diplomate singapourien et l’un des plus éminents experts actuels dans le monde en relations internationales écrit : «Pour sauver l’ONU et renforcer la diplomatie multilatérale, nous devons rapidement régler la question israélo-palestinienne parce qu’elle envenime la politique internationale beaucoup plus que tout autre problème. Cela a conduit à la double perte de légitimité de l’ONU : perte de légitimité de l’ONU aux yeux du public américain parce que les médias américains focalisent sur les positions anti-israéliennes au sein de l’Assemblée générale et la perte de légitimité de l’ONU aux yeux de 1,6 milliard de musulmans qui perçoivent mal les positions pro-israéliennes du Conseil de sécurité. Ainsi, jusqu'à ce que la question Israël-Palestine soit résolue, l’ONU sera effectivement paralysée et la diplomatie multilatérale aura un effet limité».
Ce témoignage provenant d’un expert de renom de l’ONU illustre les errements sur fond de manipulation que la question palestinienne a subie pendant de longues décennies aux Nations unies.
La question palestinienne victime d’un rempart
Outre que le droit international a été malmené pendant plus de 75 ans et travesti sur ce terrain même, au point de devenir l’outil protecteur de la puissance occupante lui garantissant tous ses droits, aux dépens des droits légitimes nationaux du peuple palestinien, les instances onusiennes, en tant qu’émanation et somme des Etats membres de l’organisation mondiale, ne pouvaient aller plus loin dans les débats que de répéter les promesses et vœux pieux sur la question. Lors des interminables discussions qui marquent l’examen par les Nations unies de la question palestinienne, un retour en arrière sur des faits historiques importants qui sont à la base de la plus grande injustice jamais infligée à un peuple dans l’histoire humaine n’a jamais été permis ni autorisé. L’examen de la question palestinienne est resté limité à la discussion de l’actualité du conflit et l’utopie des plans et initiatives de paix, servant davantage à donner l’impression d’entretenir une dynamique de paix illusoire sans aborder les injustices au cœur du drame palestinien, créées depuis les débuts de l’entreprise coloniale et les plans coloniaux concoctés contre la population palestinienne autochtone en vue de la déposséder de ses terres. Il existait un rempart érigé pour protéger l’entité sioniste empêchant toute discussion multilatérale sur la déclaration de Balfour, le plan de partage des Nations unies de 1948, ou pour trancher sérieusement par le biais d’une décision sans équivoque sur l’acquisition par l’usage de la force des territoires palestiniens, la dépossession du peuple palestinien de ses terres, l’annexion de territoires palestiniens et arabes…
Le régime d’occupation prolongée et l’impuissance de l’ONU d’y mettre fin
L’occupation prolongée des territoires palestiniens démontre que les Nations unies n’ont prêté que peu d’attention à la question de la légalité du régime d’occupation dans son ensemble et à l’exigence qu’il doit être mis fin à cette occupation prolongée sans conditions.
Au lieu d’appréhender la légalité de l’occupation prolongée en mettant l’accent sur la responsabilité de la puissance occupante, l’action des Nations unies s’est concentrée autour de l’actualité du conflit et de l'encouragement des parties à mettre fin à l'occupation par des négociations hautement déséquilibrées et largement discréditées.
L’une des conséquences a été que par son inaction, l’ONU a conféré une certaine légitimité à l’occupation des territoires palestiniens occupés à une étape où, paradoxalement, l’Organisation mondiale a joué un rôle de premier plan dans la mise en place d’instruments juridiques contraignants interdisant toute forme de domination, d’asservissement et d’exploitation émanant de l’esprit de décolonisation qui a marqué l’émergence de pays nouvellement indépendants.
Nouveaux horizons
Comme le souligne Kishore Mahbubani, cette distorsion mondiale au sujet de la question palestinienne pourrait à terme conduire à une tragédie pour l’entité sioniste, lorsque la nouvelle corrélation des forces commencera à limiter considérablement la marge de manœuvre des puissances qui ont dominé le monde. Cette corrélation des forces est très manifeste dans ce que j’appelle la juridictionnalisation de la question palestinienne, cette forte mobilisation de gouvernements, d’experts juridiques, d’universitaires, de militants en faveur de la juste cause palestinienne pour porter la question devant les juridictions internationales telles que la CIJ et la CPI. Les procédures actuelles découlent d’une dynamique de changement actuellement en cours à l’échelle internationale appuyées par un vaste mouvement planétaire. Les événements récents marquent une rupture claire avec un passé imposé, pour reprendre l’expression du professeur et universitaire français Henry Laurens, et l’entreprise génocidaire de l’entité sioniste a donné lieu par effet inverse à un véritable travail de récupération et d’exploitation de l’énorme masse de documents onusiens qui constituent une véritable mine d’informations dans les procédures judiciaires en cours contre l’entité sioniste. Aussi l’ancrage international des mouvements sociaux est-il davantage consolidé par l’interconnectivité sans précédent que connaît notre monde, ce qui confère encore plus de teneur au récit palestinien.
L’on avait pensé que l’interdépendance, fruit de la mondialisation, serait économique ou même technologique, mais voici que certains de ses aspects récupèrent et adoptent les justes causes et en premier lieu la cause palestinienne pour la hisser au rang de première préoccupation mondiale grâce à l’éveil des consciences que le drame palestinien a suscité auprès de centaines de millions de personnes.
Riadh Ben Sliman
Ancien Ambassadeur
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