News - 04.06.2024

Si vous ne connaissez pas Dhehiba, vous ne connaissez pas la Tunisie

Si vous ne connaissez pas Dhehiba, vous ne connaissez pas la Tunisie

Par Khadija Taoufik Moalla - Des petits patelins dans plusieurs pays, j’en ai visité énormément, mais Dhehiba ne passe pas inaperçue! Cette petite bourgade, située à 3 kilomètres de la frontière Libyenne, abrite environ 5000 personnes, toutes issues de la même tribu: ‘Les Dhehibettes’. Je viens d’y passer une semaine où j’ai eu le bonheur de goûter à l’hospitalité hors du commun des gens du Sud. Si je me suis retrouvée à Dhehiba cette semaine, c’est parce qu’un architecte de Dhehiba, Imed Meliene(*), était venu au début de cette année rendre visite au bureau de l’ONU-Habitat et avait partagé avec les personnes présentes son rêve: «Transformer l’étiquette de Dhehiba, de petite ville de trafiquants (ou knatryia) à la plus belle zone agricole verte»! Cette phrase m’avait beaucoup intriguée, et je devais m’y rendre pour mieux comprendre la réalité du terrain, et voir dans quelle mesure, collectivement, pouvons-nous contribuer à réaliser ce rêve qui nous a inspirés!

Et je me suis mise moi-même à rêver que si chacun des 12 millions de Tunisiennes et de Tunisiens, que nous sommes, avait un rêve pour son patelin, son quartier ou même une partie de sa ville, nous pourrions réaliser le développement de notre pays. En fait, qu’est-ce que le développement si ce n’est un rêve partagé par les membres d’une même communauté qui s’engagent à le réaliser, pour le bien et l’intérêt de tous !

De nombreuses phrases ont jalonné et marqué mon voyage à Dhehiba, comme celles de Si Imed. J’ai décidé de les partager avec vous afin que nous puissions réfléchir ensemble à la question qui me semble fondamentale: Pourquoi certains rêves se réalisent et d’autres pas?

1. «Faculté de Médecine de Médenine»!

Intrigante phrase écrite sur une pancarte, presque illisible, au milieu de nulle part, et devant laquelle je viens de passer. Très étonnée de ne voir qu’un immense terrain vague, je pose la question à Si Lassaad, mon conducteur, qui passe ses journées à sillonner le pays. Il m’informe alors qu’il y a dix ans, on avait promis de construire cette Faculté de Médecine et qu’un des habitants de Médenine, qui en avait justement rêvé, avait fait don à la Municipalité d’un grand terrain pour cette construction. Malheureusement, cette promesse est venue s’ajoutée à la longue liste des «promesses non tenues». Même si ce rêve n’a pas été concrétisé, il nous enseigne une grande leçon de vie. Ce Monsieur au lieu de penser à léguer ce terrain à ses enfants, a préféré penser à tous les enfants de Médenine et des gouvernorats avoisinants qui n’ont pas les moyens d’aller étudier dans la capitale ou ailleurs. Si seulement, nous pouvions toutes et tous contribuer à «élargir notre cercle de compassion» comme le décrit si bien Einstein dans sa fameuse citation qui m’a toujours inspirée(1).

2. «Illettrées peut-être… mais expertes en marketing, sûrement»

À Dhehiba, j’ai passé une des semaines les plus instructives de ma longue carrière. Une centaine de femmes qu’ONU-Habitat m’avait demandé de former, en majorité illettrées, mais dotées d’une très grande intelligence émotionnelle, s’étaient constituées, six mois auparavant, en «Groupement de Développement Agricole (GDA)». Elles aussi ont rêvé de mieux subvenir aux besoins de leur famille et de leur patelin. Elles possédaient les compétences requises pour exercer plusieurs métiers dont: l’élevage, le tissage, la couture, la culture de plantes médicinales, et la production des meilleures épices…etc. Leur comité directeur, composé de six femmes, tenait à chaque déjeuner, à préparer un de leur repas local, grâce à leur ingrédients faits maison. Un repas préparé avec amour et générosité, que nous partagions ensemble dans un grand plat commun. Ces femmes avaient un sens inné du marketing qu’aucune grande école ne leur a appris. Ainsi par exemple, au lieu de me vanter les mérites de leur Hrouss, elles ont préféré me le faire goûter, afin que je puisse moi-même en tester la valeur et la saveur.Ces femmes avaient une très grande hospitalité qui m’a fait sentir, à chaque instant, que j’étais une des leurs. Leur soif et volonté inébranlable d’apprendre et d’améliorer leur quotidien les ont poussés à marcher, sous un soleil tapant, pour venir me rejoindre, chaque jour (de 8H à 18H), à la maison de la culture, afin que nous puissions réfléchir ensemble à l’avancement et l’épanouissement de leur GDA en particulier, et de Dhehiba, en général.

3. «Seule l’intelligence émotionnelle compte»

Comme je l’ai mentionné, la plupart des 120 femmes du GDA sont illettrées. Cependant, elles ont pu, en quelques jours seulement, discuter, développer et se mettre d’accord sur: une Vision, un Slogan, un Objectif général, cinq objectifs particuliers, et un Plan d’action annuel. Cela prouve que l’intelligence émotionnelle, l’engagement et le patriotisme sont bien plus importants qu’un diplôme universitaire, souvent utilisé uniquement pour obtenir un bon emploi et ne s’occuper que de sa famille. Or, «élargir son cercle de compassion» est la clé pour contribuer au développement de sa ville et de sa patrie.

C’est d’ailleurs la même intelligence et engagement que j’avais vus, tout au long de mes dernières formations, dans les yeux des femmes de Beni Khalled, de Kerkennah…etc. Et d’ailleurs, chaque fois qu’un doute s’installait dans leurs yeux, je faisais appel à des amis de ce «Cercle de compassion», qui acceptaient bénévolement d’intervenir en ligne pour parler de leur expérience et expertise. Leila Ben Gacem était intervenue à Kerkennah, pour parler du projet Mdinti, et Prof Merieme Maazoul, pour partager son savoir sur le marketing avec le GDA de Dhehiba. Je citais souvent aussi la très belle expérience de Lotfi Hamadi et son organisation: «Wallah We Can», à Makthar, que j’avais évoqué dans un article précédent(2).

4. «D’une économie parallèle à une économie vertueuse»!

À la fin de la formation, j’ai eu le bonheur de visiter moi-même les différents projets de la«Plaine des Romains» (سهل الرومان), un endroit en pleine transformation.

Grâce au rêve de Imed, à l’engagement sans pareil du délégué de Dhehiba M. Rashed Haddadet des jeunes de Dhehiba, de plaines désertiques, cet endroit est en train de se transformer peu à peu en un petit paradis sur terre!Grâce aussi à la Vision du GDA: «D’ici 2030, le Groupement de Développement Agricole des Femmes de Dhehiba sera un pôle agricole, économique, commercial, biologique par excellence, solidaire et financièrement indépendant, un point de rayonnement culturel pour les femmes artisanes leaders, capable de commercialiser leurs produits aux niveaux local, national et international pour faire avancer l’économie de la région et de l’État, et un exemple à suivre en République Tunisienne».

Grâce à tout cela, je n’ai pas le moindre doute que le développement de la Tunisie passera par ce village, petit par sa taille, mais grand par ses rêves!

Khadija Taoufik Moalla

1) « L’être humain fait partie du tout que nous appelons l’univers, une partie limitée dans le temps et dans l’espace. Il se considère lui-même, ses pensées et ses sentiments comme quelque chose de séparé du reste, une sorte d’illusion optique de sa conscience. Cette illusion est une sorte de prison pour nous, nous restreignant à nos désirs personnels et à l’affection pour les quelques personnes les plus proches de nous. Notre tâche doit être de nous libérer de cette prison en élargissant notre cercle de compassion pour embrasser toutes les créatures vivantes et toute la nature dans sa beauté ».

2) https://www.leaders.com.tn/article/34321-wallah-we-can-un-modele-a-suivre-pour-atteindre-les-objectifs-de-l-agenda-2030

* Imed Meliene, Chef de projet du Programme de développement intégré à la Délégation de Dhehiba

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