Des femmes de lettres célèbres au Proche Orient Mayy Ziyadah (1886- 1941)
Par Abdelkader Maalej - Notre grand ami Dr Ahmed Touili qui vient malheureusement de nous quitter a publié en 2003 un très intéressant livre intitulé Mayy Ziyadah et ses amoureux. Qui était cette femme ?
Mayy Ziyadah (مي زيادة) était une libanaise palestinienne née à Nazareth. Son père était un libanais maronite de confession et sa mère était une palestinienne chrétienne orthodoxe. Elle était une écrivaine prolifique. Elle était à la fois essayiste, poétesse, critique et auteure de plusieurs épitres qu’elle envoyait comme on va le voir à un certain nombre de célèbres écrivains et hommes de lettres de son époque.
Dés son jeune âge elle commença à apprendre la langue française. Elle aimait lire les auteurs romantiques français et notamment Alphonse de Lamartine dont l’influence sur elle allait se manifester dans son premier recueil de poèmes intitulé fleurs de rêves publié en 1911. De prime abord ses poèmes en français ne furent pas bien appréciés par les lecteurs. Elle décida alors de changer de cap. Elle s’inscrivit à l’université du Caire. Elle approfondit ses connaissances de la littérature arabe et de la civilisation musulmane. Le célèbre homme de lettres arabes Ahmed Lotfi Essayed lui conseilla de lire le Coran et lui offrit un exemplaire de la vulgate.
Ayant acquis une solide connaissance de la littérature arabe Mayy se mit à écrire des poèmes et des essais en arabe qu’elle faisait publier dans la revue Almahroussa (la protégée) fondée par son père au Caire après que sa famille eût déménagé en Egypte en 1908 à la recherche de meilleurs jours. Mayy devint célèbre par sa création d’un salon littéraire (1913-1936) appelé salon du mardi qui se réunissait comme son nom l’indiquait tous les mardis dans la maison de Mayy. Le salon était fréquenté par certains grands hommes de lettres écrivains et poètes à l’instar de Ahmed Chawqui, Abbes Mahmoud El akkad, Lotfi Manfalouti, Mahmoud lotfi Essayed, Ismael Sabri et d’autres.
Mayy Ziyada et ses amoureux
Mayy se singularisait par une chose curieuse par comparaison aux femmes de son époque. Elle avait plusieurs admirateurs voire amoureux.
Le premier de ces amoureux n’était autre que le célèbre écrivain libanais Jabran Khalil Jabran 1883-1931 chef du mouvement littéraire émigratoire aux Etats-Unis d’Amérique. Mayy n’avait pourtant jamais vu Jabran. Elle l’avait seulement connu à travers ses écrits et ses poèmes. Elle lui envoyait des lettres dans lesquelles elle exprimait son admiration pour lui. Ce dernier lui répondait par des lettes pleins d’amour. Mais au bout de quelques temps Mayy sentit que Jabran était lié à une autre femme et elle rompit ses relations avec lui.
Plusieurs membres du salon littéraire de Mayy étaient amoureux d’elle et ils ne cessaient d’exprimer cet amour dans des poèmes galants et des lettres d’admiration. Parmi ces amoureux il faut citer en premier lieu le grand écrivain et poète Abbes Mahmoud El Akad qui avait composé plusieurs poèmes vantant la beauté de Mayy et exprimant son amour pour elle. Après lui avoir échangé ses sentiments d’amour Mayy fut déçue en apprenant qu’il était lié à une autre femme et rompu ses relations avec lui.
Le grand écrivain Mustapha Lotfi Manfalouti était un autre amoureux de Mayy mais cette relation ne dura pas longtemps non plus et l’écrivain claqua un jour la porte et sortit du salon en colère.
Mayy avait également entretenu une forte relation d’amour avec l’écrivain libanais Jakob Sarrouf fondateur de la revue Moktatf (Morceau choisi) où Mayy publiait ses poèmes et ses articles. Mayy fut liée avec cet homme par une relation d’amour et s’échangeait des lettres avec lui. A l’instar des autres amoureux cette relation ne dura que 5 ans pendant lesquels les deux amoureux se rencontraient tous les mercredis pour s’échanger des sentiments d’amour.
Dans une lettre adressée en 1920 à Jakob Sarrouf, Mayy lui reprocha de l’avoir critiquée de penser en français même quand elle écrivait en arabe.
Je vous invite à lire cette lettre quelque peu drôle de par son vocabulaire et son style:
Cher monsieur
Lorsque j’ai reçu ta lettre lundi dernier j’étais profondément occupée à lire une correspondance échangée entre deux grands philosophes Voltaire et D’Alembert. La correspondance concernait une importante et belle œuvre littéraire à savoir l’encyclopédie française.
Ce jour là notre ami Voltaire vivait en exile en Suisse alors que D’Alembert était à Paris entrain de collaborer avec Diderot et d’autres encyclopédistes afin de publier l’encyclopédie tome après tome. sous le patronage de celui que Voltaire appelait le Soloman du nord à savoir Frédérique le Grand par allusion à son entité intellectuelle qui se manifestait par une assistance financière mensuelle octroyée aux philosophes et savants français pour leur permettre de subvenir à leurs besoins en nourriture habillement et logement au moment où la monarchie qui était à son apogée ne pensait qu’à les poursuivre à les exiler et à bruler leurs livres. Après leur avoir promis de les aider à produire la monarchie s’était mise sous la pression du clergé à les tracasser et à bâtir molto obstacles sur leur chemin. Elle leur avait imposé une censure qu’ils furent obligés d’admettre malgré eux-mêmes. Elle leur avait désigné pour accomplir cette mission des ignares qui censuraient tout ce qu’ils ne comprenaient pas alors qu’ils ne comprenaient rien.
Dans ce climat assombri les deux hommes s’étaient mis à s’échanger des lettres. Voltaire aidait D’Alembert à distance à achever l’encyclopédie; chacun d’eux ressemblait à son collègue de par sa grandeur d’esprit, sa volonté de servir l’intérêt national, de sa haine de l’ignorance de l’orgueil et du despotisme. Les deux hommes se ressemblaient par leur aspiration à la justice et leur rejet de l’injustice ainsi que par leur connaissance de la nature humaine et leur refus de la tolérance envers les idiots. Rares sont les mots susceptibles d’exprimer l’amertume qui sortait de leur cœur brisé. Comme ils sont beaux les termes qui expriment la consolation émanant de leurs belles plumes enchainées. Comme il est loin le point que leur esprit pourrait atteindre dans un futur aplani.
L’encyclopédie est leur premier centre d’intérêt autour duquel ils ne cessent de tourner en lui accordant une grande attention tout comme deux associés qui tiennent à réaliser un objectif qui les rendrait inoubliables aux yeux des générations futures. Non ils ne se contenteraient pas de cet exploit mais ils chercheraient à faire en sorte que des vagues de thèmes sociaux, philosophiques, scientifiques, religieux. et psychologiques se mettent à tourner autour de ce point primordial jusqu’au moment où ils tomberaient sur une idée alléchante ,une anecdote ou une blague qui les ferait rire comme s’ils étaient deux gosses non concernés par une confiscation décidée par le gouvernement et non menacés d’être poursuivis et condamnés plus violemment et plus cruellement que ne le faisaient les tribunaux de l’inquisition.
J’étais en train de lire avec admiration tristesse et en riant tout en sympathisant avec eux et en louant Dieu tout comme le fait un croyant lorsqu’il observe un splendide spectacle naturel. Je remerciais Dieu qui avait crée ces grands esprits, ces hautes âmes et ces intellects humains. J’enviais chacun d’eux pour avoir un tel géni comme ami tout en faisant la comparaison avec notre voisine israélite qui avait un jour provoqué un tollé en réunissant tous les cuisiniers et les ouvriers de la maison tout simplement pour leur demander de résoudre cette importante équation mathématique quel est le quart de 50.
A ce moment précis je reçus ta lettre avec sa magistrale introduction. J’ai fermé mes yeux et je me suis dite qu’est ce qui me lie avec ces deux philosophes que j’enviais d’avoir chacun un ami de ce rang. La vie m’a gratifiée moi aussi d’un ami qui leur ressemble et avec lequel je peux discuter et échanger des lettres et dont l’impact intellectuel sur ma personne est énorme. J’ai ensuite froissé la lettre et permets moi de dire que c’était une lettre russe à double titre; russe tout comme l’autorité russe se distinguait par des dates des couleurs et des mots de divers sens et russe également puisque le feu y brule du premier mot jusqu’à la dernière ligne.
Tu déclares hautement que tu es en colère contre moi et que tu veux me punir et me châtier violemment.
Quel crime ai-je commis? Il n’est pas impérieux que je commette des crimes lors de mon existence. Mais du moment que tu tiens à me considérer comme coupable tu inventes ces crimes de néant; même l’introduction magistrale n’est pas sans renfermer des insinuations allusions et coups de fouet.
Tu as par exemple dit que je pense en français quand j’écris en arabe. Tu as dit cela sans me permettre de me défendre mais est ce que me défendre peut servir à quelque chose puisque tu penses que l’honnêteté suppose que je dois penser en arabe quand j’écris en arabe et non en une langue étrangère sauf exceptionnellement tout comme on le fait quand on visualise quelqu’un ou quelque chose simultanément dans la langue d’usage au moment où on voit ou on entend ceci ou cela.
Je crois que ma connaissance de certaines langues étrangères avant de connaître la langue arabe m’a poussée à comparer notre société à cette femme qui n’a jamais quitté le village des 7 maisons que tu considères comme étant la plus belle ville du monde étant aussi le centre de l’univers. Cette connaissance qui est mienne m’a incitée à me poser la question chaque fois que je lis un article écrit par un grand écrivain ou un poète doué mais qu’ont mis ces auteurs d’eux même dans ce qu’ils ont écrit; où est cette subjectivité dont je ne trouve aucune trace dans leurs écrits? Pourquoi dois-je expliquer mes tendances et justifier mes préférences linguistiques? S’il y’a quelqu’un qui mérite d’être blâmé ce sera bien toi. Car c’est toi qui as abandonné la prose rythmée les commentaires et les appendices alors que cela constituait le cerveau dominant de l’époque. Si j’avais à imiter quelqu’un d’autre ce serait bien toi. Non je hais l’imitation qui abaisse l’imitateur et défigure l’imité. Je tiens à être moi-même dans mes écrits. Par Dieu quelle injustice et quel despotisme. C’est de cette façon que je te réponds. Ta lettre renferme une autre accusation; Tu dis dans ta lettre que j’attends de toi le moindre signal pour te pardonner. Comme tu es méchant quand tu dis ce que tu ne crois pas. Mais je ne veux pas me chamailler avec toi et je tiens à te pardonner tout ce que tu as dit dans ta lettre par respect à l’introduction.
Je t’écris au moment où le soleil commence à descendre à l’horizon et les nuages du soir se mettent à nager dans des lacs d’or d’ambre et d’émeraudes; dans tous les coins de la terre la chaleur est en train de monter et la nature printanière annonce son réveil. Comme ils sont beaux les arbustes que la municipalité a plantés. Ils ont commencé à bourgeonner sur les deux côtés de notre avenue. Es tu allé aujourd’hui à la cérémonie de Charm Alnacim ou t’es tu contenté de te balader dans la rue de Imeddine. Il se peut aussi que tu es en train de te balader à l’extérieur de contempler le coucher du soleil et de méditer. Pour ce qui me concerne je n’ai pas quitté la maison depuis plusieurs jours puisque j’ai dû récemment faire face à certaines difficultés. Ma mère ressent des douleurs au bras, mon père a mal aux dents et le téléphone ne fonctionne pas bien tout comme s’il est hanté par un dément selon ce que pensent centaines gens peu civilisées. C’est un véritable désastre; de ma part je sens qu’une aiguille épaisse m’a piquée au pouce juste à l’orteil. Mlle Toutou a pensé à me consoler et à me soigner à sa façon; elle a mordu mon doigt malade et elle l’a déchiré avec ses griffes. Je me suis alors dit tiens les chats ressemblent parfois aux philosophes.
Abdelkader Maalej
- Ecrire un commentaire
- Commenter