Covid-19 : La pandémie un élément nouveau de précarité, d’incertitude et d’angoisse
Par Samir Allal
Le pire n’est pas sûr, l’improbable est possible
La pandémie du Covid, suscitant une crise planétaire multidimensionnelle, devient un élément nouveau de réflexion, de précarité, d’incertitude et d’angoisse.
La crise mondiale des démocraties, le changement climatique et l’imprévu de la pandémie de Covid ont déclenché une crise sans précédent et une incertitude permanente dans laquelle nous vivons désormais dans le présent, pour le futur immédiat et pour le futur lointain.
Depuis le début de cette pandémie, des intellectuels comme Bruno Latour, Edgar Morin, Barbara Stiegler, Emmanuel Todd…, s’expriment jour après jour pour donner leur avis et réfléchir plus fondamentalement aux formes de notre coexistence démocratique.
La mondialisation technico-économique et la domination universelle de profit, ont créé une communauté de destin entre tous les humains dans le déferlement économique planétaire et la dégradation de la biosphère. La difficulté est d’imaginer des scénarios de sortie de crise et de circonvenir ces complexités.
Cette difficulté est d’autant plus grande que nos savoirs sont disjoints et compartimentés en disciplines closes, alors que la complexité de la crise tient au interactions et rétroactions entre processus écologiques, biologiques, psychologiques, économiques, sociaux, etc.
La dégradation de la qualité de la vie résulte du primat du quantitatif dans l’organisation et la conduite de notre société donc de nos vies, où le calcul traite comme objet mesurable tout ce qui est humain et, aveugle à tout ce qui est individuel, subjectif et passionnel, ne voit que PIB, statistiques, sondages, croissance économique.
Le primat du quantitatif des technocrates et des éconocrates, qui dissolvent l’humanité des humains dans les chiffres, ne fait que surexciter le besoin anthropologique de connaissances et de reconnaissance.
La tendance à réduire une crise multidimensionnelle à l’un de ses composants, et à prendre une partie de la vérité pour toute la vérité, alors que toute connaissance prenant la partie pour le tout est erronée.
Malheureusement, cette évidente nécessité, «d’une pensée complexe et d’une action consciente de complexité de l’aventure humaine», n’est ni comprise ni admise par la plupart des politiques, des économistes, des technocrates, et des entrepreneurs. Elle demeure ignorée par la plupart de nos concitoyens.
La survie est nécessaire à la vie, mais une vie réduite à la survie n’est plus la vie
Jamais le capitalisme n’a été aussi puissant, aussi hégémonique. Il a domestiqué l’agriculture devenue industrielle, la consommation est sous influence publicitaire, les services sont uberisés, le monde de l’information et de l’informatique sont sous emprise des GAFA, le ruissellement est en panne, les inégalités du présent (entre les individus, les territoires et les pays) sont encore plus folles que celles du passé.
Le capitalisme règne sur la santé via les industries pharmaceutiques dont la puissance s’est accrue pendant la pandémie, il parasite par ses lobbies les gouvernements, les institutions nationales et internationales. Cela dans la somnambulisme et l’aveuglement de majorité de nos concitoyens.
Et que trouvons-nous en face ? des consciences dispersées, des révoltes réprimées, des associations de solidarité, un peu d’économie sociale et solidaire, un peu de croissance verte, mais aucune force politiques cohérente pour prendre en charge ces grandes ruptures.
Il est encore possible de rompre avec le fatalisme qui pourrit nos démocraties, nourrit les dérives identitaires actuel et imaginer un nouvel horizon bas carbone, plus égalitaire à visée universelle.
C’est en montrant la multiplicité des trajectoires et des bifurcations possibles que l’on peut interroger les fondements de nos propres institutions et envisager les conditions de leur transformation.
Abandonner de grâce la formule «il n’y a pas d’alternative au marché»
La véritable leçon de cette crise aurait donc dû être beaucoup plus radicale: «abandonner enfin la formule: il n’y a pas d’alternative au marché», que l’on ne cesse de marteler, et s’efforcer de penser collectivement à des formes d’économie mixtes complètement nouvelles dans lesquelles, selon le type et l’urgence du besoin, des méthodes complètement différentes d’approvisionnement efficace seraient utilisées.
Pendant un bref instant, la primauté du bien commun a semblé l’emporter sur les intérêts individualistes. Mais cette mise à l’écart des lois du marché pour ce qui apparaissait comme essentiel n’a été que trop éphémère. Il faut en tirer vite les leçons.
Toute crise, est aussi une opportunité. Elle libère de nouvelles forces et des idées novatrices et, dans le meilleur des cas, inspire même la volonté de surmonter le malaise de «l’ancienne normalité».
Il n’y a guère de signes de cela pour le moment, au contraire: si l’on suit les débats dans la sphère publique, on a l’impression que de telles leçons transformatrices n’ont pas été tirées du de cette pandémie.
Je prévois la possibilité du pire, voire sa probabilité, mais le pire n’est pas sûr, l’improbable est lui aussi possible, tout comme l’imprévisible.
Il est certain qu’il existe des gains minimes de connaissances qui devraient nous protéger à l’avenir contre des développements indésirables qui étaient déjà apparus dans le passé.
Personne ne poursuivra sérieusement le projet de tout convertir en e-learning dans les écoles et les universités, et seuls quelques-uns oseront encore plaider en faveur de «nouvelles réductions budgétaires» dans le secteur de la santé publique, des «nouvelles économies» dans l’éducation et la recherche.
Mais combien plus pourrait-on gagner en termes de renforcement des institutions et des attitudes démocratiques si nous prenions plus au sérieux les leçons que la pandémie nous enseigne sur la primauté du bien commun sur les intérêts individualistes.
Professeur Samir Allal
Université de Versailles/ Paris-Saclay
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