Sfax la ville d’antan
Par Abdelkader Maalej - Qui des vieux sfaxiens comme moi ne se rappellent pas la belle ville qu’était Sfax au début du vingtième siècle? C’est dans cette ville que j’ai passé mon enfance et à laquelle j’ai consacré une grande partie de mes écrits dont un livre intitulé ‘Sfax propos du cœur’ publié en arabe en 1997 par la maison Kehia et 4 autres livres sur l’histoire de la presse Sfaxienne.
Un brin d’histoire
De toute évidence on ne peut pas parler de Sfax sans en présenter un aperçu historique même très succinct.
D’aucuns parmi les historiens dont Mahmoud Megdiche, auteur d’un célèbre ouvrage intitulé Nozhat al-anzar fi ajâib at-tawarih wal akhbar, pensent que Sfax, ville côtière, fut construite lors de l’époque numide (de Numidie qui était une contrée au temps des romains et correspondait à ce qui est aujourd’hui l’Afrique du nord) et son nom vient de celui du roi Syphax tué par les romains et dont la femme Sophonisbe préféra de s’empoisonner pour ne pas être livrée par le traitre Massinissa captive au romain Scipion. Selon Megdiche la ville était au départ une forteresse dont le rôle consistait à défendre la région contre les incursions des ennemis étrangers. Certaines légendes donnent d’autres explications à l’origine du mot Sfax mais aucune de ces explications n’a été scientifiquement confirmée et il n’est pas utile d’y revenir.
D’autres historiens disent que Sfax est une ville punique romaine et s’appelait Taparoura.
D’après l’historien connu Antonin Taparoura se trouvait entre Usilla au nord et Tyna au sud. Les vestiges découverts près de Sidi Mansour confirment cette thèse. Tyna est célèbre par son phare qui servait de guide nocturne aux navires. Les habitants de cette ville vivaient grâce à l’agriculture et à la pêche de poissons. La ville fut occupée par Julius César en l’an 46 avant Jésus et fut par la suite détruite. Plus tard la ville de Sfax devait durant des siècles faire face à des incursions successives de la part des Vandales des Byzantins et d’autres envahisseurs. Quand les Arabes arrivèrent au septième siècle il ne restait de l’ancienne ville que des ruines dont les traces sont encore visibles de nos jours. Les premiers arabes arrivés à la région habitaient dans des chaumières. On dit que 4 familles étaient les premières à s’y installer. Ces familles sont les Euch les Siala les Amous et les Naili dont est issue la famille Jarraya.
Deux siècles plus tard et plus exactement en 849 l’Emir Aghlabide Ibrahim Ibnou Alaghlab donna l’ordre au cadi Ali Ben Salem El Bekri de construire la ville arabe de Sfax qui prit la forme d’un rectangle de 600 mètres de longueur et 400 mètres de largeur.
Le rempart de Sfax
En 859 l’Emir Ahmed Ibnou Alaghlab qui était un homme de bienfaisance prit l’oukase de construire le rempart de Sfax destiné à protéger la ville et ses habitants contre les assauts aussi bien externes qu’internes. Le rempart comptait au départ deux portails l’un au nord appelé Bab Diwan donnant sur la mer et l’autre au sud appelé Bab Jebli ou porte de la montagne puisqu’il donne sur la ghaba qui veut dire campagne. Le rempart fut endommagé moulto fois par les guerres qui ravageaient la ville qui était à chaque fois restauré jusqu’ à l’occupation française en 1881. Au lendemain de l’établissement du protectorat français d’autres portails furent construits des quatre côtés du rempart, en tout 9 portails. C’est actuellement le seul rempart demeuré entièrement intact en Tunisie et il constitue une fierté pour la ville de Sfax.
La grande mosquée
A l’instar des habitants de toute ville arabe musulmane les sfaxiens jugèrent qu’il leur fallait une grande mosquée qui en plus de lieu de culte pouvait servir d’endroit d’enseignement de l’arabe, du Coran et des sciences charaîques. Au début du vingtième siècle la mosquée devint une annexe de la mosquée Ezzitouna. C’était autour de la mosquée que se formaient les différends souks de la ville. Des centaines de maisons furent construites autour des souks et le nombre de maisons augmentait au fur et à mesure que le nombre de la population s’accroissait.
Le quartier franc
Dés les années 30 du 18ème siècle les européens commençaient à s’installer à Sfax attirés par ses activités commerciales florissantes. Le premier européen venu s’installer à Sfax en 1830 était un médecin Diwan membres de sa famille. Des dizaines de maltais de français et d’italiens immigrèrent à leur tour à Sfax. Avec l’augmentation de leur nombre les européens décidèrent de se créer un quartier contigu au rempart du côté de Bab Diwan. Plus tard ce quartier qui ne cessait de s’étendre prit le nom de Bab-bhar ou porte de la mère puisqu’il fut édifié sur une superficie en grande partie conquise de la mer qui face à l’invasion humaine devait se retirer de plus en plus loin vers le sud.
Avec l’afflux des colons français au lendemain de l’occupation française en 1881 ces nouveaux venus croyaient que la Tunisie allait faire partie intégrante de leur métropole. Ils se mirent à créer les administrations dont ils avaient besoin telles que la municipalité, la police, la poste le port les écoles le théâtre les salles de cinéma etc.
L’hôtel de ville
A Sfax la décision de construire l’hôtel de ville fut pris en 1903. Mais les travaux ne commencèrent qu’en 1904. Le conseil municipal crée le 16 juillet 1884, ne commença à y siéger qu’en 1907 et avant cette date il siégeait dans une petite bâtisse en tant que locataire. L’hôtel de ville de Sfax est une belle bâtisse comportant un clocher surmonté par une horloge qui n’était pas sans rappeler le Big Ben de Londres. L’horloge sonnait à chaque quart d’heure pour indiquer le temps aux habitants.
Le port de Sfax
Deuxième grande ville du pays Sfax entretenait depuis longtemps des relations commerciales florissantes avec plusieurs métropoles méditerranéennes à l’instar de Gènes en Italie et Alexandeie en Egypte et elle ne pouvait par voie de conséquence prospérer sans un port à sa mesure. Jusqu’à la fin de 1886 il n’existait à l’embouchure du port qu’une simple jetée en bois longue de 50 et les navires amarraient à son côté pour charger ou décharger leurs marchandises. L’autorité décida alors de construire un port destiné à recevoir convenablement les navires commerçants. Au terme de longs travaux qui avaient duré quelques années le port fut officiellement inauguré le 24 avril 1897 en présence du Président français Fallières. Avec l’entrée en scène de la production du phosphate et son exportation à partir de Sfax on pensa qu’il fallait agrandir le port. Mais avec le déclenchement de la première guerre mondiale les travaux d’agrandissement ne furent achevés qu’en 1926.
L’eau potable et l’électricité
La région de Sfax était une région quasi aride. Jusqu’à l’année 1892 il n y’avait à Sfax ni réseau d’eau potable ni électricité. Les sfaxiens ne pouvaient depuis belle lurette compter que sur eux-mêmes. Dans chaque borj (demeure) on construisait un majel pour l’eau potable (cette tradition est respectée jusqu’à nos jours) et on creusait un puits pour assurer les autres besoins tels que la vaisselle et les travaux de ménage. Avec l’installation de plus en plus nombreuse des colons français dans le quartier franc, l’autorité civile de la ville c'est-à-dire la municipalité, dont le véritable maître était le vice président français, se trouva dans l’obligation de fournir l’eau potable aux européens et notamment les français. Mais comment financer le projet. Jule Gau le vice président de la municipalité élabora un plan de financement basé sur un ensemble de taxes imposés aux agriculteurs et commerçants tunisiens qui ne pouvaient pas pourtant , au même titre que les européens, avoir accès au réseau de l’eau potable que Jule Gau voulait installer au profit des siens. On fit venir l’eau potable de Sbitla et à partir de 1910 le système commença à fonctionner et depuis lors l’eau potable devenait disponible à Sfax.
Pour ce qui est de l’électricité, Sfax est la troisième ville tunisienne à en être approvisionnée. C’était dans le quartier franc qu’on voyait s’installer les lampes d’éclairage public. La ville arabe n’eut droit qu’à quelques lampes sous prétexte que l’architecture de la ville et l’exigüité de ses rues ne permettaient pas d’y installer un grand nombre de poteaux électriques. Ainsi la ville arabe restait dans l’obscurité presque totale alors que ses habitants étaient obligés à payer les impôts nécessaires pour la cause et ainsi le quartier franc devenait éclairé quand bien même ses résidents ne payaient pas un sous d’impôt.
Sfax au début du 20ème siècle
Nous arrivons maintenant au début du 20ème. Comment se trouvait la ville de Sfax à cette époque ? Dans un important ouvrage intitulé Dictionnaire illustré de la Tunisie publié en 1912, l’écrivain français Paul Lambert consacra à Sfax un intéressant article. L’auteur nous présente une image complète de la ville comme il l’avait lui même vue. Que nous dit-il au sujet de Sfax ?
Après avoir présenté Sfax du point de vue géographique Lambert nous informe que le conseil municipal de céans fut fondé en 1984 c’est à dire 3 ans après l’établissement du protectorat en 1881. A la date de publication du Dictionnaire illustré de la Tunisie, plusieurs consulats européens étaient déjà en exercice à Sfax dont ceux de la Grande Bretagne de l’ltalie de l’Autriche, de la Hongrie du Danemark de la Suède de l’Espagne etc. Sfax comptait également plusieurs autres administrations telles que le poste de police, la poste, des écoles primaires et secondaires dont le collège de garçons crée en 1903. La ville comptait aussi quelques églises, des synagogues dans la ville moderne, beaucoup de mosquées dans la ville arabe, un hôpital civil et un hôpital militaire. Il y avait aussi un théâtre un port et la maison Djellouli etc.
L’auteur nous indique que le nombre d’habitants s’élevait en 1910 à 111350 y compris ceux de la ghaba c’est à dire la banlieue. Ces habitants se répartissaient comme suit : 103350 tunisiens dont 5000 israélites et 8000 européens dont 2000 français. Dans la ville arabe il y’avait 2520 maisons et 417 dans la ville européenne. Le nombre de familles tunisiennes s’élevait à 9800 et celui des européens s’élevait à 8000 dont 2000 français. Lambert nous indique aussi qu’une voie ferrée fut inaugurée en 1912 reliant Sfax à Tunis en passant par Eldjem et Sousse.
Une belle image
Quelle était l’image de Sfax à l’aube du 20ème siècle ? La ville était et est encore reliée à son étendue banlieue par une dizaine de routes que les habitants empruntaient pour se rendre au lieu de leur travail en ville, ou faire leurs courses et rentrer chez eux enfin d’après midi. Pour se rendre en ville ils utilisaient leurs moyens traditionnels de transport tels que l’âne, la calèche la bicyclette ou s’y rendaient même à pied. Plusieurs fondouks furent construits afin d’héberger ces moyens traditionnels de transport pendant la journée Avant d’arriver à la ville on devait traverser un pont appelé sàda صعدة construit au dessus de la voie ferrée reliant Sfax à Gafsa à l’ouest et Tunis au nord. J’empruntais moi-même ce chemin pour me rendre au collège de garçons. Au lendemain de l’indépendance on avait jugé qu’il fallait déplacer le cours de la voie ferrée pour qu’elle ne traversât plus la ville. Après l’achèvement des travaux on procéda à la démolition des ponts qui n’avaient plus, selon la nouvelle autorité, raison d’être. De ce fait la ville avait perdu une caractéristique qui la distinguait des autres villes tunisiennes.
Des ceintures naturelles
Sfax était toujours et l’est encore entourée de 3 ceintures naturelles en forme de demi-cercle.
La première était et est encore constituée par des jnènes (jardins) et des borjs (demeures) où habitaient les autochtones.
Autour de cette ceinture se trouve une deuxième ceinture appelée bourat formée d’implantations d’arbres fruitiers et surtout d’amandiers. Mais cette ceinture est en train de se rétrécir au profit de plus en plus de lieux d’habitation.
Autour de cette ceinture se dessine une troisième ceinture autrement plus belle formée par une vaste oliveraie. Dans un livre de géographie au secondaire j’avais lu cette phrase : Sfax est la plus belle oliveraie du monde. Sur cette bonne note je termine mon propos.
Abdelkader Maalej
Ancien communicateur
Principales sources
محمود مقديش: نزهة الأنظار في عجائب التواريخ والأخبار
عبدالقادر المعالج: صفاقس جديث القلب
Paul Lambert : Dictionnaire illustré de la Tunisie
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