News - 10.05.2021

Tunisie: Le confinement général dénoncé ou lorsque la mesure se mesure et se démesure? Lecture dans les mesures gouvernementales du 7 Mai 2021

Tunisie: Le confinement général dénoncé ou lorsque la mesure se mesure et se démesure ? Lecture dans les mesures gouvernementales du 7 Mai 2021

Par Najet Brahmi Zouaoui

1- Dans une étude récente publiée sur leaders du 18 avril 2021, et portant lecture critique des mesures gouvernementales du 17 avril 2021, nous avons émis beaucoup de réserves quant à la faisabilité, l’efficacité et le caractère obligatoire de ces mesures. Les mesures devaient, à notre sens, pécher par leur dispositif tantôt contradictoire, et tantôt irréaliste(1).

2- Aujourd’hui, le constat est le même sauf qu’il est plus poussé car sa véracité est réellement vérifiée. Il suffirait pour s’en convaincre de faire un premier bilan des mesures gouvernementales du 07 Mai 2021 en vue de la lutte contre la propagation du Covid-19.

3- Obligeant à un confinement général du 09 au 16 Mai 2021, les mesures prises par le gouvernement auraient justifié des pratiques malheureusement contraires aussi bien à l’esprit qu’à la lettre de leur indication.

4- A 48 heures de leur annonce, les mesures rendues publiques par le chef du gouvernement portent en elles le signe de leur fragilité. Au bilan déjà, des rassemblements des plus alarmants devant les portes des administrations et entreprises publiques notamment. Les citoyens coincés par le temps et voyant l’impasse budgétaire pour la fête de l’Aid, se sont précipités massivement aux postes en quête d’argent. Les autres, soucieux de répondre de leur rituel d’approvisionnement en pâtisseries et en nouveaux vêtements pour leur progéniture, ont choisi de faire les magasins et centres commerciaux pratiquement au même temps. Ils ne pouvaient pas agir autrement d’ailleurs puisqu’ils ils devaient tous s’organiser et au mieux du vendredi 07 Mai à partir de 11h, heure du discours du chef du gouvernement au samedi 8 Mai avant 19h, heure où le couvre-feu devait entreren vigueur (une cessation de toute activité commerciale et autre). Les moyens de transport publics et même privés étouffaient et véhiculaient l’image amère d’une société qui s’accroche à la vie dans des conditions lamentablement affreuses.

5- Mais loin d’impacter le seul quotidien du tunisien, les mesures du 7 Mai 2021, ont eu aussi l’effet d’un éclair tombé sur la tête des commerçants ! Au fait, un confinement général édicté pour la semaine qui précède l’Aid serait incontestablement perturbateur de l’économie des petites et moyennes entreprises économiques qui continuent à trouver dans les préparatifs des fêtes en général et de la fête de l’Aid El Fitr en particulier une des meilleures occasions pour se redresser pour celles qui passent par des difficultés, et pour réaliser les meilleures recettes pour celles qui heureusement demeurent en dehors de la gêne.

6- L’impact économique des mesures édictées et proclamées le 07 Mai 2021 par le chef du gouvernement a été si important que la communauté tunisienne des commerçants, industriels et artisans n’a pas tardé à réagir! Une première réaction est signée par l’UTICA (Sousse) qui a notifié expressément samedi son refus de se soumettre aux nouvelles mesures. Les mesures sont ainsi boycottées ce qui n’est pas sans interpeller le droit. Une question juridique semble alors s’imposait : Quelle est l’autorité juridique des mesures prises par le chef du gouvernement (I) d’une part et quel serait l’impact juridique de la décision prise par l’UTICA de Sousse et portant signification ou avis de boycott desdites décisions (II).

I- Les mesures gouvernementales du 7 Mai 2021: Quelle autorité?

7- Dans une étude récente portant sur les mesures prises par le chef du gouvernement en date du 17 avril 2021(2), on s’est interrogé sur l’autorité de ces mesures. Notre question était d’autant plus indiquée que la comparaison avec les deux premières vagues de Covid-19 nous semble indiquée. Aussi, faut-il rappeler une différence dans la technique d’intervention du chef du gouvernement en quête d’une lutte contre la propagation du Covid-19. Dans la première vague du Covid-19 s’étendant du 02 Mars 2020 au 30 Juin 2021, le chef du gouvernement était habilité par l’assemblée des représentants du peuple à prendre des décrets-lois en vue de lutter contre le Covid-19(3). Il en va autrement  pour le deuxième et  troisième vague du Covid-19. Le chef du gouvernement n’a pas été habilité à prendre des décrets lois. C’est la raison pour laquelle, il continue à prendre des mesures de lutte contre le Covid-19 en se référant toujours à l’avis de la commission nationale de lutte contre le Covid-19. Les mesures, loin donc de répondre d’un moule juridique bien défini dans l’échelle de Kelsen, tiendraient tout simplement de décisions qui invitent à s’interroger sur leur force obligatoire. C’est vrai que la signature des mesures par le chef du gouvernement est symbolique, cependant elle demeure loin de parer la mesure de la force obligatoire requise pour une application stricte et incontestable.

8- L’interrogation sur la force obligatoire de la mesure du confinement général et obligatoire prise vendredi 7 Mai 2021 par le chef du gouvernement ne tient pas d’une simple hypothèse d’école inspirée et signée par un juriste initié à la lecture critique des textes de droit. Non et loin de ça. C’est aujourd’hui une question réelle qui appelle une réponse. La réalité de la question est d'autant polus évidente que la communauté nationale des commerçants, industriels et artisans vient de rendre public un avis contestataire de la décision du chef de gouvernement imposant un confinement général sur tout le territoire tunisien dans la période qui s’étend du 9 au 16 Mai 2021.

II- Les mesures du 7 Mai 2021: Le boycott de l’UTICA de Sousse ou la décision sur la décision?

9- Dans un ouvrage très récent intitulé «La théorie de la décision» publié sur le site électronique www.topdeslivres.com, Robert Kast a fait une démonstration pédagogique en vue de répondre à la question de savoir comment prendre la bonne décision. L’objectif de l’étude était de rationaliser au maximum les décisions  et d’éviter les inconséquences néfastes d’une mauvaise décision. Commentant cet ouvrage ainsi que l’action bienveillante de son auteur, nous avons écrit en date du 06 Mai 2021, que l’ouvrage devrait profiter à chacun parmi nous et surtout à nos décideurs qui seraient passés outre «les critères raisonnables dans la prise de décision»(4).

10- Aujourd’hui, cette appréciation de l'avis de nos décideurs (A) que la décision gouvernementale  avait manqué aux règles élémentaires qui doivent présider à la prise de toute décision et provoqué la réserve  de la communauté nationale des commerçants, industriels et artisans semble justifiée (B).

A) La décision du confinement général obligatoire: Une mesure précipitée.

11- Deux considérations basiques devraient tenir d’un préalable indispensable à la prise de toute décision: Celle liée au temps ou quand prendre la décision et celle liée a son à 'impact ? 

12- Ces deux préalables semblent avoir échappé au chef du gouvernement d'où la justification de la résistance la communauté des commerçants. En fait, le confinement général a été décidé au moment où l’activité commerciale devrait atteindre son faîte. Mais aussi avec une portée qui n’est pas sans interpeller. S’agissant de la date, elle serait mal étudiée et ne devrait que présager de réserves et résistances tous azimuts. Annoncer une suspension de l’activité commerciale dans les quatre ou cinq jours qui précèdent la fête de l’Aid est une décision qui ne pourrait que choquer. Et il ne faut pas être spécialiste du développement personnel pour mesurer l’impact de la décision. Et s’agissant de la portée ou du contenu de la mesure, il y a lieu de rappeler qu’il a été décidé «La suspension de toute activité commerciale sauf pour «les secteurs vitaux» ce qui n’est pas sans semer un doute, en période de l’aïd, sur le caractère vital de l’activité commerciale. Sachant bien évidemment que le rituel en cette période de fête s’érigerait en vital?

B) Le confinement général obligatoire: Une décision à réviser ou la voix de l’UTICA

13- Trois principales réactions peuvent être ici rappelées : Celles de la chambre régionale de Sousse de l’UTICA respectivement rendues publiques la première le 08 et la deuxième le 9 Mai 2021 et celle de l’UTICA rendu publique ce jour sur sa page officielle.

14- S’agissant de la première réaction, elle a eu lieu le 08 mai donc 24 heures après l’annonce du confinement général par le chef du gouvernement. Il s’agit d’un avis signé par la chambre régionale de l’UTICA de Sousse et porté à la connaissance  de Madame le gouverneur de Sousse. L’avis, publié sur la page officielle de la chambre régionale de Sousse est ainsi formulé:  «Vu les circonstances économiques très critiques que connaissent la plupart des commerçants. Vu l’importance des journées commerciales qui précèdent l’AID El fitr.

Nous portons à votre connaissance que nous avons décidé de poursuivre notre activité commerciale très normalement jusqu’à la veille de l’Aid et ce après concertation avec toutes les parties prenantes qui ont exprimé leur attachement à leur droit au travail».

15- L’UTICA de Sousse a ainsi mis en relief le caractère intempestif   de la décision du chef du gouvernement et s’est autorisée de tracer son propre agenda dans ce sens qu’elle affirme une poursuite de l’activité commerciale jusqu’à la veille de l’AID. Les commerçants se plieraient donc à la décision du chef du gouvernement à partir du jour de l’Aid ! La chambre régionale de l’UTICA de Sousse annonce donc un boycott de la mesure prise par le chef du gouvernement. Le boycott, très symbolique de la fragilité de la mesure prise par le chef du gouvernement d’un point de vue autorité et force obligatoire, serait à notre sens rationalisé et relativisé par le deuxième avis de la chambre régionale de l’UTICA de Sousse qui publie aujourd’hui, dimanche 9 Mai 2021, un nouvel avis qui appelle le gouvernement à revoir les mesures par lui prises en date du 7 Mai 2021.L’avis est ainsi formulé:

«Vu les dangers qui menacent les commerçants pour les jours qui viennent en raison du défaut de mise en place d’un système de réparation financière des dommages, nous demandons au gouvernement de reporter l’application du confinement général au jour de l’Aid El fitr»(5).

16- L’UTICA, sensible à toutes ces revendications, vient de publier sur sa page fcb officielle un avis portant soutien à toutes les chambres régionales et solidarité avec tous les commerçants, industriels et artisans(6). L’avis de l’UTICA déplore «les inconséquences néfastes de la décision du confinement général  sur plusieurs secteurs de l’activité économique qui viendront alourdir le bilan des dommages subis par les acteurs économiques depuis la propagation en 2021de la pandémie. L’UTICA appelle le gouvernement à «un plan d’action en guise de soutien exceptionnel aux entreprises affectées.»(7).

17- Le gouvernement serait-il à l’écoute de ces demandes ? Dans l’affirmative, il devrait rompre avec l’esprit de la décision improvisée et renouer avec la décision étudiée. Pour ce faire et étant la gravité de la conjoncture du pays tous azimut, il semble être beaucoup plus que jamais indiqué de mettre en place les prémices d’une stratégie nationale de lutte contre le Covid-19. La stratégie dépasserait le seul aspect sanitaire pour en toucher d’autres dont notamment l’économique et le social ! En l’absence de cette stratégie, les erreurs vont se multiplier. Et si les unes peuvent être corrigées ou gommées, les autres ne le seront pas surtout quand le facteur temps participe de la définition de la décision regrettée. L’action doit se faire à temps, pas en aval et pas en amont !

Najet Brahmi Zouaoui
Professeure à la faculté de Droit et des Sciences politiques de Tunis. Avocate près la Cour de Cassation.
Secrétaire générale de l’Alliance Internationale des Femmes Avocates/Genève

(1) Najet Brahmi Zouaoui, les nouvelles mesures du 17 avril 2021 de lutte contre le Covid-19 : Faisabilité, efficacité et force obligatoire, Leaders News du 18 avril 2021.

(2) Ibid.

(3) Loi n 2020/19 du 12 avril 2020 habilitant le chef du gouvernement à prendre des décrets-lois dans l’objectif de faire face aux répercussions de la propagation du Coronavirus-Covid-19

(4) Najet Brahmi, Page officielle fcb, Statut du 07 Mai 2021.

(5) UTICA, Chambre régionale de Sousse, page fcb officielle.

(6) UTICA, Page officielle FCB.

(7) Avis précédent du 9 Mai 2021.

Vous aimez cet article ? partagez-le avec vos amis ! Abonnez-vous
commenter cet article
1 Commentaire
Les Commentaires
Ecolo - 12-05-2021 10:36

Vu qu'il n'y a pas de visites lors de l'aïd, en principe et si vraiment les gens comme il est dit ça et là subissent les répercussions économiques de la pandémie, ils ne chercheraient pas des vêtements pour leurs enfants ou des gâteaux. Le gouvernement n'est pas en faite. Les mesures de confinement sont annoncées souvent 48h a l'avance, pour éviter justement le déplacement de populations qui, d'ailleurs est censé être déjà interdit par les mesures précédentes mais ce qui fait défaut c'est de faire appliquer ces mesures en sanctionnant ceux qui ne les respectent pas

X

Fly-out sidebar

This is an optional, fully widgetized sidebar. Show your latest posts, comments, etc. As is the rest of the menu, the sidebar too is fully color customizable.