News - 16.04.2021

Moez Chakchouk: Et pourtant, il faut que ça roule

Moez Chakchouk: Et pourtant, il faut que ça roule

Les chiffres sont hallucinants. A elle seule, Transtu, la compagnie des transports bus et métro du Grand Tunis, accumule des dettes qui dépassent 1.3 milliard de dinars ! Dont 300 millions de dinars de cotisations sociales redevables à la Cnrps. En y ajoutant les dettes des autres sociétés régionales de transport terrestre, on arrive à plus que de 2 milliards de dinars de dettes. De son côté, Tunisair affiche au compteur plus de 2200 millions de dinars d’impayés dont 1000 millions  de dinars de dettes pour l’OACA et 980 millions de dinars de dettes pour les banques et le reste pour les autres prestataires. Quant au maritime, il se situe à un niveau moins élevé de créances, d’environ 180 millions de dinars, pour la plupart d’impayés croisés entre la CTN, la Stam et l’Ommp ...

Nécessairement, les parcs et les flottes sont vétustes et de plus en plus réduits, faute de ressources pour acheter les pièces de rechange nécessaires et de nouveaux investissements. Sur 1 200 bus, Transtu ne peut déployer que la moitié. La CTN n’opère qu’avec 6 navires, dont les deux car-ferries passagers. Tunisair a dû, à un certain moment, ne compter que sur 4 à 7 appareils sur les 23 qui sont capables de naviguer et ne transporter, comme en février dernier, sur l’ensemble de son réseau à la suite du renforcement des mesures sanitaires que 23 000 passagers au total. Les charges sont de plus en plus élevées et, dans certains cas, les salaires ne sont pas servis à temps, avec les débrayages que cela génère.

Comment voulez-vous que les compagnies publiques du secteur du transport puissent fonctionner régulièrement et convenablement ? Les perspectives de renflouement et de redressement sont encore floues et lointaines. Et pourtant, il faut que ça roule. C’est la mission confiée à Moez Chakchouk, nommé en septembre dernier ministre du Transport et de la Logistique. Plus encore, il doit débloquer les grands projets à l’arrêt : RFR, quais 8 et 9 du port de Radès, port en eaux profondes de l’Enfidha, extension du port de la Skhira, projets de PPP pour le port de Bizerte, métro léger de Sfax et autres chantiers plombés. Comment s’y emploie-t-il ?

Interview.

Avez-vous été surpris de votre nomination au Transport?

De prime abord, oui ! Mais, j’étais prêt à assumer toute charge qui m’aurait été confiée, tant ma volonté de servir est grande. C’est un très beau ministère pouvant jouer un rôle central dans le développement économique et la vie des Tunisiens. Il exige beaucoup d’attention, de moyens et de remise sur orbite. Le défi est stimulant.

Qu’est-ce qui vous a le plus frappé en prenant vos nouvelles fonctions?

A la fois l’étendue du périmètre et l’effectif réduit des ressources humaines dans un secteur doublement impacté par l’endettement structurel et les répercussions du Covid. La moitié des postes inscrits à l’organigramme sont vacants. La direction générale de la logistique ne compte que deux cadres supérieurs. L’inspection générale n’est dotée que de 6 inspecteurs pour 36 entreprises publiques. Des directions régionales qui ne fonctionnent en moyenne qu’avec 4 contrôleurs du transport. Dès qu’on doit procéder à une nomination en interne, ou même à des intérims, on se retrouve devant un choix très limité... Heureusement que la qualité des hommes et des femmes qui se dévouent avec compétence et abnégation atténue l’ampleur du déficit en nombre. D’ailleurs, j’ai reconduit quasiment la même équipe au cabinet. Et, en arrivant, j’ai trouvé quatre compagnies sans P.D.G. et ceux de deux autres qui étaient démissionnaires.

J’ai relevé aussi que c’est un secteur fortement plombé par ses difficultés multiples et complexes et trouvé que de nombreux projets sont en retard.

C’est donc un grand ministère avec très peu de moyens, face à l’imprévu, voire à l’impossible?

Effectivement, les attentes des Tunisiens, professionnels ou usagers, sont grandes et légitimes. Elles butent sur une réalité qu’on ne peut cacher. Il n’y a pas que les entreprises publiques qui sont à la peine. L’ensemble de la chaîne des transporteurs, c’est-à-dire des voitures de location, les louages, les taxis et le transport urbain et rural, jusqu’au maritime et l’aérien, avec leurs différentes professions, subissent les suites préjudiciables du confinement, de l’interdiction des déplacements entre les régions pour le terrestre et de la fermeture des frontières pour d’autres, avec un tourisme quasiment à l’arrêt... Sans aucune vision claire de la sortie du Covid.

Comment avez-vous dû procéder?

Le contrat de mission est clair : assurer, d’abord, la continuité du service public et des autres modes de transport ! Le secteur est fortement syndicalisé, nous devions y restaurer la paix sociale en engageant le dialogue, limiter au maximum les différends sur des questions très particulières... Quand des salaires ne sont pas payés, il faut tout faire pour les servir. Quand des tensions se déclarent, il faut les cerner et les apaiser. L’approche a été payante jusque-là, hormis quelques mouvements rapidement circonscrits, aucune grève, heureusement, n’est venue paralyser le transport. Il va falloir persévérer dans la concertation et l’entente et nous espérons que la voie de la raison et du dialogue continuera à animer notre démarche avec nos partenaires sociaux.

Mais, cela ne suffit pas. Il faut injecter de l’argent frais un peu partout dans les entreprises publiques. Les caisses sont quasiment vides et les business plans accumulent les déficits. Une compagnie comme Transtu réalise un chiffre d’affaires de 54 millions de dinars, mais doit servir une masse salariale de 263 millions de dinars, soit quatre fois plus que ses recettes. Comment voulez-vous qu’elle puisse payer les cotisations sociales, acheter des hydrocarbures et acquérir des pièces de rechange, sans parler de l’équipement en nouveaux bus et rames de métro?

Les sociétés régionales de transport connaissent elles aussi les mêmes difficultés. Elles sollicitent l’aide de l’Etat, tant pour leurs nouvelles acquisitions, absolument indispensables, qu’en garantie de crédits à souscrire auprès des banques. Toute la vision est à revoir.

Dans quel cadre?

De grandes questions se posent sur le plan stratégique. Si nous avons fonctionné jusque-là en mode de sociétés, nous avons épousé un modèle économique de rentabilité. Qu’en est-il alors de la fonction sociale et du caractère service public de nombreux segments du transport, notamment terrestre ? Qui doit payer la nécessaire compensation ? Mais, d’autres enjeux sont à prendre en considération. Toute une vision nouvelle est à concevoir et soumettre au débat. En mettant sur la table toutes les données, sans se dérober!

J’estime qu’à lui seul, le secteur du transport exige un dialogue national, associant toutes les parties prenantes et les représentants des usagers ainsi que de la société civile. Des documents de travail proposeront les différentes options envisageables, et des recommandations consensuelles doivent en émaner sous forme de décisions.



 

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