La révolution du Jasmin: Dix ans après le Jasmin confiné ou dé-confiné ?
Par Najet Brahmi Zouaoui. Professeure à la Faculté de Droit et des Sciences politiques - Avocate près la Cour de Cassation
1- Au lendemain même de la révolution du 14 janvier 2011, la presse européenne et internationale a été la première à parler de la révolution du Jasmin en Tunisie. Le qualificatif, très symbolique, traduisait à l’époque un grand enthousiasme et des attentes démesurées de la révolution tunisienne. Le Jasmin étant symbole d’une odeur fine et raffinée.
2- Associé à la révolution tunisienne, le jasmin était donc le symbole du parfum que la révolution dégage et dégagerait. Au sens figuré, le Jasmin serait le symbole de la joie et de l’enthousiasme d’un avenir meilleur de la Tunisie et même de la région arabe si l’on devait croire à l’impact que devait avoir la révolution tunisienne sur les pays arabes voisins et autres.
3- Aujourd’hui et dix ans après, la révolution tunisienne a fait couler beaucoup d’encre. Entre optimistes et pessimistes, la révolution du 14 janvier 2014 serait aux dires des uns et des autres en crise. Celle-ci serait d’autant plus justifiée que la plupart des institutions qu’elle a eues le mérite d’engendrer la mise en place sont aujourd’hui en véritable crise.
4- La conjoncture sanitaire malheureusement marquée par une propagation de plus en plus galopante de la pandémie Covid-19, ne fait que confondre le résidu de Jasmin avec l’odeur de la mort sentie çà et là et dans les quatre coins de notre belle Tunisie.
5- Ceci étant, notre interrogation sur l’actualité de la révolution du 14 janvier 2011 et sur la place qu’aurait à occuper le Jasmin comme symbole de celle-ci, serait menée sous le double angle de la conjoncture générale du pays (Ière partie) et sur la conjoncture sanitaire spéciale liée à la Covid-19 (IIème partie).
Ière partie: Le Jasmin à l’épreuve de la conjoncture générale du pays.
IIème partie: Le jasmin à l’épreuve de la conjoncture spéciale Covid-19.
Ière partie: Le jasmin à l’épreuve de la conjoncture générale du pays.
6- Une évaluation de la conjoncture générale du pays aujourd’hui traduirait une insatisfaction totale par rapport aux attentes du peuple tunisien et des observateurs nationaux et internationaux. Les objectifs escomptés ne seraient pas au rendez-vous (Paragraphe premier).Cependant et à bien vouloir croire en l’histoire des révolutions et s’en inspirer, on ne pourrait qu’avouer une lueur d’espoir qui raviverait l’odeur du Jasmin que l’on aurait crue escamotée (Paragraphe 2).
Paragraphe 1: Le jasmin, objectif escompté
7- Déclenchée le 17 Décembre 2010, la révolution tunisienne à Sidi Bouzid au centre de la Tunisie, la révolution tunisienne devait en fait véhiculer un double sentiment d’oppression et d’indignation « Hogra ». Les objectifs escomptés étaient pour la base sociale de restaurer la double valeur oh combien bafouée de la dignité et de la liberté. Des slogans véhiculant ce double objectif étaient alors diversement formulés(1). La révolution ne saurait , pour le peuple tunisien, réussir sans une parfaite restauration des valeurs bafouées sous le règne de l’ancien régime dont notamment la liberté et la dignité.
8- La voix sordide du peuple tunisien hanté à un certain moment de ce double souci de la pleine restauration des valeurs bafouées de la liberté et de la dignité a été jusqu’à parler au législateur tunisien post-révolution qui s’est voulu très favorable à ce double souci du peuple tunisien.
9- La sensibilité avouée du législateur tunisien aux appels du peuple tunisien a été telle que les valeurs de la dignité et de la liberté ont été érigées au rang de valeurs constitutionnelles devant présider au dispositif légal de la constitution tunisienne du 27 Janvier 2014.Le préambule de la constitution est fort éloquent dans ce sens. Les principes généraux devant meubler le livre 1er de ladite constitution ne font que confirmer la volonté proclamée au niveau du préambule.
10- Composée de cinq paragraphes, le préambule de la constitution tunisienne du 27 Janvier 2014, érigeait la reconnaissance par les représentants du peuple tunisien au rang du premier principe qui devait alors trouver sa place dans le paragraphe 1er de la constitution.
11- Aux termes de l’alinéa premier du préambule de la constitution tunisienne:
«Nous représentants du peuple tunisien, membres de l’assemblée générale constituante ;
Fiers du combat de notre peuple pour l’indépendance, l’édification de l’Etat et la délivrance de la tyrannie, et en réponse à sa libre volonté. En vue de réaliser les objectifs de la Révolution de la liberté et de la dignité, Révolution du 17 décembre 2010-14 janvier2011,fidèles au sang versé par nos braves martyrs et aux sacrifices des Tunisiens et Tunisiennes au fil des générations et rompant avec l’oppression, l’injustice et la corruption ».
12- La liberté et la dignité se trouvent ainsi hissées au rang de principes gouverneurs aussi bien de la lettre que de l’esprit de la constitution du 27 Janvier 2014. Cette affirmation est d’autant plus justifiée que le livre 1er de la constitution portant « principes généraux » fait de la liberté et de la dignité les principales composantes de la devise de la République Tunisienne(2). Il en était autrement dans la constitution de 1959 qui ne faisait place qu’à la liberté(3) dans la définition de la Devise de l’Etat tunisien.
13- Dans le droit fil de cette volonté de renforcer au maximum que possible la liberté et la dignité en tant que valeurs essentielles de l’Etat tunisien, le chapitre 2 de la constitution du 27 Janvier 2014 les érige au rang de droits fondamentaux participant de la notion même de la citoyenneté. L’article 21, présidant de surcroit, au dispositif du chapitre 1er régissant les « droits et obligations » dispose que « Les citoyens et les citoyennes sont égaux en droits et en devoirs, ils sont égaux devant la loi sans discrimination.
L’Etat garantit aux citoyens et aux citoyennes les libertés et les droits individuels et collectifs. Il leur assure les conditions d’une vie digne ». On parlera alors d’un double droit à la liberté et à la dignité. L’un comme l’autre des deux droits participent d’une panoplie de droits fondamentaux synonymes de droits de l’homme.
14- Ainsi proclamés par les représentants du peuple tunisien, les deux valeurs de la dignité et de la liberté seraient –elles effectivement préservées dans les différentes décisions, pratiques, choix et œuvres de l’Etat Tunisien durant cette dernière décennie. Se posent alors les deux questions suivantes : Dix ans plus tard, où est-on de la liberté et où est-on de la dignité ?
Paragraphe 2: Le jasmin, objectif réalisé ?
15- Le jasmin sera ici réalisé dans sa double composante de liberté(A) et de dignité(B)
A- Le Jasmin synonyme de liberté: Floraison ou défloraison?
15- Vivement plaidée par le peuple tunisien en amont et en aval de la révolution, la liberté a trouvé un droit de cité dans la constitution du 27 Janvier 2014. Une place de choix lui a été réservée. Outre le préambule de la constitution, on y trouve la marque de sa consécration dans les différents chapitres. La liberté est de surcroit diverse. Il suffit pour s’en convaincre de lire le chapitre 2 de la constitution portant « Droits et libertés ». Une spécification détaillée a été faite de toutes les libertés personnelles et collectives. Une avancée et de loin incomparable a été soulignée par rapport à la constitution de 1959.
Ainsi proclamée, la liberté ne serait pas réellement démentie vu le constat concret et quotidien d’un exercice libre par le citoyen tunisien de toutes ses libertés. Il suffirait pour s’en convaincre de l’exercice libre du droit d’élire et du droit de s’exprimer, droit jadis combien confisqués. Les atteintes à ce droit parfois relevées ne sauraient en aucun cas porter atteinte à la liberté comme principal acquis de la révolution.
Tel ne semble pas le cas en ce qui concerne la dignité.
B) Le Jasmin, synonyme de dignité: La bonne odeur ou la mauvaise lueur?
16- Erigée au rang d’un principe constitutionnel, « la dignité suppose l’égalité entre les citoyens, l’équivalence des chances et la protection de l’intégrité physique ».
a) Egalité des chances et équivalence des opportunités ?
17- Vivement plaidées par le peuple tunisien en amont et en aval de la révolution du 14 janvier 2014, ces trois composantes de la dignité répondaient alors et particulièrement à un souci majeur d’une égalité de chances entre les citoyens dans le domaine du recrutement(4).
18- En réponse à ces slogans prônés avec hardiesse par la base sociale tunisienne, le législateur tunisien a, outre l’intérêt général qu’il a porté à la dignité comme droit fondamental de l’homme, a consacré des dispositions constitutionnelles de nature à garantir l’égalité et l’équivalence des chances dans le domaine du travail et notamment en ce qui concerne le recrutement. Un enseignement est puisé dans le dispositif de l’article 40 de la constitution du 27 Janvier 2014.
19- Aux termes de l’article 40 de la constitution «Tout citoyen et toute citoyenne a droit au travail. L’Etat prend les mesures nécessaires afin de le garantir sur la base du mérite et de l’équité.
Tout citoyen et toute citoyenne a droit au travail dans des conditions favorables et avec un salaire équitable».
20- Ainsi formulé, l’engagement de l’Etat tunisien en faveur d’un droit au travail à tous les citoyens tunisiens est loin d’être contesté. Sa teneur était aussi à saluer dans la mesure où l’article, loin de s’en tenir à une simple consécration du droit au travail, va jusqu’à en définir les conditions et les modalités de mise en œuvre.
21- Aujourd’hui, et dix ans après le déclenchement de la révolution, il serait permis voire utile de s’interroger sur la véritable mise en place par l’Etat tunisien de mécanismes de nature à ériger le principe proclamé par l’article 40 de la constitution au rang d’une réalité concrète profitant à tous les citoyens.
22- La question la plus élémentaire qui devrait alors se poser est de savoir si l’Etat tunisien a ou non mis en place les mesures nécessaires en vue de garantir un droit au travail à tous les citoyens dans des conditions favorables et avec un salaire équitable ?
23- Sans prétendre à une réponse catégorique et argumentée-la réponse ne pouvant l’être sans un travail rigoureux et argumenté par des statistiques fiables de nature à permettre la lecture en chiffres des choix stratégiques de la Tunisie en matière d’embauche- ; on est cependant très réticent quant à l’idée d’une éventuelle garantie d’un droit au travail à tous les citoyens dans des conditions favorables et avec un salaire équitable. Le taux de chômage, de plus en plus croissant démentirait toute volonté proclamée d’une quelconque garantie d’un droit au travail à tous les citoyens. Les voix des jeunes diplômés levées ces derniers temps dans plusieurs régions de la Tunisie et revendiquant leur droit au travail sont autant de preuves contraires à ladite garantie.
24- Cependant et s’il reste loin de garantir le droit au travail à tous les citoyens dans les conditions prévues par l’article 40 de la constitution, l’Etat tunisien n’a pas moins œuvré en vue d’une meilleure implication des jeunes dans le marché du travail. Aussi et sachant la difficulté sinon l’impossibilité du secteur public à répondre des attentes des jeunes diplômés et autres, l’Etat tunisien, fort d’une expérience comparée; aurait misé sur le secteur privé. Une panoplie de textes juridiques a alors vu le jour ces dernières années en vue de favoriser l’initiative privée. Et pour s’en tenir aux principaux, on cite la loi N 2016/71 du 30 septembre 2016 relative à l’investissement(5), la loi N 2018/20 relative aux Startups(6), la loi N 2019/47 du 29 Mai 2019 relative à l’amélioration du climat des affaires en Tunisie(7) et la loi N 2020/37 relative au Crowdfunding(8).
25- Tournées toutes vers l’amélioration du climat des affaires en Tunisie, ces lois cherchent aussi et directement à absorber le taux de chômage de plus en plus croissant. Dans la pratique cependant, cette panoplie de textes juridiques reste loin de répondre des objectifs escomptés. Deux freins pourraient ici être signalés : Le premier est d’ordre culturel et lié au potentiel des jeunes diplômés et le second est structurel et lié à l’instrument juridique lui-même. S’agissant du premier, il tiendrait d’un constat selon lequel la jeunesse tunisienne n’est pas formée de façon à croire en les intérêts qui s’attachent à l’initiative privée. Courir le risque de cette initiative et pouvoir et devoir s’y attendre et s’en sortir serait loin de marquer l’attitude des jeunes diplômés en Tunisie. Et s’agissant du second, il tiendrait d’une mauvaise stratégie de faire la loi en Tunisie surtout lorsqu’il y’a péril en la demeure. La technique de renvoi dont a fait usage le législateur tunisien dans l’ensemble des textes juridiques cités ci-haut, constitue à notre sens un frein des plus regrettables pour une véritable efficacité de la loi. Et pour une meilleure simplification de cette idée, nous soulignons que la technique du renvoi est un instrument juridique familier à la logistique juridique. Lorsqu’il y a recours, le législateur renvoie au sein d’un dispositif légal à un autre texte juridique. Et c’est de c’est de ce dernier que dépendra l’application du premier.
26- Parfois, le renvoi se fait à un texte déjà en vigueur mais parfois, le renvoi se fait à un texte d’application qui devra voir le jour ultérieurement. Le législateur, présumé être averti et vaillant, retient parfois une date limite pour la promulgation du texte d’application ce qui est de nature à garantir l’application du texte de la loi dans un délai bien déterminé. Le plus souvent malheureusement, le législateur fait le renvoi à un texte d’application mais passe sous silence le délai maximum pour sa mise en place. L’application de la loi reste suspendue et tributaire de la bonne volonté du législateur qui en ferait l’injection de vie quand bon lui semble(9). Et l’on pourrait trouver dans la loi N 2020/37 du 6 Aout 2020 relative au Crowdfunding une illustration topique de cette idée du frein que constituerait le renvoi aux textes d’application. La loi renvoie à une panoplie de textes d’application qui malheureusement ne viennent toujours pas. Ce décalage très regrettable entre la mise en place du texte de la loi et son texte d’application a interpellé la doctrine tunisienne qui n’a pas manqué de relancer le législateur tunisien en vue d’une activation du processus de mis en place des décrets d’application de la loi relative au Crowdfunding(10). La loi attend toujours à être appliquée. Les jeunes promoteurs, ayant déjà choisi d’être porteurs de projet au sens de cette loi, attendent à leurs tours des lendemains meilleurs. L’aurore ne semble pas éclore.
27- Le bilan est donc négatif :Saturation et restrictions des chances d’embauche au niveau du secteur public et lenteur et mauvais choix dans la conduite du processus d’incitation à l’initiative privée. Un double travail aussi bien sur la stratégie de la mise en place des instruments d’incitation à l’initiative privée que sur celle de l’attractivité de ce secteur semblent, à notre sens, passer pour un besoin des plus urgents en vue d’une meilleure réalisation de l’objectif constitutionnel :Un poste de travail pour chaque citoyen et pour chaque citoyenne. Dans des conditions favorables et avec un salaire équitable.
Il va de la dignité aussi, la protection de l’intégrité physique.
b) L’intégrité physique?
28- La protection de l’intégrité physique du citoyen tunisien est érigée au rang d’un principe fondamental expressément proclamé par la constitution tunisienne. L’article 22 de la constitution prévoit l’a-t-on déjà souligné que « L’Etat protège la dignité de l’être humain et son intégrité physique et interdit la torture morale ou physique. Le crime de torture est imprescriptible ».
Et dans la mesure où le phénomène de l’atteinte à l’intégrité physique accuse son faite dans le monde des femmes, le législateur tunisien a confirmé son soutien des droits de la femme notamment à une vie digne exclusive de toute forme de discrimination et de violence. L’article 46 de la constitution du 27 Janvier 2014 prévoit dans ce sens que « L’Etat s’engage à protéger les droits acquis de la femme et veille à les consolider et les promouvoir.
L’Etat prend les mesures nécessaires en vue d’éliminer la violence contre la Femme ».
29- Soutenu en cela par les forces de la société civile, le législateur tunisien a bien compris, le lendemain même de la promulgation de la constitution, qu’il faudrait passer à l’acte et mettre en place les mesures nécessaires pour lutter contre la violence faite aux femmes. La loi organique N 2017/58 du 11 Aout 2017 portant lutte contre la violence faite aux femmes est trop significative dans ce sens(11). L’article 1er de cette loi dispose que « La présente loi vise à mettre en place les mesures susceptibles d’éliminer toutes formes de violence à l’égard des femmes fondée sur la discrimination entre les sexes afin d’assurer l’égalité et le respect de la dignité humaine, et ce, en adoptant une approche globale basée sur la lutte contre les différentes formes de violence contre les femmes , à travers la prévention , la poursuite et la répression des auteurs de ces violences, et la protection et la prise en charge des victimes ».De par la substance même de sa disposition, cet article révèle une volonté affirmée du législateur de 2017 de venir aux attentes et exigences du législateur de 2014.
30- Source de polémique, cette loi(12) a eu ,entre autres mérites , celui d’ériger l’intimité de la femme battue au rang d’une priorité incontournable. Cette affirmation serait d’autant plus justifiée que les articles 22 et 23 de la loi N 2017/58 retiennent pour le premier l’obligation pour le procureur général auprès de chaque TPI de charger « un ou plusieurs de ses substituts de la réception des plaintes relatives aux violences à l’égard des femmes et du suivi des enquêtes y afférentes » et pour le deuxième l’obligation pour chaque président de TPI de réserver « aux magistrats spécialisés dans les affaires de violence à l’égard des femmes , des espaces séparés au sein des tribunaux de première instance , et ce au niveau du ministère public, de l’instruction et de la justice de la famille ». L’article 24 de la loi, dans le droit fil de cette logique de préservation de l’intimité de la femme battue, prévoit la nécessaire mise en place d’une cellule spécialisée au sein de chaque commissariat de sureté nationale pour les besoins d’enquêter les affaires de violence faites aux femmes. L’article 24 prévoit dans ce sens que « Est créée au sein de chaque commissariat de sureté nationale et de garde nationale, dans tous les gouvernorats, une unité spécialisée pour enquêter sur les infractions de violence faites aux femmes au sens de la présente loi. Elle doit comprendre des femmes parmi ses membres » (13).
31- Ainsi proclamée, la volonté du législateur de préserver au maximum que possible l’intimité de la femme battue, n’est pas encore réellement exaucée. Des contraintes liées surtout aux budgets alloués à la mise en place de ces unités seraient derrière la lenteur que connait l’œuvre officielle de mise en place de ces espaces. Aussi, sur les 128 unités spécialisées déjà mises en place au sein des commissariats de la sûreté nationale, seules deux d’entre elles disposent d’un espace réservé aux enquêtes des affaires des violences faites aux femmes. Il s’agit, croit –on savoir, des deux expériences pilotes des unités spécialisées de Monastir et de Sidi Bouzid. Nous croyons aussi savoir que deux autres unités spécialisées sont en cours de mise en place à Kasserine et Medenine dans le cadre d’une collaboration entre le ministère de l’intérieur et le PNUD(14).
32- Malgré les efforts conjugués par l’Etat tunisien en vue de préserver la femme et la famille contre toute forme de discrimination et de violence, le phénomène est en croissance continue. Les chiffres parleraient d’eux –même.
33- La volonté proclamée et confirmée de l’Etat tunisien de mettre en œuvre tous les moyens de nature à favoriser la lutte contre la violence faite aux femmes n’auraient pas réalisé les résultats escomptés. Et pour cause ? Une méconnaissance sinon une mauvaise gestion de l’approche préventive comme composante de l’approche globale de la lutte contre les violences faites aux femmes. La lutte contre la violence continue, croit-on- le savoir, à se faire en aval et non en amont de l’acte de violence. Or, une meilleure lutte contre ce fléau devrait se faire en amont .Un accompagnement socio-psychologique des enfants devrait se faire à l’école depuis leur bas âge et en dépit de tout acte de violence subi ou vécu.
34- Regrettable et redoutable, le phénomène de la violence faite aux femmes s’est aggravé pendant la période du confinement obligatoire décidé en Tunisie suite à la propagation du Corona virus –Covid 19(15).
35- Les inconséquences de cette pandémie dépassent en réalité la sphère de la femme et de la famille pour toucher à tous les secteurs et toutes les valeurs. La pandémie aurait révélé plusieurs défaillances des institutions et acquis de la révolution du 14 janvier 2011.
IIème partie: Le Jasmin à l’épreuve de la pandémie Covid -19
36- Le Jasmin, parsemé mais toujours pas récolté vu la diversité et le coût des techniques et moyens mis en place pour réaliser les objectifs escomptés de la révolution du 14 janvier 2011, se trouve aujourd’hui confronté à l’odeur de la mort exaltée par le Coronavirus Covid -19(A) et à celle des déchets toxiques importés de l’Italie(B).
A- Le Jasmin face à l’odeur de la mort
37- Contrainte à confronter une troisième vague de Coronavirus, la société tunisienne passe en ce moment par une des crises les plus dévastatrices des ressources humaines. Les chiffres sont alarmants. Toutes les familles tunisiennes sinon leur majorité sont frappées par le virus. Nombreuses sont celles qui sont endeuillées.
38- La mort a gagné plusieurs compétences tunisiennes en pleine vie active et alors que leur implication dans le processus de l’édification de la deuxième République tunisienne était des plus avouée. Il va sans dire que cette perte en ressources humaines en général et en compétences tunisiennes en particulier est fatale pour la conduite et l’achèvement du processus démocratique en Tunisie.
39- Mais la mort n’a pas gagné les hommes uniquement. Son spectre plane aussi sur les entreprises tunisiennes qui; selon leur envergure et solvabilité ont été différemment impactées par le Covid-19. Les unes, petites et moyennes, ont succombé aux inconséquences du virus. Les autres, de grande envergure, ont été contraintes à plusieurs sacrifices(16). La Covid-19, étant érigée par le législateur au rang d’une force majeure de nature à paralyser l’activité aussi bien sociale qu’économique. Les textes juridiques pris dans ce sens sont nombreux(17). La doctrine tunisienne, très sensible à la nouvelle conjoncture en Tunisie, a répondu alors présente pour faire une lecture à temps des différentes décisions prises par le législateur tunisien(18). Il était alors clair que du moins pour la première vague de Coronavirus la vie de l’homme devait dans la logique du législateur tunisien, prévaloir sur celle de l’entreprise. Le droit à la vie, érigé au rang d’un droit fondamental de l’homme au sens de l’article de la constitution du 27 janvier 2014, a été observé d’un bon œil par le législateur tunisien dont la vaillance et la diligence portés au droit à la vie ont été vivement salués par les différents observateurs et acteurs de la société civile nationale et internationale.
40- L’Etat tunisien, confronté à un chaos du secteur économique aura changé ses choix pendant la deuxième vague de Coronavirus. Il a choisi la liberté de l’activité économique avec des restrictions plus ou moins importantes du temps de travail. Il a misé sur le degré de conscience du citoyen tunisien. Des campagnes de sensibilisation à la façon de cohabiter avec le virus ont été alors initiés. Le virus a cependant ravagé des centaines et des milliers de tunisien. Un confinement de quatre jours a alors été décidé le 13 Janvier 2021.Un confinement ciblé devra s’y substituer à partir du lundi 18 janvier 2021.Les statistiques sont cependant toujours alarmantes. La mort est au rendez-vous. Nul n’est épargné. Des départs sans adieux ni funérailles. L’odeur de la mort sévit partout. Elle neutralise toute autre odeur y compris la suave du jasmin.
41- L’odeur, fort désagréable de la mort serait ces derniers temps associés à une autre odeur qui ne l’est pas moins : Celle des marchés publics suspects notamment dont particulièrement celui des déchets toxiques importés de l’Italie.
B) L’odeur des déchets importés de l’Italie
42- La révolution du Jasmin, couronnée par une constitution prônant, outre les valeurs de la dignité et de la liberté, celles de la transparence, la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption. La révolution ne saurait alors réaliser ses objectifs escomptés sans l’affirmation réelle de ces principes édictés respectivement aussi bien dans le préambule de la constitution que dans son chapitre 1er portant « principes généraux ».
43- Dans le paragraphe 3 du préambule ,on lit ce qui suit «En vue d’édifier un régime républicain et participatif dans le cadre d’un Etat civil dans lequel la souveraineté appartient au peuple, par l’alternance pacifique au pouvoir à travers des élections libres et sur le fondement du principe de la séparation des pouvoirs et de leur équilibre,, un régime dans lequel le droit de s’organiser reposant sur le pluralisme, la neutralité de l’administration et la bonne gouvernance, constitue le fondement de la compétition politique, un régime dans lequel l’Etat garantit la primauté de la loi, le respect des libertés et des droits de l’homme, l’indépendance de la justice, l’égalité de tous les citoyens et citoyennes en droits et en devoirs et l’équité entre les régions»
44- Et dans l’article 10 de la constitution, il est prévu ce qui suit « L’Etat met en place les mécanismes propres à garantir le recouvrement de l’impôt et la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales.
Il veille à la bonne gestion des deniers publics et prend les mesures nécessaires pour les utiliser conformément aux priorités de l’économie nationale. Il agit en vue d’empêcher la corruption et tout ce qui est de nature à porter atteinte à la souveraineté nationale »
45- La mise en place et l’achèvement du processus démocratique en Tunisie ne pourrait alors se faire sans un engagement in équivoque de tous les responsables administrateurs et autres à ces différents principes.
46- Paradoxalement à ces principes sous-jacents à l’achèvement du processus démocratique en Tunisie, la gestion de la crise Covid -19 aurait révélé des abus de certains responsables dont l’implication dans la conclusion de certains marchés publics serait suspecte(19). Le marché suspect des bavettes serait en l’occurrence riche en enseignements(20).Il a fait couler beaucoup parler de lui aux mois de Mars et Avril 2020.Plus récemment, les médias sont venus, annoncer l’implication de plusieurs responsables tunisiens dans l’affaire des « Cargaisons de déchets importés de l’Italie ».
47- Les responsables impliqués auraient participé à la conclusion d’un marché qui serait de nature à porter atteinte à l’intérêt du pays et qui serait de nature à leur profiter. « Le scandale, rapporte-t-on, dévoilé suite à une enquête d’investigation diffuée le 2 novembre 2020 sur une chaine de télévision tunisienne privée, porte sur un marché d’importation de déchets vers la Tunisie, conclu entre une société tunisienne totalement exportatrice et une société italienne»(21). Suspect, le marché a donné lieu à l’ouverture d’une enquête à l’encontre de 22 suspects dont plusieurs cadres et haut –responsables de l’Etat(22). Une campagne nationale de renvoi desdits déchets à l’Italie est alors lancée. La société civile joue à nouveau son rôle toujours bienveillant de l’observateur vaillant et du régulateur de plus en plus efficace et puissant.
48- Le Jasmin, confus avec la double odeur de la mort et déchets intoxiqués présagerait-il d’un échec de la révolution du 14 Janvier 2011 ?
Sa suave serait –elle neutralisé ?
48- Une réponse négative nous semble s’imposer pour plusieurs considérations. Et pour s’en tenir aux principales, nous devrions tout d’abord affirmer qu’une seule décennie est de loin insuffisante pour juger les révolutions. L’histoire des révolutions est fort significative dans ce sens. L’histoire des peuples est si longue qu’une décennie est de loin insuffisante pour juger du succès d’une révolution.
49- Le bilan des différentes réalisations de la réalisation, certes marqué par des hauts et des bas, tiendrait ensuite d’un autre indicateur favorable au succès de la révolution. L’engagement des autorités publiques à la mise en place des moyens et techniques de nature à valoriser les acquis de la révolution en serait fort significatif. Le processus parfois freiné et parfois empêché finirait par se dresser. La volonté proclamée dans la constitution, finirait par être exaucée tant que la volonté de l’exaucer est déjà avouée dans la pratique. L’engagement de la société civile, forte de libertés fruit de la révolution viendrait, à notre sens, renforcer l’ensemble les indicateurs favorables à une heureuse issue de la révolution du 14 Janvier 2011.Le Jasmin, confiné pour des contraintes multiples budgétaires, culturelles, structurelles et autres, finirait par être dé-confiné.
Entre le confinement et le dé-confinement, autant de sacrifices et de mouvements!
Najet Brahmi Zouaoui
Professeure à la Faculté de Droit et des Sciences politiques
Avocate près la Cour de Cassation
(1) Ayari (M)Les fondements des slogans de la révolution, , Groupement Latrach, Tunis 2012(En langue arabe).
(2) L’article 4 de la constitution tunisienne de 2014 dispose en effet que « La devise de la République tunisienne est « Liberté, Dignité, Justice , Ordre »
(3) Aux termes de l’article 4 de la constitution du 1er Juin 1959 »la devise de la République tunisienne est « Ordre, liberté, Justice »
(4) Un des slogans véhiculés par les manifestants ors des manifestations révolutionnaires était « Le travail est un acquis, vous la bande des voleurs »(العمل استحقاق يا عصابة السراق)
(5) Sur une double approche analytique et critique de cette loi, Voir Brahmi Zouaoui(N) ( Sous direction),Le nouveau Droit de l’investissement en Tunisie, Regards croisés sur l’Europe et l’Afrique »,CPU ,2018.
(6) Loi N 2018/20 du 17 avril 2018 relative aux startups.
(7) Sur une étude d’ensemble de cette loi, voir Brahmi Zouaoui(N),Le droit de l’investissement ,Cours Master Droit des affaires internationales, Plateforme de la faculté de Droit et des Sciences politiques de Tunis ,Université Tunis ElManar.
(8) Sur une lecture critique de la loi N 2020/37 du 6 Aout 2020 relative au Crowdfunding, Voir Brahmi Zouaoui (N,L’application de la loi relative au Crowdfunding est-elle pour demain, Leaders du 22 Septembre 2020.
(9) Et pour s’en tenir à l’exemple de la loi relative au Crowdfunding, soulignons que la société civile œuvrant en matière de lutte contre le chômage et surtout dans le domaine de l’insertion des jeunes diplômés et autres dans la vie active, attend depuis le 6 aout 2020 qu’une injection de vie soit faite au texte de la loi relative au Crowdfunding .Nombreux sont les webinaires organisés par ces associations et plaidant l’activation du processus de mise en place des textes d’application de la loi sur le Crowdfunding.
(10) VoirBrahmi Zouaoui (N) La loi N relative au Crowdfunding, L’application est-elle pour demain ? article précité.
(11) Sur une étude d’ensemble de cette loi, Voir Rachida Jlass(Sous direction)ni, Les dispositions pénales de la loi N 2017/58 du11 Aout 2017 relative à l’élimination de la violence faite aux femmes, Tunis 2019.
Voir aussi Jaouadi(N), La lutte contre la traite des hommes ,Thèse de Doctorat, Faculté de Droit et des Sciences politiques de Tunis, Année universitaire 2018/2019.(En langue arabe).
(12) Voir dans ce sens Jlassi (Sous direction), Les dispositions pénales de la loi N 2017/58 relative à la lutte des violences faites aux femmes, op.cit.
(13) Sur une étude spécialisée de ces unités, Voir Jaouadi(N), Les unités spécialisées dans l’enquête des infractions de violence faites aux femmes in Jlassi (R) (Sous-direction),Les dispositions pénales dans la loi N 2017/58relatives à l’élimination des violences faites aux femmes
(14) Un entretien avec Madame Najet Jaouadi, Directeur Général des Droits de l’homme au Ministère de l’intérieur, effectué pour les besoins de cette étude, nous a permis de recueillir les informations et statistiques susvisées.
(15) Sur cet aspect de la question, Voir Gayeza (M), Covid -19 et la violence faite aux femmes.in Etudes juridiques2019/2020/N 25(Spécial),Le Droit à l’ère de la Covid-19,(Sous-direction du Doyen Nouri Mzid),p229(En arabe)
(16) Sur une étude juridique de l’état de l’entreprise économique en Tunisie à l’ère de la Covid-19, Voir Brahmi Zouaoui(N),Le droit de la santé ou la santé du Droit, Pourvun prompt rétablissement de l’entreprise économique, The Mena Busness Law Review, N 2020/2,Editions Nesxis Lexis, Paris, p37 et s.
(17) Sur un listing de ces textes, Voir Brahmi Zouaoui (N),L’investissement direct à l’épreuve du coronavirus « Covid-19 »,In Etudes Juridiques N 25(sous-direction du Doyen Nouri Mzid), op cit, p55 et suiv.
(18) Voir Brahmi Zouaoui(N), contributions à l’étude du nouveau cadre juridique Covid-19 in Covid 19, La Tunisie abasourdie Sous -direction de Mr Taoufik Habaieb, Leaders 2020, p190 et suive.
(19) Voir sur cet aspect de la question, Karray (Les marchés publics à l’ère de la crise Covidr-19, In Etudes juridiques, N25, Sous- direction du Doyen Nouri Mzid, Faculté de Droit de Sfax ,op cit , 119(en arabe)
(20) Karray (B)Article précité, p129
(21) Majdi(I), Tunisie : 22suspects devant la justice dans l’affaire des déchets importés d’Italie, www.aa.com.tr,21/12/2020.
(22) Ibid.
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