Pr Mehdi Dridi - Essais cliniques des vaccins: Quelles spécificités ?
Par Pr Mehdi Dridi - Un essai clinique (étude clinique ou encore essai thérapeutique) est une recherche biomédicale organisée et pratiquée sur l’homme en vue du développement des connaissances biologiques ou médicales.
Les essais cliniques ont un intérêt heuristique (contribuent au progrès de la recherche scientifique) et constituent un outil essentiel de l’evidence based medecine où l’enseignement des thérapeutiques médicamenteuses et des pratiques se base sur les résultats de la recherche clinique. Les essais cliniques représentent aussi le cadre qui permet aux médicaments d’avoir leur autorisation de mise sur le marché (AMM).
Les essais cliniques portant sur les médicaments ont pour objectif, selon le cas, d’établir ou de vérifier certaines données pharmacocinétiques (modalités de l’absorption, de la distribution, du métabolisme et de l’excrétion du médicament), pharmacodynamiques (mécanisme d’action du médicament notamment) et thérapeutiques (efficacité et tolérance) d’un nouveau médicament ou d’une nouvelle façon d’utiliser un traitement connu.
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L’essai peut se faire chez le volontaire malade ou le volontaire sain.
Le vaccin étant un médicament, mais les étapes de son développement présentent des spécificités qui seront présentées plus loin.
Pour débuter, l’essai doit avoir obtenu un avis favorable du comité de protection des personnes (CPP) et une autorisation de l’agence de réglementation du pays concerné par l’essai. Le cadre réglementaire et juridique des essais cliniques étant extrêmement rigoureux.
Le respect des bonnes pratiques cliniques permet de garantir la qualité des données et le respect de l’éthique médicale.
Pour chaque essai clinique, il existe des critères spécifiques d’inclusion des participants dans l’essai.
Les critères d’inclusion ne sont pas destinés à rejeter une personne à titre personnel mais ils sont destinés à sélectionner les participants de façon appropriée afin de ne pas leur faire encourir de risques excessifs s’ils sont amenés à réaliser l’essai.
Le concept des essais cliniques est assez ancien. Il a été introduit et formalisé par le philosophe et médecin musulman d’origine perse Avicenne en 1025 dans son ouvrage encyclopédique de médecine médiévale « - Kitab Al Qanûn fi Al-Tibb - (livre des lois médicales) ».
Dans cet ouvrage, Avicenne établit les règles de l’expérimentation des médicaments, incluant un guide précis pour la pratique expérimentale dans le but de découvrir et de prouver l’efficacité des médicaments et des substances.
Le développement d’un médicament dure en moyenne entre 10 et 12 ans et passe par différentes étapes : les essais précliniques puis les essais cliniques (4 phases : 3 avant l’obtention de l’AMM et une 4e en post-AMM).
Les essais précliniques consistent en l’étude de la molécule (issue de la synthèse chimique ou à partir du vivant), sa structure, sa modélisation et son effet sur les cellules puis son effet sur l’animal. Les essais précliniques se réalisent in vitro puis in vivo sur des modèles animaux, même si la tendance actuelle favorise l’utilisation d’autres moyens d’expérimentation avec des logiciels et systèmes informatiques hyperpuissants (in silico).
L’expérimentation animale donne les premières données de l’activité et de la sécurité de la molécule candidate avant de passer aux études cliniques proprement dites chez l’humain.
La description des différentes phases cliniques lors du développement d’un médicament est présentée dans le tableau suivant :
Le mot d’ordre à respecter lors de toutes les étapes de la vie d’un médicament est la sécurité. Elle doit être considérée dès la découverte de la molécule, lors de son développement, des essais cliniques et même après sa commercialisation.
Les vaccins font partie des mesures médicales et de santé publique les plus réussies jamais mises en œuvre. On estime que les vaccins préviennent environ 6 millions de décès dans le monde par an.
Un vaccin est un médicament particulier par 4 aspects principaux : son mécanisme d’action, son processus de fabrication, ses indications et l’impact de son utilisation. Ces spécificités vont influer sur les essais à mettre en place lors de son développement.
Son mécanisme d’action est différent d’un médicament classique, son administration induit un effet prolongé sur le système immunitaire. Il s’agit d’un médicament biologique qui est mis au point par des procédés de haute technologie et dont la production très complexe impose un contrôle de chaque lot de vaccin produit et ce dans le cadre d’une réglementation rigoureuse.
Un changement même minime dans le procédé de fabrication, changement de fournisseur d’excipient, changement d’adjuvant, peut provoquer des modifications du produit final, de sa stabilité, voire de son efficacité.
Un vaccin est le plus souvent administré en prévention (même si parler actuellement de vaccin thérapeutique contre le cancer, par exemple, n’est plus du domaine futuriste) chez des sujets sains. Son utilisation a pour objectif la protection individuelle et collective, elle vise à modifier l’épidémiologie d’une maladie.
Le vaccin qui fait l’objet d’un développement doit répondre à trois critères de base pour l’obtention d’une AMM : sécurité, efficacité, qualité. Le développement se déroule selon trois types intégrés de processus pharmaceutique, préclinique et clinique.
Les deux volets du développement pharmaceutique d’un vaccin sont d’une part la production et la formulation, d’autre part l’élaboration des méthodes de contrôle et des spécifications qui serviront à la libération des lots et aux études de stabilité. Il est important de noter que pour les produits issus des biotechnologies, et les vaccins en particulier, l’aspect sécurité dépend du respect au cours du processus de fabrication des règles permettant d’obtenir le label BPF (Bonnes pratiques de fabrication) et qu’un grand nombre de textes réglementaires régissent cet aspect du développement.
Le développement préclinique concerne la pharmacologie chez l’animal en utilisant des modèles adaptés (choix de l’antigène, études des mécanismes immunitaires et de la protection) et les tests de pharmaco-toxicité réglementaires. L’essor des produits issus des biotechnologies s’est vu gratifier en parallèle d’une préoccupation des instances réglementaires à proposer des recommandations plus adaptées à ce type de produits. Elles concernent tous les types de vaccins. Le développement clinique se déroule traditionnellement, comme pour les médicaments classiques, en trois phases (avec une 4e phase en post-AMM) :
Phase I : étude de tolérance locale et systémique (effets indésirables) et études préliminaires de l’immunogénicité.
Phase II : recueil des données de sécurité/dose/efficacité (challenge) dans la population cible.
Phase III : essai pivotal d’efficacité (protection) en situation réelle.
Il est important de signaler que les textes réglementaires de référence apportent des éclaircissements sur le plan général, mais que tout développement d’un vaccin est un cas particulier et que des débats d’experts subsistent.
L’environnement dans lequel évolue l’approche vaccinale sur le plan socioéconomique doit être examiné. Les différents éléments composant cet environnement permettront de comprendre le contexte actuel dans lequel est réfléchi et proposé le plan de développement d’un vaccin. Dans le concept de l’approche préventive où la vaccination s’adresse à des individus sains, la perception du public est un élément majeur et la notion de rapport bénéfice-risque portée à son maximum et ce d’autant plus que la notion d’épidémies grave a été balayée des esprits au même titre que la reconnaissance de la gravité de la maladie.
Avec la pandémie actuelle de Covid-19, sommes-nous dans ce même contexte ? Est-ce qu’on sera « exigeants» avec les vaccins du Covid-19 comme nous l’avons été depuis toujours ? Allons-nous garder cette moindre préoccupation individuelle à se faire vacciner ou à effectuer des rappels ? Allons-nous maintenir le cap et mettre encore de la pression sur les firmes pharmaceutiques ou nous allons accepter leurs vaccins, produits à peine en quelques mois devant la peur de cette maladie ?
Notre attitude avant la pandémie de Covid-19 était facilitée, voire encouragée, par une communication exacerbant les risques potentiels imputés aux vaccins. Ce contexte particulier fait que les industriels amenés à développer des vaccins sont de plus en plus préoccupés par les aspects de tolérance et de sécurité de leur candidat vaccin. Est-ce que les vaccins du Covid-19 vont obéir à ces règles ?
L’urgence de commercialiser un vaccin contre le SARS-CoV-2 et la réduction des délais réglementaires (de 10 à 12 ans classiquement à quelques mois avec les vaccins du Covid-19) ne doivent en aucun cas diminuer notre seuil d’exigences.
Le vaccin du Covid-19 ne sera sûr que si les agences de réglementation à travers le monde maintiennent leurs well-documented safety testing protocols lors de toutes les étapes de développement des nouveaux vaccins. L’histoire fournit une base scientifique solide pour l’évaluation de l’innocuité de tous les vaccins candidats, qui doit être maintenue pour réaliser leur énorme potentiel. L’histoire nous a également appris l’importance d’une surveillance continue des événements indésirables potentiels liés au vaccin et de la mesure de l’immunogénicité, même après l’homologation. La confiance aux agences de réglementation et à leur indépendance est notre seul salut. Espérons que c’est le cas, même si c’est loin d’être évident devant la pression du contexte épidémiologique et surtout les enjeux économiques sans précédent lors du développement des vaccins du Covid-19.
Il y a un besoin urgent de vaccins contre le Covid-19. Le processus de développement de chaque vaccin doit être évalué d’une façon rigoureuse pour garantir la sécurité ainsi que l’efficacité. Les vaccins restent l’un des outils biomédicaux les plus efficaces pour la prévention des maladies. Le besoin urgent de vaccins Covid-19 doit être en harmonie avec l’impératif d’assurer la sécurité et la confiance du public dans les vaccins en suivant les protocoles de sécurité clinique établis tout au long du développement des vaccins, y compris avant et après commercialisation.
Pr Mehdi Dridi
Professeur en pharmacologie,
faculté de Pharmacie de Monastir
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