News - 16.09.2020

Samir Trabelsi - Compétence et confiance : les chainons manquants pour la bonne gouvernance!

Compétence et confiance : les chainons manquants pour la bonne gouvernance! Le dixième gouvernement après la révolution

Par Samir Trabelsi, Ph.D., CPA, CGA. Tout ça pour ça? Depuis la révolte du Jasmin en 2011, dix années se sont écoulées, dix gouvernements ont été à la barre et plus de 360 ministres et secrétaires ont géré l’État. Le tout pour faire sombrer le pays dans une crise économique sans précédent. En cause, une mal-gouvernance à tous les niveaux. Et cela s’explique par un déficit de confiance, très souvent jumelé à une carence de compétence au sommet de l’État. Explication…

Mal-gouvernance et manque de confiance

On s’accorde à dire que la bonne gouvernance publique joue un rôle essentiel dans la création de richesse, la réduction des inégalités, la croissance et la pérennité économique d’un pays ou d’une communauté (locale ou régionale).

En Tunisie post-2011, on est plutôt en présence d’une mal-gouvernance endémique qui s’est manifestée d’abord par l’instabilité politique, principalement due une érosion de la confiance liant d’un côté les élus du pouvoir législatif avec les deux chefs du pouvoir exécutif et, de l’autre, entre ces deux pouvoirs avec leur base électorale et de manière générale avec les citoyens…et les régions éloignées.

Neuf gouvernements, avec 262 ministres, 99 secrétaires d’État, 8 remaniements ministériels ont bénéficié d’un vote de confiance, avant de subir un vote de défiance…et être destitués en l’espace de quelques mois. Le carrousel politique a fonctionné à fond la caisse! Il est propulsé par la cinétique de la défiance et du déficit de confiance.

Dans les pays démocratiques qui se respectent, les gouvernements durent en moyenne 3 ans. Si jamais ils sont limogés, la transition et la nomination d’un nouveau gouvernement peuvent se faire au cours d’une semaine, voire-même dans les 48 heures. En Tunisie, la longévité moyenne de ces 9 gouvernements a été de 385 jours, soit un an. Et la nomination d’un nouveau gouvernement dure souvent 7 semaines en moyenne. La bonne gouvernance n’aime pas le vide du pouvoir.

Depuis 2011, les tractations pour constituer un nouveau gouvernement peuvent prendre des mois… et pour cause : la Tunisie a été gouvernée plus d’une année par des gouvernements par intérim! Soit des gouvernements pour gérer les affaires courantes, sans décider et sans faire le nécessaire en matière d’ajustement et de réforme.
Des chiffres inquiétants…et en l’absence de confiance pour gouverner et mener un mandat ministériel, les compétences tunisiennes désertent la sphère politique et évitent de se frotter à ces partis sans programme économique et ces élus sans un minimum d’éthique pour construire des alliances fiables et des coalitions durables.
La Tunisie subit de plein fouet, les effets néfastes de l’instabilité gouvernementale, des nominations basées sur des critères de sélections opaques, et sans stratégie claire chiffres à l’appui pour que la Tunisie sorte de son marasme économique. Une seule explication justifie le fait que les plus compétents des élites boudent les débats politiques et refusent catégoriquement de fréquenter ces protopartis, sans programme économique, sans valeur éthique et sans vision stratégique.

C’est décourageant le sable : rien ne pousse, tout s’y efface !

Le mot gouvernance vient du grec ancien kubernân qui signifie « diriger un navire ». Quand nous avons la responsabilité d’arriver à « destination », il faut garder les mains sur le gouvernail et être capable de lire les signes, de décider du trajet, d’interpréter les commentaires et de s’ajuster aux conditions. Il faut aussi être absolument présent et actif du début à la fin plutôt que de contrôler à distance.

Les faits sont têtus, ils dénotent un manque flagrant de continuité et une rotation très élevée au niveau des divers départements ministériels. Dans un tel contexte parler de façon conséquente et élaborer une réflexion stratégique et d’une planification sur le court et terme relèvent de l’impossible…tout devient verbiage et bavardage pour la consommation médiatique et de la gesticulation politique. Sur les 10 ans, aucun des chefs de gouvernements n’a présenté lors de sa déclaration d’investiture un programme avec des objectifs chiffrés émanant d’une vision stratégique claire. Pis, aucun n’a pris le pouvoir en faisant un bilan du gouvernement qui l’a précédé …évaluation sérieuse pour vérifier l’atteinte des objectifs et pour tirer des leçons de ce qui a marché et ce qui n’a pas marché. Une mal-gouvernance qui se base sur la conviction : Tous responsables, personne n’est imputable!

Par ailleurs, si l’on accepte que les 361 ministres et secrétaires d’État aient un style de décision selon la logique bayésienne (Bayes, 1763), et comme ils savent tous qu’ils sont là que pour quelques mois, ils finissent tous par gérer les affaires courantes sans avoir le courage et le charisme pour s’attaquer aux vrais problèmes du Tunisien moyen : la pauvreté et le chômage...la récession, etc.

Le bilan est catastrophique. Des chiffres économiques qui donnent l’étourdi. Une scène politique immature et décourageante. Dans ce contexte : quel est le patriote et intègre qui acceptera de faire partie d’un gouvernement en lisant le tableau ci-dessus et sachant que son mandat sera éphémère… et qu’il n’aura jamais les mains libres pour exercer son leadership ? Hélas, l’élite découragée risque de laisser la place parfois aux opportunistes et aux carriéristes qui savent bien composer avec cette gouvernance idéologique dont a souffert la Tunisie depuis la révolution de dignité. Comme dans le marché des « citrons », la mauvaise qualité chasse la bonne qualité.

Bonne gouvernance rime avec compétence!

Avec 10 gouvernements, 8 remaniements ministériels, et des gouvernements par intérim qui ont eu la commande du pays pendant presque une année (317 jours), la Tunisie a sombré dans la mal-gouvernance.

Comment un pays peut se permettre un gouvernement par intérim pendant 47 jours en plein combat contre la pandémie COVID-19? Quel a été le sentiment des ministres et secrétaires d’État qui ont fait partie du gouvernement Habib Jemli, qui a été rejeté par l’Assemblée des représentants du peuple? Que feront ces ministres et secrétaires d’État qui ont été sollicités pour faire partie du gouvernement Fakhfakh pour se trouver démis de leurs fonctions, tout juste 5 mois après leur investiture ?

Les compétences tunisiennes qui sont connues et qui ont un rayonnement aussi bien en Tunisie que sur le plan international ne sont plus enthousiastes pour s’impliquer dans un tel modèle de gouvernance qui ne respecte aucun standard de la bonne gouvernance publique.

Parmi ces compétences déçues, certains ont choisi Facebook pour s’exprimer, d’autres des revues électroniques…, d’autres regardent avec « indifférence rationnelle » la déconfiture d’une transition démocratique, seule dans le monde arabo-musulman. D’autres ont simplement et malheureusement décidé de ne plus s’intéresser au casse-tête de la politique en Tunisie.

Ce constat montre à quel point cette gouvernance approximative a ruiné la confiance d’une large frange des élites intègres et compétentes. Une élite qui finit par tourner le dos au pays, surtout quand des compétences dévouées constatent comment les nominations et les remaniements ministériels s’opèrent au sommet de l’État, soit au sein de la cabine du pilotage de la bonne gouvernance. Des nominations aléatoires qui se font en fonction de l’allégeance, de la proximité politique, de la puissance des lobbies économiques et régionaux.

Des nominations incompréhensibles qui se font sur la base de CV bidouillés, avec les résultats qu’on connait.
Quand la Tunisie renoue avec la stabilité et restaure la confiance des intègres, nous pouvons à ce moment commencer à parler de façon conséquente de la stratégie pour arrêter l’hémorragie économique.

Samir Trabelsi, Ph.D., CPA, CGA
Professor of Accounting & Governance
Founding Director – CPA Ontario Research Excellence Centre
Brock University | Department of Accounting


 

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1 Commentaire
Les Commentaires
triki - 16-09-2020 09:40

il fallait parler et diagnostiquer avant tout le paysage politique . 212 partis dont certains ne sont représentés que par une poignée de personnes. ce nombre important de partis nous indique qu'il y a une ruée vers la richesse , vers le vol des citoyens et le comble de tout ça c l’hégémonie d'un parti rétrograde constitué d'un groupe d'affamés et de voleurs et qui ont depuis longtemps l'intention de s'emparer du pouvoir et de faire sombrer le pays . Pour moi en conclusion , il ne s’agit pas de mauvaise gouvernance et de mauvais choix des ministres

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