Ridha Tlili: A quoi servent les politiques culturelles?
Par Ridha Tlili - Ces derniers jours, à l'occasion de la commémoration de 40ème jour du décès du feu Chedli Klibi, le débat sur le statut de la culture et des politiques culturelles en Tunisie a ressurgi dans une atmosphère de nostalgie et d'inquiétude.
On a qualifié Monsieur Klibi de meilleur ministre de la culture qu'a connu la Tunisie. En tout cas, un débat est nécessaire aujourd'hui je dirai même qu'il est impératif et urgent, mais pour mieux le situer et le structurer une courte rétrospective s'impose.
Auparavant il est toujours utile de rappeler qu'il ne faudrait pas confondre culture et politique culturelle comme il et aussi utile de rappeler que, aucune lecture rétrospective ne peux se dessiner clairement sont tenir compte du contexte historique et politique, comme il est également nécessaire au préalable d'identifier la position et la passionnément du ministre de la culture dans la hiérarchie du pouvoir politique.
Comme je ne veux pas alourdir cet article par des références (techniques) et comme je n'ai pas l'attention d'étaler mes connaissances sur ce sujet, je veux être concis en me limitant à quelques éléments d'analyse que je considère importants.
1- A la question, a quoi sertla culture dans un pays nouvellement indépendant ou tout est construire ? La génération de l'indépendance a répondu à cette interrogation dans un cadre politique globale, en élaborant des objectifs précis, en définissant les priorités, les moyens d'action et les modes d'intervention, la culture était considérée comme une partie structurante du projet politique et de société du Néo Destour. le ministre de la culture de l'époque était tout d'abord un patriote destourien, puis ministre. Tous les ministres de gouvernement de l'indépendance avaient le titre et la fonction, ce fut le cas du feu Chedly Klibi. Par ailleurs la culture était inscrite dans le cadre des perspectives décennales 1962-1971 comme un projet socio-éducatif et culturel avant même la création du Sécrétariat aux affaires culturelles. A lire aujourd'hui le projet culturel préconisé dans le cadre de cesperspectivesdécennales, on se rend compte que la génération de l'indépendance était tout simplement exceptionnelle.
2- A la question à quoi sert la culture et la politique culturelle dans un régime autoritaireen deux étapes, le totalitarisme paternaliste puis le totalitarisme sécuritaire, la classe politique de l'époque, celle qui a défendu la parti unique et la présidence du chef de l'Etat à vie qui a tenu jusqu’à janvier 2011, a répondu à sa manière en élaborant une politique culturelle qui s'articule autour de trois axes:
• Encadrement, contrôle systématique de l'administration et de l'action culturelle,censure clientélisme et propagandeà l'intérieur.
• Valorisation d'une image positive et démocratique du régime politique à l'extérieur : organisation des conférences internationales, publications de luxe destinéesà l'étranger, multiplication de colloques internationaux et régionaux à Tunis.
• Exportation du produit culturel qualifié "d'artistique neutre"…. En un mot contrecarrer toutes activités critiques du régime en Tunisie et à l'étranger.
Dans cette second période, les ministres de la culture avaient effectivement le titre, mais ils n'avaient pas la fonction, tout était dictés soit à partir du palais ou du parti.( c'est aussi le cas de la plupart des ministres)
Bien entendu l'histoire n'est pas linéaire, il y a eu quelques exceptions limitées et une grande exception à l'époque ou monsieur Bachir Ben Slama était le ministre de la culture . Pourquoi s'agit-il d'une grande exception?
En premier lieu, parce que monsieur Bachir ben Slama que j'ai eu le privilège de l'accompagner dans la réalisation du projet culturel national fait partie de la génération de l'indépendance, patriote destourien puis ministre de la culture.
En second lieu parce que monsieur Ben Slama s'inscrivait dans un projet politique dont il a été toujours en premier ligne.
En troisième lieu parce que sa position et son positionnement dans l'articulation du pouvoir du gouvernement de Mohamed Mzali était déterminante.
En quatrième lieu, parce qu'il a cru au savoir, à la recherche et aux études culturelles c'est le seul ministre de la culture qui a accepté que le CEDODEC engage des recherches sur les pratiques culturelles, établit un cadre statistique en toute indépendance. La seule étude globale qui a été réalisée depuis l'indépendance à nos jours, L'impératif Culturel en 1982 a été initiée par Monsieur Ben Slama en personne (je reviendrai sur le démantèlement sauvage du CEDODEC, une des institutions les plus avancées dans la région méditerranéenne au point où l'UNESCO a consacré toute une brochure pour diffuser cette expérience scientifique en matière d'études culturelles auprès des pays membres.
Enfin, à la question : A quoi sert la culture dans une période de transition démocratique? A la date d'aujourd'hui, aucun gouvernement n'a cherché à répondre à cette interrogation en élaborant une stratégie cohérente en matière de politiques culturelles en relation avec les besoins réels du secteur. Dans cette incertitude, les ministres de la culture successifs ont bénéficié du titre et non pas de la fonction.
Cette confusion politique totale dans le choix de société a construire et a assumer, a fragiliser l'institution culturelle et elle a déstabilisée les ministres de la culture qui pour se maintenir se sont trouvés dans l'obligation ou par choix au service des clans influents agissants en permanence dans un cadre de clientélisme improvisé tout en prolongeant la farce du statut de "Ministre indépendant".
Le plus grave est que ces ministres n'ont ni position, ni positionnement politique dans l'articulation du pouvoir, ce qui rend la politique culturelle juste une succession d'événements dans l'éphémère ou dans le court terme. Sans fonction et sans positionnement politique, ces ministres de la culture n'avaient d'autres ambitions que de s'occuper de leurs propres promotions personnelles au détriment de la promotion de la culture et du développement culturel (j'ai bien étudié cet aspect dans une étude intitulée : "Profil et itinéraire d'un Ministre de la Culture après la révolution" qui sera publiée en octobreprochain).
Bien entendu il y'a des exceptions, la première concerne la Ministre Latifa Lakhdhar, je suis témoin des efforts qu'elle a déployés pour structurer une politique culturelle en harmonie avec la démocratisation, des Droits Humains et les valeurs de la culture démocratique, mais Madame Latifa Lakhdhar a été confrontée à une résistance farouche aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur du ministère de la culture parce qu'elle a tout simplement privilégié la fonction au détriment des privilèges du titre de ministre.
L'actuelle ministre de la culture, Madame Laatiri, ans positionnement politique affiché, risque d'avoir des complications dans l'exercice de ses fonctions du fait que la conjoncture politique actuelle ne lui est pas favorable. Cependant, en se limitant à deux ou trois grands projets structurants, elle apportera certainement une contribution qualitative à cette politique culturelle, morcelée, trébuchante et parfois insignifiante.
Ernesto Cardenal nous disait que le ministre de la culture dans un pays démocratique doit représenter la conscience de gouvernement. A méditer.
Ridha Tlili
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