News - 17.06.2020

Covid-19 - Le doute : Bon et mauvais

Covid-19 - Le doute : bon et mauvais

Par Slim Karem. Chirurgien des hôpitaux au CHU de Clermont-Ferrand - A l’opposé de la religion par définition dogmatique, la science est intrinsèquement liée au doute. Claude Bernard écrivait que «le vrai savant ; il doute de lui-même et de ses interprétations, mais il croit à la science»[1]. Ainsi, le «douteur scientifique» n’est pas le «douteur sceptique». Pour Anne Fagot-Largeault : «la différence entre scepticisme dogmatique et doute scientifique est que le sceptique s’installe dans le doute, tandis que pour le scientifique le doute est temporaire, c’est la suspension qui évite de juger trop vite et à tort, c’est une épreuve à traverser»[2]. Cette distinction rejoint ce que l’on peut appeler le «bon doute» et le «mauvais doute»[3].

1. Le mauvais doute

Le mauvais doute est le scepticisme. Le sceptique ne croit pas à la science. Il doute de toute autre opinion qui n’est pas la sienne. Le scepticisme a pris une ampleur sans précédent depuis quelques années du fait des réseaux sociaux (twitter, facebook, linkedin, etc.). Ces réseaux font que n’importe quelle opinion exprimée par l’intermédiaire d’un clavier d’ordinateur ou l’écran d’un smartphone, peut avoir une diffusion planétaire. De l’information à l’intox, le raccourci est rapide et facile. Nous assistons ainsi à l’explosion des «vérités alternatives» et des «fake news» (ou en bon néologisme français les « infox»). L’actuel Président des Etats-Unis en a même fait sa marque de fabrique: les «Alternative facts».

Sont remis en question par lobbys industriels, religieux ou idéologiques, voire par de simples mortels: les effets du réchauffement climatique (ce n’est pas vrai), la vaccination (dangereuse pour la santé), la nocivité du tabac ou de l’amiante (pas certaine), la théorie de l’évolution (inventée par Darwin), l’aventure lunaire (l’homme n’a jamais marché sur la lune, tout ça c’est du cinéma), les attentats du 11 septembre (dont seraient responsables les services secrets américains ou Israël, c’est selon). Et la liste est longue, le dernier exemple est la crise sanitaire de la Covid-19. Le SRAS-Cov-2 aurait été créé par les laboratoires pharmaceutiques pour ensuite vendre le vaccin (déjà prêt) au niveau planétaire, ou alors la Covid-19 a été créée par les pays riches contre les pays pauvres (la suite a montré qu’à l’inverse, ce sont les pays riches qui en ont payé le plus lourd tribut).

L’argument est toujours le même: il reste un doute…  C’est le règne de la «vérité alternative». C’est le règne du «complotisme».

Ce «mauvais doute» se nourrit de l’autocritique, la transparence et la correction permanente (le bon doute) propres à la science. D’autant que la science accepte l’incertitude tout en s’efforçant d’identifier, mesurer, évaluer, les risques sans les dissimuler.

2. Le bon doute

Douter (à bon escient) ici, c’est suspendre son jugement (une expression empruntée par Descartes), en attendant un meilleur niveau de preuves scientifiques. A l’opposé du doute sceptique il s’agit d’un doute cherchant la vérité.

Le temps du « bon doute » n’est pas celui des media, de la télévision, des réseaux sociaux ou de la course vers l’innovation. La recherche de la vérité doit répondre à des critères de qualité, et être indemne de tout conflit d’intérêt. En médecine, la réponse à nos doutes prend la forme d’études scientifiques rigoureuses : Essais randomisés (comparaison de deux traitement par tirage au sort), méta-analyses (sommes des résultats de plusieurs études), de grandes études à large échelle. Il s’agit ni plus ni moins de la médecine factuelle c’est à dire une médecine fondée sur les preuves (en anglais evidence based medicine).

Le «bon doute» est quotidien en médecine : en une journée nous sommes amenés à prendre des dizaines décisions diagnostiques, thérapeutiques, pronostiques dont certaines reposent sur un faible niveau de preuves qui devraient nous amener à concevoir des études scientifiques pour répondre à nos questions.

Prenons deux exemples de «bons doutes» récents en chirurgie digestive et dans le cadre de l’actuelle pandémie Covid-19

• Premier exemple

De la même manière que les autres domaines de l’industrie ou des services, la médecine et particulièrement la chirurgie n’ont pas échappé à la «vague» robotique. La chirurgie robotique fait partie des innovations technologiques les plus marquantes de ces dernières années. Près de 15 000 publications y ont été consacrées. Mais on peut relever que les essais randomisés de bonne qualité méthodologique et sans conflit d’intérêt sont rares. Il reste possible que la chirurgie robotique ait un avenir, mais le «bon doute» est là. Malgré l’explosion planétaire du nombre de robots achetés dans diverses spécialités chirurgicales (et très récemment en Tunisie) et malgré «l’intuition» des experts, il existe un faible niveau de preuves de la supériorité de la chirurgie robotique par rapport à la chirurgie la paroscopique conventionnelle, quelle que soit la spécialité chirurgicale[4,5].

Dans cette situation, le «bon doute» est associé à une problématique économique majeure car le robot est onéreux pour la Société. Le « bon doute » doit nous encourager à mener des études à grande échelle prenant en compte des critères de jugement objectifs, l’intérêt des patients et les rapports coût-efficacité et coût-utilité de cette innovation.

• Deuxième exemple

La pandémie Covid-19 sévit depuis fin 2019 et a épargné peu de pays à travers le monde. Dès les mois de février et mars 2020, les chercheurs se sont mis en quête de solutions thérapeutiques efficaces. Sans être chercheur, le Président du Madagascar a même proposé un «remède miracle» l’Artemisia vendu à d’autres pays africains avec le slogan «La potion gilet pare-balles dans la guerre contre le coronavirus». Au-delà de cette anecdote, il faut évoquer le problème de l’hydroxy-chloroquine promue par Didier Raoult de Marseille durant de longues semaines au fi de toute règle de recherche scientifique. Didier Raoult a donné de faux espoirs à des milliers (voire des millions) de personnes (dont le Président Trump aux Etats-Unis) avec des arguments fallacieux.

Plusieurs pays africains se sont empressés de commander des tonnes de ce produit. Ce chercheur a érigé en «dogme» ce traitement (sans véritable preuve scientifique de qualité). On peut résumer son attitude en une phrase: «Croyez-le, puisque c’est moi qui vous le dit». D’autres scientifiques européens et américains ont suivi le chemin inverse, celui du «bon doute» et ont mis en place des études de bonne qualité méthodologiques. Parmi toutes les études menées sur des milliers de patients, aucune n’a confirmé l’efficacité de l’hydroxy-chloroquine, ce qui a amené la food & Drug Agency américaine à recommander l’arrêt de la prescription de cette molécule en l’absence de bénéfice évident (par rapport aux risques éventuels)[6]. C’est le « bon doute » qui nous   permettra de mieux traiter les patients atteints de Covid-19.

3. Le doute et les patients

Partager les «bons doutes» avec les patients est la principale et la plus difficile démarche à accomplir. La relation médecin-patient a toujours été teintée de paternalisme. Le médecin détenteur de «vérité scientifique» propose à un «patient candide» une prise en charge. Mais cette situation «confortable pour les deux est en train d’évoluer. Le patient-acteur de sa santé devient une réalité. Le patient n’hésite pas à aller sur internet pour se renseigner sur sa maladie et les traitements éventuels. L’éducation thérapeutique des patients doit alors prendre une place croissante. Même si certains n’acceptent pas les (bons) doutes du médecin, ne sous-estimons pas les capacités de jugement des patients.

L’implication des patients ou du grand public dans la recherche scientifique avec comme corollaire la compréhension et le partage du «mauvais doute» ainsi que du «bon doute» n’est qu’à ses balbutiements. Les scientifiques doivent se mobiliser, s’adresser au grand public et expliquer que le doute n’est ni le scepticisme ni l’immobilisme. Il s’agit aussi de lutter contre les « infox » par des mesures de vulgarisation à grande échelle.

Références

1. Bernard Claude, Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, 1865.

2. http://www.canalacademie.com/ida6275-Le-doute-theme-de-la-seance-de-rentree-solennelle-2010-des-cinq-academies.html

3. Slim K, Ganascia J-G, Vennat B. Good Doubt and Bad Doubt. J Visc Surg 2018; 155:435-437.

4. Wright JD. Robotic-Assisted Surgery: Balancing Evidence and Implementation. JAMA 2017;318:1545-7.

5. Slim K, Canis M. La chirurgie robotique. Peut-on (doit-on) nager à contre-courant ? Presse Med 2017;46:557-60.

6. https://www.fda.gov/emergency-preparedness-and-response/mcm-legal-regulatory-and-policy-framework/emergency-use-authorization

Slim Karem
Chirurgien des hôpitaux au CHU de Clermont-Ferrand
Spécialité Chirurgie viscérale et digestive
Chef de Service de Chirurgie Ambulatoire au CHU Estaing, Clermont-Ferrand




 

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