Monji Ben Raies: Une seule planète, un seul peuple, nous avons un avenir commun et nous survivrons
Certaines forces, dont l'objectif est clair, cherchent à saborder notre pays au nom de volontés étrangères ou simplement par perversion et subversion. Avec les conditions dans lesquelles nous vivons depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle constitution, celle de 2014, concoctée et fignolée par la troïka à leurs mesures pour installer l’instabilité et le chaos économique, social et politique. Un scénario similaire à celui de la constitution imposée à l’Irak par l’administrateur américain, Paul Lewis Bremer et G. W. Busch, ainsi que celui de la constitution Libanaise imposée au peuple Libanais par l’accord de Taïef, rendant les deux Etats pratiquement ingouvernables.
La Tunisie, en 2012, n’avait pas besoin de la convocation d’une assemblée constituante pour tout remettre en question, vider les caisses de l Etat et installer le chaos, dans l’absence voulue d’une Cour constitutionnelle. La Constitution de 1959 aurait pu être révisée en un temps record par une commission d’experts pour instaurer une véritable démocratie dans le sens des revendications de la révolution de la fin 2010. Plusieurs voix de militants démocrates ont été étouffées par des hordes sectaires rétrogrades et belliqueuses débarquées d’Angleterre, de France et d’ailleurs, avec leur tonitruance pour confisquer le mouvement révolutionnaire des jeunes, le pervertir et le détourner vers les buts dévastateurs de puissances sans scrupules, pour imposer au peuple Tunisien un ordre politique dont il ne veut pas, au prix d’assassinats politiques et d’actes terroristes, pour mettre le pays a genoux et faire régner le chaos et la peur, et s’infiltrer dans tous les étages de l Etat .
Aujourd’hui la conscience nationale commence à se réveiller et la société civile commence à comprendre les plans ourdis par ces forces occultes pour faire basculer le pays dans une crise dévastatrice qui le livrerait avec son peuple et les prochaines générations, au nouveau maître d Istamboul ou à l’Emir du Qatar. Notre démocratie et son peuple vit aujourd’hui une période de turbulences mondiales extrêmes, et il est de notre devoir de nous unir autour de l Etat et de son gouvernement. Et de nous dresser de manière intransigeante contre toutes ces tendances et ces nébuleuses dont les seuls objectifs, sont le désordre, les destructions, les manipulations, la corruption, les menaces, les assassinats politiques, le vol et les détournements des biens et des deniers publics, les guerres destructrices par procuration commanditées par des intérêts étrangers ; nous devons rester fidèles à nos martyrs, à nos sages, à ceux qui jusque-là nous ont guidés et ce, dès les premiers jours de notre indépendance pour construire un vrai pays indépendant, un Etat moderne, une véritable Nation Tunisienne, une démocratie où la culture de la tolérance, du savoir réel, de la liberté de conscience, de croyance et d’opinion, des droits de l’Homme et des droits de la Femme et de l’enfants et de l’amour des sciences, sont et resteront toujours l’élixir de notre vie et de notre joie de vivre dans un petit coin de paradis situé au nord de l’Afrique.
Dans les volumes de l’ouvrage d’Ahmed Ibn Abi Dhiaf, « Ithaf Ahl El Zaman Bi Moulouk Tounes we Ahd El Aman », référence incontournable pour les férus de l’histoire de notre pays, nous trouvons relatées les nombreuses épidémies qui ont sévi, en Tunisie, depuis le 13e siècle jusqu’à la fin du 19e siècle et les conséquences démographiques et économiques souvent désastreuses qu’elles eurent en raison de l’état des connaissances médicales et le manque de moyens. Entre 1270 et 1867, notre pays a connu quatorze importantes épidémies ; la première évocation d’une épidémie collective en Tunisie, celle de la peste, remonte à la 8e croisade au cours de laquelle périt Louis IX, roi de France, connu comme étant Saint Louis après sa canonisation.
La peste noire de 1347 fut une véritable pandémie puisqu’elle ravagea toute l’Afrique du Nord jusqu’en 1352. La peste s’abattit encore sur la Tunisie en 1468 et causa la mort de 400 000 sujets du royaume. La peste noire frappa, de nouveau, à partir de 1493, provoquant la crise démographique aiguë qu’a connue la Tunisie durant le 16e siècle. L’épidémie de peste de 1604 durera deux années. Elle sera suivie de celles qui sévirent entre 1620 et 1621 et entre 1643 et 1650. En 1663, la peste sévira, de nouveau, suivie de celle de 1676, puis de celle survenue au début du 18e siècle, entre 1702 et 1705. En 1783, la peste éclata dans le pays qu’on désigna comme « la grande épidémie » et au cours de laquelle, le Bey Hamouda Bacha, prit des mesures draconiennes.
La peste se déclara de nouveau en 1818 et dura deux années. Après avoir enduré pendant plusieurs siècles les affres de la peste, la Tunisie se trouvera confrontée dès le milieu du 19e siècle, fin 1849, à une épidémie inconnue jusqu’ici : le choléra. En 1856, une autre épidémie de choléra de courte durée se déclara dans la régence de Tunis. La dernière épidémie qu’évoque Ibn Abi Dhiaf dans son ouvrage est celle du choléra qui frappa le pays en 1867. Parcourir six siècles de notre histoire, au cours desquels la Tunisie risqua de sombrer du fait d’épidémies dévastatrices, ne peut être une lecture joyeuse ; mais, dans la conjoncture particulière à laquelle nous sommes confrontés, en ce premier quart de 21e siècle, nous renouons avec les peurs d’un passé que nous pensions révolu ; aussi est-il réconfortant de constater que notre nation a survécu et s’est toujours redressée devant l’adversité.
La Tunisie est le pays le moins touché par la pandémie de coronavirus, tant en nombre de morts que de cas, avec 48 décès pour 1.051 cas selon les dernières données disponibles lundi 25 mai 2020. Le franchissement attendu de la barre des 350 000 morts intervient sur fond de vifs débats à propos du confinement, plusieurs Etats dont la Tunisie ayant entrepris d’alléger les mesures restrictives décidées contre l’expansion de la maladie. Nous avons un devoir de mémoire et devons faire quelque chose que la population puisse relire, revoir et se remémorer, dans 100 ans, pour comprendre le poids de ce que nous Traversons aujourd’hui, et se rappeler de ces noms de personnes que le monde a perdu, plutôt que de se souvenir d’un nombre anonyme de décès, un bilan statistique, comme ceux laissés derrière la pandémie de grippe espagnole de 1918.
Avec l’irruption du coronavirus dans nos vies, la réalité de la fin du monde des hommes tel qu’il nous est familier, c’est-à-dire la mortalité de notre civilisation, a quitté les discours l’eschatologiques et les rhétoriques alarmistes des prédicateurs, pour investir les champs médiatique, politique, juridique, sociologique et scientifique. Désormais, toutes les réflexions sur le Covid-19 sont indissociables d’une analyse, non seulement de la menace qu’il représente, mais aussi de nos réactions face au fléau et des moyens mis en œuvre pour s’en départir et s’en prémunir dans le futur. Ce sont la nature et les limites réelles des fortifications censées nous protéger du délitement collectif qui ont été ébranlées. Les gestes barrières pourraient n’être que la face émergée d’un iceberg institutionnel, d’une dynamique de fermeture généralisée, en opposition avec les concepts de mondialisation et de société ouverte, dynamique à laquelle nous ne devons pas céder.
Depuis le mois de mars, nous avons été les personnages d’une dystopie tunisienne, au même titre que le reste de l’humanité, dans leurs pays respectifs.
Des semaines durant, une partie de l’humanité a été assignée à résidence, mise en liberté conditionnelle, oscillant entre le repli sur soi justifié par la peur d’être contaminé et la recherche de refuges ; deux mouvements relevant d’un même processus, aux racines plus profondes, d’une sorte de syndrome de l’enfermement sécurisant et sécuritaire. Au cours de cette expérience humaine grandeur nature, la maison a été vécue comme un bouclier de protection, un rempart placé au-dessus de soi contre un envahisseur et lui faire obstacle, mais dont le toit masque le ciel et ampute son résident de la vision de tout horizon, en le confinant spatialement et en le privant de repères spatiaux et temporels nécessaires à sa raison et son jugement. La maison, espace biologique, composant une interface entre un intérieur d’une enceinte de vie et un extérieur de mort.
Avant le SARS-CoV-2, le syndrome de l’enfermement existait, mais il avait les traits d’une maladie psychologique comme l’agoraphobie ou du sentiment que l’on éprouve dans les abris survivalistes (antiatomiques, sous-marins ou vaisseaux spatiaux), ou encore de l’édification de murs qui isolent les pays les uns des autres (Israël de la Palestine, les États-Unis du Mexique, etc.).
Chercher à s’isoler des autres, quelle que soit l’échelle, ne relevait encore que d’une posture d’autodéfense destinée à conserver des intérêts. Mais que faire contre un ennemi invisible, qui peut toucher tout le monde, sans rencontrer de véritable barrière ? Face au virus Covid-19, la maison devient un système immunitaire pour la défense du corps social à tout prix. Il s’ensuit une société recluse dans des villes-bulles, solution qui se paie au prix fort, à savoir une logique de réclusion qui doit devenir la plus hermétique possible. Sa vocation est d’opérer un contrôle des masses afin de pérenniser l’ensemble du groupe (contrôles de la circulation des biens et des personnes, traçage, écoutes).
Pour limiter la propagation de l’organisme pathogène, des remparts symboliques se sont déployés, allant du clan (parents, enfants, amis), en passant par la mise en place, de secteurs hospitaliers à forte et basse densité virale, de zones de tri et d’une distanciation sanitaire, sociale et sociétale, considérées comme synonymes de distanciation physique. Le déconfinement à la carte, basé sur une gestion statistique des morts et le respect de normes de survie, s’en est suivi, avec toujours cette peur latente de l’autre, vecteur potentiel. En agissant sur les conduites et les milieux de vie, la crise sanitaire a fourni un cas d’espèce de la biopolitique, concrétisant la dystopie du nouvel âge, celui qui gouverne la vie et la mort des humains, devenus ignorants du monde extérieur qu’ils ont rendu insalubre et des raisons même de leur enfermement. La gouvernementalité des Etats, repliés sur eux-mêmes, peine toutefois à s’exprimer dans les circonstances actuelles ; la confusion règne toujours sur la disponibilité et l’utilité des masques et des tests, sur la réalité et la légitimité des traitements, sur les décisions politiques (gouvernants, conseils scientifiques, rôle de l’expert, des médias) et l’existence d’injonctions contradictoires plaçant le citoyen en situation de contrainte paradoxale : mettre ses enfants à l’école mais ne pas aller au théâtre, au cinéma ou au restaurant ; promouvoir le télétravail tout en se méfiant des outils de visioconférence.
Ces cafouillages, qui Touchent les discours, tantôt rassurants, tantôt inquiétants, autant que les pratiques thérapeutiques hasardeuses, et la suspicion de collusion avec des intérêts privés, et préventives avec l’omission du principe de précaution matérialisé par la réserve sanitaire, sabordent les effets de la normalisation des conduites tentée par le pouvoir qui cherche un salut rédempteur dans la technologie et les T.I.C. Avec le traçage des malades et de leurs contacts, l’État ouvrirait une boîte de Pandore liberticide imposant que les citoyens portassent toute leur vie un traceur, comme un genre de bracelet électronique, qui révèlerait leurs déplacements et par la suite leurs faits et gestes, leurs paroles, leur orientation sociale, ... Peu à peu, la réclusion architecturale deviendrait réclusion cognitive et socioculturelle.
On ne peut pas revenir en arrière ; tout ce que l’on peut faire c’est affronter l’avenir. Une seule planète, un seul peuple, nous avons un avenir commun et nous survivrons.
Faisons en sorte que les errements dans la gestion de la crise du Covid-19 ne sapent pas, ou le moins possible, les fondements de la démocratie en érodant la confiance de la population et favorisant, méfiance, espionnage et subordination des récalcitrants à des éminences grises tapies dans les coins d’ombre, guettant la moindre faiblesse institutionnelle. En mettant à mal nos certitudes et nos conditionnements, la crise renforce l’angoisse face aux limites d’un modèle d’organisation sociale inapte à compenser le déclin des grandes idéologies, mais qui déjà envisage le jour d’après, voire l’après-demain. La pandémie, parce qu’elle correspond à la survenue d’un imprévu, a accéléré la construction de citadelles kafkaïennes, tant au dehors qu’en nous-mêmes et, dévoilé les stigmates d’un processus apoptotique civilisationnel, processus au cours duquel les groupes humains, isolés du reste, se détruisent eux-mêmes.
Toutefois cette crise aura eu des effets bénéfiques sur nos villes comme sur l’environnement, temporairement dépollués et ré-ensauvagés, comme pour nous montrer la voie à suivre et les enseignements à en tirer. Des chantiers nouveaux se lancent, d’autres seront à concevoir, des forces vives s’activent aussi, pour coconstruire du changement. Elle nous rappelle que, sur notre planète, dont on sait mieux les limites et les ressources finies, l’issue de l’aventure humaine n’est pas prédéterminée vers son anéantissement programmé. Aussi, l’humain d’aujourd’hui se doit de promouvoir l’apparition d’un humain de demain, qualitativement plus humain, plutôt que de préfigurer les germes de son extermination.
Monji Ben Raies
Universitaire, Juriste,
Enseignant et chercheur en droit public et sciences politiques,
Université de Tunis El Manar,
Faculté de Droit et des Sciences politiques de Tunis
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C’est un bon article, reposant sur l’historique pandémique en relation avec la Tunisie, qui invite à la discussion et à la réflexion ; Article qui plaide pour un management réaliste de fonctionnement à tous les niveaux en rapport avec son temps