Ridha Bergaoui: Pandémie Covid-19 et sécurité alimentaire
La pandémie mondiale Covid-19 a déjà occasionné de nombreux dégâts. Elle est à l’origine de nombreuses crises: sanitaire, économique, politique, sociale… Elle est d’autant plus redoutable que la propagation du virus est très rapide et que jusqu’ici on ne dispose ni d’un médicament approprié pour soigner les malades ni d’un vaccin pour prévenir la maladie. Le seul moyen de défense efficace reste le confinement sanitaire total. Ce confinement, imposé et plus ou moins bien respecté, peut durer malheureusement de nombreuses semaines et peut avoir des conséquences graves sur notre sécurité alimentaire.
Perturbations du commerce international
Le confinement peut entrainer des perturbations du commerce international aussi bien aérien que maritime. Des difficultés aussi bien à l’embarquement ou le débarquement des marchandises, la fermeture des espaces aériens et des frontières mis en place pour arrêter la propagation de la pandémie, des problèmes d’approvisionnement à bord ou des problèmes sanitaires dans les pays d’origine… peuvent entrainer des retards importants à la livraison des marchandises. Les pays exportateurs, pour des incertitudes liées à la disponibilité des aliments, peuvent réduire les quantités de produits habituellement destinés à l’export. Des opérations de détournement et même de piratage (comme celles observées dernièrement pour du matériel et des produits sanitaires) peuvent avoir lieu.
La Tunisie importe une grandes quantités de denrées alimentaires: blé, huile végétale, pomme de terre, carburant, sucre, café et des matières premières et produits finis divers… Le cheptel avicole est nourri exclusivement de maïs, de tourteau de soja, des minéraux et vitamines importés. Nos vaches laitières sont également nourries de concentrés à base des mêmes produits importés. L’importation de produits alimentaires est encore beaucoup plus importante en année sèche où les récoltes sont médiocres ou mauvaises. Associé à des capacités de stockage limitées, tout retard dans les livraisons des denrées alimentaires peut avoir des incidences catastrophiques aussi bien sur la population que le cheptel animal et peut être à l’origine d’une crise sociale grave.
Le syndrome de la farine et de la semoule
Depuis la survenue de la pandémie, les habitants se sont accourus pour stocker des denrées alimentaires diverses : pâtes, concentré de tomate, riz et surtout de la farine et de la semoule. Des bousculades, des attroupements parfois violents ont été observés. Il y a eu même des braquages de camions transportant de sacs de semoule et farine… Ces derniers ont fait l’objet de commerce illicite et les prix ont grimpé d’une façon vertigineuse. Les autorités ont démasqué de nombreux trafiquants, y compris des politiciens et des fonctionnaires bien placés, et de multiples cachettes de marchandises.
Ce phénomène n’est pas spécifique à notre pays. De nombreux autres pays beaucoup plus développés comme la France, l’Angleterre, l’Allemagne... ont connu également le même phénomène et les étagères des grandes surfaces ont été vidées de leurs stocks alimentaires et en premier la farine. C’est que, en cette période de crise et avec le confinement, les gens essayent d’éviter de sortir et de s’approvisionner de l’extérieur. Pain et gâteaux peuvent également véhiculer le virus Covid-19 par l’intermédiaire du personnel des boulangeries et pâtisseries. Les gens ont donc tendance à préparer eux même leur nourriture y compris le pain et les gâteaux. On constate qu’au début de la pandémie les gens faisaient la queue devant les boulangeries pour acheter du pain parfois en grande quantité qu’on conserve au congélateur, la vente a été même limitée au maximum à 5 baguettes. De nos jours, les ventes de pain ont très sensiblement chuté et les boulangeries/pâtisseries sont beaucoup moins fréquentées. Farine et semoule ne sont pas uniquement très convoitées par les habitants des régions rurales peu favorisées mais également par les gens plus aisés.
Pandémie et agriculture
Avec la pandémie et le risque de contamination et le confinement, les travaux agricoles connaissent de sérieuses perturbations. Pour les récoltes, la main d’œuvre se fait rare et fruits et légumes restent sur champ. Le problème de transport des ouvriers est un réel casse-tête pour les agriculteurs. Les difficultés d’acheminement des marchandises, suite au couvre feu, l’interdiction de circuler et l’obligation de chercher des autorisations, réduisent les quantités acheminées vers les marchés des centres urbains. L’interdiction de la tenue des marchés quotidiens ou hebdomadaires afin d’empêcher les attroupements et les foules, la fermeture des restaurants et la crise du tourisme limitent les possibilités d’écoulement des fruits et légumes. Ces dernières se font rares et les prix grimpent. La rareté des fruits et légumes ne résulte nullement d’un manque de produits mais de difficultés de récolte et de logistique. La fermeture des frontières, les suspicions de contamination et les démarches administratives fastidieuses rendent difficiles les exportations des produits agricoles. Tout ce ci conduit à des pertes au niveau des agriculteurs et un gaspillage alimentaire important au niveau national.
A coté de l’aspect écoulement des récoltes et indisponibilité de la main d’œuvre, l’agriculteur est confronté à des difficultés d’approvisionnement en intrants pour ses cultures. Avec le confinement, trouver engrais, désherbants, pièces détachées pour réparation du matériel agricole et même mécaniciens devient problématique ce qui entraine des retards dans la réalisation des divers travaux agricoles qui risque d’avoir des incidences fâcheuses sur les prochaines récoltes.
Confinement, faim et déprime
Plusieurs spécialistes ont attiré l’attention sur les difficultés psychologiques qu’on peut rencontrer suite au confinement. Celui-ci après quelques jours devient insupportable surtout si on dispose de peu d’espace comme c’est le cas de la plupart des familles tunisiennes qui vivent dans des appartements exigus. Avec les enfants à la maison, qu’il faut occuper toute la journée, les parents, habitués à sortir et à retrouver les collègues et amis, à se promener, faire du shopping ou aller au cinéma, ou autre lieu de loisir… se retrouvent enfermés chez eux, frustrés, fatigués et au bout des nerfs. L’incertitude, la peur de l’avenir, les informations et nouvelles très peu rassurantes véhiculées par les mass-médias et les réseaux sociaux, avec leur lots de manipulations, magouilles, fake-news…, ont généralement raison du moral de la plupart des gens qui se retrouve au bord de la déprime. Si en plus on manque de nourriture, la situation risque de dégénérer rapidement et de tourner à la catastrophe. Bien manger est certainement très bon pour la santé et encore mieux pour le moral. Le rôle bénéfique psychologique des repas est incontestable. Sans nourriture et enfermé chez lui, tout être humain sera exposé à une sous alimentation et à des difficultés psychologiques qui peuvent être très graves.
L’agriculture, un secteur hautement stratégique
La pandémie Covid-19 a montré l’importance certes du secteur de la santé pour contenir la flambée de cette grave et mortelle maladie. De grands efforts, au risque de se faire contaminer, sont déployés par tout le personnel de la santé exposé aux premières lignes de cette bataille.
Le secteur agricole est non moins important. C’est l’agriculture qui fait nourrir la population et en ce temps de confinement sanitaire, avec les difficultés du commerce international ci-dessus exposées, le consommateur doit pourtant disposer de tous les aliments dont il a besoin en quantité suffisante, qualité satisfaisante et prix abordable.
Enfin il faut se rappeler que l’agriculture offre au consommateur des produits fruits mais fournit également les industries agro-alimentaires en matières premières et procure du travail directement ou indirectement à de multiples personnes dont ceux de la distribution et de la commercialisation.
Pour toutes ces raisons, l’agriculture doit être considérée tout le temps comme un secteur stratégique et prioritaire qui fait vivre les gens soit par les aliments qu’elle produit soit par le travail qu’elle génère. Elle est encore plus importante en cette période de crise. Protéger les agriculteurs, les salariés du secteur agricole et de la pêche, ceux de l’agro-alimentaire et enfin tout le personnel impliqué dans les différents circuits de distribution est une nécessité absolue pour minimiser la propagation du virus et limiter l’infection. C’est une question cruciale de sécurité alimentaire qui passe par la sécurité sanitaire de tous les partenaires du secteur agricole.
Une attention particulière doit être apportée pour encadrer de prés les agriculteurs, les aider à accéder aux prêts, à acquérir les intrants, à écouler leurs récoltes… Avec le confinement et le couvre feu il est plus facile d’organiser les circuits de distribution des produits agricoles pour les moraliser et leur conférer plus de transparence dans l’intérêt du producteur et du consommateur.
En ces temps difficiles à tous les points de vue dont l’économique, l’agriculture doit être privilégiée. Il n’est pas judicieux d’enlever des crédits destinés au département de l’agriculture pour les affecter à la santé. Certes la santé est un secteur prioritaire mais l’agriculture l’est autant. Il faut puiser des finances plutôt dans d’autres départements moins stratégiques que la santé et l’agriculture. Il y va de notre sécurité alimentaire et de la stabilité de notre pays.
Enfin, une attention particulière doit être apportée aux classes sociales fragilisées par la pandémie et le confinement sanitaire. Privées de ressources, ces populations risquent de manquer de nourriture. Les aider financièrement et matériellement est le devoir des autorités qui doivent veiller au bien-être des gens. C’est également notre devoir à nous tous de faire preuve de solidarité et de générosité. Il est également temps que les associations caritatives et les parties politiques, particulièrement actives durant les campagnes électorales, se démènent pour porter de l’aide à ces démunis et les mettre à l’abri de la faim. Gustave Flaubert disait « La faim ! Ce mot-là, ou plutôt cette chose-là, a fait les révolutions elle en fera bien d’autres!»
Professeur Ridha Bergaoui
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