Les passeports diplomatiques… résisteront-ils à la canicule du réchauffement climatique?
La formation du gouvernement de M. Fakhfakh, les tractations florentines qui l’ont accompagnée, les marchandages à n’en plus finir et les allers venues fiévreux de Dar Dhiafa, les navettes avec Carthage, les oukases impériaux de M. Ghannouchi et du Conseil (Choura) d’Ennahda ont revêtu un air absolument surréaliste.
Alors que la sécheresse frappe si durement le pays et que le coronavirus(1) est à notre porte- puisqu’il est arrivé en en Sicile- nos hommes politiques semblent vivre sur une autre planète, là-bas, dans une galaxie à des années-lumière de la Tunisie et où l’on ne cause que maroquins, ministères régaliens… et passeports diplomatiques pour nos honorables représentants au Bardo.
La question environnementale n’a été évoquée dans le mémorandum signé lundi 24 février 2020 par les partis participant au gouvernement de M. Fakhfakh que par ces quelques mots: «réalisation de la transition énergétique». C’est tout et c’est peu!
C’est pourquoi, il semble utile de porter à la connaissance de tous ce que l’environnement nous réserve dans le futur pas si lointain.
Mais nos politiciens, plongés avec délice dans les méandres de la «boulitique» n’accorderont probablement aucun intérêt aux lignes qui suivent car ce sont «des gens sérieux» comme l’écrit l’auteur du Petit Prince. Ce faisant, ils auront tort car l’article qui suit leur prouve que les passeports diplomatiques doivent être…. Ignifugés, s’ils veulent encore en profiter!
Sous le titre «La seule incertitude est de savoir combien de temps nous allons encore exister: le pire scénario pour le climat en 2050» publié samedi 15 février 2020 par le quotidien londonien The Guardian.
L’article est tiré de l’ouvrage «The Future We Choose (Le futur que nous sommes choisis),» -un nouveau livre des architectes des accords de Paris sur le climat que sont Christiana Figueres et Tom Rivett-Carnac(2)- livre qui propose deux visions contrastées de ce à quoi le monde pourrait ressembler dans trente ans. The Guardian a choisi de livrer le meilleur des cas.
Lecture déconseillée aux âmes sensibles!
«Nous sommes en 2050. Au-delà des réductions d'émissions de gaz à effet de serre enregistrées en 2015, aucun effort supplémentaire n'a été fait pour contrôler les émissions. Nous nous dirigeons vers un monde qui se réchauffera de plus de 3°C d'ici 2100.
La première chose qui vous frappe, c'est l'air. Dans de nombreux endroits du monde, l'air est chaud, lourd et, selon les jours, bouché par la pollution due aux particules en suspension. Vos yeux larmoient souvent. Votre toux ne semble jamais disparaître. Vous pensez à certains pays d'Asie, où, par égard pour les malades, on avait l'habitude de porter des masques blancs pour protéger les autres des infections transmises par l'air. Aujourd'hui, vous portez souvent un masque pour vous protéger de la pollution de l'air. Vous ne pouvez plus simplement sortir sur votre pas de porte et respirer de l'air frais: il se peut qu'il n'y en ait pas. Avant d'ouvrir les portes ou les fenêtres le matin, vous vérifiez d’abord sur votre téléphone la qualité de l'air.
Un monde torride
Peu de personnes travaillent à l'extérieur et, même à l'intérieur, l'air peut avoir un goût légèrement acide, ce qui vous donne parfois la nausée. Les derniers fours à charbon ont fermé il y a dix ans, mais cela n'a pas fait une grande différence pour la qualité de l'air dans le monde entier, car vous respirez toujours partout les dangereuses fumées d'échappement de millions de voitures et d'autobus. Notre monde devient de plus en plus chaud. Au cours des deux prochaines décennies, les projections nous indiquent que les températures dans certaines régions du globe vont encore augmenter, une évolution irréversible qui échappe désormais totalement à notre contrôle. Pendant de nombreuses années, les océans, les forêts, les plantes, les arbres et les sols ont absorbé la moitié du dioxyde de carbone CO2 que nous avions rejeté. Aujourd'hui, il reste peu de forêts, la plupart d'entre elles étant soit exploitées, soit détruites par des incendies, et le permafrost rejette des gaz à effet de serre dans une atmosphère déjà surchargée. La chaleur croissante de la Terre nous étouffe et, dans cinq à dix ans, de vastes étendues de la planète seront de plus en plus inhospitalières pour l'homme. Nous ne savons pas dans quelle mesure les régions arides de l'Australie, de l'Afrique du Sud et de l'ouest des États-Unis seront encore habitables d'ici 2100. Personne ne sait ce que l'avenir réserve à nos enfants et à nos petits-enfants: point de basculement critique après point de basculement critique, on s'interroge sur la forme de la civilisation future qui nous attend. Certains disent que les humains seront à nouveau jetés aux quatre vents, se rassemblant en petites tribus, accroupis et vivant sur n'importe quelle parcelle de terre qui pourrait les sustenter.
L'humidité accrue de l'air et les températures plus élevées à la surface de la mer ont provoqué une vague d'ouragans et de tempêtes tropicales extrêmes. Récemment, des villes côtières du Bangladesh, du Mexique, des États-Unis et d'ailleurs ont subi des destructions brutales de leurs infrastructures et des inondations extrêmes, faisant des milliers de morts et des millions de déplacés. Cela se produit de plus en plus fréquemment aujourd'hui. Chaque jour, en raison de la montée des eaux, une partie du monde doit être évacuée vers des terres plus élevées. Chaque jour, les informations montrent des images de mères avec leurs bébés attachés sur le dos, pataugeant dans les eaux de crue et de maisons dévastées par des courants violents qui ressemblent à des rivières de montagne. Les reportages parlent de personnes vivant dans des maisons avec de l'eau jusqu'aux chevilles parce qu'elles n'ont nulle part où aller, de leurs enfants qui toussent et qui ont une respiration sifflante à cause de la moisissure qui se développe dans leur lit, de compagnies d'assurance qui déclarent faillite, laissant les survivants sans ressources pour reconstruire leur vie. Les réserves d'eau contaminées, les intrusions de sel de l’eau de mer et les ruissellements d'origine agricole sont à l'ordre du jour. Comme de multiples catastrophes se produisent souvent simultanément, il faut parfois des semaines, voire des mois, pour que les denrées alimentaires de base et les secours en eau potable atteignent les zones frappées par des inondations extrêmes. Les maladies telles que le paludisme, la dengue, le choléra, les maladies respiratoires et la malnutrition sont endémiques.
Vous essayez de ne pas penser aux deux milliards de personnes qui vivent dans les régions les plus chaudes du monde, où, pendant plus de 45 jours par an, les températures montent en flèche jusqu'à 60°C (140°F), une température que le corps humain ne peut supporter, à l'extérieur, plus de six heures car il perd la capacité de se rafraîchir. Des endroits tels que le centre de l'Inde sont de plus en plus difficiles à habiter. Les migrations de masse vers des zones rurales moins chaudes sont assaillies par une multitude de problèmes de réfugiés, de troubles civils et d'effusions de sang à cause de la diminution de la disponibilité de l'eau.
Récoltes et alimentation imprévisibles
La production alimentaire varie énormément d'un mois à l'autre, d'une saison à l'autre, en fonction de l'endroit où vous vivez. Le nombre de personnes souffrant de la faim est plus élevé que jamais. Les zones climatiques ont changé, de sorte que certaines nouvelles régions sont devenues disponibles pour l'agriculture (Alaska, Arctique), tandis que d'autres se sont asséchées (Mexique, Californie). D'autres encore sont très perturbées en raison de la chaleur extrême, sans parler des inondations, des incendies et des tornades. Cela rend l'approvisionnement alimentaire en général très imprévisible. Le commerce mondial s'est ralenti, les pays cherchant à conserver leurs propres ressources.
Les pays qui disposent de suffisamment de nourriture s'y accrochent résolument. En conséquence, les émeutes de la faim, les coups d'État et les guerres civiles jettent au feu les plus vulnérables de la planète, ceux qui souffrent le plus de la chaleur. Alors que les pays développés cherchent à fermer leurs frontières face aux migrations massives, ils en ressentent eux aussi les conséquences. Les armées de la plupart des pays ne sont plus que des patrouilles frontalières fortement militarisées. Certains pays laissent entrer les gens, mais seulement dans des conditions proches de la servitude.
Ceux qui vivent dans des pays stables peuvent être physiquement en sécurité, oui, mais le bilan psychologique est de plus en plus difficile à supporter. Chaque fois qu'un nouveau point de basculement critique est franchi, ils réalisent que l'espoir s'évanouit. Il n'y a aucune chance d'arrêter le réchauffement incontrôlé de notre planète et il ne fait aucun doute que nous nous dirigeons lentement mais sûrement vers une sorte d'effondrement. Et pas seulement parce qu'il fait trop chaud. La fonte du permafrost libère également d'anciens microbes auxquels les humains d'aujourd'hui n'ont jamais été exposés et auxquels ils ne résistent donc pas. Les maladies propagées par les moustiques et les tiques se multiplient à mesure que ces espèces prospèrent dans le climat modifié, se répandant dans des régions de la planète auparavant sûres, nous submergeant de plus en plus. Pire encore, la crise de santé publique liée à la résistance aux antibiotiques n'a fait que s'intensifier, la population s'étant densifiée dans les zones habitables et les températures continuant à augmenter.
La disparition de l'espèce humaine est de plus en plus discutée. Pour beaucoup, la seule incertitude est de savoir combien de temps nous allons encore vivre, combien de générations supplémentaires verront la lumière du jour. Les suicides sont la manifestation la plus évidente du désespoir qui règne, mais il y a d'autres indications: un sentiment de perte sans fond, une culpabilité insupportable et un ressentiment féroce envers les générations précédentes qui n'ont pas fait le nécessaire pour conjurer cette calamité imparable.»
Ceci est un extrait de "The Future We Choose: Surviving the Climate Crisis" (Le futur que nous avons choisis: Survivre à la crise climatique) de Christiana Figueres et Tom Rivett-Carnac.
Mohamed Larbi Bouguerra
(1) Lire dans Le Monde Diplomatique (mars 2020) l’article de Sonia Shah qui montre d’où viennent les coronavirus : «Contre les pandémies, l’écologie» (p. 1 et 21).
(2) La traduction en français de cet ouvrage est prévue pour mars 2020 chez Albin Michel à Paris sous le titre : «Inventons notre avenir.»
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