Le djihadisme en Afrique du Nord-Sahel : un éclairage nouveau
C’est un fait reconnu : ceux qui s’intéressent à la politique des pays arabes sont souvent des citoyens arabes et par conséquent leur analyse est rarement froide. L’auteur, Djallil Lounnas est Algerien. Il ne faillit pas à cette règle. Professeur de relations internationales à l’université Al Akhawayn d'Ifrane, il commence dans son livre Le djihad en Afrique du Nord et au Sahel-D’AQMI à Daech, par examiner, dès l’Introduction du premier chapitre, les racines de l’islamisme radical au Maghreb en partant de la guerre civile en Algérie.
« Le 11 avril 2007, pour la première fois de son histoire, l’Algérie était frappée par une vague d’attentats suicides. Le même jour, Abdelmalek Droukel, alias Abou Moussab Abdelwadoud, chef d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) signait un communiqué déclarant : « Les enfants d’Okba et de Tarek sont de retour… ». Ainsi, pour légitimer son combat, s’y référait-il aux sources de la conquête islamique du Maghreb avec une volonté affichée de revenir aux valeurs originelles de l’Islam au Maghreb, autrement dit, à ses valeurs constitutives. » (p.19)
Cetouvrage qui décrit si minutieusement à la fois l’émergence et l’antagonisme des groupes djihadiste en Afrique du Nord et au Sahel, reflète le savoir de l’auteur. Comme sa méthodologie de recherchese base sur la recherche objective, la citation introductive se veut simplement le premier point de départ des violences djihadistes. En effet le 11 avril 2007 est, selon l’auteur,la première des quatre dates balisantla triste trajectoirequi a endeuillél’Afrique du Nord et leSahel. Les trois autres sont :
- Le 16 janvier 2013 : L’attaque du site algérien gazier d’In Amenas par le groupe jihadiste ‘Les signataires par le sang’.
- Fin juin 2014 : A la suite de la proclamation du califat par l’organisation Etat islamique, Abdelmalek Gouri, chef d’une brigade dissidente de d’AQMI, annonce la création de ‘Jund Al Khalifa’ et son allégeance à l’EI.
- Février 2015 : « Dans une mise en scène dramatique, l’EI en Libye assassina sur une plage 21 coptes égyptiens… » (p.20)
L’Introductionest, en vérité, un secondsommaireabrégé du premier chapitre :
« Comment en est-on arrivé là ? Comment expliquer la perte d’hégémonie d’Al-Qaïda sur la mouvance djihadiste ? En quoi les idéologies d’Al-Qaïda et de l’EI diffèrent-elles ou non ? Que reste-il, aujourd’hui, d’Al-Qaïda en Afrique du Nord ? Comment s’explique l’émergence de Daech ? Qui sont ces groupes armés qui menacent l’ensemble de la région Afrique du Nord et du Sahel et par-delà l’ensemble de la région méditerranéenne ? Comment évaluer les réactions de tous ces différents Etats qui, bien que confrontés à la même menace, ne semblent toujours pas prêts à coopérer son élimination ?
C’est à toutes ces questions que nous nous efforcerons de répondre… » (p.26)
L’ouvrage est volumineux (276 pages). Il compte trois grandes parties : ‘Les fondements du djihadisme en Afrique du Nord-Sahel’, ‘Al-Qaïda au Maghreb Islamique : son ascension (2007-2014)’ et ‘L’échec d’AQMI et l’émergence de Daech (2014-2017)’. La ligne directrice semble bien tracée, s’agissant surtout d’expliquer l’apparitiondes divers groupes djihadistes en Afrique du Nordpuis leurs tentatives de servir sous la seule bannière d’AQMI, et l’ascension de cette dernière à partir de 2007, avant de souligner ensuite l’émergence de l’EI et les dynamiques de rivalités avec AQMI.
Bien que la majeure partie de l’ouvrage soit concentrée sur l’Algérie, l’auteur ne manque pas de s’intéresser à la Tunisie :
« Le lien avec le mouvement djihadiste, précise-t-il, et spécifiquement avec la Qaïda en Tunisie datait des années 80, après le départ de nombreux Tunisiens vers l’Afghanistan » (p.176).
Relativement épargnée par les djihadistes durant les années 1990, la Tunisie fut frappée par AQMI en 2002 lors de l’attentat contre la synagogue de Djerba. L’effondrement du régime de Ben Ali, et la libération de plusieurs centaines d’islamistes radicaux, ajoutés à l’affaiblissement de l’appareil sécuritaire, et l’essor du trafic d’armes en provenance de la Libye, trois générations de djihadistes (celle des Tunisiens revenus d’Afghanistan, celle des Tunisiens anciens combattants d’Irak, enfin celle des jeunes Tunisiens radicalisés de la période post 2011) , encadrées par certaines figures emblématiques, formèrent ‘Ansaral-charia’, laquelle organisation « sera très vite à l’origine de plusieurs actes de violence… » (p.177).Un grand nombre de Tunisiens issus de cette organisation se joindront en 2012 à la katibat‘Okba Ibn Nafaa’envoyée par l’Algérien Droukel dans la région du mont Chaambi et qui fut responsable de plusieurs attaques meurtrières.
La conclusion du livre,intitulée :’La mouvance djihadiste maintenant : Quelles perspectives’ ? n’est pas pour nous rassurer :
« L’Afrique du Nord et le Sahel sont devenus ces dernières années les principales terres de djihad des groupes issus d’Al-Qaîda et de l’EI. La multiplication, non seulement des foyers djihadistes dans la région, mais également la circulation d’autres groupes non-étatiques, notamment dans le Sahel, soulève la question de l’avenir politique et stratégique de la région et des moyens de les combattre efficacement ». (p.253)
Le Jihad en Afrique du Nord et au Sahel « fruit de sept longues années de recherches et de plusieurs dizaines d’interviews conduites en Afrique du Nord et au Sahel » (p.11) est un éclairage nouveau, un ouvrage à lire et à relire car, comme le souligne dans la préface J.F. Daguzan : « Celui qui voudra savoir à quoi ressemble la scène djihadiste en Afrique du Nord et au Sahel, et connaître un peu mieux l’ennemi présent et à venir, devra avoir lu le livre de Djallil Lounnas ». (p.16)
Djallil Lounnas, Le djihad en Afrique du Nord et au Sahel- D’AQMI à DAECH, L’Harmattan, Paris, 2019.
Rafik Darragi
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