La Tunisie et la conduite de la politique monétaire : que de défis à relever
La résurgence des tensions inflationnistes, depuis le début de 2017, a été constamment un sujet de préoccupation pour la Banque centrale de Tunisie, dont le mandat consiste à veiller à la préservation de la stabilité des prix. En effet, le taux d’inflation qui a été en moyenne de 3,6% en 2016, est passé à 5,3% en 2017 puis à 7,3% en 2018, enregistrant un plus haut niveau de 7,7% en juin de la même année.
Pour faire face à l’exacerbation des tensions sur les prix, la Banque centrale a resserré sa politique monétaire, en augmentant le taux directeur à cinq reprises entre avril 2017 et février 2019, pour un total de 350 points de base, en moins de deux ans[1], le portant de 4,25% au début de 2017 à 7,75% actuellement. Ce durcissement de la politique monétaire a eu comme première conséquence, de faire revenir les taux d’intérêt réels en territoire positif, permettant de réhabiliter le taux d’intérêt comme instrument privilégié de la politique monétaire considérant son impact sur la demande, d’une manière générale, et sur la consommation, en particulier.
Quoique persistant à des niveaux relativement élevés, le taux d’inflation a connu, en 2019, une détente graduelle, revenant d’un plus haut de 7,3 % (en février 2019) à 6,7% en août. Cette accalmie est due, dans une large mesure, au resserrement de la politique monétaire qui a fortement impacté les crédits à l’économie (5,8% en glissement annuel, à fin juin 2019, contre 11,4% une année auparavant), limitant le pouvoir des banques à créer de la monnaie. Faut-il souligner que la décélération a essentiellement impacté les crédits à la consommation, tandis que les crédits aux professionnels ont été plus résilients. En outre, le resserrement de la politique monétaire a également permis un retracement du taux de change du dinar qui s’est apprécié, surtout à partir du mois de mars 2019, avec tous les bienfaits induits sur la balance courante, le volume de refinancement, les paramètres de la dette, et fondamentalement sur l’inflation.
Il y a lieu de préciser, à cet effet, que le volume de refinancement qui était de 15.883 MDT à la fin de l’année 2018, et qui a atteint son plus haut niveau au début du mois de mai 2019 (16.912 MDT), a nettement reculé pour s’établir à 11.921 MDT à la fin du mois de septembre 2019. Ce net repli est dans une large mesure attribuable à l’appréciation du taux de change du dinar, mais également des effets induits par le ratio crédits/dépôts introduit par la Banque centrale, à la fin de 2018, dans le but de limiter la prise excessive de risques par les banques, et notamment le risque de transformation.
Du côté de la croissance, la période post-Révolution a été caractérisée par la morosité de l’activité économique. En effet, le taux de croissance économique qui était généralement entre 4% et 5%, avant 2011, a beaucoup baissé pour s’établir en moyenne à 1,8% sur la période 2011-2018 ; un taux très faible au regard des nombreux défis notamment en termes d’emplois et de résorption du chômage.
Bien qu’encore faible, le taux de croissance économique enregistré en 2018 (2,5% contre 1,9% en 2017) s’avère de meilleure qualité puisque l’activité a été fondamentalement tirée par les activités marchandes (notamment le secteur du tourisme et des activités connexes) contrairement aux années antérieures, au cours desquelles ce sont les activités non marchandes (salaires dans le secteur public) qui auraient tiré la croissance. Pour 2019, le taux de croissance du premier semestre s’est situé à 1,1% en glissement annuel, pénalisé par la faible performance du secteur agricole (comparativement à la même période de l’année précédente avec la campagne huile d’olive record) mais également par la persistance des difficultés dans les secteurs extractifs (mines et pétrole) et dans les secteurs orientés vers l’exportation (surtout IME et THC) considérant la morosité de l’activité dans la Zone Euro, le principal partenaire commercial de la Tunisie. Toutefois, la deuxième moitié de l’année profitera de la bonne performance de la campagne céréalière (24 millions de quintaux) et de l’entrée imminente en activité du champ gazier Nawara, dont la production pourrait couvrir jusqu’à 17% des besoins du pays en gaz, permettant ainsi de réduire l’importation de ce produit, et par conséquent de comprimer le déficit commercial.
L’amélioration de l’activité économique demeure tributaire de l’amélioration du climat des affaires qui est très sensible à ce qui se passe sur la scène politique, sécuritaire et sociale. Sans l’amélioration du climat des affaires, on ne pourrait espérer faire revenir en force l’investissement notamment étranger, dont notre pays, qui a connu depuis 2016, une véritable phase de désindustrialisation, a tant besoin pour relever le défi de l’emploi et pour booster la création de richesses et l’exportation, car in fine, notre pays souffre, fondamentalement, d’un problème d’offre.
Bien que mandatée par le législateur de lutter prioritairement contre l’inflation, la Banque centrale est tout à fait consciente de la délicatesse de la situation économique dans laquelle évolue le pays. Grâce à sa politique monétaire proactive, elle a pu agir significativement sur l’inflation et ses efforts se poursuivent, dans ce sens. Néanmoins, les risques qui guettent le pays peuvent aller au-delà du spectre de la politique monétaire et toucher des considérations de stabilité financière, avec les difficultés par lesquelles passent certains secteurs, et/ou certaines filières.
D’ailleurs, pour soutenir les investissements productifs, la Banque centrale a mis en place, vers la fin de l’année 2018, une nouvelle fenêtre de refinancement à 6 mois pour booster l’activité économique et canaliser le crédit vers les secteurs pourvoyeurs de richesses et de valeur ajoutée. Mais il est clair que la Banque centrale ne peut pas faire cavalier seul face aux nombreux défis, notamment en termes de croissance, d’investissement, de création d’emplois, d’exportation. L’appui du Gouvernement est fondamental pour parachever la phase « d’atterrissage » et préparer dans les meilleures conditions « un redécollage » vers de meilleurs auspices, de nature à installer dans la durée une croissance saine, durable et surtout non inflationniste.
Une meilleure coordination des politiques macroéconomiques (policymix), l’engagement de réformes structurelles courageuses et le renforcement de la diplomatie économique sont les piliers de cette croissance désirée. Pour ce faire, il y a lieu de remédier, de toute urgence, à la situation des entreprises publiques accablées par de nombreuses années de mauvaise gouvernance, d’assouplir les conditions d’accès au marché de l’emploi, de remédier à la situation délicate des caisses sociales, de mener jusqu’au bout la réforme des subventions (afin de migrer d’un système de ciblage des produits à un système de ciblage des revenus), d’entamer la restructuration du système bancaire afin de conférer à ce dernier plus d’efficacité dans le financement de l’économie et de réhabiliter le marché financier dans son rôle de moteur de croissance.
[1] C’est ainsi que le taux directeur a été augmenté en avril 2017 (50 pb), mai 2017 (25 pb), mars 2018 (75 pb), juin 2018 (100 pb) et février 2019 (100 pb)
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