Habib Touhami: Au temps glorieux de “Sawt el Arab” et du panarabisme
Il fut un temps où une radio du Caire appelée «Sawt el Arab» (la Voix des Arabes) était écoutée religieusement d’un bout à l’autre du monde arabe. Son prestige dans les années cinquante du siècle dernier et jusqu’à la défaite de 1967 était tel qu’un colonel de l’ALN (Armée de libération nationale algérienne), Salah Boubnider, pour ne pas le nommer, s’était donné le pseudonyme de «Colonel Sawt el Arab». La «Voix des Arabes» était évidemment affidée à Jamal Abdel Nasser et lui servait d’instrument de propagande, voire d’intimidation. Aucun dirigeant arabe de l’époque ne pouvait dormir tranquillement s’il était dans le collimateur de «Sawt el Arab», pas même les dirigeants maghrébins. Néanmoins Bourguiba, Mohamed V et les chefs de la révolution algérienne (notamment les 3 B que Nasser détestait) réussirent à limiter les dégâts et à contrecarrer les menées hostiles des services secrets égyptiens (Moukhabarat).
Bien que plusieurs considérations objectives aient pesé (proximité du territoire algérien, facilités diplomatiques, acheminement des armes vers les wilayas, construction d’hôpitaux et de centres de soins pour les blessés et les réfugiés, gestion des camps d’entraînement, exploitation des stations d’écoute, etc.), le déménagement du siège du Gpra (Gouvernement provisoire de la République algérienne) du Caire à Tunis procéda dans une certaine mesure de la volonté d’indépendance des Algériens vis-à-vis de Nasser à l’heure où celui-ci se présentait comme le champion indépassable du panarabisme arabe (الوحدة العربية, el-wehda el-arabiyya). La révolution algérienne attendait aide et soutien de tous les régimes arabes, sans distinction, alors que Nasser les avait divisés arbitrairement entre «réactionnaires» et «révolutionnaires».
Toutefois et quand elles pouvaient s’exprimer librement, les foules arabes du Cham et d’Irak remplissaient les rues pour exiger l’unité arabe immédiate. A Bagdad, les foules scandaient «Nrid al wehda baker baker, waya al asmar Abdennasser», comprenez «on veut l’unité dès demain avec le brun Abdennasser». Pour elles, il n’était question que de rêve d’unité et de fierté arabe retrouvée après des siècles de domination étrangère, ottomane d’abord, européenne ensuite. Pourtant et bien avant le coup d’Etat des «officiers libres» de 1952 en Egypte, la nationalisation du canal de Suez, l’échec de l’expédition militaire tripartite de 1956 conduite par la France, le Royaume-Uni et Israël et l’émergence de Jamal Abdel Nasser comme chantre du nationalisme arabe, il y a eu ce qu’on appela au Machrek la grande révolution arabe de 1916-1918, premier signe d’un panarabisme en gestation.
Mais la «grande révolution arabe» n’a jamais réussi à essaimer en dehors d’une zone limitée du monde arabe. Ses échos ne sont pas parvenus au Maghreb par exemple ou si peu. La raison est que la «grande révolution arabe» est restée foncièrement tribale. Elle manquait aussi de substrat idéologique, de cadres compétents, de militants aguerris, de soutien politique et diplomatique et plus encore d’armes et de troupes formées et disciplinées face aux deux plus grandes puissances impérialistes du moment. Le terrain de manœuvre lui-même, un espace déboisé et sans grand relief dans l’ensemble, ne se prêtait pas à la guérilla et à l’embuscade mais à l’utilisation de l’artillerie lourde et l’aviation, voire à l’arme chimique, interdite pourtant.
Habib Touhami
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