News - 19.08.2019

Moncef Boussabah : Plaidoyer pour la création d'une autorité nationale de l’eau et de l'environnement

Moncef Boussabah : Plaidoyer pour la création d'une autorité nationale de l’eau et de l'environnement

Cet article a été mis en ligne sur notre site le 26 avril 2019. Nous le reproduisons ce-après parce qu'il éclaire de matière très nette un sujet dont on n'a jamais autant parlé que pendant cet été : l'eau.

1/De l’aqueduc de Zaghouan aux jessours du Dahar 

Si les guerres se préparent en temps de paix « si vis pacem para bellum » , pratiquer la politique du robinet relève aussi de l’inconsistance politique ….La politique, ce terme galvaudé depuis toujours est-elle l’enfant illégitime de l’économie ou plutôt c’est l économie qui permet de justifier une politique quelle qu’elle soit ? Ce qui se passe aujourd’hui dans le monde confirme bien ce phénomène de la prédominance de l’économie et les leçons viennent tous les jours d’une ASIE  qui de nain politique est en train de se faire une place en qualité de géant économique et ce en attendant qu’elle finisse par imposer ses diktats, parole d IBN KHALDOUN…… or peut-on avoir une économie viable sans disposer de ressources en eaux de qualité et suffisantes ?

Ce préalable définit le cadre de ce texte consacré à  ce secteur vital qui a fait que notre région a donné son nom à tout un continent , L' IFRIGUYA , sorte d’ EDEN pour les nomades qui venaient s’y ressourcer après avoir traversé un SAHARA austère par lequel passe l’isohyète 0 – courbe caractéristique de la pluie –et qui ont longtemps pratiqué les meilleures techniques d’économie d’ eau avant l’ heure .

Si on considère que l’ Egypte  est un  don du Nil , L’ Afrique du Nord coupée du reste du continent par cet océan de sable , est multiple et diverse et on peut considérer que sa partie EST  est assez représentative de sa géographie et de son patrimoine hydrographique , la Tunisie  qui doit son nom à celui de sa capitale, ce site abrité et protégé ou venaient « prendre du repos » les corsaires qui sillonnaient La éditerranée à longueur d’année , avant que les felouques de la mort ne viennent en perturber la sérénité….

Car faut-il le rappeler, depuis la nuit des temps et autant que l’on remonte le cours de l’histoire, du nord au sud voire à l’extrême sud, le pays était habité et qui dit présence humaine dit proximité de ressources hydriques …. D’autant  plus que plusieurs villes et villages ont une toponymie hydrique à l’image de « TATAouine » , TATA  signifierait source en berbère , comme « AWA » veut dire « eau » en plusieurs langues …..

On trouve encore partout dans le pays  des traces d ouvrages hydrauliques de différentes natures et de différentes tailles : Des modes de stockage divers et variés, les aqueducs, les Jessours,les majels,  les puits , les partiteurs du SUD etc. ….

Tout un travail d archéologue est à entreprendre et un catalogue d'ouvrages existants est à réaliser d’autant plus que certaines techniques sont toujours d’actualité et sont même enseignées dans les universités des pays arides – Australie par exemple -, notamment tout ce qui concerne la mobilisation des eaux de surface dans le SUD TUNISIEN, ouvrages qui contribuent d’une certaine manière à l'amélioration des conditions climatiques desdites régions.

D’un autre point de vue la diversité hydro-géomorphologique du pays en a fait une sorte de laboratoire a ciel ouvert pour les experts de l eau : la pluie varie de 1400 an NORD à moins de 60mm au  SUD avec des pointes d’intensité cycloniques et de longues périodes d’aridité n’obéissant a aucun cycle …

2/ De Tixeron a Ben Osmane en passant par Robert Scemama

L’arrivée de la colonisation a continué à développer la structuration  du secteur de l’eau notamment au sein du MINISTERE DE LA COLONISATION et la mise en place d’une base de données par les mesures de quasiment tous les paramètres hydrauliques de ce pays semi aride:

  • de la pluviométrie, des intensités de pluie et des débits des oueds importants ; par exemple a TUNIS le pluviomètre de SAIDA MANOUBIA A été installé en 1870
  • du niveau des nappes et de la localisation des puits ;
  • De la qualité de l’eau etc….

Et si la base de données était consistante au NORD - notamment le bassin versant  de la MEDJERDA , ossature du système hydrologique du pays - , elle  l’ était nettement de moins en moins au fur et à mesure que l’on allait vers LE SUD, dû essentiellement à l’ aléatoirité accentuée des phénomènes climatologiques qui font qu’une même région peut recevoir en 48h la pluviométrie d’une ou plusieurs années, et l’année 69 en a été l’un des plus beaux exemples et plus récemment la tornade qui s’ est abattue sur Medenine

Le développement de la colonisation a entraîné l’augmentation des besoins en eaux et la caractéristique générale du pays était que les sites des ressources et ceux des besoins étaient généralement éloignées les uns des autres : par exemple à partir du début du 20 ieme siècle SFAX  était alimentée à partir des ressources en provenance des champs aquifères de Sbeïtla  a 160km ; ce n’ était qu’une continuation du même concept de transfert  qui avait fait a l époque romaine avec l aqueduc de Zaghouan sur une cinquantaine de kilomètres et aujourd’hui Sfax boit de l’eau qui a fait plus de 500km avant d’arriver au consommateur  …..

Quelques barrages furent construits avant l’indépendance et l’eau était essentiellement destinée aux quartiers dits « français » et le principal avantage c’est qu’à l'indépendance toutes les archives, cartes et documents sont restés dans nos archives - j'ose espérer qu’elles ont été toutes numérisées - …..Par exemple on trouve les pluies journalières à Tunis  de la fin DU XIXieme siècle et les hyétogrammes  du début de XXIIème siècle ! Et les notes de TIXERON sont un délice ! et les cartes de toutes natures un trésor inestimable …..

A L'independance, parmi les principaux objectifs de L’ ETAT dans le domaine bien spécifique de cette ressource on citera :

  • enseignement+logement en priorité et de préférence équipés d’eau et d électricité 
  • indépendance maximale alimentaire par le développement de l irrigation, en plus des zones de cultures en sec qui continuent à dépendre des aléas climatiques dont les principaux sont les céréales et la production oléicole qui posent d autres problèmes notamment de stockage pour les céréales …..

Toute cette politique volontariste a demandé la mobilisation des moyens humains et matériels  a l'échelle nationale et régionale et ensuite et surtout la réalisation de plusieurs études à différents niveaux et ce durant pratiquement les vingt premières années de l’ indépendance, ce qui s’est matérialisé par la création de départements dont l’organisation était aussi bien adaptée aux besoins des projets qu’aux cadres et staff disponibles.

Durant cette période et durant les décennies qui ont suivi, la mobilisation des ressources en eaux s’est accélérée par  la construction des barrages, des retenues collinaires, la réalisation de forages, la mise en place de systèmes de transport et de transfert et ensuite par la mise en place des systèmes d’assainissement urbain et aussi de protection contre les inondations des villes dont l’extension rapide dépassait les consignes des SDA ou des PAU souvent dépassés avant même leur mise en œuvre.

De ce fait la distribution d eau potable ( AEP) et agricole s’est généralisée et on peut dire qu’à l’horizon 2000 plus de 90% des ressources de surface étaient mobilisées et la majorité des ressources souterraines identifiées et notamment les puissantes nappes fossiles du SUD et les objectifs atteints puisqu’on peut considérer qu’ environ 90% de usagers étaient desservis .
Il faut donner quelques chiffres qui montrent l’importance des tâches effectuées en une cinquantaine d'années  qui représentent un investissement qui doit dépasser quelques années de budget National et permettent de constater qu’a ce jour  :

  • LA SONEDE  assure l'AEP  de 5 à 7 millions d habitants du monde urbain, des 250 000 lits touristiques , de plus de 2000 ha de zones industrielles ……
  • Les CRDA  assurent l’ AEP de plus d'un million d habitants dans le milieu rural éparpillés entre une série de centre ruraux à travers des GDA  a la structure hésitante
  • LE GR et les CRDA  essaient d’assurer la desserte de plus de 400 000 ha de périmètres publics  irrigués dont la majorité demande une réhabilitation profonde

On assista en fonction de cette disponibilité de l’ eau et de l’ amélioration générale du cadre de vie à des changements d’habitudes  dont la consommation effrénée d’ eau minérale qui semble atteindre le milliard de bouteilles par an – une moyenne d’une bouteille par jour par famille – ainsi que l’arrivée d’une nouvelle ressource générée par les STEP de l’ ONAS – dernier née des structures de gestion de l’eau urbaine – représentant de plus de 400 millions de m3 d’eau épurée de qualité inégale …..L’équivalent d’un gros barrage dont l’utilisation reste à ce jour incertaine ….

3/ Le développement des problèmes et les problèmes de développement

A l’usage on peut constater que ces réalisations ont généré des problèmes et on a vu apparaître des  dysfonctionnements des systèmes mis en place , problèmes qui ont contribué à leur lente dégradation sans aucune mesure avec les durées de vie espérées et ce indépendamment des erreurs stratégiques qui ont accompagné leur conception de base , phénomènes dont on ne maitrisait ni l’origine ni les conséquences directes et indirectes dont certaines aujourd’hui sont devenues quasiment irréversibles ……et pour n’en citer que la plus flagrante : l’envasement des barrages et des retenues collinaires et autres ouvrages de stockage et amortissement : il nous est arrivé de constater un envasement de 100% dans certaines cuvettes du NORD.

Car durant toutes les premières décennies de l’indépendance il fallait investir, construire , créer de préférence de grands ouvrages avec la bénédiction des organismes de financement souvent frileux et longtemps méfiants envers ces nouveaux dirigeants inexpérimentés mais essentiellement dévoués, les inaugurer, ensuite, ensuite  le management suivra…..

Cette approche est valable pour l’ensemble des systèmes mis en place sauf peut être pour deux structures puissantes et efficientes : LA SONEDE  et l ONAS équipés d’une manière conséquente pour mener d’une manière efficiente leurs prérogatives, et ces deux organismes sont gérés intégralement par des cadres et personnel national …ce qui ne manque pas d'attiser les envies internationales anthropophages…..

Et dans une  énumération préliminaire nous avons dressé un premier check List de la problématique rencontrée par le domaine de l’eau : 

• Institutionnelle: l’eau est gérée par une multitude de structures nationales, régionales et locales qui parfois se télescopent : à priori environ plus de 50 administrations et services s’occupent d’eau d’une manière ou d’une autre et ce dans plusieurs ministères

• Juridique: nous citerons deux exemples représentatifs de la situation du secteur

  • Le code des eaux reste squelettique et par exemple  on ne sait quoi faire des eaux pluviales et des eaux traitées ni des sebkhas et chotts  qui s’avèrent être des milieux écologiques très riches,
  • La notion de Perimetres publics irrigues –PPI-  n’ a aucun sens , l agriculteur exploite une terre qui ne lui appartient pas……..

• Organisationnelle: il n y a à ma connaissance aucune coordination entre par exemple les projets SONEDE et ONAS voire DHU , et souvent deux CRDA voisins utilisent des chiffres différents etc..sans parler des guerres sourdes que se livrent des services centraux : l’un conçoit un barrage et l autre des CES  mais chacun de son coté et chacun a sa méthode  !

Environnementale on ne peut parler d’eaux sans parler d’environnement et ce à toutes les étapes du management de cette ressource : a ce sujet il serait intéressant d’étudier le fonctionnement de la puissante  EPA  américaine, cette NSA  de l’environnement américaine

• Sociale et communication:

  • Au point de vue social, nous avons déjà signalé plus haut la problématique des PPI laquelle commence a avoir des conséquences néfastes – les héritiers de l’agriculteur qui s’est vu affecter quelques ha ne sont pas intéressés à prendre la suite et évidement émigrent et quittent l'agriculture vu qu’ils ne possèdent rien
  • La problématique de la com. !  il n y a à notre connaissance aucune communication sur ce produit vital, et par exemple  actuellement d une part l’eau de la SONEDE  est en train d avoir une mauvaise image de marque pour des raisons que je n’arrive pas à cerner  – ce qui explique l’explosion de la consommation d’eau minérale - et  d'autre part l'eau épurée n’est toujours pas utilisée selon les règles de l’art ; quand aux forages illicites qui épuisent la nappe ils se comptent par milliers surtout après le 14 janvier : la COM’  n est pas encore le fort du secteur . 

• Technique : compte tenu du fait  qu’il s agit d’ une science ou les coefficients pullulent – un bon millier sont utilisés dans les projets – et que beaucoup de pays normalisent et standardisent  ,alors que nous réinventons le monde a chaque projet ; la multiplicité des intervenants dans notre pays a fait de telle sorte que les problèmes sont nombreux et diversifiés et je voudrai au moins en citer un certain nombre qui me viennent à l esprit

  • L’ absence d une base de données nationale ,ou plutôt l’ absence d’une base unifiée
  • L’absence d’approches scientifiques homogènes pour le dimensionnement des ouvrages de différentes natures,
  • L’absence d’une vision technique pour la rénovation des ouvrages et parmi eux la problématique de l envasement des barrages qui est la plus inquiétante : un m3 de vase c est un m3 d eau irremplaçable!
  • La gestion des sebkhas  et des interfaces terre mer
  • La réutilisation des eaux épurées
  • La tarification de la ressource qui prête a confusion et reste marginale : en plus de la SONEDE , il y a autant de tarifs que de GDA ……
  • Etc …..

ET

• Conceptuelle : ce terme concerne le fait que aussi bien les autorités nationales que les bailleurs de fond ont négligé une composante qui a fait l optimisation de l’ utilisation de cette ressource durant des siècles : la petite hydraulique , qui aurait pu faire un lien solide et efficient entre les différentes composantes des grands ouvrages existants menacés aujourd’hui dans leur essence , et la question qui se pose est de savoir « es ce rattrapable » ? …….
Tous ces éléments convergent vers une situation de crise qui va en s’accentuant vu l’augmentation des besoins et la réduction des capacités naturelles  de stockage …et aussi l’incohérence dans la gestion des différentes natures de ressources : eau de surface, souterraine, épurée, minérale …..à laquelle les experts ajoutent la vulnérabilité au changement climatique ……

4/ Essayer de voir loin ……et es ce qu' il  y a des solutions a suggérer

S’inspirer et inventorier les expériences des pays similaires et raisonner en termes de sécurité nationale pour tout ce qui concerne cette ressource : à ce sujet les USA  semblent être le mieux organisés dans ce domaine et le BUREAU OF RECLAMATION  qui gère les barrages dépend du MINISTERE DE L INTERIEUR ! faut il rappeler que les USA ont financé la première étude sur le secteur de l’eau en TUNISIE il y a une quinzaine d années et ce pour le compte du Ministère de l'Agriculture  qui a mon sens ne saurait être juge et partie ….et surtout arrêter de faire du copier coller  quand on analyse ce qui se fait ailleurs ….

• Faire évoluer lentement et sûrement la situation actuelle laquelle reste dépendante de mécanismes figés et obsolètes et aux engrenages quasi rouillés qui impactent le secteur : identifier qui fait quoi, délimiter les responsabilités de tout un chacun et analyser  toute la législation nationale et internationale disponible, taches qui peuvent relever des travaux D’HERCULE ……

• Considérer que l’eau quelle que soit sa source est l’équivalent d’ une monnaie qui ne peut être utilisée  qu’ en tant  que telle par les différents récipiendaires pour faire fructifier leurs biens et qu’elle demande que soient centralisés ses  mécanismes de gestion au sein d’une Banque Centrale de l’Eau  qui fixerait les règles de management de   cette ressource et l’affecte selon les priorités nationales, régionales voire locales  , cette structure sera  supra nationale et intégrera la création et la mise en place d’une base de données nationale –Accéssible ?- qui regrouperait toutes les interventions faites dans le dit domaine , les données, les études , le check list des ouvrages , leur SIG, etc … Cette base donnerait un état des ressources et de leur localisation en temps réel , la banque centrale fixerait les règles de création de management et d’exploitation  des projets durant toute leur durée de vie espérée 

• Chercher a assurer le  regroupement de toutes les structures qui gèrent cette ressource et la protègent au sein d’une  autorité  nationale de l’eau et de l'environnement qui assurerait le lien entre les commanditaires aval et les recommandations de la Banque Centrale de l’Eau. Les structures type ministère de l agriculture deviendront des utilisateurs de la ressource et non plus les gestionnaires ….

Tout cela demandera du temps
des moyens humains et matériels
et surtout
une volonté politique de fer ……

Moncef Boussabah
Fait a Tunis le vendredi 26 avril 2019

NB ce document est une réflexion globale réalisée à l’aimable attention de MONSIEUR LE PRESIDENT DE L ITES  , les chiffres sont cités pour  mémoire , sa diffusion est restreinte et son contenu n’engage que son auteur.
 

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