News - 26.07.2019

Béji Caïd Essebsi : Faire la part des choses

Béji Caïd Essebsi : Faire la part des choses

Par Dr Mohamed Salah Ben Ammar - Il y a un temps pour tout. Le temps du recueillement impose des règles non écrites mais largement partagées. Gare à celui ou celle qui s’en écarte. Je dirai de façon expéditive nous glorifions la mort et les morts, du moins dans un premier temps, c’est culturel. La mort entraîne en nous une sorte d’unanimisme autour des qualités du disparu. A l’unisson la communauté se met spontanément à jouer une partition où les voix dissonantes sont inaudibles. Dans cette chorale les hypocrites sont souvent au premier rang. Le concert de louanges entendues après le décès du président Béji Caid Essebsi en est une illustration.

Evidemment le parcours de l’homme est exceptionnel, sa personnalité sort du lot, les historiens se chargeront plus tard de faire la part des choses dans son action dans l’édification de la Tunisie moderne et surtout dans sa contribution dans la transition démocratique depuis 2011. Certains le qualifieront de rusé, d’autres de pragmatique, mais personne ne peut contester son savoir-faire politique indéniablement c’était un homme d’Etat et surtout une personne attachante qui ne laissait personne indifférent. Début 2011, j’ai lu d’une traite son autobiographie. Il est à mes yeux l’incarnation de ces rares bâtisseurs d’après l’indépendance qui ont réussi, avec évidemment leurs qualités et leurs défauts.

Les plus anciens s’en souviennent, le grand Bourguiba alors au faîte de sa gloire, aimait régler quelques comptes en public lors de discours fleuves diffusés à la radio et à la télévision en directe. Un jour au parlement il a voulu égratigné le président Béji Caid Essebsi, celui-ci ne s’est pas laissé faire et en public, au parlement devant les caméras de télévision, il s’est levé et a interrompu Bourguiba pour démentir ses propos. J’ai eu l’occasion de rappeler cet épisode au président disparu qui m’a fait une leçon dont je me souviens encore. Il m’avait dit en substance que bien qu’il avait raison sur le fond qu’il regrettait d’avoir réagi ainsi. Tout Béji Caid Essebsi est dans cette façon d’aborder les problèmes. Tout en souplesse et l’Etat avant les personnes.

Il est entré dans l’histoire de la Tunisie comme un patriote, un grand serviteur de l’Etat et contrairement aux apparences un homme de conviction. C’était un Bourguibiste éclairé, son livre Habib Bourguiba le bon grain de l’ivraie en est si besoin est la preuve. De fait on l’oublie souvent, l’édification d’un Etat tunisien structuré, pérenne a été pour lui comme pour toute la jeune génération de Bourguibistes, Mongi Slim, Bahi Ladgham, Taieb Mhiri, Sadok Mkaddem, Ahmed Mestiri, Ahmed Ben Salah, Hassib Ben Ammar, Hédi Chaker, Mohamed Masmoudi, Mahmoud Messadi, Radhia Haddad, Chedli Klibi, Mondher Ben Ammar et d’autres, l’œuvre d’une vie. Rendez-vous compte la moyenne d’âge de la plupart de ces ministres (appelés alors Secrétaire d’Etat) était de 30 ans et le gouvernement comptait moins de 20 personnes. Le président Béji Caid Essebsi n’était pas que l’un d’eux, il était l’un des animateurs d’un courant de pensée qui malheureusement pour la Tunisie n’a pas été écouté par Bourguiba dans les années 70. Béji Caid Essebsi l’a payé cher comme le prouvent ses différentes traversées du désert.
Malgré les secousses que nous avons connues en 65 ans d’indépendance et même durant la parenthèse de la dictature de Ben Ali, malgré les disparités régionales et les injustices faites aux plus vulnérables, nous avons un Etat, il est loin d’être parfait mais il nous réunit autour d’une constitution, de textes de lois, d’institutions comme le parlement ou l’armée ou la justice. Les séquences des transitions aussi bien celle 2011 que celle de 2014 que encore ce 25 juillet, le prouvent et sont une fierté pour tout le peuple tunisien. L’annonce presque instantanée du décès du président, le président Mohamed Ennaceur qui prête serment 3 heures après pour assurer l’intérim à la tête de l’Etat, l’ISIE qui annonce la date des prochaines élections anticipées dans l’après-midi, ne boudons pas notre plaisir, c’est un signe de maturité. 
N’empêche que nous vivons aujourd’hui une étape cruciale de notre histoire. Nous sommes fiers de voir nos institutions fonctionner surtout dans les moments de crise. Encore une fois BCE y est pour beaucoup. Mais ne nous leurrons pas les fondements de cet Etat sont encore fragiles, ils sont régulièrement attaqués soit par idéologie, soit par opportunisme, soit par incompétence. Le défunt président avait perçu le danger. Il nous a averti à plusieurs reprises, sous différentes formes, il n'a pas été écouté par ceux qui nous gouvernent. Il a essayé à sa façon de limiter les dégâts. Vu le rapport de force que les élections de 2014 ont dégagé, plus que jamais je pense que cette approche était risquée. Mais que l’on soit d’accord ou non avec sa stratégie, il était le seul tunisien à avoir la légitimité du suffrage universel pour diriger le navire Tunisie. Ce n’est pas le cas d’autres qui ont des motivations moins nobles sans avoir la légitimité des urnes.  
Dr Mohamed Salah Ben AMMAR
 
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