La paille : Un coproduit de la céréaliculture essentiel pour l’élevage et l’agriculture

Par Ridha Bergaoui - Entre septembre 2024 et mi-avril 2025, la Tunisie a reçu 208 mm de pluie, soit 107 % de la moyenne habituelle, marquant une nette amélioration par rapport à l’an dernier (123,1 mm). Presque toutes les régions ont reçu plus que la moyenne, avec des hausses marquées dans le Centre et le Sud.
A côté d’une bonne récolte de céréales attendue, cette pluviométrie a favorisé une repousse exceptionnelle de la végétation, même dans les zones désertiques, après cinq années de sécheresse. Les éleveurs sont optimistes, car le cheptel bénéficie enfin de ressources fourragères abondantes, et ils n’ont pas besoin de s’inquiéter au sujet de la disponibilité et des prix du foin et de la paille.
La paille, ce sont des tiges sèches des céréales, laissées après la moisson. C’est un coproduit pauvre en éléments nutritifs mais riche en fibres. Elle ne doit pas être confondue avec le foin issu du séchage des plantes et cultivées pour leur valeur nutritive.
Une très bonne récolte de céréales en perspective
La récolte des céréales s’annonce prometteuse. Le Département américain de l’Agriculture (USDA) prévoit une production de 14,5 millions de quintaux, dont 11,8 millions de quintaux de blé et 2,7 millions d’orge, ce qui correspond à une récolte moyenne. À titre de comparaison, la campagne 2018-2019 avait été exceptionnelle avec 24 millions de quintaux, tandis que celle de 2022-2023 n’avait atteint que 6 millions. L’an dernier, la production était estimée à 13 millions de quintaux.
Le ministère de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche n’a pas encore publié d’estimations officielles. Toutefois, compte tenu de la bonne pluviométrie, tant en quantité qu’en répartition temporelle, et de l’état satisfaisant des cultures, on peut raisonnablement anticiper une récolte supérieure à celle de l’année précédente, et probablement aussi à celle estimée par l’USDA. Certaines avancent le chiffre de 20 millions de quintaux, une récolte tout à fait envisageable, sauf imprévu climatique.
La paille, un coproduit abondant et peu cher
Au-delà des grains, la récolte de céréales génère un coproduit essentiel pour l’élevage et l’agriculture: la paille. On peut estimer sa production à partir du volume des grains, le rapport paille/grain étant relativement stable, autour de 1, avec de légères variations selon les variétés, les conditions de culture, notamment la fertilisation azotée, et la date de semis (précoce ou tardif). En tenant compte des pertes au champ (chaumes, paille non ramassée), un rapport plus réaliste serait de 0,6 à 0,7.
Ainsi, avec une récolte attendue de 14,5 millions de quintaux de céréales, on peut estimer une production de 10 millions de quintaux de paille, soit environ 50 à 60 millions de balles de 20 kg.Cette année, grâce à l’abondance de la verdure naturelle, les éleveurs ont moins utilisé la paille pour l’alimentation animale. Par ailleurs, les effectifs des animaux tant bovins qu’ovins a diminué ces dernières années en raison de la sécheresse prolongée. De nombreux éleveurs bovins en hors sol, gros consommateurs de paille, ont déserté l’élevage pour manque de rentabilité. Ceci a entrainé une baisse sensible de la demande en paille et a laissé un reliquat important de la campagne précédente. La récolte des fourrages semble également prometteuse cette année et les éleveurs ont commencé déjà à emmagasiner de l’ensilage.
Tous ces éléments laissent envisager un excédent important de paille dont les agriculteurs ne sauront quoi faire. Il s’agira d’en tirer pleinement parti et de bien gérer cette ressource intéressante. Pour cela il est nécessaire de veiller produire une paille de qualité et bien la stocker.
Une paille de qualité
En Tunisie, la paille est généralement pressée en balles rectangulaires de 15 à 20 kg, mesurant environ 100 x 45 x 45 cm. Faciles à transporter et à vendre, elles sont largement commercialisées, notamment dans les régions céréalières du Nord, où les exploitants disposent de peu d’animaux. Des commerçants spécialisés achètent et stockent ces balles en grande quantité pendant la moisson pour les revendre, surtout aux éleveurs du Centre et du Sud, parfois à des prix élevés surtout en période de sécheresse. En Europe, on utilise surtout des balles rondes pouvant peser jusqu’à 450 kg. Elles présentent plusieurs avantages : meilleure résistance à la pluie, économies de main-d’œuvre, meilleure aération, mais nécessitent un équipement spécifique pour leur manipulation.Le choix de la ficelle pour lier les balles est crucial: elle doit être résistante, durable, et sécuritaire pour les animaux. Si le fil de fer était utilisé autrefois, il a été progressivement remplacé par des ficelles synthétiques en polypropylène, plus sûres et pratiques.
Une bonne paille doit répondre aux exigences suivantes:
• Séchage complet et bonne tenue de la balle
• Propreté: absence de poussières, terre, plantes indésirables et corps étrangers
• Pas de moisissures ni odeur de pourriture
• Bonne odeur de fraîcheur
• Bonne capacité d’absorption (notamment pour la litière)
La composition chimique varie peu entre les différentes pailles (blé dur, blé tendre ou orge), mais la paille d’orge est légèrement plus riche en minéraux et protéines, ce qui la rend plus intéressante sur le plan nutritionnel. La paille de blé, en revanche, est très prisée comme litière.
Conservation des balles de paille
La conservation des balles de paille dans de bonnes conditions est essentielle pour préserver leur qualité en vue d’une utilisation ultérieure, notamment comme fourrage ou litière. L’idéal est de stocker les balles sous un hangar couvert, à l’abri de la pluie et des intempéries. Ce mode de stockage garantit une protection maximale contre l’humidité et la dégradation. En l’absence de hangar, il est possible de stocker les balles à l’extérieur, en les couvrant avec une bâche bien attachée pour résister au vent et aux intempéries. Bien que cette solution soit moins coûteuse, elle présente un risque accru de pertes de qualité, notamment en cas de forte humidité ou de mauvaise protection.Le lieu de stockage doit être éloigné des zones humides (cours d’eau, zones inondables, eau stagnante), bien drainé et abrité des vents dominants. Ces réserves sont installées à proximité des bâtiments d’élevage afin de limiter les distances de transport au moment de l’utilisation. Selon les besoins, les meules peuvent contenir de 300 à 1 000 balles, en fonction de leur format et de l’espace disponible.
Il est crucial de surveiller régulièrement l’état des balles et de retirer immédiatement celles qui présentent des signes de moisissure ou de dégradation. Il faut aussi contrôler et combattre les rongeurs et autres nuisibles. Respecter également les consignes de sécurité incendie et souscrire, si possible, une assurance incendie.
Utilisation de la paille
La paille est un matériau polyvalent qui peut être utilisée dans de nombreux domaines comme la méthanisation et la production d’énergie, la culture des champignons, l’isolation des bâtiments, les constructions écologiques ou même l’artisanat, toutefois son utilisation en élevage et en agriculture reste dominante.
1/ Utilisation en élevage
- Utilisation comme litière
La paille procure confort et hygiène aux animaux (bovins, ovins, caprins). Elle isole du froid et de l’humidité, absorbe les urines et permet l’obtention d’un fumier de qualité, très utile pour la fertilisation des sols.
En aviculture, les éleveurs utilisent souvent des copeaux de bois, mais ces derniers peuvent être difficile à trouver, coûteux ou contenir des corps étrangers (clous, plastique…), dangereux pour les poussins. La paille hachée constitue une excellente alternative quand elle est disponible à un prix raisonnable. Elle peut également être utilisée sous les cages des poules pondeuses, pour absorber l’humidité, réduire la production d’ammoniac, faciliter l’évacuation des fientes et améliorer la qualité du lisier.
- Utilisation comme aliment
La paille est largement utilisée dans l’alimentation des ovins, surtout en périodes de disette. Toutefois, sa valeur nutritive est faible: elle est riche en fibres peu digestibles et pauvre en protéines. Le traitement à l’urée permet d’améliorer sa valeur alimentaire en augmentant sa teneur en azote. Cette technique, validée par la recherche, a été largement promue par l’Office de l’Élevage et des Pâturages à travers de nombreuses campagnes de vulgarisation.
2/ Utilisation de la paille en agriculture
La paille constitue un excellent apport de matière organique pour les sols, soit directement, soit via le compostage ou le paillage.
- Amendement au sol
La matière organique (MO) joue un rôle fondamental dans:
• La structure et la porosité du sol,
• La rétention d’eau,
• La résistance à l’érosion,
• Le recyclage des éléments nutritifs par les micro-organismes.
En Tunisie, la majorité des sols sont pauvres en MO (moins de 2 %), alors que le taux optimal se situe entre 3 et 5 %. La pratique de la monoculture, notamment du blé sur blé, sans rotation ni apport organique, épuise les sols et nuit aux rendements. L’introduction de fumier ou de paille dans ces systèmes permettrait:
• Une meilleure résilience face à la sécheresse,
• Une amélioration de l’efficacité des engrais minéraux,
• Des rendements accrus.
Les arboriculteurs sont généralement conscients de l’intérêt du fumier, certains pratiquent même l’élevage dans le but essentiel de produire du fumier. Les céréaliculteurs, en revanche, sont souvent moins impliqués dans cette démarche.
La matière organique peut être apportée sous forme :
• Fumier décomposé des litières : assimilation rapide des éléments nutritifs.
• Paille brute : se décompose lentement,
• Compost de paille (fumier artificiel) : excellent amendement à partir de la paille hachée, humidifiée et mélangée à du fumier ou des déchets organiques. Pour obtenir 1 tonne de compost, prévoir environ500–600 kg de paille, 300–400 kg de fumier et 100 kg d’eau. Un bon compost, riche en éléments fertilisants, sera prêt en 3 à 6 mois.
- Utilisation pour le paillage des cultures
Le paillage à base de paille est une pratique agricole simple et efficace, particulièrement utilisée dans les vergers et les potagers. Ses avantages sont nombreux:
• Apport de matière organique,
• Réduction de l’évaporation de l’eau,
• Limitation des mauvaises herbes,
• Amélioration de la structure du sol,
• Régulation de la température du sol.
Le paillage permet ainsi d’optimiser la croissance des cultures, tout en réduisant les besoins en eau et les interventions manuelles.
Une peur injustifiée mais compréhensible
Dans un communiqué en date du 8 avril, l’Office national des fourrages (Onf) a annoncé qu’il met à la disposition des éleveurs, dans ses magasins de Nasrallah (Kairouan) des balles de paille pour le prix modique de 2 dinars la balle. Bien que la vente de balles de paille à ce prix forêts ait réjoui de nombreux éleveurs de la région de Kairouan, certains agriculteurs restent sceptiques. Ce prix est jugé trop bas, ne couvrant même pas les frais de mise en balle, de transport et de stockage, sans parler du coût de la paille elle-même. Ce qui inquiète surtout les céréaliers, c’est que ce tarif devienne une référence pour la campagne de récolte imminente.
Pour de nombreux agriculteurs, la paille représente un revenu complémentaire non négligeable, surtout dans un contexte où le prix de cession du blé reste peu incitatif, face à la flambée des coûts de production (énergie, engrais, semences, main-d’œuvre…). Avec un prix trop bas, certains agriculteurs préféreront abandonner la récolte de la paille, la laissant pourrir sur pied. Cela pourrait décourager la culture des céréales à moyen terme, au profit d'autres cultures plus rémunératrices et représenterait une perte de ressources fourragères intéressantes pour l’élevage.
Conclusion
Une bonne récolte de paille est en vue. C’est un coproduit très intéressant qu’il faut utiliser d’une façon intelligente en évitant pertes et gaspillages. Pour les éleveurs, il est important de constituer des réserves pour pouvoir en disposer durant toute l’année en fonction des besoins des animaux. Avec les risques de sécheresse, il faut profiter des bonnes années où la paille est bon marché, surtout au moment des moissons, pour constituer des réserves qu’on peut utiliser les années de disette pour ne pas en acheter au prix fort. Pour les agriculteurs, c’est l’occasion de penser enrichir le sol en matière organique et améliorer sa fertilité.
L’utilisation de la paille par enfouissement, sous forme de fumier, de compost ou même la paille laissée au champ par la moissonneuse-batteuse, permet de compenser en partie l’exportation d’éléments nutritifs par les cultures et de réduire l’utilisation de la fertilisation minérale, couteuse et polluante. L’investissement en vaut certainement la peine.
Ridha Bergaoui
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