Mounir Beltaifa: Une réussite de certains partis et lobbies serait éphémère sans réussite de la Tunisie
Et si on tirait des leçons des expériences de notre jeune démocratie ?
A la joie et la fierté de la meilleure démocratie du monde arabe au lendemain des élections de 2011 et 2014, ont succédé la déception et la frustration des électeurs et des abstentionnistes, suite à la dégradation du pouvoir d’achat, à l’aggravation des déficits et de l’endettement, à l’éloignement des perspectives de réformes structurantes (déjà identifiées comme prioritaires depuis 2011).
Nombreux sont les électeurs qui se sont trouvés trahis avec un méga fossé qui séparait de plus en plus les arguments, promesses électorales et attentes de l’opinion publique des résultats obtenus voire même espérés pendant la législature.
Le prix payé pour notre liberté d’expression et des élections périodiques est déjà trop élevé pour le tunisien moyen et il n’est point bon de laisser se dégrader davantage la situation. Que ferions-nous pour éviter des dégradations supplémentaires ? Juste la continuité de ce que nous avions déjà fait en changeant certains responsables ? Objectivement insuffisant !
Pas étonnant que certains politiciens, affairistes, exportateurs et diplomates continuent à présenter le verre à moitié plein (sans préciser de quoi d’ailleurs !) et restent focalisés sur leurs prochaines réussites électorales quitte à s’enfermer dans le déni des difficultés de la population, de l’affaiblissement de l’Etat, de l’oppression économique, de l’augmentation silencieuse de la criminalité, de la perte de souveraineté, citoyenneté, éthique, morale et autres valeurs tels le sens de l’intérêt général, du travail bien fait, du meilleur vivre ensemble…
Alors que certains diraient « c’est de bonne guerre », il serait sage de reconnaitre que « nous nous tromperions encore de guerre » en tolérant de tels comportements à nos politiciens, affairistes, exportateurs et diplomates !
Espérons que cette campagne électorale verra des citoyens plus « challengings » et qu’au moment du vote ils se souviendront davantage de leurs difficultés réelles (pour voter pour le meilleur réaliste et pas pour le moins pire ou contre le pire ennemi) que du parti le plus disant en promesses peu crédibles ou du parti distribuant des billets à défaut de programmes !
Sans un tel éveil citoyen et de plus grandes exigences auprès de nos politiciens, notre démocratie serait encore stérile : importe peu qui gagnerait les élections, la législature serait douloureuse pour les pauvres et fort probablement pour les riches (à l’exception des mafieux, corrompus et/ou exportateurs).
En effet, rien ne pourrait réellement s’arranger durablement sans éveil citoyen immédiat, sans méritocratie et sans réformes structurantes à court terme et pour cause :
- 2019 serait déjà une année creuse malgré le regain de croissance espéré, élections obligent ! D’ailleurs la croissance espérée ne profiterait pas aux pauvres dont le pouvoir d’achat devrait continuer à baisser à la vitesse d’une inflation qui s’accélère !
- En 2020 ceux qui auront gagné les élections se battraient pour être Ministres ou Directeurs et l’année serait consommée dans la compréhension par ces nouveaux responsables de l’administration ou l’institution qu’ils seraient censés diriger !
- En 2021, les mêmes causes produisant les mêmes effets, 4 à 5 ministres (10 à 15% max) auront identifié des projets structurants pour leurs Ministères et devront en inscrire les dépenses prévisionnelles dans le projet de loi de finance 2022 !
- En 2022, s’il y a encore de l’argent dans les caisses et que les facteurs clés de succès sont réunis (compétences porteuses de projets, convergence d’intérêts dans un bon timing…) 2 à 3 projets pourront être lancés !
- En 2023 et 2024, la focalisation et les priorités seraient de nouveau électorales et les projets de réformes risquent fort d’être ralentis si ce n’est arrêtés !
Une démocratie qui laisserait à peine une année (moins de 20% sur une législature de 5 ans) pour avancer les réformes structurantes dont le pays a besoin serait relativement stérile voire néfaste, car le retard des réformes va retarder le développement économique et dégrader les déficits et de ce fait le pouvoir d’achat (qui toucherait les pauvres) et le cours du dinar (qui toucherait aussi les riches qui ne sont pas dans l’export) !
Il est clair que cette fuite en avant de non-réforme n’est ni dans l’intérêt de l’Etat ni dans l’intérêt des citoyens à l’exception sur le court terme des mafieux, des corrompus, des rentiers et des exportateurs.
En effet,
- Un pouvoir d’achat en baisse et un chômage en hausse (même modérée grâce à la fuite des compétences) entraineraient une contraction de la consommation.
- Un retard des réformes va mécaniquement retarder les investissements (les expériences Tunisia 2020 parlent pour nous) sans améliorer le classement de la Tunisie au Global Competitiveness Report (95/137).
- Une économie en crise dans un état faible verra la criminalité augmenter et obligera à consacrer plus de budget à la sécurité… !
Bref, un cercle infernal qui achèvera nos retraités et que nos salariés ne supporteraient pas !
La nouvelle génération ainsi élevée dans une atmosphère aussi tendue ne saurait être meilleure que la génération de ses parents ! Sans brosser un tableau plus sombre, on sent bien la délicatesse du choix politique de chacun des citoyens lors des prochaines élections et la responsabilité qui pèse sur les épaules de nos électeurs et de nos abstentionnistes mais aussi de nos politiciens et surtout parmi-eux les apprentis-politiciens qui auraient plus intérêt à s’abstenir qu’à prendre à la légère leurs responsabilités, si seulement ils en prenaient conscience, conscience et citoyenneté dont nos frères algériens nous donnent une belle leçon cette année.
Mounir Beltaifa
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