Monji Ben Raies: Nous avons le droit de refuser la pauvreté et la misère imposée !
J’ai toujours pensé, que lorsqu’on était dans une situation trop compliquée pour l’évaluer finement et savoir comment il convient d’en parler, le plus simple était de dire les choses avec honnêteté, sincérité et simplicité.
La Tunisie est en colère, après les réformes du gouvernement prises sans l’accord des citoyens. Les Tunisiens se mobilisent, mais insuffisamment, pour montrer leur mécontentement. Faut-il attendre que le peuple manifeste dans les rues pour que leur voix soit entendue une bonne fois pour toute en tant que droit de parole légitime. La hausse du prix de tous les produits sans exception, qu’ils soient alimentaires, de services ou carburants, de première nécessité ou autres, est la réforme qui a définitivement fait chavirer la patience des Tunisiens ; ils ne veulent et ne peuvent plus payer, de leur labeur, les erreurs des politiques. Les Tunisiens ont le droit et doivent exprimer leur colère et se mobiliser pour que soit restauré leur pouvoir d’achat. Des augmentations intempestives des impôts et taxes nouvelles, des prélèvements additionnels comme celui des 1% pour la contribution sociale, depuis le mois de janvier 2018, une pression fiscale au-delà du supportable, qui empêche de vivre. Les prix des produits de consommation courante et de base, augmentent presque quotidiennement, celui des transports comme cerise sur le gâteau, les pénuries artificielles provoquées par des spéculateurs sans scrupule laissée pour empêcher la grogne des citoyens, comme celle des médicaments de base dans les pharmacies, du lait qui devient la principale préoccupation des parents, des oeufs qui se vendent à prix d’or, des produits maraichers, du poisson que l’on ne peut que regarder à défaut de pouvoir acheter. Les citoyens ne sont pas des vaches à lait... Chaque jour taxes et augmentations en tout genre de partout le peuple est étranglé en cette année 2018 qui s’achève...
C'est un ras le bol généralisé...
STOP aux mensonges et à la langue de bois des discours fallacieux. Aucune des promesses faites en 2014 n'a pas été tenue, par aucun des gouvernements. Le Peuple Tunisien a droit à une transparence dans la répartition fiscale et à obtenir des réponses. Les augmentations pleuvent sur le peuple, qui n’a droit à aucune explication.
Les Retraités, se voient stigmatisés et leur niveau de vie régresse à vue d’oeil du fait de la dévalorisation des pensions. Avec la création de la Contribution Sociale, le gouvernement fait croire à la fausse idée d’une redistribution des richesses, encore un mensonge. Les premières victimes sont les salariés du secteur public, ceux du secteur privé qui appliquent la loi et les retraités qui souhaitent par pure justice la suppression des taxes, ce qui leur permettrait d’avoir un niveau de vie digne et décent. Des mensonges sans vergogne faits au peuple tunisien qui galère pour boucler les fins de mois. Les impôts viennent de passer la barre du tolérable et pourtant ils vont continuer à augmenter en pénalisant les retraités, les petits salariés et les plus fragiles.
Pendant que nous peinons pour boucler nos fins de mois et devons compter chaque millime, l'État gâche tout cet argent perçu, en cadeaux fiscaux aux riches et aux députés et ministres qui en paie beaucoup moins que le simple citoyen ; en gabegies et gâchis qui nous coûtent plus que nécessaire pour rien ; les grands projets lancés puis abandonnés par l'État ; Nos impôts ne servent plus à protéger les plus faibles ; en Tunisie nous redistribuons moins d'aides directes qu'au Royaume-Uni ou aux USA, pourtant réputés bien plus inégalitaires.
Pendant que le peuple souffre, non seulement ils nous abreuvent de paroles creuses, mais en plus ils nous font culpabiliser et nous mentent en prétendant l’austérité. Il est temps d’arrêter les mensonges et faux semblants.
Les seuls qui voient leur pouvoir d’achat augmenter et beaucoup grâce aux mesures fiscales, ce ne sont pas les gens aisés comme on pourrait le croire, mais les ultra-riches, ceux au sommet de la pyramide sociale, qui mangent dans notre assiette pour en diminuer les portions déjà congrues et qui ne touchent pas à la leur. Des gens dont la richesse scandaleuse est le résultat des mesures fiscales favorables, des incitations et de la fraude ou de l’évasion de capitaux.
En Tunisie, le dollar dépasse pour la première fois la barre des 2,9 dinars sur le Marché interbancaire. Après l’euro la semaine dernière, c’est au tour du dollar américain de franchir un nouveau seuil historique face au dinar tunisien. Ainsi, selon les données quotidiennes de la Banque Centrale de Tunisie (BCT) relatives aux cours moyens des devises étrangères, le dollar américain a dépassé pour la première fois, lors de la séance du 12 novembre 2018, la barre des 2,9 dinars, et s’échange désormais à 2,922 dinars.
Si le risque de pénurie existe, il ne vient pas de l’épuisement physique des ressources. Il faut plutôt en chercher les causes du côté de l’exploitation industrielle, de l’économie et des impacts environnementaux et sociétaux liés à l’utilisation des biens de consommation. Le citoyen tunisien, vivote actuellement du fait de la flambée des prix et de la raréfaction de certains produits. Il doit, de surcroit, supporter l’incompétence de ses ministres qui ne réalisent pas toutes les dépenses qu’une famille doit assumer. Ces mêmes ministres ne donnent aucune importance aux citoyens qui souffrent à cause de ces pénuries de ci et de ça et qui perdent un temps précieux de leur productivité au travail, afin de trouver du lait ou un simple médicament, par la faute de personnes dont la voracité est sans limite.
Depuis quelques mois, le spectre de l’austérité et de la récession secoue les différents secteurs du pays. En effet, que ce soit de la part des citoyens ou de la part des spécialistes, la sonnette d’alarme retentit, toujours plus insistante. A cette crise de l’approvisionnement et de la vie en soi, la réponse du gouvernement est ambiguë, partagée entre déni de la crise et annonces de mesures d’urgence. La crise va grandissant, au gré des annonces alarmistes des sites sociaux électroniques sur les stocks appauvris de telles ou telles denrées. Elle a atteint son point culminant ces derniers jours du fait de la lenteur des autorités à apporter des solutions efficientes et pérennes. Une crise d’une telle ampleur est « inédite » en Tunisie. Certaines incohérences flagrantes contredisent les annonces officielles de retour à la normale, démontrant que le problème est institutionnel et non un phénomène conjoncturel. Une autre cause de la pénurie serait liée à la contrebande et aux circuits parallèles. Cette crise est indicatrice des nombreux dysfonctionnements au sein du gouvernement. Mais celui-ci ne semble pas vouloir assumer ses responsabilités et trouver un remède. En effet, ce dernier détient toutes les informations sur la crise et est en mesure d’en déterminer avec précision les causes, mais il prend un soin particulier pour en minimiser l’ampleur, en plaçant la crise tunisienne dans un contexte mondial, avec force mensonges, ce qui relève de l’irresponsabilité. Certains même exploitent la chose pour faire du démarchage politique et débuter une campagne électorale avant l’heure. Ainsi, par incapacité ou par manque de volonté, les autorités entretiennent un dévoiement des plus significatifs du service public. Le fond du problème, ce n’est pas tant la fiscalité, mais les inégalités qu’elle cause. Les Tunisiens sont certainement prêts à contribuer, s’ils y voient un sens politique cohérent. Mais depuis des années, sans explication, on assiste à du bricolage conçu par des technocrates complètement coupés de la vie quotidienne du peuple. Après 2014, on a beaucoup donné au capital, pour demander beaucoup aux plus modestes. Les gens ne comprennent pas, et considèrent que c’est injuste. C’est une profonde crise politique qui nourrit actuellement une colère populaire. De celles qui ont conduit, aux États-Unis, à la victoire de Donald Trump ou qui ont installé ailleurs des pouvoirs populistes. Dans une telle hypothèse, quelle que soit le cas de figure, la colère devrait s’exprimer ultérieurement dans les urnes. Si l’on en croit la rumeur, celle-ci reflète une colère profonde et durable mais qui a du mal à s’exprimer. En effet, un mouvement social est toujours enrichi d’une structure, d’une doctrine, de liens avec les médias. On sait très bien qu’il faut, par exemple, bénéficier d’attachés de presse très rodés, capables de donner une image positive du mouvement.
Une politique qui favorise les riches
Dénoncer les augmentations intempestives sur toute la vie sociale peut traduire la colère légitime de nombreuses personnes, mais elle doit être formulée et relayée pour constituer l’expression d’une indignation morale suffisamment puissante, pour entraîner un mouvement de fond. On est actuellement dans quelque chose qui tient de la colère éruptive, et qui secoue en soubassement les quartiers populaires. L'initiative de cette grogne, aurait dû être issue de la société civile, dont on désespère de comprendre un jour qui elle désigne, mais dont aucune représentation de celle-ci ne s’est mobilisée contre la hausse du prix des carburants et des transports en commun ni pour une dénonciation plus globale de la politique du gouvernement en matière de taxation et à la baisse du pouvoir d'achat et de paupérisation de la population. Une grogne qui n’est pas à prendre à la légère et qui témoigne d’un vrai malaise pour une partie importante de la population avec en toile de fond un profond sentiment d’injustice comme le montrent les multiples témoignages individuels publiés sur les réseaux sociaux et dans les media. Mais les exemples doivent-ils pour autant avoir valeur d’arguments ? Oui et non. Oui, car le malaise est bien présent et l’augmentation du coût de la vie a un impact réel sur la qualité de celle des citoyens. Non, car isoler cette question du reste n’a pas de sens et dans ce débat, c’est toute la question de l’imposition, directe ou indirecte, qui doit être analysée mais aussi plus largement, celle du rôle et de la place de l’Etat. C’est en effet avant tout la Tunisie périphérique, qui est en première ligne dans cette grogne populaire, celle pour qui, c’est une question d’autonomie qui les impacte personnellement et professionnellement. On touche ici à la question des inégalités de territoires avec encore une fois l’impression pour une partie de la population vivant en périphérie des centres-urbains, d’être mis de côté et de n’être finalement que des citoyens de seconde zone. On entend rarement parler dans les discours, des petites communes, des difficultés qu’ont les habitants. Aujourd’hui en contradiction avec la Constitution, on centralise tout, mais contrairement à ce que pensent les élus qui vivent à Tunis, la Tunisie, ce n’est pas que les grandes villes. Auparavant il y avait des services de proximité, des commerces, une poste, une école. Aujourd’hui dans certaines localités, il n’y a parfois même plus de médecin par exemple. Le courrier n’est plus distribué convenablement ; les factures sont délivrées avec du retard et en cascade, grevant gravement le budget des ménages. Un sentiment d’inégalités doublé par celui d’injustice fiscale. Ce qui met en colère le peuple, c’est aussi que la variable d’austérité, est toujours la même catégorie socio-professionnelle. Ce sont toujours les classes qui constituaient avant 2011 la classe moyenne, classe qui a été laminée au point d’avoir rejoint la classe la plus basse, qui est pressée jusqu’à la dernière goutte. C’est toujours sur celle-ci que le gouvernement, quel qu’il soit, fait reposer les efforts et les ponctions budgétaires. De plus, sans être contre l’imposition dans son principe, le citoyen paye, mais sans voir d’améliorations dans leur quotidien, par manque de transparence dans la gestion de la chose publique et par gaspillage des deniers publics. C’est un jeu perdant de fait. Les décisions sont prises unilatéralement et de manière descendante sans préoccupation de la situation sociale du peuple, ni de ses besoins réels. Ce ressenti exprimé par beaucoup, de façon plus ou moins claire est à l’origine et est devenu symbole de la gronde actuelle et dans laquelle on oscille entre une colère que beaucoup trouvent légitime, mais qui relève plus des amalgames simples, populaires, que d’une argumentation raisonnée et étayée qui aurait pu être reformulée par la société civile, si elle ne brillait pas par son absence et sa défaillance, trop occupée à faire des appels du pied à la société politique. Des propos directs dans lesquels beaucoup se retrouvent néanmoins. Derrière ce ras-le-bol, au fil des rencontres et des discussions entamées, il nous apparaît qu’il y a finalement beaucoup de raisons à cette colère avec pour point commun, les questions fiscales, au centre avec en fil rouge toujours cette impression, de devoir toujours plus payer avec la crainte de ne pouvoir finir les mois dignement. Un marasme général provenant d’une frange de la population ayant des petits et moyens revenus et qui se sent méprisée, dévalorisée et pillée. Quant aux solutions attendues, elles restent floues. Ce qui ressort est une profonde aversion envers tout ce qui ressemble de près ou de loin à une institution d’Etat et en première ligne des critiques, le gouvernement. Nommé sur la vague du « dégagisme » en 2016, le Chef du gouvernement semble être, lui aussi, dorénavant, face à cette même vague et beaucoup rêvent d’une démission du gouvernement ou de l’Assemblée parlementaire, transformée par confort en chambre d’enregistrement. Ce qui est reproché au chef du gouvernement, c’est sa politique floue, une démarche qui enrichit les plus riches, mais aussi sa communication, perçue comme méprisante envers la population, son manque de franchise et son regard fuyant. Derrière cette volonté de « dégage attitude » forte, se cache aussi la question de la récupération politique, notamment par l’opposition, de ce ressentiment officiellement apolitique. La colère envers le pouvoir exécutif est bel et bien grandissante et sa légitimité n’a pas à être remise en cause, au même titre que toute colère sociale. Au contraire, elle doit être entendue et comprise comme démontrant un peu plus, la crise institutionnelle dans laquelle la Tunisie (comme d’autre pays) est. Cela montre également les difficultés pour le gouvernement, non seulement à faire passer ses messages, mais aussi à comprendre les revendications de la population, comme en témoignent les propos parfois maladroits de ses membres. Et alors que les mouvements syndicaux plus classiques ces dernières années, avaient réussi à rassembler les colères des Tunisiens, réussissant à instaurer un rapport de force face au gouvernement, que dire d’un mouvement né en dehors de toute structure traditionnelle (syndicats, partis politiques) comme celui-ci, à l’heure où la défiance envers tout ce qui ressemble de près ou de loin à une institution est connoté péjorativement. Personne ne se révolte contre les hausses en soi, que ce soit celle de la TVA, des taux d’imposition, des prix lorsqu’elles sont justifiées et raisonnables, mais c’est contre l’injustice fiscale et l’hypocrisie cynique du gouvernement que va la colère populaire. Il est inique, voire arbitraire de surtaxer les dépenses contraintes lorsque le pouvoir d’achat des ménages est négatif, mais il faut au contraire une autre manière de faire de la politique. Augmenter la taxation des dépenses contraintes pèse lourd dans le budget des plus pauvres. Il s’agit d’une mesure anti-sociale, et la posture du gouvernement est un double mensonge. Pour l’essentiel, les sommes récoltées n’iront pas financer une politique quelconque et puis, l’écrasante majorité des dépenses alimentaires sont contraintes, donc par définition elles ne baisseront pas.
Eviter la faillite morale et politique
Isaac Asimov dans la saga Fondation, fondait une théorie dérivée de celle de la physique du chaos. Celle-ci consiste en l’effondrement des institutions classique des sociétés, entre-autre amorcé par la technologie et la désagrégation sociétale. Cette théorie préconise de tout faire pour réduire la période de transition post-effondrement qui s’éternise, caractérisée par le chaos (comme c’est le cas en Tunisie depuis 2011). Cependant, vouloir relativiser l’impact de l’effondrement, c’est d’une certaine façon l’accepter et l’on devrait pouvoir moralement accepter la fatalité du dépérissement d’une partie des institutions de l’Etat, quand on est responsable politique. C’est de cette façon que tout organisme évolue y compris le corps social, par une suite d’effondrements et de reconstructions. Les modèles économiques du courant de XXème siècle sont à bout de souffle et ont montré leurs limites, tout comme d’ailleurs le système monétaire qui lui est associé. La mondialisation en a sonné l’halali et donné le coup de grâce. Les certitudes s’effacent devant l’inconnu. La crise progresse au lieu de se résorber. Le monde est la proie des spéculateurs et des argentiers et plus rien ne va. Tous les gouvernements actuels ne sont que des amateurs devant l’ampleur du problème, donnant l’illusion d’un savoir-faire qu’ils ne possèdent ni ne maîtrisent. Nous allons vers un effondrement systémique, global, de la civilisation humaine, à l’échelle mondiale. Le monde tel que nous le connaissons est en train de dépérir. Le système de croyances sur lequel s’appuie notre société est lui aussi en train de s’effondrer. La croissance n’apporte plus la prospérité, et les forces de l’ordre ne sont plus gage de sécurité, quand elles ne le sont pas de répression. L’Etat qui devait protéger sa population, dans la théorie libérale, ne le fait de toute évidence pas ou plus. L’argent de l’impôt est détourné des services publics et du patrimoine de ceux qui n’en ont, pour ainsi dire, pas. On ne croit plus les informations lues dans la presse, les media ou sur les réseaux admis par les officiels. Les écrans sont omniprésents et refaçonnent le « vivre ensemble ». L’égalité se heurte aux délits de faciès. La solidarité devient un délit. Les élus, représentants du peuple, se font agents des lobbies. En bref, la solidarité, le progrès, la démocratie apparaissent aujourd’hui à la plupart des gens, comme autant de mythes dont la valeur est en train de dévisser de la paroi sociétale. Simultanément, d’autres visions et manières d’être dans le monde, émergent ou réapparaissent, ayant été délaissées plus tôt dans l’histoire. Des mouvements, groupes, médias et réseaux alternatifs se font et se défont au gré de la conjoncture, on réinvente l’autogestion, l’action directe ou le municipalisme libertaire. Un peu partout, des gens réfléchissent et expérimentent le dépassement du dualisme cervical, du capitalisme, de la foi en la technologie et du progrès infini qui ont jusqu’ici conditionné une grande partie de notre civilisation dite post-industrielle. Voir toute cette activité ne rend ni plus pessimiste, ni optimiste, ni l’espoir d’un positif, mais il s’agit de lucidité. Ces éléments forgent une conscience éclairée et viennent bousculer les habitudes, dans la pratique comme dans le discours politique, celle par exemple de parler au nom d’un peuple, ou de transition démocratique alors que la véritable révolution est encore à venir. De même que je me refuse d’induire l’idée qu’on pourrait changer le système par une stratégie de conquête du pouvoir ou de révolution citoyenne. Je ne dénigre pas ceux qui continuent d’y croire l’ayant moi-même portée, défendu ses positions et y ai cru sincèrement. Mais il semble aujourd’hui que ce système démocratique, fondé sur le processus électoral, soit faussé, plus ou moins gangrené selon les pays, manipulé par les institutions officielles, les réseaux sociaux, les médias ou les lobbies, et même désormais la justice. Nous ne sommes pas préservés de l’attrait de la monarchie présidentielle ; nous ne saurions nous sortir des griffes des usuriers internationaux, éviter la faillite morale et politique telle que celle connue par la Grèce, contourner les médias d’actionnaires, Eviter les coups de corne des lobbies planétaires, Mettre en place une fiscalité révolutionnaire et sortir du capitalisme tout en conservant notre capacité à financer les investissements nécessaires. Or la situation est grave et la riposte à adopter, urgente, et en même temps il nous faut jouer le jeu lent et pipé du changement par les élections. Enfin, il faut dire une chose clairement, ou du moins en être conscient, le processus électoral coupe les ailes de notre démocratie et de notre développement. Certes, une campagne est un accélérateur de conscience, quand elle est menée dans des normes strictes. Mais on est en droit de douter, après en avoir vécu plusieurs, que cette conscience fraîchement acquise, principalement à l’occasion du spectacle qu’elles représentent, soit toujours durable. Elle touche moins massivement et rapidement les consciences en tout cas que le rythme et l’ampleur auxquelles les conditions matérielles d’existence les étouffent. Autre point rarement évoqué et pourtant crucial, le système de désignation de candidats, quel qu’il soit, provoque des dégâts énormes, détourne les énergies et exacerbe la compétition interne. La recherche de suffrages mobilise une énergie folle, or le mythe réconfortant de David contre Goliath sort de la Bible… Pas du monde politique. Tout cela nous coûte extrêmement cher en fraternité humaine délétère et en temps. Et puis insidieusement, pour gagner des voix, la tactique prend le pas sur le projet et les programmes, l’élargissement des bases électorales nécessite de s’allier ou de fédérer plus largement. Et tout le monde aura compris qu’on ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens. Tout miser sur les élections, c’est autant de forces que nous ne mettons pas à changer radicalement les choses ici et maintenant. Sans jeter la pierre à ceux qui s’y consacrent, mais aujourd’hui, ce n’est plus la priorité où placer ses énergies, et réellement nous n’avons plus le temps. Les responsables sociétaux doivent s’astreindre à une discipline personnelle, qui consiste à se réinterroger régulièrement, pour vérifier qu’ils sont toujours en phase avec les objectifs tracés dans le programme qu’ils ont présenté lorsqu’ils postulaient, lorsqu’ils en ont présenté un. Faire des choses juste par la force de l’inertie, c’est la mort et puis parfois, faire un pas de côté est le meilleur moyen de ne pas se décourager. La théorie de l’effondrement des systèmes vient valider l’importance d’une justice sociale car, non seulement les plus pauvres sont les premiers à prendre de plein fouet les aléas du climat politique, qui se multiplient et gagnent en intensité, mais surtout, on risque fort, au fur et à mesure de l’aggravation des pénuries, d’aller non pas vers un effondrement global, mais vers une société qui se radicalise, un système à deux vitesses dans lesquels tout le monde ne serait pas touché de la même manière par l’onde de choc. Il faut garder les yeux ouverts sur les mutations du monde actuel, les signaux faibles qui nous parviennent du futur, les tectoniques de la société, même dans les interstices, car c’est parfois des marges que viennent les changements les plus profonds. Ne pas regarder tout ça avec beaucoup d’attention et de sérieux, c’est se mettre hors-jeu, et faire de la politique hors-sol. Les thématiques classiques sociales devraient certes requérir notre énergie bien sûr, et c’est d’ailleurs tout l’objet de ce lien entre exploitation sociale et systèmes politiques, de montrer que les deux peuvent relever des mêmes mécanismes de prédation. En sorte que la réponse doit donc être, elle aussi systémique. La validité de cette réponse est renforcée aujourd’hui par les questions du climat sociétal qui se heurtent de plein fouet aux inégalités sociales et les rendent plus critiques que jamais. Une étude financée par la NASA est revenue sur les différents effondrements qui ont déjà eu lieu par le passé. (En 2014, le Goddard Space Flight Center de la NASA a parrainé une étude dénonçant notamment la surexploitation des ressources économiques. Une position soutenue par une autre étude menée en 2015, par l’Université Anglia Ruskin (Royaume-Uni)). Ces études pointent le fait que, de manière systématique dans l’histoire, les sociétés craquent et disparaissent au moment où deux critères sont réunis, la surexploitation des ressources naturelles et l’explosion des inégalités sociales. Ce que confirme l’examen transversal pluridisciplinaire de différents aspects de nos sociétés, annonciateurs d’un effondrement civilisationnel, c’est l’arrivé au moment où ces deux ingrédients sont réunis. Or ces derniers sont les deux piliers de tous les combats politiques sur le terrain. Le monde est en train de changer, à une vitesse stupéfiante et nous devons d’urgence accepter de questionner nos certitudes et nos habitudes, d’ouvrir notre pensée à ce qui se passe dehors et adapter nos pratiques politiques en conséquence, sous peine d’être hors-sol par rapport à la manière dont le monde est en train d’évoluer autour de nous. Il nous faut ouvrir notre pensée, dans un monde où l’on a le sentiment de courir en permanence et de manquer de temps, en trouvant le moyen de davantage déconnecter le fait de s’activer sur le terrain et de gouverner, mais aussi de prendre le temps de nourrir sa pensée, de l’injonction permanente de commenter l’actualité, de vouloir et devoir se faire un nom et de rechercher la visibilité, objectifs qui ne sont certes pas condamnables en soi, mais qui sont de plus en plus pollués par la polémique, le clientélisme et l’agressivité, que ce soit sur les plateaux télévisés ou les réseaux sociaux. Peut-être faudrait-il aussi inventer d’autres stratégies d’impact que la recherche d’effets de masse, lors d’évènements souvent dramatiques, naturels ou non. En fait, il semble que tout le système actuel de représentation démocratique, basé sur les élections, opère un rétrécissement de la pensée, réduit trop souvent l’action au fait de pétitionner ou de réclamer l’accession au pouvoir, et piège l’activité politique dans le tunnel du temps court et de l’éphémère. C’est une défaite intellectuelle, et un constat d’échec des modèles en vigueur. Aujourd’hui, on ne peut réinventer ce système politique assez rapidement, et encore moins avec les mêmes gens, mais il reste toujours des modes d’action et de pensée politique à inventer. Les deux objectifs prioritaires politiques, dans ce contexte difficile sont, de préserver ce qui peut et doit l’être de notre civilisation, et d’anticiper et préparer le monde d’après. Sur le premier point, on a le constat de ce qui ne va pas et si la question était correctement posée, les gens sauraient assez bien identifier ce qui est à sauver dans cette société. Sur le second point en revanche, c’est un angle mort, car il semble qu’on ne fasse pas de prospective en politique. On a le sentiment que le temps du débat d’idées, de la réflexion intellectuelle, de la lecture de documents de fond, se perd et ce n’est donc pas spécifique à la politique. Il y a certainement des raisons exogènes à cela, à commencer par la manière dont les technologies de l’information et de la communication accaparent l’attention et diminuent la capacité de concentration d’une large frange de la population. Mais il faut maintenant réfléchir à l’après, au volet adaptation. Des choses sont en train de changer de manière irrémédiable, d’autres vont l’être et doivent être anticipées. La question n’est plus de savoir si on a envie que ça arrive ou non. On a laissé passer la période historique durant laquelle on pouvait encore se poser cette question et d’y répondre par des actes politiques forts, préventifs. Désormais, on y est, et on commence à constater que tous ces effondrements sont plus violents pour les plus fragiles, les minorités, ceux en situations précaires. Il n’y a pas de solution unique, et pas de baguette magique et en réalité personne ne sait de manière catégorique ce qu’il convient de faire, tant la situation est inédite et complexe. Dès lors, toutes les alternatives qui sont en train de se construire, les changements de comportements individuels, comme ceux qui relèvent d’organisations collectives, à l’échelle locale, communale ou étatique, ne doivent qu’être sincères et dignes, c’est-à-dire à partir du moment où on n’utilise pas la question de l’effondrement de la démocratie, pour servir des intérêts économiques, d’ego ou électoraux.
Pour ne pas reproduire les mêmes erreurs
Aujourd’hui les vrais coupables à pointer du doigt sont ceux qui savent, qui pourraient changer les choses, et qui ne le font pas de manière délibérée, ce qui laisse largement le choix des cibles, et une marge pour ne pas se tromper d’ennemi. Ceux qui conditionnent notre manière même de penser et d’être au monde sont, aujourd’hui, largement corsetés par l’injonction productiviste et consumériste véhiculée par la mondialisation. On est sans cesse bombardés de publicité, d’effets de mode, d’impératifs de réussite. Comme si les normes sociétales n’étaient pas assez pesantes. Ils ne retiennent de l’ère numérique et de l’arrivée des réseaux sociaux qu’une nouvelle uniformisation des désirs et des plaisirs stéréotypés et standardisés. Nous avons besoin, de décoloniser notre imaginaire, ce qui implique d’abord de désapprendre, de se désaccoutumer de ces stupéfiants durs du système, que sont la fiscalité à outrance, le consumérisme ou la rentabilité du capital. Il s’agit de déconstruire notre système de pensée, étape nécessaire pour se dessiller le regard et ainsi pouvoir, dans un second temps, reconstruire, avec de nouveaux mots, de nouvelles perspectives, de nouveaux récits et figures, de nouvelles références, une vision plus adaptée au monde réel, et surtout au monde d’après, tel qu’on aimerait le voir advenir. Walter Benjamin, philosophe et historien allemand, (1892 - 1940 rattaché à l'école de Francfort), faisait remarquer que « déclin » ne veut pas dire, disparition. De même l’effondrement d’un système socio-politico-économique, peut être une métamorphose. On a besoin, parfois, de petits repères lumineux dans la nuit qui s’avance, et il y a des notions, des idées, des concepts très inspirants qui peuvent donner la force et l’espoir de s’engager sur ce chemin, pas forcément à reculons, mais de manière plus volontariste et apaisée. Walter Benjamin, encore, parlait ‘’d’organiser le pessimisme’’. Il s’agit du fait même que nos victoires futures puissent être compromises et que cela ne justifie pas d’y sacrifier la dignité du présent et de ne pas se souvenir que la fin ne justifie pas forcément les moyens. Voilà ce qu’il semble indispensable aujourd’hui d’ajouter au travail que nous avons produit sur notre système. Ces notions-là le complètent de deux dimensions jusqu’ici trop absentes de notre champ politique, la dimension libertaire et une forme de spiritualité ancrée, qui n’a rien à voir avec la religion, mais davantage avec une discipline personnelle, éthique et même esthétique. Sincèrement, ce sont des choses sur lesquelles il faut que l’on réfléchisse, notamment en politique, cette cohérence entre l’objectif révolutionnaire et les moyens mis en oeuvre pour y parvenir, qui doivent déjà refléter le monde d’après la révolution. Faire en sorte que, dans cette espèce de dévissage culturel généralisé, on n’en oublie pas le minimum décent, en termes de tenue et d’élégance. Comme il existe une éthique du changement, une esthétique du chaos en art, il faut avant toute autre chose nous munir d’une éthique de la révolution sociétale. Sinon nous reproduirons les mêmes erreurs, et toutes les souffrances subies par les opprimés, passées et à venir, l’auront été en vain.
Monji Ben Raies
Juriste, Enseignant et chercheur en droit public et sciences politiques
Université de Tunis El Manar
Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis
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